samedi 28 juillet 2012

Death in Holy Orders

"A large ginger cat was curled, plump as a cushion, on a low button-backed chair. At their entry he raised a ferocious head, gazed fixedly at them then, affronted, descended from the chair and lumbered out to the pantry. They heard the click of a cat-flap."

P. D. James
Death in Holy Orders
Héhéhé. Chat outré.

dimanche 22 juillet 2012

Paris (1897)

Après Lourdes et Rome, Paris forme le dernier volet des aventures de Pierre Froment, l'abbé qui a perdu la foi.

Nous le retrouvons cette fois-ci à Paris, comme le titre le laisse deviner. Grâce à sa bonté, il a acquis une réputation de saint homme, et il semble jouer son rôle de prêtre sans difficultés. En réalité, il souffre profondément de son manque de foi et de la comédie qu'il joue pour soutenir la foi des autres: "Il était la règle, il n'avait plus que le geste du prêtre, sans l'âme immortelle, tel qu'un sépulcre vide où ne restait pas même la cendre de l'espoir [...]". Sa vie sera cependant bouleversée par la rencontre de son frère Guillaume, qu'il ne fréquentait plus depuis des années et qui baigne dans le milieu anarchiste.

L'étrange créature londonienne fait ses débuts sur le blog!

Paris est légèrement différent des deux autres volets des Trois Villes, car il ne tourne pas autour de la religion (en tant que système de croyance ou que système politique). C'est, au contraire, le passage à autre chose: une nouvelle vie pour Pierre et un nouveau monde guidé par la science et par Paris, ville moderne, pour l'humanité. On sent venir les Quatre Évangiles (Fécondité, Travail, Vérité et Justice) (que j'espère recevoir bientôt en cadeau car ils n'existent que dans des éditions très chères) (message subliminal!).

On y retrouve en revanche un des thèmes les plus chers à Zola: l'inégalité sociale. Comme c'est souvent le cas, on passe des salons bourgeois tendus de velours et regorgeant de mets délicieux aux chambres nues et sordides, où l'ouvrier et sa famille meurent littéralement de faim dès que le père de famille ne peut plus travailler.

Ce thème en amène un autre, l'anarchie. Le sens d'injustice de la classe ouvrière, qui se sent bafouée et exploitée, est tel que certains se tournent vers l'anarchie pour tout faire sauter, pour faire crouler la vieille société pourrie et construire une société basée sur la justice et non pas sur la charité. Le principe de la charité chrétienne, symbolisé par l'abbé Rose, un prêtre généreux et naïf (mais presque héroïque dans sa naïveté, je dois dire que je l'aime beaucoup) en prend d'ailleurs dans la figure tout au long du roman.

Le milieu anarchiste est avant tout symbolisé par Salvat, un miséreux qui pose une bombe à l'entrée d'un hôtel particulier et qui finira guillotiné. Les réflexions sur le recours à la violence, que Zola condamne, sont d'ailleurs encore d'actualité à notre époque (même si je ne mettrais pas dans le même seau les anarchistes et Al-Qaïda), et Guillaume Froment, qui a mis au point un explosif extrêmement puissant, tient des réflexions rappelant (ou pré-annonçant) étonnamment la Guerre froide.

Il est vraiment dommage que les Trois Villes ne soient pas passées à la postérité, car ces trois romans sont vraiment à la hauteur des livres de Zola les plus connus. Ils sont d'ailleurs plus intéressants que certains tomes des Rougon-Macquart un peu plus faibles (comme Une Page d'amour par exemple). Pas qu'il existe des livres de Zola faibles, soyons clairs, vu que Zola est le meilleur, mais certains sont moins exceptionnels que d'autres. Les Trois Villes valent vraiment le détour si vous voulez découvrir un Zola un peu plus confidentiel que celui de Germinal et La Bête humaine.

Émile Zola, Paris
Éd. Folio Classique, 704 pages, 11,50€.

mardi 17 juillet 2012

Top Ten Tuesday (10)

Le Top Ten Tuesday est un rendez-vous hebdomadaire dans lequel on liste notre top 10 selon le thème littéraire défini. Ce rendez-vous a initialement été créé par The Broke and the Bookish et repris en français par Iani.


Le thème de cette semaine:
Les 10 passages de livres que vous n'oublierez jamais

1/ La charge des Rohirrim lors de leur arrivée à Minas Tirith, dans les derniers paragraphe du cinquième chapitre de Le Retour du Roi de Tolkien. Un des moment les plus intenses de ma vie de lectrice! "Ride now, ride now! Ride to Gondor!"

2/ La mort de Bataille, le cheval de trait qui a passé sa vie au fond de la mine, lors de la catastrophe finale de Germinal de Zola.

3/ La description du devenir de tous les membres de la famille des Rougon-Macquart dans Le Docteur Pascal de Zola, quand Pascal montre l'arbre généalogique à sa nièce Clotilde. Il y avait des feux d'artifice dans mon crâne quand je l'ai lu.

4/ Le discours de Gmork, notre loup-garou préféré, lors de son face à face avec Atreiju dans L'Histoire sans fin de Michael Ende. Il y expose des idées très tristes et très bien trouvées (de la part de l'auteur) sur la séparation entre le monde des humains et le royaume de Fantasia et sur le devenir des créatures de Fantasia lorsqu'elle se jettent dans le Néant.

5/ Le texte To The Deamon de Clark Ashton Smith, un des plus beaux textes anglais que j'ai jamais lus. "Tell me many tales, O benign maleficient daemon..."

6/ La conclusion de Gatsby le magnifique de Fitzgerald, pour sa tristesse et sa justesse. "Gatsby believed in the green light, the orgastic future that year by year recedes before us."

7/ L'extrait des Nemedian Chronicles cité au début de la nouvelle The Phoenix on the Sword de Robert E. Howard, première apparition de Conan. "Know, O Prince, that between the years when the oceans drank Atlantis and the gleaming cities, and the rise of the Sons of Aryas, there was an Age undreamed of, when shining kingdoms lay spread across the world like blue mantles beneath the stars."

8/ La réponse de la Marquise de Mertueil à l'ultimatum du Vicomte de Valmont (lettre 153 des Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos): "Hé bien ! la guerre."

9/ Les premiers paragraphes de la nouvelle The Outsider (Je suis d'ailleurs) de Lovecraft. "I remember not where I was born, save that the castle was infinitely old and infinitely horrible..."

10/ La vision d'Adso à la fin du Nom de la rose d'Umberto Eco, lorsque, en proie à une longue hallucination, il voit arriver Noé qui pagaye sur son arche. :D

lundi 9 juillet 2012

L'Espèce humaine (2)

J'avais gardé un souvenir plutôt nébuleux et mauvais de L’Espèce humaine de Robert Antelme, lu en Terminale en complément de Si c'est un homme de Primo Levi. Je l'ai relu un peu par scrupule, car je doute de plus en plus de mon jugement au fur et à mesure que je m'éloigne d'une lecture, et un peu par désarroi, car --tenez-vous bien--, mercredi soir dernier, JE N'AVAIS PLUS RIEN À LIRE EN FRANÇAIS. Du jamais vu.

En fait, c'est pas mal du tout, dans le genre récit perturbant et répugnant. Pendant la Deuxième guerre mondiale, Robert Antelme a été interné en Allemagne, au camp de Buchenwald puis à Gandersheim. Son récit est donc un récit de camp de concentration. S'il n'est pas à Auschwitz et n'a pas affaire au quotidien avec les fours crématoires, lui et ses compagnons sont néanmoins parqués dans des "logements" sordides, nourris de pain et de soupe et surveillés par les kapos et les SS. La faim s'installe peu à peu, jusqu'à ce que le fait de manger devienne leur seule et unique pensée. Vêtus de loques, ils travaillent à l'extérieur par -20°.


Comme Primo Levi, Antelme a opté pour une écriture très "détachée", très claire, sans florilèges et souvent au présent. J'oserai écrire que cela permet de bien "comprendre" ses pensées et son ressenti, bien que dire une chose pareille soit absurde et que l'auteur lui-même conclut son livre en soulignant l'indicibilité de son expérience.

"Quand le soldat dit cela à haute voix, il y en a qui essaient de lui raconter des choses. Le soldat, d'abord écoute, puis les types ne s'arrêtent plus: ils racontent, ils racontent, et bientôt le soldat n'écoute plus.
Certaines hochent la tête et sourient à peine en regardant le soldat, de sorte que le soldat pourrait croire qu'ils le méprisent un peu. C'est que l'ignorance du soldat apparaît, immense. Et au détenu sa propre expérience se révèle pour la première fois, comme détachée de lui, en bloc. Devant le soldat, il sent déjà surgir en lui, sous cette réserve, le sentiment qu'il est en proie désormais à une sorte de connaissance infinie, intransmissible.
D'autres encore disent avec le soldat et sur le même ton que lui: "Oui, c'est effroyable!" Ceux-ci sont bien plus humbles que ceux qui ne parlent pas. En reprenant l'expression du soldat, ils lui laissent penser qu'il n'y a pas place pour un autre jugement que celui qu'il porte; ils lui laissent croire que lui, soldat, qui vient d'arriver, qui est propre et fort, a bien saisi toute cette réalité, puisque eux-même, détenus, disent en même temps que lui, la même chose, sur le même ton; qu'ils l'approuvent en quelque sorte."

Le nombre de parallèles avec Si c'est un homme est en réalité assez hallucinant: stagnation du temps rythmé par les repas et les taches du jour, disparition totale du calendrier jusqu'aux derniers jours à Dachau (chez Levi, le calendrier réapparaît une fois qu'Auschwitz est évacué et que les malades sont laissés en arrière), étude des caractères et des réactions du côté des prisonniers et des bourreaux, lucidité et "acceptation" des prisonniers de leur condition (je n'entends pas par là qu'ils sont des moutons qui auraient dû réagir, mais qu'ils sont bien conscients du système d'idées qui sous-tend le système du camp), titres qui posent d'emblée la question de l'humanité. Il y aurait probablement de quoi écrire une thèse sur le sujet!

Robert Antelme et ses compagnons ont souffert pratiquement jusqu'au bout de la guerre, car leur camp a été évacué face à l'avancée des Alliés et qu'ils ont été transférés à Dachau dans des conditions particulièrement inhumaines. Ils n'ont été libérés que le 28 avril 1945. (Pour comparer, les Russes ont libéré Auschiwtz à la fin du mois de janvier de la même année.)

Robert Antelme pensait parfois au sourire de M... Je pense bien qu'il s'agit de Marguerite Duras, sa femme. Elle a d'ailleurs raconté l'attente du retour de son mari et l'angoisse de cette époque dans La Douleur.

Allez donc voir ailleurs si ce livre y est!
L'avant-propos de l'auteur sur le site de Gallimard
La critique du livre chez Art Souilleurs, avec une vidéo intéressante
Un extrait de l'émission "Un livre, un jour" (9 avril 1994) sur le site de l'INA
Le billet de Pierre Assouline sur la pièce de théâtre La Douleur de Marguerite Duras

Éd. Gallimard, collection Tel, 321 pages, 10,50€.

samedi 7 juillet 2012

L'Espèce humaine

Une vision intéressante de la figure de l'interprète au camp de concentration de Gandersheim, en Allemagne.

"Être interprète, c'était évidemment la planque, parce qu'on ne travaillait pas. Mais il y avait deux manières d'êtres interprète. Pour Lucien, ça consistait à traduire les ordres des SS et des kapos, mais en les prenant progressivement à son propre compte. Lucien n'était pas seulement celui qui répétait en langue française ce que les autres disaient en allemand; il était devenu avec habileté l'auxiliaire de langue française de ceux qui commandaient dans la langue allemande. Il ne fut que l'interprète des kapos et des SS, jamais celui des détenus. D'où les gamelles, le trafic, la fraternisation avec Fritz, l'estime du blockführer SS.
Gilbert, à l'usine comme à l'église, fut l'interprète des détenus, c'est-à-dire qu'il ne se servit de la langue allemande que pour tenter de neutraliser les SS, les kapos, les meister. Il fut assez habile d'ailleurs pour régler pas mal de conflits entre nous et les meister et assez courageux pour justifier ou excuser certains camarades devant les SS. Il remplissait son rôle de détenu politique, il prévenait, il couvrait les copains, il leur servait de rempart. Alors, être interprète n'était plus simplement une planque, c'était aussi un risque supplémentaire. Car en agissant ainsi, Gilbert était devenu l'ennemi des kapos."

Robert Antelme
L'Espèce humaine
(chronique à venir)