samedi 28 novembre 2020

Antigone (1944) + Œdipe ou le Roi boiteux (1978)

Il y a peu, j'ai entendu une citation d'Antigone de Anouilh dans un podcast ("c'est reposant, la tragédie"). Impossible de me souvenir quel podcast, malheureusement. Le bon côté, c'est que ça m'a remis la pièce en tête et m'a donné envie de la relire.

"Et puis, surtout, c'est reposant, la tragédie, parce qu'on sait qu'il n'y a plus d'espoir, le sale espoir; qu'on est pris, qu'on est enfin pris comme un rat, avec tout le ciel sur son dos, et qu'on n'a plus qu'à crier, – pas à gémir, non, pas à se plaindre, – à gueuler à pleine voix ce qu'on avait à dire, qu'on n'avait jamais dit et qu'on ne savait peut-être même pas encore. Et pour rien: pour se le dire à soi, pour l'apprendre, soi."

Que dire? Cette pièce est un chef d'œuvre. Elle m'a énormément marquée quand je l'ai lue au lycée et m'a encore secouée cette fois-ci – alors que c'est probablement la cinquième ou sixième fois que je la lis (typique des chefs d'œuvre, me direz-vous). Dès les premières pages, lorsque le Chœur présente les personnages que l'on sait condamnés, il s'en dégage une grande tristesse. Puis Antigone entre en scène, toute petite, et commence à faire ses adieux à sa nounou qui ne comprend pas. Difficile de rester de marbre devant cette scène ultra émouvante.

Ensuite, le face à face avec Créon, oncle d'Antigone et roi de Thèbes. Après que les deux frères d'Antigone se sont entretués aux portes de la ville, il a fait de l'un un héros et condamné l'autre au déshonneur et au malheur en interdisant sa sépulture. Il a agi en sachant pertinamment ce qu'il faisait et il va l'expliquer de son mieux à la petite Antigone, la farouche Antigone, qui a défié l'interdiction et est allée jeter de la terre sur le cadavre de son frère. Par principe. Et en sachant pertinamment ce qu'elle faisait, elle aussi. Antigone défend la liberté de dire "non" et d'agir contre la raison, d'embrasser pour toujours une vision totale de la vie. Elle n'a pas dit "oui", elle. Créon, celui qui a dit "oui" en acceptant malgré lui la couronne lors de l'exil d'Œdipe, aura beau tout faire pour la faire changer d'avis, elle s'accrochera jusqu'au bout.

"Je ne veux pas comprendre. C'est bon pour vous. Moi je suis là pour autre chose que pour comprendre. Je suis là pour vous dire non et pour mourir."

On dit souvent que le théâtre n'est pas fait pour être lu, mais pour être vu et entendu. Antigone, toutefois, se dévore comme un roman. Le ton est incroyablement humain, avec une finesse de ressenti remarquable pour un ouvrage aussi court et sans descriptions. Le dialogue exprime une palette d'émotions et d'idées absolument dingue. Et là où Anouilh me semble exceller, c'est qu'il vous fait comprendre les deux points de vue. À 15 ans, je me suis plus attachée à la vision absolutiste de la vie et de l'amour qu'a Antigone, mais j'ai aussi ressenti un grand respect pour Créon. Il a le mauvais rôle, mais il fait le sale boulot que peu ont envie de faire et qu'encore moins feraient avec un minimum de décence. D'une certaine manière, il me semble connaître un destin encore plus tragique qu'Antigone. Il finira seul, horriblement seul. Un petit ouvrier horriblement seul.

"Il faut pourtant qu'il y en ait qui disent oui. Il faut pourtant qu'il y en ait qui mènent la barque. Cela prend l'eau de toutes parts, c'est plein de crimes, de bêtise, de misère... Et le gouvernail est là qui ballotte."

Anouilh a-t-il voulu défendre Pétain en présentant Créon ainsi? La tirade sur le bateau me semble l'indiquer.

La pièce est sortie en 1944 et je suis toujours étonnée qu'elle ait pu exister. Elle ne parle que de résistance et de l'acceptation de la mort pourvu de défendre ce en quoi on croit. Accepter de mourir par principe, même si ça ne sert à rien. Agir, même si ça ne sert à rien. Même si le combat est perdu d'avance. Je doute que les nazis présents en France à l'époque aient apprécié...

"CRÉON: Tu irais refaire ce geste absurde? [...] Que peux-tu donc, sinon t'ensanglanter encore les ongles et te faire prendre?
ANTIGONE: Rien d'autre que cela, je le sais. Mais cela, du moins, je le peux. Et il faut faire ce que l'on peut."

Il faut que je garde cette réplique en mémoire. Parfois, c'est aussi simple que cela.

Dans Œdipe ou le Roi boiteux, Anouilh reprend la tragédie de Sophocle et raconte comment Œdipe, devenu époux de la reine Jocaste et roi de Thèbes après avoir vaincu le Sphinx, découvre progressivement la vérité sur son passé. En voulant protéger ses parents, il s'est jeté dans la gueule du destin, a tué son père et a couché avec sa mère. Tout cela finira mal, évidemment. Cette pièce est agréable à lire aussi et on retrouve le ton d'Anouilh, mais elle n'est pas du tout du calibre d'Antigone. Le thème, déjà, est beaucoup moins prenant, puisqu'il s'agit plutôt de l'acceptation de la vérité. Après avoir refusé de comprendre, l'orgueilleux Œdipe ose quand même aller jusqu'au bout. Ce sera sa fille Antigone qui accompagnera mendier sur la route, loin de Thèbes, un homme aux yeux crevés...

lundi 23 novembre 2020

Hygiène de l'assassin (1992)

C'est quand vous avez besoin d'un livre répondant à des critères physiques précis que vous vous rendez compte que votre bibliothèque, aussi bien remplie soit-elle, est désespérément insatisfaisante. Ayant besoin d'un livre facile à transporter, ne craignant pas les dégâts et rapide à lire pour m'occuper deux-trois heures à l'occasion d'un trajet en train, j'ai cherché en vain le candidat idéal, puis j'ai fini par décider de relire Hygiène de l'assassin, le roman qui a révélé Amélie Nothomb il y a quasiment trente ans. (L'avantage des grands formats Albin Michel, c'est qu'ils sont bien résistants!)

Comme lors de ma première lecture, je ne peux que crier au génie: Amélie Nothomb a frappé très, très fort avec ce roman qui repose essentiellement sur le dialogue.

Durant la première partie du roman, on assiste à quatre interviews ou tentatives d'interviews d'un célèbre écrivain, Prétextat Tach, prix Nobel de littérature condamné à une mort prochaine par un cancer rarissime au nom allemand imprononçable. Le dialogue est prédominant dans cette partie, mais il y a également des paragraphes de narration à la troisième personne. Prétextat Tach se joue des journalistes et les renvoie la queue entre les pattes. Arrive ensuite la cinquième journaliste, une femme qui ne va pas se laisser faire, et là le dialogue est ininterrompu jusqu'au bref retour de la narration à la dernière page.

Ce dialogue est brillantissime: à la fois vivant et spontané, mais fort agréable à lire – n'oublions pas que le langage parlé ne passe pas tel quel à l'écrit dans la plupart des cas – et très clair à comprendre, y compris dans tout ce qu'il a de pernicieux. Car Prétextat Tach est très doué pour manipuler le langage et faire dire à ses interlocuteurs ce qu'ils n'ont pas dit, tandis que ceux-ci s'enfoncent dans les idées reçues ou se placent sur la défensive. Ça se dévore, c'est drôle, c'est cruel, c'est une réussite totale.

"Ça m'étonnerait. On jurerait du Prétextat Tach. Il y eut un temps où je connaissais mes œuvres par cœur... Hélas, on a l'âge de sa mémoire, n'est-ce pas? Et non de ses artères, comme disent les imbéciles. Voyons, «chemin de croix digestif», où ai-je donc écrit ça?"

Les personnages, leurs propos et les faits évoqués sont tous hors de l'ordinaire, un trait qui deviendra caractéristique de Nothomb. Personne n'est normal ou banal chez cette écrivaine. Prétextat Tach est bourru, misanthrope, misogyne, enfermé chez lui depuis des années, obèse, invalide, laid, méchant, sadique et sournois. Son physique et son mental sont aussi étonnants l'un que l'autre. Quant à ses habitudes alimentaires...

"Mais le soir, je mange assez léger. Je me contente de choses froides, telles que des rillettes, du gras figé, du lard cru, l'huile d'une boîte de sardines – les sardines, je n'aime pas tellement, mais elles parfument l'huile: je jette les sardines, je garde le jus, je le bois nature. Juste ciel, qu'avez-vous? [...] Avec ça, je bois un bouillon très gras que je prépare à l'avance: je fais bouillir pendant des heures des couennes, des pieds de porc, des croupions de poulet, des os à moelle avec une carotte. J'ajoute une louche de saindoux, j'enlève la carotte et je laisse refroidir durant vingt-quatre heures."

Avec la cinquième journaliste, on passe à une véritable joute verbale assez jubilatoire. Avec le recul post-#MeToo, j'ai même réalisé qu'Amélie Nothomb aborde ici des aspects fondamentaux des rapports hommes-femmes à travers le passé de Prétextat Tach, mais je ne peux rien dire de plus de peur de divulgâcher des éléments qu'il est bien plus agréable de découvrir au fil de la lecture.

"— Le jury du prix Nobel avait dû attraper une solide insolation, le jour où il vous a élu.
— Pour une fois, nous sommes d'accord. Ce prix Nobel est un sommet dans l'histoire des malentendus. M'attribuer, à moi, le prix Nobel de littérature, équivaut à donner le prix Nobel de la paix à Saddam Hussein.
— Ne vous vantez pas. Saddam est plus célèbre que vous.
— Normal, on ne me lit pas. Si on me lisait, je serais plus nocif et donc plus célèbre que lui."

Un roman à lire si ce n'est pas déjà fait (et à relire, quelques années plus tard, pour le savourer différemment). J'entends souvent dire qu'Amélie Nothomb a perdu de sa verve au fil des ans, mais ça m'a donné très, très envie de replonger...

mercredi 18 novembre 2020

Les Fiancés de l'hiver (2013)

La Passe-Miroir de Christelle Dabos, tout le monde en parle depuis des années. Le dernier tome étant sorti depuis un an et une sortie en poche étant donc envisageable pour 2021, j'ai enfin tiré le premier de ma PAL, où je le laissais reposer de peur de tellement aimer que je me retrouverais dans le même état de frustration que lorsque j'ai lu Eragon en 2004 et que le deuxième tome n'était pas encore sorti.


J'avais bien vu: j'ai lu le roman en trois jours et seules ma volonté de fer et la sagesse accumulée durant ma vie de lectrice me retiennent de lire tout de suite le tome 2. (Ça et le fait que le tome 4 n'existe pas encore en poche, donc. 😉)

Alors, franchement, ce bouquin ne va pas changer ma vie comme le Seigneur des Anneaux et ne m'a pas époustouflée comme d'autres romans, mais il m'a happée et m'a fait passer un excellent moment. J'ai savouré un vrai plaisir de lecture comme quand j'étais enfant ou ado, quand on est totalement plongé dans un univers et qu'on a super envie d'y rester et de connaître la suite.

L'intrigue: Ophélie est une liseuse et une passe-miroir. En d'autres termes, elle peut remonter dans le passé des objets en les touchant et elle peut se déplacer en empruntant les miroirs. Elle mène une vie tranquille dans sa ville natale / son pays natal, une arche appelée Anima. Malheureusement, sa famille la marie sans lui demander son avis à un certain Thorn, un grand gars squelettique et bourru venant d'une arche beaucoup plus froide, le Pôle. Le courant ne passe pas du tout quand il la ramène chez lui et Ophélie ne tarde pas à se rendre compte que ce mariage brasse des enjeux qui la dépassent. Il lui faut, en outre, appréhender la société du Pôle et la famille mystérieuse de son futur mari. Pas facile quand sa tante, qui lui sert de chaperonne, et elle sont enfermées et ne voient jamais personne à part la tante et la grand-mère de Thorn...

Avec une jeune fille qui quitte le monde de son enfance pour un autre pays et, symboliquement, l'âge adulte, le postulat de départ des Fiancés de l'hiver est plutôt classique, mais Christelle Dabos a réussi à le traiter avec une fraîcheur bienvenue. L'univers est original et plein de trouvailles très réussies (les couloirs de vent permettant aux traîneaux à chiens de s'envoler vers la Citacielle! 🤩 L'écharpe animée! 😍😍 Les pouvoirs des différents clans symbolisés par leurs tatouages, les sabliers permettant aux domestiques de prendre des congés...) et l'intrigue est à la fois facile à suivre mais retorse, avec des complots, des trahisons et des relations complexes et tendues entre les différents clans du Pôle.
 
L'héroïne pourrait tout avoir de l'ingénue naïve et maladroite, mais, là aussi, Christelle Dabos a réussi à rendre avant tout Ophélie amusante, attachante et plutôt réelle. Certes, elle casse trois assiettes par jour, ne voit pas où elle va à cause de sa myopie et passe son temps à remonter ses lunettes sur son nez (une description qui revient au moins 300 fois dans le livre et que j'attribue au fait qu'il s'agit d'un premier roman), mais elle est aussi réfléchie, déterminée et courageuse et j'ai trouvé ce mélange très réussi. Ophélie affronte calmement des évènements qui ont tout pour traumatiser quelqu'un (quitter sa famille du jour au lendemain pour épouser un inconnu, se retrouver enfermée dans un lieu inconnu, recevoir des mises en garde contre des menaces voilées...) sans verser une larme et sans perdre la tête. Et sans tomber amoureuse au premier regard. Derrière ses lunettes, les petites cellules grises s'activent, comme dirait un certain Hercule.
 
Pour résumer à l'extrême, ce premier tome m'a rappelé la découverte enchanteuse de l'univers d'Harry Potter, une manière de faire du neuf avec du vieux en mélangeant savamment des éléments scénaristiques intemporels et un imaginaire très poussé.

Quant au style, il est assez simple et agréable à lire, mais non dénué de richesse. Et il y a des imparfaits du subjonctif. Je répète: il y a des imparfaits du subjonctif. 😍😍😍

Christelle Dabos a su trouver un bel équilibre pour ce roman jeunesse et je regrette un peu de ne pas avoir pu le lire quand j'étais bien plus jeune et en manque de personnages féminins (personnages féminins qui étaient si rares dans mon imaginaire que je ne réalisais même pas qu'elles étaient rares). Son imagination nous offre une multitude de trouvailles et cette introduction laisse présager de très belles choses pour la suite. Je crois avoir lu des retours déçus sur le tome 4, mais pour l'instant je me suis régalée. Et mon petit cœur d'artichaut mise gros sur Thorn, envers et malgré tout!
"On dit souvent des vieilles demeures qu'elles ont une âme. Sur Anima, l'arche où les objets prennent vie, les vieilles demeures ont surtout tendance à développer un épouvantable caractère."
Allez donc voir ailleurs si ces Fiancés y sont!

vendredi 13 novembre 2020

Le Rayon vert (1882)

Chronique express!


Lorsque Miss Campbell apprend l'existence d'un phénomène météorologique fort rare, le rayon vert, elle n'a plus qu'une idée en tête: le voir de ses propres yeux! Pour cela, elle emmène ses deux oncles et tuteurs en bord de mer, ou l'observation sera facilitée au moment du coucher du soleil sur l'horizon. À Oban, une station balénaire écossaise, ses plans sont toutefois perturbés par divers évènements, dont la maladresse d'Aristobulus Ursiclos, un scientifique pédant auquel ses chers oncles aimeraient bien la marier. Miss Campbell se désole, puis un autre jeune homme entre en scène...

Que dire? Jules Verne était un génie et ce roman, bien que clairement mineur dans sa production, se lit avec un immense plaisir. Il est drôle et entraînant avec ses personnages loufoques (Aristobulus qui joue au croquet en décrivant ses actions en termes scientifiques!) et son histoire d'amour si prévisible mais toute douce et charmante. On a l'impression de voyager dans un monde révolu où tout était bien plus tranquille que maintenant. Et l'Écosse nous change agréablement des contrées plus exotiques où Verne nous entraîne généralement. Difficile de ne pas avoir envie d'aller visiter l'île de Staffa, malgré la violence de ses tempêtes...

dimanche 8 novembre 2020

Dictature 2.0. Quand la Chine surveille son peuple (et demain le monde) (2018)

Une fois n'est pas coutume, j'ai lu un bouquin de géopolitique.
 

Pour info, je vis plus ou moins dans une grotte coupée du monde depuis 2010. Avant, je lisais le journal. Je lisais même des journaux différents. Puis je me suis retrouvée au chômage et je n'ai plus acheté la presse, vu que j'avais besoin d'économiser et que lire les articles en ligne était gratuit. Et puis l'actualité s'est faite de plus en plus terrifiante, notamment avec la crise de l'euro, et j'ai délibérément fui les informations.

Tout ça pour dire que, à part qu'il s'agit d'une dictature communiste qui adore l'argent, je ne sais à peu près rien sur le régime chinois actuel.

Kai Strittmatter, journaliste, décrit dans cet ouvrage le fonctionnement de la dictature chinoise. Sous l'impulsion de l'actuel secrétaire général du Parti communiste chinois (PCC) et président de la République populaire de Chine, Xi Jinping (qui s'est débrouillé pour pouvoir être président à vie...), le Parti et le pays ont beaucoup évolué depuis 2012.

Tout d'abord, l'auteur étudie les mutations de la langue même, avec de nouveaux éléments de langage. Je n'ai pas retenu d'exemples, mais c'est ce chapitre qui m'a le plus fait frémir, en bonne linguiste. Strittmatter passe ensuite à la répression politique et au règne de la terreur, avec des emprisonnements arbitraires suivis de longues séances de repentement publiques dans lesquelles les malheureux dissidents demandent pardon d'avoir trahi le Parti ou la Chine, ou les deux, vu que de toute façon le Parti EST la Chine. Il parle aussi de la propagande très active – les nouvelles générations de Chinois ne savent rien du massacre de la place Tiananmen, tandis qu'on leur parle quotidiennement du méchant Occident qui ne veut pas d'une Chine forte – et de la récupération ingénieuse de l'intelligence artificielle et des méthodes de surveillance généralisée pour traquer la moindre désobéissance, d'un piéton qui traverse au feu rouge à un Ouïghour qui reçoit d'autres Ouïghours dans son logement... C'est cette surveillance généralisée qui est le véritable propos du livre. Avec un réseau très dense de caméras de surveillance et l'omniprésence de la reconnaissance faciale (pour débloquer votre nouveau téléphone, pour obtenir du papier toilette dans les toilettes publiques (!!), pour prendre à manger au restaurant universitaire, etc. etc.), le Parti sait à tout moment qui est où. Encore plus gênant: certaines firmes occidentales ne se gênent pas pour l'aider ou cèdent à ses demandes, comme Apple qui a retiré plus de 500 (!!) applications de l'App Store à la demande de la Chine.

Un chapitre étudie également le retour en force de Marx et Confucius dans le pays.

On a fait lecture plus plaisante, évidemment, et j'ai donc lu ce livre à petites doses. D'autant qu'il se termine sur un constat que je partage: avec la montée du populisme, de l'extrême-droite et des tensions sociales, les vieilles démocraties occidentales ont perdu de leur attrait et ne sont plus un modèle pour les pays non occidentaux. Avec Donald Trump à la Maison Blanche, les États-Unis sont étaient mal placés pour faire la morale en matière de démocratie. Le modèle chinois peut séduire bien des gouvernements – d'ailleurs, la Russie s'intéresse à ces technologies. Et les pays de l'Union européenne ne pourront faire face à ce géant qu'en s'unissant, ce qui est précisément ce qu'ils ne sont pas en train de faire.

Je vous laisse avec une citation hilarante, mais qui rend l'idée du degré auquel le Parti verrouille tous les aspects de la vie en Chine. (Ce serait hilarant si ce n'était pas horrible, en fait...)

"Les formations idéologiques paraissent avoir singulièrement déteint sur l'administration de la banque de sperme de la troisième clinique universitaire de Pékin. Lorsqu'elle a cherché de nouveaux donneurs, elle n'a pas seulement exigé des candidats potentiels, entre vingt et quarante-cinq ans, qu'ils soient dénués de maladies héréditaires ou infectieuses, ou encore de «calvitie manifeste». L'appel à dons de la banque de sperme sur Weibo réclamait en outre «d'excellentes qualités idéologiques»: on n'acceptait que des donneurs «patriotes, soutenant le pouvoir du Parti communiste et ayant une attitude loyale à l'égard de la mission assignée au Parti»."

Pourquoi ce livre?
Parce qu'il a été traduit de l'allemand par Olivier Mannoni, le brillant directeur de l'École de traduction littéraire du Centre national du livre.

Vous voulez en savoir plus?
Je vous invite à lire l'article "Parler pour la Chine. Le politiquement correct des travailleurs chinois en Zambie" de Di Wu, brillamment traduit de l'anglais par Lise Garond et publié dans la revue Terrain.

mardi 3 novembre 2020

La gamelle d'octobre 2020

Octobre s'en est allé, et avec lui la vie du milieu – pas la vie d'avant, mais pas la vie de maintenant non plus, et probablement pas la vie d'après non plus. Retour sur le dernier mois d'ouverture des cinémas avant qui sait quand.

Sur petit écran

Alice au pays des merveilles de Clyde Geronimi, Wilfred Jackson et Hamilton Juske (1951)
 

Vu mes souvenirs d'enfance et ma lecture difficile des romans de Lewis Carroll, je redoutais un peu de revoir ce dessin animé. Au final, ça n'a pas été si terrible et j'ai même ri de bon cœur à certains passages, comme celui du chat, bien entendu, et celui de la chenille. Le film reste toutefois une succession de saynètes décousues et parfois forcées, comme le récit de Twindledee et Dwindledum sur les huîtres. Ça va parce qu'il ne dure qu'une heure quinze. 😉

Sur grand écran

Josep de Aurel (2020)
 

Un dessin animé poignant sur un camp de républicains espagnols dans le sud de la France au lendemain de la guerre civile espagnole. C'est révoltant et glaçant de voir comment la France a traité ces gens. Le film se termine toutefois sur une note d'espoir grâce à l'amitié, à la transmission et à l'art. Je précise que je n'ai apprécié ni le trait, ni l'animation, ce qui ne m'a pas aidée à rentrer dans le film, mais j'ai pu néanmoins apprécier le message.

Antoinette dans les Cévennes de Caroline Vignal (2020)
 
Le bonheur. 💖
 
Quelle surprise: contrairement à ce que m'avait laissé penser la bande-annonce, ce film est loin d'être con. Déjà, l'âne n'est pas ridiculisé ou humanisé, ce qui est bien; il fait essentiellement sa vie d'âne. Ensuite, le film présente plein de situations gênantes, dans lesquelles les personnages dépassent les bornes sans donner l'impression de s'en rendre compte (comme la femme qui critique ouvertement Antoinette parce qu'elle sort avec un homme marié ou le mec qui lui tourne autour avec insistance et lourdeur, allant jusqu'à donner des ordres à son âne à sa place); en général, je trouve ce genre de scène totalement beauf, mais là j'ai eu l'impression qu'on voulait justement montrer le malaise. Et puis Antoinette couche avec un parfait inconnu dans une relation d'un soir simple et respectueuse, quasiment entre bons copains, un rapport sexuel passager qui n'engage à rien et ne choque personne. Bref, une vraie surprise pour moi. Il va sans dire que je veux partir randonner avec un âne, moi aussi – mais ça je le savais déjà, c'était dans ma liste de projets pour 2015. 😁
 
Du côté des séries
 
Agatha Christie's Hercule Poirot – saisons 7 et 8 (2000 et 2001-2002)
Deux saisons de seulement deux épisodes chacune, réunies en un même coffret. Le plaisir est toujours aussi présent. Je dois carrément me retenir pour ne pas en regarder plus d'un par semaine. 🙂
 
Et le reste
 
Outre mon Cheval Magazine habituel, j'ai lu le Bifrost n°98 sur Van Vogt et le Translittérature n°57, qui aurait dû sortir en avril mais a été retardé par le confinement. Quelle revue merveilleuse et quels traducteurs extraordinaires.
 
 
Et voilà. Rendez-vous en décembre pour voir comment j'ai occupé ce mois de confinement!