jeudi 27 février 2014

Les années (2008)


Annie Ernaux (qui m'avait déjà séduite avec La place et Une femme) réussit dans Les années un bel exploit: raconter l'histoire de la France de l'après-guerre à travers sa propre histoire, faire de sa biographie un récit universel. Cela peut paraître prétentieux, mais ce ne l'est pas: elle ne se prend jamais pour modèle. Elle raconte simplement les actions et les pensées de ce elle qu'elle a été et qui a partagé l'histoire de millions de ses concitoyens, à partir de son enfance et son adolescence en Normandie -- là où les adultes parlaient toujours de la guerre -- et jusqu'à sa vie d'étudiante "à la ville" et de prof. Ce passage de la province profonde à la ville a d'ailleurs son importance et me semble suivre de près le passage du monde "étroit" des années quarante à la société plus ouverte des années soixante, puis à celle complètement mondialisée des années quatre-vingt-dix et deux mille.

Ce livre m'a inspiré une grande tristesse, les événements abordés n'étant pas très gais: ce qui marque le plus un peuple, on le sait, ce sont ses guerres et ses désordres.

"Les guerres du monde suivaient leur cours. L'intérêt qu'on avait pour elles était inversement proportionnel à leur durée et leur éloignement, dépendait surtout de la présence ou non d'Occidentaux parmi les protagonistes. On n'aurait pu dire depuis combien d'années les Iraniens et les Irakiens s'entre-tuaient, les Russes tentaient de mater les Afghans. Encore moins les motifs, persuadés intimement qu'ils ne le savaient plus eux-mêmes et signant sans conviction des pétitions pour des conflits dont on avait oublié les causes."

J'ai aussi été marquée par la présence réelle, mais clandestine, de la sexualité dans le monde de son adolescence et par le quotidien des femmes avant la pilule et l'IVG. Époque à laquelle on devait suivre son cycle de près pour ne pas risquer de tomber enceinte et où on épousait parfois un homme non pas parce qu'on le souhaitait mais parce qu'on avait eu la malchance de tomber enceinte de lui.

Une belle leçon d'humanité au final, avec un ton très juste qui m'a confirmé que j'éprouve de l'estime pour la personne à même d'écrire ces mots. À mettre entre toutes les mains.

mardi 25 février 2014

Les Dinosaures (1994)

Chronique express!


Je l'ai enfin lu, ce petit Que sais-je? dont je rêvais depuis des lustres! Écrit par Eric Buffetaut, le grand spécialiste français des dinosaures, il est, comme tous ses congénères de chez PUF, extrêmement clair pour le grand public et précis dans son propos. C'est un vrai plaisir pour se rafraîchir la mémoire sur la variété de ces animaux disparus, leur place dans le vivant et la manière dont ils sont classés en groupes (théropodes, thyréophores, ornithopodes etc) et en sous-groupes, sur les premières découvertes et le grand mystère de leur disparition... Il faut juste garder à l'esprit que ce petit livre a été publié en 1994 et que les connaissances sur les dinosaures ont énormément évolué depuis 20 ans. Alors, les PUF, à quand une nouvelle édition? :)

dimanche 23 février 2014

UGC Culte: Sueurs froides (1958)

Chronique express!


Maintenant que j'ai vu deux films de lui (et un film sur lui! ^^), je comprends mieux pourquoi Hitchcock a autant marqué l'histoire du cinéma et est appelé le maître du suspense! Dans Sueurs froides (Vertigo de son titre original), un policier souffrant de vertige se voit confier par un ami la mission de pister l'épouse de celui-ci, qui semble être en train de perdre l'esprit. Elle erre dans la ville de San Francisco et ses alentours sur les traces de sa très belle ancêtre suicidée. En est-elle la réincarnation? Le croit-elle seulement? Est-elle folle? Ce film brillant et subtilement stressant joue avec les apparences et les faux-semblants et mériterait largement un deuxième visionnage pour en tenir tous les tenants et les aboutissants. J'ai été assez bluffée (et en plus, découvrir ce genre de film dans les conditions idéales du cinéma est un vrai plaisir). Bravo, maestro!

vendredi 21 février 2014

Germinie Lacerteux (1865)

On a tendance à l'oublier, mais avant d'être un prix littéraire très en vogue, les Goncourt étaient des gens. Des frères, plus précisément: Charles et Edmond. Si leur oeuvre n'est pas vraiment passée à la postérité, je me devais néanmoins de lire ce Germinie Lacerteux, un roman qui a eu une influence fondamentale sur le jeune Émile Zola.


Inspiré de la vie réelle de Rose Malingre, la bonne des Goncourt, ce roman met en scène une femme à la vie... disons... difficile. Née en province, elle monte travailler à Paris à l'adolescence, est violée par un collègue et fait une fausse couche. Elle trouve ensuite du travail comme bonne chez une vieille Mademoiselle qui a eu un lot assez effarant de souffrances au cours de sa vie. Et là, tout pourrait bien se passer pour Germinie... Si elle ne devenait pas amie avec les mauvaises personnes... Et si elle ne tombait pas amoureuse du mauvais gars.... D'année en année, sa situation ne fait qu'empirer, les personnes qu'elle aime profitent d'elle et la poussent de plus en plus loin dans la déchéance, le sort s'acharne en lui tuant son bébé, les dettes s'accumulent et l'alcoolisme règne en maître...

À sa sortie, Germinie s'est fait lyncher par la critique, outrée par ce ramassis d'ordures. Seul un certain Émile Zola, journaliste au Salut public à Lyon, en a pris la défense. Il est vrai que ce n'est pas une lecture très réjouissante et que, même aujourd'hui, beaucoup seraient rebutés par cette impitoyable succession de malheurs et cette destruction totale d'un individu qui aurait pu, dans un autre contexte, être quelqu'un de tout à fait normal. À l'époque, en plus, il ne fallait surtout pas appeler les choses par leur nom, alors les Goncourt ont beaucoup choqué...

Pour ma part, j'ai adoré. C'est un peu Zola (ou plutôt la pauvre Gervaise!) avant l'heure. C'est moins bien et moins précisément construit que l'oeuvre de Zola, mais je comprends bien pourquoi le jeune Émile a déclaré "admirer [cette oeuvre] excessive et fiévreuse". C'est de la littérature putride qui n'a pas peur de regarder les choses en face et de les dénoncer... Et avec quel style! Les écrivains du XIXème sont vraiment les meilleurs. Ils semblent énoncer avec une clarté déconcertante des phrases riches, complexes, longues et précises qui nous portent sans la moindre difficulté jusqu'aux points qui les séparent les unes des autres, dans une rythmique et une poésie juste jouissives. Décidément, je pourrais lire du Goncourt, du Maupassant et du Balzac toute la journée sans jamais m'en lasser -- même si le meilleur, évidemment, c'est Zola!

"Quand, à ses heures découragées, elle retrouvait par le souvenir les amertumes de son passé, quand elle suivait depuis son enfance l'enchaînement de sa lamentable existence, cette file de douleurs qui avait suivi ses années et grandi avec elles, tout ce qui s'était succédé dans son existence comme une rencontre et un arrangement de misère, sans que jamais elle y eût vu apparaître la main de cette Providence dont on lui avait tant parlé, elle se disait qu'elle était de ces malheureuses vouées en naissant à une éternité de misère, de celles pour lesquelles le bonheur n'est pas fait et qui ne le connaissent qu'en l'enviant aux autres."

De la littérature putride, oui; mais surtout de la Littérature avec un grand L! 

mercredi 19 février 2014

La Princesse des glaces (2003)

Allez, les vacances sont finies et on reprend du service! Et avec sept livres lus durant cette semaine de farniente, j'ai de quoi bloguer! :D



On commence de suite avec une petite chronique rapide de La Princesse des glaces de Camilla Låckberg, auteure de polars dont j'entends le plus grand bien depuis quelque temps. Et suédoise de surcroît: quand le géant de l'ameublement suédois a changé du tout au tout votre vie professionnelle, il est de bon ton de s'intéresser à son pays d'origine. :)

Mais malgré cet a priori positif, j'ai été assez déçue par ce policier qui n'a pas su me captiver plus que ça. C'est surtout le style assez raplapla qui m'a déplu, puisque c'est le genre de bouquin où le lecteur n'a pas trop besoin de réfléchir à ce qu'il lit... Sauf dans le cas de l'utilisation ponctuelle d'expressions peu usitées qui m'ont semblé tomber comme autant de cheveux sur la soupe (ex.: "Il s'était préparé mentalement à l'idée de devoir boire un infâme café bouilli, et il perdit le menton pour la deuxième fois en très peu de temps en voyant l'appareil à café en acier inoxydable hyper moderne qui trônait sur le plan de travail"). Peut-être un problème de traduction lié à la présence d'expression suédoises sans équivalent direct en français?

L'histoire est plutôt pas mal: un cadavre fait son apparition dans une baignoire gelée; des secrets bien gardés remontent à la surface dans un paisible village où il ne se passe jamais rien mais où, en réalité, tout le monde a de lourds comptes à régler avec tout le monde; la police piétine; et une héroïne civile, amie d'enfance du cadavre, se mêle de ce qui ne la regarde pas et mène sa propre enquête. La fan d'Arabesque que je suis aurait vraiment dû y trouver son compte, mais le problème du style, couplé à des personnages hyper caricaturaux, ne m'a permis d'y voir qu'une lecture de plage (au sens propre et figuré!), rapidement lue et rapidement laissée de côté.

samedi 8 février 2014

Départ, vacances, retour bientôt

Chers lecteurs,

Je m'absente quelques jours pour partir en vacances dans une île au large du Sahara. Au programme: lire plein de livres, regarder plein de films, parler espagnol avec des gens et observer des paysages volcaniques. Je retrouverai vos blogs avec enthousiasme à mon retour (et, je l'espère, avec une meilleure organisation, car ces derniers temps ma présence chez vous se fait bien rare).

Je vous aime.

À plus,

Alys

vendredi 7 février 2014

La Ragazza (1960)

Chronique express!


La ragazza di Bube de Carlo Cassola, prix Strega en 1960: une belle plongée dans l'Italie du lendemain de la guerre, lorsque communistes et ex-partisans contrôlent la situation et que les ex-fascites ont tout intérêt à se faire oublier. Mara, seize ans, vit à Monteguidi, petit village tranquille du sud de la Toscane, et pense surtout à s'acheter de jolies choses et de se trouver un petit copain. Débarque ensuite Bube, qui était au maquis avec feu le frère de Mara. Les deux jeunes tombent amoureux et se fiancent. Mais Bube a la gâchette et le poing faciles et il est obligé de prendre la fuite après avoir abattu un homme dans une altercation entre ex-partisans, un prêtre qui ne veut pas les laisser rentrer dans son église et la police qui intervient. Mara reste dans l'incertitude quant à son sort, mais décide d'attendre son retour... Avec une langue populaire et simple, mais néanmoins soignée, et une histoire très triste qui souligne les dégâts que continuent de faire les guerres et les dictatures bien après leur fin officielle, ce livre est une lecture obligatoire pour qui s'intéresse à la littérature et/ou à l'histoire italiennes. En France, il faudra cependant le trouver d'occasion, Seuil ne semblant pas l'avoir réédité après la traduction de 1962... :( Par ailleurs, Luigi Comencini l'a adapté au cinéma en 1962 avec Claudia Cardinale dans le rôle de Mara: une autre piste à explorer.

lundi 3 février 2014

Le peigne de Cléopâtre (2007)

De retour au comité de lecture de ma médiathèque, c'est avec plaisir que j'ai constaté que la dernière traduction française de Maria Ernestam faisait partie de la sélection de novembre. Il y a deux ans, j'avais en effet adoré Les oreilles de Buster, une sorte de conte macabre très original et jouissif. Le peigne de Cléopâtre est une histoire tout aussi improbable, mais peut-être moins croustillante et surtout plus triste.


Trois amis suédois âgés d'une quarantaine d'années, Mari, Anna et Fredrik, décident de monter leur propre société pour reprendre un peu en main leur situation professionnelle guère satisfaisante. Pour tout vous dire, Mari vient de se faire licencier par le patron qui profite d'elle depuis des années et elle a réagi en lui plantant une fourchette dans la main. Hihihi! Les répliques de ce passage ont quelque chose d'un peu convenu, mais c'est une telle satisfaction de voir ce petit connard se retrouver avec une fourchette dans la main qu'on les accepte facilement.

Cette nouvelle société, Le peigne de Cléopâtre, aura pour mission de résoudre les problèmes des gens en mobilisant les compétences diverses et variées des trois associés. Un vaste programme. Formation professionnelle, décoration d'intérieur, comptabilité, gastronomie: les trois amis touchent un peu à tout. Et puis un jour, la voisine d'Anna, une dame âgée, les supplie de tuer son mari, qui la tyrannise depuis des dizaines d'années et qui lui fait plus de mal que jamais maintenant qu'il est à la retraite.

Et là, c'est le drame... Comment lui expliquer qu'ils ne sont pas tueurs à gages? Comment refuser la belle somme qu'elle leur promet et dont ils ont bien besoin? Et surtout, comment ne pas lui venir en aide en entendant son histoire? Et quand le mari meurt effectivement et que la dame vient leur exprimer sa reconnaissance, la vie des trois associés part quelque peu en vrille...

Vous le voyez, l'intrigue est quelque peu originale et barrée. Mais il me semble y avoir moins d'humour que dans Buster et, surtout, c'est avant tout l'histoire très triste de plein de gens totalement traumatisés par leur passé, notamment leur enfance. Maria Ernestam parle avec justesse de la manière dont les parents peuvent détruire en profondeur les enfants dont ils ont la charge, soit en étant carrément cruels, soir par leur simple indifférence. Mari, Anna et Fredrik restent encore complètement obsédés, à l'âge adulte, par des épisodes de leur enfance qui n'ont rien perdu de leur douleur et de leur humiliation avec les années.

J'ai aussi trouvé intéressant de voyager un peu en Suède, et de (re)découvrir ce pays tellement encensé par les médias sous un point de vue plus réaliste (même si les défaillances du système social suédois sont abordées plus en profondeur dans Buster). Apparemment, il y a tout autant de psychopathes en tout genre là-bas qu'ici...

Le bémol, c'est que l'intrigue s'éparpille un peu, et que les nombreux sujets abordés sont traités de manière un peu superficielle. Le livre aurait gagné à mettre en scène quelques événements de moins en les creusant plus. Malgré cela, je dois dire que Maria Ernestam m'a bien eue et que, si j'ai vu venir certaines choses, je m'en suis prises d'autres dans la gueule au tout dernier moment.

Pour conclure, la citation qui fait du bien...

– Avant l'arrivée de la police et de l'ambulance, je me tenais à côté du lit et je regardais mon défunt mari. Il avait l'air paisible, et je me suis dit que j'avais dû l'aimer un peu. Au tout début. Mais j'étais incapable de m'en souvenir. Je ne ressentais... plus rien. Je ne pouvais penser à rien d'autre qu'à ce qu'il m'a fait subir, et je me suis rendu compte que l'imparfait était un temps merveilleux pour parler d'un époux comme le mien.

samedi 1 février 2014

Nicolas Eymerich, inquisiteur (1994)

Chronique express!


Les enquêtes d'un inquisiteur espagnol intolérant, méprisant et désagréable, bien décidé à démasquer tous les hérétiques susceptibles de se cacher à la cour du roi à Saragosse... Voilà qui a le mérite d'être original. Et quand, sachant que l'intrigue se passe en Espagne en 1352, vous découvrez que le premier chapitre se passe au Texas à notre époque et que le deuxième concerne la déposition d'un membre de l'équipage d'un vaisseau spatial sur lequel se sont déroulés d'étranges événements en 2194, il y a de quoi être surpris!! C'est que ce Nicolas Eymerich, inquisiteur, comme toute la série qui le suit, voit son intrigue se développer sur trois époques en parallèle, de manière intimement liée. Valerio Evangelisti y propose une théorie pseudoscientifique très intéressante, bien que pas toujours très claire, pour expliquer la transmission de pensées et le voyage dans le temps. Il crée ainsi un livre tout à fait hors du commun, très amusant et intéressant. Dommage que l'écriture assez simple ne soit pas à la hauteur et que certains passages soient traités trop rapidement, sinon, je crois qu'on tenait un truc tout à fait énorme! Vivement que je me procure la suite...