mardi 10 juin 2025

Elle et Lui (1859)

Un jour de mai, je passe chez Gibert pour racheter les deux tomes de La Force des choses de Simone de Beauvoir en neuf, car je désespère de les trouver assortis l'un à l'autre en occasion (et que posséder les deux tomes d'un même ouvrage dans deux éditions différentes, ça me crispe). Au moment de payer, le jeune homme de la caisse fait ma journée: il m'annonce que Folio propose actuellement une opération commerciale "un Folio offert pour deux achetés". Et parmi les trois livres proposés, je vois George Sand. Je choisis donc sans hésiter, car je viens tout récemment de lire – et d'apprécier grandement – La Mare au Diable. Je sors de Gibert dans un état d'euphorie assez plaisant. Deux Beauvoir achetés, un Sand offert! 🤩🤩

Bon, j'ai fini par déchanter, mais ce cadeau inattendu est vraiment un bon souvenir.

Dans Elle et Lui, George Sand met en scène deux peintres, Thérèse et Laurent, qui se rencontrent à Paris. Ils se fréquentent d'abord amicalement, puis Laurent commence à tourner autour de Thérèse, qui finit par céder à ses avances, car elle l'aime énormément. Mais après leur départ de Paris, tout dégénère: Laurent a une hallucination, puis est rattrapé par son sale caractère en Italie, puis quitte Thérèse, puis tombe malade, puis se repent de son comportement abject, puis...

Bon, en bref, ce roman est une longue description d'un phénomène de masculinité toxique: un gars qui ne sait pas ce qu'il veut, ou bien qui veut surtout ce qu'il n'a pas, en tout cas qui veut Thérèse de temps à autre mais la massacre verbalement entre deux crises d'adoration, et qui alterne entre gentillesse-travail-génie et caractère de merde-paresse-tromperie. Le fait qu'il ne contrôle pas du tout son humeur, et qu'il ait ces espèces de crises cérébrales incontrôlables que le XIXe aimait quand même pas mal, m'a laissée supposer qu'on le diagnostiquerait aujourd'hui comme un bipolaire ou un schizophrène sévère. Mais bon. Ça n'excuse pas.

En face, Thérèse, animée d'un amour quasi-maternel, lui pardonne à peu près tout. Elle cherche plusieurs fois à se protéger, mais elle lui tient la main à peu près jusqu'au bout. Elle est autant animée par un amour sincère que par la responsabilité qu'elle ressent d'aider Laurent à exploiter son talent – et même son génie.

Bon. Vous voyez. Le génie torturé qui se fait les nerfs sur sa femme, et ladite femme qui subit et se dévoue. Et ça se désole de page en page. C'est bien pire que les deux personnages du Blé en Herbe de Colette...

Ce qui est très déprimant là-dedans, c'est que cette histoire est en fait inspirée de la réalité! Et plus précisément de la relation de George Sand et d'Alfred de Musset. Eux aussi, ils se sont aimés, puis se sont déchirés en Italie, puis se sont remis ensemble à Paris, puis se sont déchirés de nouveau. Ici, on a le récit de George Sand, et on peut donc supposer qu'elle a présenté certaines choses à son avantage. Thérèse est d'ailleurs une vraie sainte, et on peut douter qu'une personne réelle soit aussi douce et altruiste.

Mais on peut vérifier l'autre son de cloches, si on le souhaite... Car bien avant tout ça, en 1836, Alfred de Musset avait déjà mis en scène sa relation avec George Sand!!! C'est de ça que parle La Confession d'un enfant du siècle, en fait!!! Nan mais mon cerveau a explosé!!! Un couple qui se sépare... le gars en fait un roman... vingt ans plus tard, la fille en fait un roman à son tour...

Et là, le roman de George Sand soulève un tollé lors de sa parution!! D'après le dossier sur sa réception critique, le frère d'Alfred de Musset, Paul, a très vite sorti un roman intitulé Lui et elle, dans lequel c'est le personnage féminin qui est odieux avec le personnage masculin. Puis une certaine Louise Collet, ex-maîtresse d'Alfred de Musset, a sorti un roman intitulé Lui... 👀👀👀

Voilà qui fait relativiser certains réglements de compte publics de notre époque. 🤣🤣🤣

Et sinon: oui, hélas, bien que les deux personnages m'aient grave saoulée à se torturer comme ils le font, je suis très curieuse de lire La Confession d'un enfant du siècle pour avoir l'avis de l'autre partie. Il est peu probable que je franchisse vraiment le pas, mais je suis curieuse.

8 commentaires:

  1. Déjà qu'on te donne un livre gratuitement, tu ne voudrais pas en plus qu'il soit bien quand même. 🙈
    "Il est peu probable que je franchisse vraiment le pas" : on ne sait jamais, il sera peut-être offert dans une prochaine opération Folio. 😄

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    1. @Baroona: Je te tiendrai au courant la prochaine fois que j'achète deux Folio 🤣🤣🤣

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  2. Haha effectivement ça fait très règlement de compte public, même si un peu à retardement cette histoire !

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    1. @Shaya: Oui! J'ai d'ailleurs oublié de préciser que George Sand, elle, a publié son roman *après* la mort du principal intéressé :D

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  3. Quelle patience, de se repondre par romans. Merci pour ces éléments de contexte. Dommage quand même que la série de romans / correspondance se soit arrêtée, on aurait pu avoir "Elle", "Nous", "Vous", "Ils"... 😅

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    1. @Ksidra: Loool, ça aurait pu continuer longtemps, en effet!!! 😂😂😂

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  4. "Voilà qui fait relativiser certains réglements de compte publics de notre époque. 🤣🤣🤣"
    => Ah mais on n'a rien inventé, je dirais juste qu'à l'époque c'était plus stylé 😂

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    1. @Vert: C'est vrai que le roman écrit par George Sand, tout en style XIXe, a plus de gueule que le tweet en jesaispluscombien de caractères 😂😂

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