lundi 28 décembre 2020

Histoires de vampires (recueil)

Probablement en réaction à la disparition de l'automne et de l'hiver, mes deux saisons préférées, j'ai envie de lire du fantastique en ce moment. C'est une sorte de lecture doudou qui me rappelle mon adolescence. J'ai donc resorti de la biliothèque un recueil d'histoires de vampires offert par une amie il y a fort longtemps, et déjà lu deux fois – mais totalement oublié depuis.

Histoires de vampires, éditeur Maxi-Livres, collection Maxi Poche, 2005, 2€ (à l'époque!)

Alexandre Dumas: Histoire de la Dame pâle (1849)
Un récit à la première personne qui sent bon le XIXe. Une Polonaise raconte comment deux frères se sont affrontés pour son amour au cœur des Carpates (cinquante ans avant Dracula, l'Europe de l'Est est déjà la patrie du vampire). On est loin de ce que Dumas a fait de mieux, mais c'est très agréable.

Charles Baudelaire: "Le Vampire" (1867)
Un des textes les plus célèbres des Fleurs du Mal. Déjà lu mille fois, mais toujours très beau.

Prosper Mérimée: Lokis (1868)
Cette nouvelle est un peu hors-sujet, puisqu'elle ne parle pas d'un vampire mais d'un ours-garou. Le schéma, en revanche, est très classique: un savant rejoint le château isolé d'un comte lithuanien et ne tarde pas à se rendre compte que celui-ci tient des propos bizarres. Rien de très mémorable, mais c'est plaisant.

Charles Nodier: Smarra ou les Démons de la nuit (1822)
Alors là, je n'ai absolument rien compris. C'est un texte très lyrique et plein de références à la mythologie (grecque, essentiellement), je ne sais pas du tout ce qu'il s'y passe.

Guy de Maupassant: Le Tic (1884)
Une nouvelle typique de Maupassant, qui, rappelons-le, est le roi de la nouvelle. Je l'ai déjà lue x fois, mais elle est très sympathique. L'auteur a un don incroyable pour poser son atmopshère et ses personnages en deux paragraphes, c'est dingue.

Aloysius Bertrand: Gaspard de la Nuit (1842)
Une série de visions indépendantes qui, si je comprends bien, racontent autant de rêves. C'est joliment écrit et j'ai étudié un des textes, "Le Rêve", quand j'étais au lycée. Nostalgie, quand tu nous tiens.

Le recueil contient également plusieurs textes très courts et extrêmement factuels de Charles Nodier (La Nonne sanglante, Le Vampire Arnold-Paul, Vampires de Hongrie et Tante Mélanchton) à l'intérêt limité, si ce n'est pour y retrouver les grandes caractéristiques du mythe (le cadavre encore frais dans son cercueil des semaines après la mort, les épidémies de mort, la destruction par décapitation et incinération...). Seul le dernier, Facéties sur les vampires, est amusant dans son ironie.

Enfin, le recueil comprend également Le Horla de Guy de Maupassant, que je n'ai pas relu car je l'ai déjà lu au moins quinze fois, et La Morte amoureuse de Théophile Gautier, que je n'ai pas relu car je l'ai déjà lu au moins cinq fois et que je l'ai justement relu il y a quinze jours.

Dans l'ensemble, les textes de ce recueil ne sont pas inoubliables ou très marquants (sauf Le Horla – lisez Le Horla si ce n'est pas déjà fait), mais il est très intéressant de voir combien le mythe du vampire était déjà balisé au XIXe. Et il a atteint l'objectif que je lui demandais, c'est-à-dire m'emmener dans des châteaux isolés au fin fond des Carpates, loin de tout, où des ombres rôdent entre les vieilles pierres la nuit...

mercredi 23 décembre 2020

Les Disparus du Clairdelune (2015)

Le mois dernier, j’ai lu et adoré les Fiancés de l’hiver, le premier tome de la Passe-Miroir de Christelle Dabos. Depuis, je trépigne d’impatience en attendant de lire le deuxième tome, dont j’avais programmé la lecture un mois plus tard pour ne pas risquer de gâcher mon plaisir en enchaînant les tomes trop vite.

Alors, quid des Disparus du Clairdelune?


J’ai adoré. À vrai dire, je suis au niveau au-dessus de l’adoration, je suis obsédée par la Passe-Miroir, je me prosterne devant Cristelle Dabos, j’ai dix-sept ans et un crush amoureux irrémédiable, je veux aller vivre au Pôle ou encore mieux à Amina, je suis dingue de l’écharpe.

Attention, je vais inévitablement révéler des éléments de l’intrigue du premier tome dans ce billet. 

Ce deuxième tome reprend là où s’était arrêté le premier, à savoir que l’héroïne, Ophélie, liseuse et passe-miroir de son état, s’apprête en quelque sorte à faire son "entrée à la cour" en rencontrant le seigneur Farouk, esprit de famille du Pôle. Ayant découvert que Thorn ne l’a choisie pour fiancée que pour bénéficier de son pouvoir de liseuse, elle est déjà très fâchée avec lui, mais la situation se complique encore lorsque Farouk la nomme vice-conteuse officielle, ce qui implique qu’elle divertisse la cour en racontant des histoires, puis lorsque des personnalités en vue du Pôle commencent à disparaître mystérieusement.

Bon, je ne sais même pas par où commencer tellement j’adhère à tout dans ce bouquin.

J’ai déjà mentionné l’univers génialissime dans le tome 1. Ici, l’effet de surprise et de découverte est, inévitablement, un peu passé, mais cela reste génial. La Citacielle, la ville suspendue qui peut se déplacer dans les airs, les Illusions pouvant aller jusqu’à déformer totalement l’espace, la présence inattendue d’objets rétro comme des dirigeables et des téléphones à fil… Tout cela forme un ensemble qui n’en finit pas d’étonner et de fasciner. C’est vraiment comme découvrir Poudlard et commencer à se dire: "putain, quand est-ce que je reçois ma lettre, moi!?"

J’adore les pouvoirs des habitants des arches et, au sein du Pôle, des différentes familles. L’animisme d’Ophélie et de son peuple est de loin mon pouvoir préféré, mais je prendrais bien les griffes des Dragons, franchement.

Les personnages sont tous géniaux, des plus importants aux plus secondaires. Ophélie bien sûr, qui évolue très joliment, gagnant en assurance et en lucidité sans changer ses caractéristiques essentielles – une discrétion à toute épreuve, une maladresse terrible, un sens moral fort et une détermination extrêmement persévérante derrière ses airs empotés. Thorn, glacial et raide comme un piquet, avec ses répliques cinglantes (je suis amoureuse de Thorn 😍 Mais franchement, qui ne l'est pas?!?). Archibald, négligé et dragueur, un feu follet irrésistible (je suis amoureuse d’Archibald aussi, maintenant que j’y pense). Farouk, terrible dans sa puissance démesurée. Le baron Melchior, obèse, raffiné et amusant ministre des Élégances que j’ai rapidement visualisé comme Ratcliffe, le méchant de Pocahontas de Disney. Gaëlle fait une rapide apparition et Renard revient aussi, et avec un chaton, Andouille. Et l’écharpe, n’oublions pas l’écharpe. Ni la mère Hildegarde avec ses cigares – seulement deux pages, mais quelle classe. Tous sont saisis avec une vivacité de fous.

"Gaëlle s’était hissée sur la rambarde comme un marin sur le beaupré d’un navire; au-dessus des contingences humaines, elle mâchonnait une cigarette juste à côté du panneau «INTERDICTION FORMELLE DE FUMER»."

Il y a aussi beaucoup d’humour dans ce tome: plutôt discret généralement, mais j’ai aussi éclaté de rire plusieurs fois.

"— Monsieur l’intendant, je me demandais où vous étiez!
— Ici, répondit Thorn comme une évidence."

J’ai posé le livre, j’ai ri. J’ai relu, j’ai reri. J’ai rerelu, j’ai rereri.

L’intrigue s’étoffe considérablement dans ce tome, puisque non seulement le mariage d’Ophélie dépasse les simples enjeux diplomatiques qu’elle avait imaginés, mais il ne concerne pas moins que le lointain passé des esprits de famille et la Déchirure, le grand cataclysme qui a fait de la Terre une série d’arches flottantes (autour, on suppose, d’un reste de noyau). J’ai hâte d’en apprendre plus sur ce mystérieux Dieu apparu dès la première page du premier tome.

Côté bémols, je pourrais exprimer quelques réserves sur ce tome, à savoir que j’aurais aimé voir plus la tante Roseline, un personnage extraordinaire, et peut-être découvrir un nouvel endroit aussi formidable que la Citacielle, à côté de laquelle la ville balnéaire des Sables d’Opale est finalement bien banale; et il y a de légère facilités à la fin, avec un méchant un peu trop bavard en présence d’Ophélie et un départ pour Anima bien expéditif au dernier chapitre – la réaction de Farouk à la disparition de Thorn aurait mérité quelques lignes d’explication plutôt que la simple mention du fait que Thorn est hors la loi. Mais je chipote totalement, un peu comme si, alors que vous vous extasiez sur un chat particulièrement sublime, vous commentiez la présence de trois poils gris foncé dans son pelage noir d’encre.

En bref: un deuxième tome très réussi pour Christelle Dabos. Chapeau, l’artiste. Je trépigne d’impatience en attendant le troisième. Lecture prévue durant la deuxième moitié de janvier, pour faire durer le plaisir.

Allez donc voir ailleurs si ces disparus y sont!
L'avis de la Petite marchande de prose
L'avis de Vert

vendredi 18 décembre 2020

L'Incivilité des fantômes (2017)

À bord du Matilda, qui vogue parmi les étoiles depuis des centaines d'années, Aster, une femme noire des bas-ponts, assiste le Chirurgien, un métis des hauts-ponts. La société de ce vaisseau est extrêmement hiérarchisée, avec à sa tête le souverain Nicolaée, représentant de la religion et garant de la mission du Matilda, à savoir atteindre une hypothétique terre promise. Aster étudie aussi les journaux laissés par sa mère, qui s'est suicidée le jour de sa naissance et qui avait découvert des vérités oubliées.



Bon, ce roman de Rivers Solomon ne me tentait guère, l'idée des sociétés ultra-hiérarchisées avec les riches exploiteurs d'un côté et les pauvres exploités de l'autre me semblant totalement insipide si ce n'est pas Zola ou Maupassant qui s'en occupe, mais je l'ai reçu en cadeau (et de la part d'une amie qui ne lit pas de SF, en outre!) et j'ai donc attaqué ma lecture pleine de bonne volonté. Comme je le craignais, la sauce n'a pas du tout pris, mais pas pour les raisons que j'anticipais: le problème a été que j'ai trouvé le tout extrêmement confus.

Au début, la présentation de la société m'a semblé laborieuse; on recueille des bribes d'information au fil des conversations et j'ai eu du mal à les recouper pour comprendre comment tout ceci était organisé. Le simple plan du vaisseau m'a totalement échappé. Les ponts sont numérotés de A à Z (enfin, le pont le plus bas cité est le Y, mais je suppose que ça va jusqu'à Z...) et on imagine une superposition linéaire, de haut en bas, mais les ponts agricoles (dont je n'ai pas retenu les lettres, ou dont on ne connait pas les lettres tout court) sont placés en rond autour d'une étoile artificielle qui fournit chaleur et énergie. Donc, je n'ai pas compris si le vaisseau est rectangulaire ou rond, ou à géométrie variable...

À maintes reprises, l'enchaînement des phrases m'a semblé bancal, comme si la fin d'un paragraphe n'avait rien à voir avec le début ou que les gens répondaient à côté de ce qu'un autre personnage venait de leur dire. Cela va jusqu'à l'apparition ou la disparition d'un truc en plein milieu d'un chapitre, comme un manteau tout au début: Aster le prend à la main, le manteau tient très chaud, tu as l'impression qu'elle va l'offrir à quelqu'un qui souffre plus d'elle du froid... Et, non, on ne sait pas, le manteau n'est plus cité. L'a-t-elle gardé à la main pendant toute la conversation sans rien en faire? Aucune idée.

Je suis aussi restée perplexe face à la clandestinité. Le Matilda est ultra hiérarchisé et il y a des gardes partout, mais Aster passe son temps à aller dans des endroits où elle n'a pas le droit d'aller en ne se faisant prendre que rarement et en ne prenant guère de précautions. À la fin, elle monte même jusqu'au pont A, ni vue ni connue, tranquillou.

Il y a aussi ce conduit d'aération ou monte-charges abandonné qui lui permet d'entrer dans un endroit extrêmement important, lui aussi abandonné (pourquoi? Depuis quand? Est-il franchement possible que la direction du vaisseau [divugâcheur] ait l'oublié l'existence de navettes permettant de quitter les lieux et ne se soit jamais rendu compte que la mère d'Aster y a pénétré? [Fin du divugâcheur]) Pourquoi Aster et son amie Giselle échouent-elles à atteindre le sommet du monte-charge après des heures (si ce n'est pas des jours, je ne sais plus) d'efforts quand elles sont enfants alors qu'Aster y parvient en un clin d'oeil une fois adulte?

Et concernant les agissements de la mère d'Aster: [divugâcheur] elle a inverti la trajectoire du Matilda pour le ramener sur Terre, mais depuis 25 ans personne ne s'en est rendu compte? Et alors, à quoi est due la coupure de courant du début du roman, supposément provoquée par un autre changement de direction? Qui a modifié la trajectoire, pourquoi, pour aller où? Et pourquoi, dans ce cas, le Matilda apparait-il à proximité de la Terre à la fin? [Fin du divugâcheur] Sérieux, je n'ai rien compris.

Arrivée en vue de la fin, j'ai profité d'une insomnie pour feuilleter les 200 premières pages et relire en diagonale les passages qui me semblaient importants. Ça m'a éclairci les idées en ce qui concerne la haine de Lieutenant, le successeur de Nicolaée, envers Aster, mais le reste est demeuré bien obscur.

Pour couronner le tout, malgré un certain intérêt pour la découverte des mystères que j'espérais comprendre, je n'ai ressenti aucune empathie pour Aster et ses compagnons d'infortune – malgré un quotidien éminemment néfaste composé de froid, de privations, de violences et de viols – et j'ai pris en grippe Giselle, que j'ai trouvée irrespectueuse et insupportable...

Très franchement, la moitié des problèmes que j'ai ressentis s'expliquent probablement par le fait qu'il s'agit d'un premier roman; j'ai eu l'impression que Rivers Solomon a vu les choses en grand mais n'a pas été capable de concrétiser cette vision. Il y a des idées, mais beaucoup de travail pour rendre la chose publiable. Je ne m'explique donc pas le succès du bouquin. Je vais m'accrocher à la maigre consolation d'avoir lu, pour à peine la deuxième fois de ma vie si je ne me trompe pas, un livre écrit par une personne n'ayant pas la même couleur de peau que moi... 😜

Les copains sont unanimes, ce livre est extraordinaire. Allez donc voir ailleurs si ces fantômes y sont!

PS: Vous noterez que j'ai formulé de billet de manière à ne pas me prononcer sur le genre de Rivers Solomon, qui utilise le pronom they singulier en anglais, sans pour autant avoir recours au pronom iel, auquel je ne m'habitue pas. Je n'ai cité son nom que deux fois et je n'ai utilisé qu'un seul adjectif, capable, qui ne change pas au féminin et au masculin en français. Je voulais faire quelque chose de beaucoup plus complexe mais je rédige ce billet en catastrophe la veille de sa publication, donc je manque de temps (et j'ai très très envie d'éteindre l'ordinateur pour commencer le deuxième tome de la Passe-Miroir 🤩). Il faudra que je lise un autre livre écrit par une personne se considérant comme non-binaire pour me faire un petit défi rédactionnel à l'avenir.

PS2: Si vous estimez que c'est moi qui n'ai rien compris au bouquin et que les réponses à mes questionnements sont évidentes, je serai ravie que vous me donniez les numéros de page concernés pour que je puisse me rendre compte de ce que j'ai raté.
 
PS3, plus tard: Une amie me signale qu'écrire "une personne se considérant comme non-binaire" ne convient pas, l'identité de genre étant, justement, une identité et non une considération ou un avis. J'en prends bonne note et je ne répèterai pas cette formulation à l'avenir. Je laisse ça là dans le présent billet pour réfléter l'évolution de ma rédaction.

PS4, plus tard aussi: Dans ma hâte, j'ai commis l'impardonable: je n'ai pas cité le traducteur!! C'est la honte, l'indignité professionnelle. Il s'agit de Francis Guévremont, dont la bibliographie est joliment variée.

dimanche 13 décembre 2020

La Morte amoureuse (1836) + Une Nuit de Cléopâtre (1838)

Chronique express!

La Morte amoureuse de Théophile Gautier est une nouvelle idéale pour un dimanche pluvieux de décembre. Portée par une plume riche et poétique, quasiment luxuruante dans ses descriptions, elle raconte l'étrange double vie d'un prêtre qui a cru, pendant trois ans, être courtisan en compagnie de la divine et mystérieuse Clarimonde, pourtant morte et enterrée. C'est une histoire de vampire délicieusement classique, qui m'a beaucoup marquée quand j'étais au lycée et que j'ai adoré relire adulte. Regard ensorcelant, mains diaphanes, amour survivant par-delà la mort, tissus précieux dans des palais regorgeant de richesses, sans oublier la galopade effrenée de deux chevaux noirs au clair de lune... Il y a tout ici pour contenter l'ado gothique qui sommeille en vous.

Une Nuit de Cléopâtre est moins marquante, mais tout de même très agréable. Cette fois, Théophile Gautier nous emmène sur une cange naviguant sur le Nil par une journée d'écrasante chaleur. À son bord, la sublime Cléopâtre, la reine toute-puissante sur laquelle le peuple n'ose même lever les yeux, s'ennuie à périr, lassée d'empoisonner ses esclaves et de régner sur autant de momies que de vivants. Un peu plus loin, sur une embarcation de fortune, un homme transi d'amour. Dans le plus pur orientalisme, tout n'est ici que luxe incroyable, jardins secrets aux bassins recouverts d'or, esclaves discrets, étoffes de prix et mets divins. Un décor à la hauteur de Cléopâtre, de son visage inoubliable et de ses adorables petits pieds...

mardi 8 décembre 2020

La Terre (1887)

Après L'Œuvre en septembre, Tigger Lilly et moi avons attaqué la Terre, le quinzième tome des Rougon-Macquart. Adieu Paris, bonjour les plaines de la Beauce.
 

L'intrigue
Dans le village de Rognes, en pleine Beauce, le vieux Fouan, devenu trop âgé pour travailler ses terres, les sépare entre ses trois enfants: Hyacinthe, alcoolique notoire surnommé Jésus-Christ, Fanny et Buteau. Ce dernier n'apprécie guère le lot qui lui revient et, s'estimant lésé, rompt avec son père. Il ne reviendra dans le giron de la famille que pour épouser une cousine qu'il a mise enceinte, Lise, lorsque la terre de celle-ci aura pris beaucoup de valeur. En parallèle, son ami Jean Macquart, le frère de la célèbre Gervaise, tombe progressivement amoureux de Françoise, la petite sœur de Lise.

Le roman de la possession
La Terre parle essentiellement de possession, la famille des Fouan se déchirant autour des héritages, des biens et des rentes des uns et des autres. La richesse ultime, c'est la terre, qui apporte nourriture et argent. Plus on a de terres, plus on est important et respecté. Quand on n'en a pas, ou plus, on n'est rien. Lorsque Buteau épouse Lise et se met à l'agriculture, il jouit de cette possession de la terre dans des métaphores très sexuelles. Cela m'amène au deuxième objet de possession de ce roman: la femme. Eh oui, les femmes sont très actives sexuellement à Rognes, soit de leur propre chef soit parce que les hommes estiment qu'elles sont en libre-service – auquel cas on ne peut plus dire qu'elles sont actives, en fait, mais j'y reviens plus loin.
De Jacqueline qui multiplie les amants dans le dos de son amant principal à la Trouille qui couche avec son cousin Nénesse et son ami Delphin l'un après l'autre en passant par Jean qui saute, en pleine nuit, sur une femme qu'il a "troussée" deux ans plus tôt et pas revue depuis et par Palmyre qui couche avec son petit frère Hilarion pour lui offrir un peu de réconfort dans sa vie miséreuse, il y a du sexe à toutes les pages. D'ailleurs, le roman s'ouvre par un taureau qui monte une vache et a besoin de se faire aider par la fermière car il est trop petit – la scène est étonnante et rigolote mais, avec le recul, elle annonce un thème essentiel du bouquin.

La plupart de ces relations sexuelles sont des viols. C'est absolument atroce d'horreur. J'ai déjà décrit, ci-dessus, comment Jean saute sur une femme sans lui demander son avis. Il y a aussi le long harcèlement de Françoise de la part de Buteau, son beau-frère odieux et possessif qui aimerait bien avoir deux femmes à domicile, son épouse légitime et la petite sœur de celle-ci, histoire de coucher avec la jeune tandis que la plus âgée allaite les gosses. Dégueulasse. Le roman se termine par un viol particulièrement sordide.

Une seule fois, le viol se retourne contre le violeur: privé de sa sœur bien docile, Hilarion, un jeune handicapé mental, finit par essayer de violer sa grand-mère (!) âgée de genre 90 ans (!), qui lui met un grand coup sur la tête et l'envoie ainsi au cimetière.

Vous l'aurez compris, la famille Fouan est tellement charmante que les Rougon-Macquart, à côté, ont parfois l'air sympa...

Une comicité inattendue
Bien que la Terre parle essentiellement de viol et de gens odieux pouvant aller jusqu'au meurtre, il est aussi très drôle. C'est probablement le roman le plus contrasté de Zola, je n'ai pas le souvenir qu'il ait autant fait le grand écart dans les autres. Pour vous donner une idée, un chapitre entier est consacré aux pets de Hyacinthe, dit Jésus-Christ. Oui oui, les pets. Jésus-Christ pète tout le temps, et très fort. Et il en est fier. Il pète tellement fort qu'il fait fuir un huissier en le menaçant de son fusil puis en lui faisant croire qu'il lui tire dessus. En fait, il est juste en train de péter, mais chaque pet est aussi fort qu'un coup de fusil. Vous ne vous attendiez pas à ça chez Zola, hein? 😁 Citons aussi la beuverie de l'âne Gédéon, qui avale vingt litres de vin à lui tout seul, et le "chasse-cousin" de la Grande, la charmante dame qui a assommé son petit-fils: elle garde soigneusement de côté un vin particulièrement dégueulasse qu'elle ne sort que quand la famille s'invite chez elle. Sans oublier tous les passages sur les Charles, un couple qui a amassé une petite fortune en gérant une maison close et qui cache pudiquement la chose aux oreilles de la petite Élodie... 😂

Le travail de la terre, la base de tout
Le thème qui sous-tend le roman et l'intrigue, c'est la terre nourricière, les plaines de la Beauce qui donnent le blé. Zola en profite probablement pour exprimer son propre avis sur la question – en tout cas, c'est comme ça que j'entends les propos de Hourdequin dans la deuxième partie – et pour décrire l'évolution du secteur de l'agriculture à une époque où les petits cultivateurs français se trouvent confrontés à la chute du prix du blé provoquée par les massives importations américaines. Je dis ça à chaque fois, mais Zola vivait dans le même monde que nous: ce qu'il décrit ici, c'est exactement ce qu'il se passe en ce début de XXIe siècle, juste à plus petite échelle. Il oppose la demande de mesures protectionnistes, destinées à sauvegarder les paysans qui ne peuvent rivaliser avec les immenses exploitations d'Amérique du Nord, à une volonté de faire baisser les coûts pour nourrir la main d'œuvre de l'industrie. Cependant, il montre surtout la vie miséreuse de paysans qui se tuent à la tâche sans jamais aucune certitude du lendemain, leurs cultures étant toujours à la merci des aléas climatiques. Pauvreté, esprit de clocher, enfermement sur soi, absence totale d'horizons culturels, déchéance des personnes âgées qui ne peuvent plus travailler... Tout cela rejoint le discours actuel sur des agriculteurs écrasés par les dettes et la concurrence impitoyable de très grandes exploitations.

Mes billets sur Zola sont généralement plus longs, mais je m'arrête ici aujourd'hui car la Terre me laisse au final assez perplexe: aussi révoltant que drôle, il semble être le roman dans lequel Zola a osé faire du grotesque, sans toutefois dégager un message social aussi percutant que celui de Germinal ou une ambiance aussi particulière que celle des halles du Ventre de Paris ou du Bonheur des Dames dans le roman du même nom. Je suis toutefois ébahie d'avoir pu oublier la fin, qui est absolument atroce....

Allez donc voir ailleurs si cette terre y est!
L'avis de Tigger Lilly

jeudi 3 décembre 2020

La gamelle de novembre 2020

Novembre 2020, le mois confiné pas confiné. Mon principal loisir, l'équitation, ayant continué malgré les restrictions (avec des ajustements, bien sûr), ce mois n'a pas été très différent d'un mois normal.

Enfin, à part que les cinémas sont fermés, bien sûr.

  

Sur petit écran

Pas de film.

Sur grand écran

Bein, rien, les cinémas étant fermés. J'ai hâte de faire le bilan cinéma de l'année, dis donc. 😉

Du côté des séries

Agatha Christie's Hercule Poirot – saison 9 (2004)
Une saison de quatre épisodes avec deux grands succès d'Agatha Christie: Five Little Pigs et Death on the Nile. Je n'ai lu aucun des deux et j'ai donc découvert l'intrigue. Ce sont des enquêtes très réussies, même si je crains de regarder trop de Poirot car je commence à les résoudre. (Le plaisir de ce genre d'histoire, ce n'est pas d'avoir vu juste, mais de s'en prendre plein la vue quand la vérité est révélée. 🤩) Le dernier épisode était l'adaptation de The Hollow, que j'ai lu l'année dernière, une histoire prenante avec pas mal de fausses pistes. Notons qu'apparaissent dans cette saison Phyllis Logan, qui joue Mrs. Hugues dans Downton Abbey, Emily Blunt, qu'on ne présente plus, et Frances de la Tour, qui joue Madame Maxime dans Harry Potter et la Coupe de feu.

Agatha Christie's Hercule Poirot – saison 10 (2006)
Ici aussi, quatre épisodes, dont deux romans assez connus: The Mystery of the Blue Train et Cards on the Table. Notons l'apparition de Michael Fassbender, qui dégageait déjà une intensité remarquable avant de faire ses débuts au cinéma.

Et le reste

J'ai lu le hors-série Une vie, une œuvre du Monde sur Émile Zola, qui s'est avéré légèrement décevant, en partie parce que j'avais oublié que cette collection consiste aussi à proposer des textes de l'écrivain (ce qui n'est pas très intéressant pour moi dans le cas de Zola, que je connais bien) et en partie parce que j'ai trouvé les textes de tiers assez creux. Sans oublier des erreurs de ponctuation qui m'ont hérissée.

J'ai également lu le numéro 58 de la merveilleuse revue Translittérature, une plongée dans le monde fascinant des traducteurs littéraires, et le Cheval Magazine de décembre, qui s'ouvre par une telle perle syntaxique que je leur ai écrit pour leur proposer mes services de correctrice, en leur expliquant que les coudes, ça ne se sert pas, ça se serre... 🤪

samedi 28 novembre 2020

Antigone (1944) + Œdipe ou le Roi boiteux (1978)

Il y a peu, j'ai entendu une citation d'Antigone de Anouilh dans un podcast ("c'est reposant, la tragédie"). Impossible de me souvenir quel podcast, malheureusement. Le bon côté, c'est que ça m'a remis la pièce en tête et m'a donné envie de la relire.

"Et puis, surtout, c'est reposant, la tragédie, parce qu'on sait qu'il n'y a plus d'espoir, le sale espoir; qu'on est pris, qu'on est enfin pris comme un rat, avec tout le ciel sur son dos, et qu'on n'a plus qu'à crier, – pas à gémir, non, pas à se plaindre, – à gueuler à pleine voix ce qu'on avait à dire, qu'on n'avait jamais dit et qu'on ne savait peut-être même pas encore. Et pour rien: pour se le dire à soi, pour l'apprendre, soi."

Que dire? Cette pièce est un chef d'œuvre. Elle m'a énormément marquée quand je l'ai lue au lycée et m'a encore secouée cette fois-ci – alors que c'est probablement la cinquième ou sixième fois que je la lis (typique des chefs d'œuvre, me direz-vous). Dès les premières pages, lorsque le Chœur présente les personnages que l'on sait condamnés, il s'en dégage une grande tristesse. Puis Antigone entre en scène, toute petite, et commence à faire ses adieux à sa nounou qui ne comprend pas. Difficile de rester de marbre devant cette scène ultra émouvante.

Ensuite, le face à face avec Créon, oncle d'Antigone et roi de Thèbes. Après que les deux frères d'Antigone se sont entretués aux portes de la ville, il a fait de l'un un héros et condamné l'autre au déshonneur et au malheur en interdisant sa sépulture. Il a agi en sachant pertinamment ce qu'il faisait et il va l'expliquer de son mieux à la petite Antigone, la farouche Antigone, qui a défié l'interdiction et est allée jeter de la terre sur le cadavre de son frère. Par principe. Et en sachant pertinamment ce qu'elle faisait, elle aussi. Antigone défend la liberté de dire "non" et d'agir contre la raison, d'embrasser pour toujours une vision totale de la vie. Elle n'a pas dit "oui", elle. Créon, celui qui a dit "oui" en acceptant malgré lui la couronne lors de l'exil d'Œdipe, aura beau tout faire pour la faire changer d'avis, elle s'accrochera jusqu'au bout.

"Je ne veux pas comprendre. C'est bon pour vous. Moi je suis là pour autre chose que pour comprendre. Je suis là pour vous dire non et pour mourir."

On dit souvent que le théâtre n'est pas fait pour être lu, mais pour être vu et entendu. Antigone, toutefois, se dévore comme un roman. Le ton est incroyablement humain, avec une finesse de ressenti remarquable pour un ouvrage aussi court et sans descriptions. Le dialogue exprime une palette d'émotions et d'idées absolument dingue. Et là où Anouilh me semble exceller, c'est qu'il vous fait comprendre les deux points de vue. À 15 ans, je me suis plus attachée à la vision absolutiste de la vie et de l'amour qu'a Antigone, mais j'ai aussi ressenti un grand respect pour Créon. Il a le mauvais rôle, mais il fait le sale boulot que peu ont envie de faire et qu'encore moins feraient avec un minimum de décence. D'une certaine manière, il me semble connaître un destin encore plus tragique qu'Antigone. Il finira seul, horriblement seul. Un petit ouvrier horriblement seul.

"Il faut pourtant qu'il y en ait qui disent oui. Il faut pourtant qu'il y en ait qui mènent la barque. Cela prend l'eau de toutes parts, c'est plein de crimes, de bêtise, de misère... Et le gouvernail est là qui ballotte."

Anouilh a-t-il voulu défendre Pétain en présentant Créon ainsi? La tirade sur le bateau me semble l'indiquer.

La pièce est sortie en 1944 et je suis toujours étonnée qu'elle ait pu exister. Elle ne parle que de résistance et de l'acceptation de la mort pourvu de défendre ce en quoi on croit. Accepter de mourir par principe, même si ça ne sert à rien. Agir, même si ça ne sert à rien. Même si le combat est perdu d'avance. Je doute que les nazis présents en France à l'époque aient apprécié...

"CRÉON: Tu irais refaire ce geste absurde? [...] Que peux-tu donc, sinon t'ensanglanter encore les ongles et te faire prendre?
ANTIGONE: Rien d'autre que cela, je le sais. Mais cela, du moins, je le peux. Et il faut faire ce que l'on peut."

Il faut que je garde cette réplique en mémoire. Parfois, c'est aussi simple que cela.

Dans Œdipe ou le Roi boiteux, Anouilh reprend la tragédie de Sophocle et raconte comment Œdipe, devenu époux de la reine Jocaste et roi de Thèbes après avoir vaincu le Sphinx, découvre progressivement la vérité sur son passé. En voulant protéger ses parents, il s'est jeté dans la gueule du destin, a tué son père et a couché avec sa mère. Tout cela finira mal, évidemment. Cette pièce est agréable à lire aussi et on retrouve le ton d'Anouilh, mais elle n'est pas du tout du calibre d'Antigone. Le thème, déjà, est beaucoup moins prenant, puisqu'il s'agit plutôt de l'acceptation de la vérité. Après avoir refusé de comprendre, l'orgueilleux Œdipe ose quand même aller jusqu'au bout. Ce sera sa fille Antigone qui accompagnera mendier sur la route, loin de Thèbes, un homme aux yeux crevés...

lundi 23 novembre 2020

Hygiène de l'assassin (1992)

C'est quand vous avez besoin d'un livre répondant à des critères physiques précis que vous vous rendez compte que votre bibliothèque, aussi bien remplie soit-elle, est désespérément insatisfaisante. Ayant besoin d'un livre facile à transporter, ne craignant pas les dégâts et rapide à lire pour m'occuper deux-trois heures à l'occasion d'un trajet en train, j'ai cherché en vain le candidat idéal, puis j'ai fini par décider de relire Hygiène de l'assassin, le roman qui a révélé Amélie Nothomb il y a quasiment trente ans. (L'avantage des grands formats Albin Michel, c'est qu'ils sont bien résistants!)

Comme lors de ma première lecture, je ne peux que crier au génie: Amélie Nothomb a frappé très, très fort avec ce roman qui repose essentiellement sur le dialogue.

Durant la première partie du roman, on assiste à quatre interviews ou tentatives d'interviews d'un célèbre écrivain, Prétextat Tach, prix Nobel de littérature condamné à une mort prochaine par un cancer rarissime au nom allemand imprononçable. Le dialogue est prédominant dans cette partie, mais il y a également des paragraphes de narration à la troisième personne. Prétextat Tach se joue des journalistes et les renvoie la queue entre les pattes. Arrive ensuite la cinquième journaliste, une femme qui ne va pas se laisser faire, et là le dialogue est ininterrompu jusqu'au bref retour de la narration à la dernière page.

Ce dialogue est brillantissime: à la fois vivant et spontané, mais fort agréable à lire – n'oublions pas que le langage parlé ne passe pas tel quel à l'écrit dans la plupart des cas – et très clair à comprendre, y compris dans tout ce qu'il a de pernicieux. Car Prétextat Tach est très doué pour manipuler le langage et faire dire à ses interlocuteurs ce qu'ils n'ont pas dit, tandis que ceux-ci s'enfoncent dans les idées reçues ou se placent sur la défensive. Ça se dévore, c'est drôle, c'est cruel, c'est une réussite totale.

"Ça m'étonnerait. On jurerait du Prétextat Tach. Il y eut un temps où je connaissais mes œuvres par cœur... Hélas, on a l'âge de sa mémoire, n'est-ce pas? Et non de ses artères, comme disent les imbéciles. Voyons, «chemin de croix digestif», où ai-je donc écrit ça?"

Les personnages, leurs propos et les faits évoqués sont tous hors de l'ordinaire, un trait qui deviendra caractéristique de Nothomb. Personne n'est normal ou banal chez cette écrivaine. Prétextat Tach est bourru, misanthrope, misogyne, enfermé chez lui depuis des années, obèse, invalide, laid, méchant, sadique et sournois. Son physique et son mental sont aussi étonnants l'un que l'autre. Quant à ses habitudes alimentaires...

"Mais le soir, je mange assez léger. Je me contente de choses froides, telles que des rillettes, du gras figé, du lard cru, l'huile d'une boîte de sardines – les sardines, je n'aime pas tellement, mais elles parfument l'huile: je jette les sardines, je garde le jus, je le bois nature. Juste ciel, qu'avez-vous? [...] Avec ça, je bois un bouillon très gras que je prépare à l'avance: je fais bouillir pendant des heures des couennes, des pieds de porc, des croupions de poulet, des os à moelle avec une carotte. J'ajoute une louche de saindoux, j'enlève la carotte et je laisse refroidir durant vingt-quatre heures."

Avec la cinquième journaliste, on passe à une véritable joute verbale assez jubilatoire. Avec le recul post-#MeToo, j'ai même réalisé qu'Amélie Nothomb aborde ici des aspects fondamentaux des rapports hommes-femmes à travers le passé de Prétextat Tach, mais je ne peux rien dire de plus de peur de divulgâcher des éléments qu'il est bien plus agréable de découvrir au fil de la lecture.

"— Le jury du prix Nobel avait dû attraper une solide insolation, le jour où il vous a élu.
— Pour une fois, nous sommes d'accord. Ce prix Nobel est un sommet dans l'histoire des malentendus. M'attribuer, à moi, le prix Nobel de littérature, équivaut à donner le prix Nobel de la paix à Saddam Hussein.
— Ne vous vantez pas. Saddam est plus célèbre que vous.
— Normal, on ne me lit pas. Si on me lisait, je serais plus nocif et donc plus célèbre que lui."

Un roman à lire si ce n'est pas déjà fait (et à relire, quelques années plus tard, pour le savourer différemment). J'entends souvent dire qu'Amélie Nothomb a perdu de sa verve au fil des ans, mais ça m'a donné très, très envie de replonger...

mercredi 18 novembre 2020

Les Fiancés de l'hiver (2013)

La Passe-Miroir de Christelle Dabos, tout le monde en parle depuis des années. Le dernier tome étant sorti depuis un an et une sortie en poche étant donc envisageable pour 2021, j'ai enfin tiré le premier de ma PAL, où je le laissais reposer de peur de tellement aimer que je me retrouverais dans le même état de frustration que lorsque j'ai lu Eragon en 2004 et que le deuxième tome n'était pas encore sorti.


J'avais bien vu: j'ai lu le roman en trois jours et seules ma volonté de fer et la sagesse accumulée durant ma vie de lectrice me retiennent de lire tout de suite le tome 2. (Ça et le fait que le tome 4 n'existe pas encore en poche, donc. 😉)

Alors, franchement, ce bouquin ne va pas changer ma vie comme le Seigneur des Anneaux et ne m'a pas époustouflée comme d'autres romans, mais il m'a happée et m'a fait passer un excellent moment. J'ai savouré un vrai plaisir de lecture comme quand j'étais enfant ou ado, quand on est totalement plongé dans un univers et qu'on a super envie d'y rester et de connaître la suite.

L'intrigue: Ophélie est une liseuse et une passe-miroir. En d'autres termes, elle peut remonter dans le passé des objets en les touchant et elle peut se déplacer en empruntant les miroirs. Elle mène une vie tranquille dans sa ville natale / son pays natal, une arche appelée Anima. Malheureusement, sa famille la marie sans lui demander son avis à un certain Thorn, un grand gars squelettique et bourru venant d'une arche beaucoup plus froide, le Pôle. Le courant ne passe pas du tout quand il la ramène chez lui et Ophélie ne tarde pas à se rendre compte que ce mariage brasse des enjeux qui la dépassent. Il lui faut, en outre, appréhender la société du Pôle et la famille mystérieuse de son futur mari. Pas facile quand sa tante, qui lui sert de chaperonne, et elle sont enfermées et ne voient jamais personne à part la tante et la grand-mère de Thorn...

Avec une jeune fille qui quitte le monde de son enfance pour un autre pays et, symboliquement, l'âge adulte, le postulat de départ des Fiancés de l'hiver est plutôt classique, mais Christelle Dabos a réussi à le traiter avec une fraîcheur bienvenue. L'univers est original et plein de trouvailles très réussies (les couloirs de vent permettant aux traîneaux à chiens de s'envoler vers la Citacielle! 🤩 L'écharpe animée! 😍😍 Les pouvoirs des différents clans symbolisés par leurs tatouages, les sabliers permettant aux domestiques de prendre des congés...) et l'intrigue est à la fois facile à suivre mais retorse, avec des complots, des trahisons et des relations complexes et tendues entre les différents clans du Pôle.
 
L'héroïne pourrait tout avoir de l'ingénue naïve et maladroite, mais, là aussi, Christelle Dabos a réussi à rendre avant tout Ophélie amusante, attachante et plutôt réelle. Certes, elle casse trois assiettes par jour, ne voit pas où elle va à cause de sa myopie et passe son temps à remonter ses lunettes sur son nez (une description qui revient au moins 300 fois dans le livre et que j'attribue au fait qu'il s'agit d'un premier roman), mais elle est aussi réfléchie, déterminée et courageuse et j'ai trouvé ce mélange très réussi. Ophélie affronte calmement des évènements qui ont tout pour traumatiser quelqu'un (quitter sa famille du jour au lendemain pour épouser un inconnu, se retrouver enfermée dans un lieu inconnu, recevoir des mises en garde contre des menaces voilées...) sans verser une larme et sans perdre la tête. Et sans tomber amoureuse au premier regard. Derrière ses lunettes, les petites cellules grises s'activent, comme dirait un certain Hercule.
 
Pour résumer à l'extrême, ce premier tome m'a rappelé la découverte enchanteuse de l'univers d'Harry Potter, une manière de faire du neuf avec du vieux en mélangeant savamment des éléments scénaristiques intemporels et un imaginaire très poussé.

Quant au style, il est assez simple et agréable à lire, mais non dénué de richesse. Et il y a des imparfaits du subjonctif. Je répète: il y a des imparfaits du subjonctif. 😍😍😍

Christelle Dabos a su trouver un bel équilibre pour ce roman jeunesse et je regrette un peu de ne pas avoir pu le lire quand j'étais bien plus jeune et en manque de personnages féminins (personnages féminins qui étaient si rares dans mon imaginaire que je ne réalisais même pas qu'elles étaient rares). Son imagination nous offre une multitude de trouvailles et cette introduction laisse présager de très belles choses pour la suite. Je crois avoir lu des retours déçus sur le tome 4, mais pour l'instant je me suis régalée. Et mon petit cœur d'artichaut mise gros sur Thorn, envers et malgré tout!
"On dit souvent des vieilles demeures qu'elles ont une âme. Sur Anima, l'arche où les objets prennent vie, les vieilles demeures ont surtout tendance à développer un épouvantable caractère."
Allez donc voir ailleurs si ces Fiancés y sont!

vendredi 13 novembre 2020

Le Rayon vert (1882)

Chronique express!


Lorsque Miss Campbell apprend l'existence d'un phénomène météorologique fort rare, le rayon vert, elle n'a plus qu'une idée en tête: le voir de ses propres yeux! Pour cela, elle emmène ses deux oncles et tuteurs en bord de mer, ou l'observation sera facilitée au moment du coucher du soleil sur l'horizon. À Oban, une station balénaire écossaise, ses plans sont toutefois perturbés par divers évènements, dont la maladresse d'Aristobulus Ursiclos, un scientifique pédant auquel ses chers oncles aimeraient bien la marier. Miss Campbell se désole, puis un autre jeune homme entre en scène...

Que dire? Jules Verne était un génie et ce roman, bien que clairement mineur dans sa production, se lit avec un immense plaisir. Il est drôle et entraînant avec ses personnages loufoques (Aristobulus qui joue au croquet en décrivant ses actions en termes scientifiques!) et son histoire d'amour si prévisible mais toute douce et charmante. On a l'impression de voyager dans un monde révolu où tout était bien plus tranquille que maintenant. Et l'Écosse nous change agréablement des contrées plus exotiques où Verne nous entraîne généralement. Difficile de ne pas avoir envie d'aller visiter l'île de Staffa, malgré la violence de ses tempêtes...

dimanche 8 novembre 2020

Dictature 2.0. Quand la Chine surveille son peuple (et demain le monde) (2018)

Une fois n'est pas coutume, j'ai lu un bouquin de géopolitique.
 

Pour info, je vis plus ou moins dans une grotte coupée du monde depuis 2010. Avant, je lisais le journal. Je lisais même des journaux différents. Puis je me suis retrouvée au chômage et je n'ai plus acheté la presse, vu que j'avais besoin d'économiser et que lire les articles en ligne était gratuit. Et puis l'actualité s'est faite de plus en plus terrifiante, notamment avec la crise de l'euro, et j'ai délibérément fui les informations.

Tout ça pour dire que, à part qu'il s'agit d'une dictature communiste qui adore l'argent, je ne sais à peu près rien sur le régime chinois actuel.

Kai Strittmatter, journaliste, décrit dans cet ouvrage le fonctionnement de la dictature chinoise. Sous l'impulsion de l'actuel secrétaire général du Parti communiste chinois (PCC) et président de la République populaire de Chine, Xi Jinping (qui s'est débrouillé pour pouvoir être président à vie...), le Parti et le pays ont beaucoup évolué depuis 2012.

Tout d'abord, l'auteur étudie les mutations de la langue même, avec de nouveaux éléments de langage. Je n'ai pas retenu d'exemples, mais c'est ce chapitre qui m'a le plus fait frémir, en bonne linguiste. Strittmatter passe ensuite à la répression politique et au règne de la terreur, avec des emprisonnements arbitraires suivis de longues séances de repentement publiques dans lesquelles les malheureux dissidents demandent pardon d'avoir trahi le Parti ou la Chine, ou les deux, vu que de toute façon le Parti EST la Chine. Il parle aussi de la propagande très active – les nouvelles générations de Chinois ne savent rien du massacre de la place Tiananmen, tandis qu'on leur parle quotidiennement du méchant Occident qui ne veut pas d'une Chine forte – et de la récupération ingénieuse de l'intelligence artificielle et des méthodes de surveillance généralisée pour traquer la moindre désobéissance, d'un piéton qui traverse au feu rouge à un Ouïghour qui reçoit d'autres Ouïghours dans son logement... C'est cette surveillance généralisée qui est le véritable propos du livre. Avec un réseau très dense de caméras de surveillance et l'omniprésence de la reconnaissance faciale (pour débloquer votre nouveau téléphone, pour obtenir du papier toilette dans les toilettes publiques (!!), pour prendre à manger au restaurant universitaire, etc. etc.), le Parti sait à tout moment qui est où. Encore plus gênant: certaines firmes occidentales ne se gênent pas pour l'aider ou cèdent à ses demandes, comme Apple qui a retiré plus de 500 (!!) applications de l'App Store à la demande de la Chine.

Un chapitre étudie également le retour en force de Marx et Confucius dans le pays.

On a fait lecture plus plaisante, évidemment, et j'ai donc lu ce livre à petites doses. D'autant qu'il se termine sur un constat que je partage: avec la montée du populisme, de l'extrême-droite et des tensions sociales, les vieilles démocraties occidentales ont perdu de leur attrait et ne sont plus un modèle pour les pays non occidentaux. Avec Donald Trump à la Maison Blanche, les États-Unis sont étaient mal placés pour faire la morale en matière de démocratie. Le modèle chinois peut séduire bien des gouvernements – d'ailleurs, la Russie s'intéresse à ces technologies. Et les pays de l'Union européenne ne pourront faire face à ce géant qu'en s'unissant, ce qui est précisément ce qu'ils ne sont pas en train de faire.

Je vous laisse avec une citation hilarante, mais qui rend l'idée du degré auquel le Parti verrouille tous les aspects de la vie en Chine. (Ce serait hilarant si ce n'était pas horrible, en fait...)

"Les formations idéologiques paraissent avoir singulièrement déteint sur l'administration de la banque de sperme de la troisième clinique universitaire de Pékin. Lorsqu'elle a cherché de nouveaux donneurs, elle n'a pas seulement exigé des candidats potentiels, entre vingt et quarante-cinq ans, qu'ils soient dénués de maladies héréditaires ou infectieuses, ou encore de «calvitie manifeste». L'appel à dons de la banque de sperme sur Weibo réclamait en outre «d'excellentes qualités idéologiques»: on n'acceptait que des donneurs «patriotes, soutenant le pouvoir du Parti communiste et ayant une attitude loyale à l'égard de la mission assignée au Parti»."

Pourquoi ce livre?
Parce qu'il a été traduit de l'allemand par Olivier Mannoni, le brillant directeur de l'École de traduction littéraire du Centre national du livre.

Vous voulez en savoir plus?
Je vous invite à lire l'article "Parler pour la Chine. Le politiquement correct des travailleurs chinois en Zambie" de Di Wu, brillamment traduit de l'anglais par Lise Garond et publié dans la revue Terrain.

mardi 3 novembre 2020

La gamelle d'octobre 2020

Octobre s'en est allé, et avec lui la vie du milieu – pas la vie d'avant, mais pas la vie de maintenant non plus, et probablement pas la vie d'après non plus. Retour sur le dernier mois d'ouverture des cinémas avant qui sait quand.

Sur petit écran

Alice au pays des merveilles de Clyde Geronimi, Wilfred Jackson et Hamilton Juske (1951)
 

Vu mes souvenirs d'enfance et ma lecture difficile des romans de Lewis Carroll, je redoutais un peu de revoir ce dessin animé. Au final, ça n'a pas été si terrible et j'ai même ri de bon cœur à certains passages, comme celui du chat, bien entendu, et celui de la chenille. Le film reste toutefois une succession de saynètes décousues et parfois forcées, comme le récit de Twindledee et Dwindledum sur les huîtres. Ça va parce qu'il ne dure qu'une heure quinze. 😉

Sur grand écran

Josep de Aurel (2020)
 

Un dessin animé poignant sur un camp de républicains espagnols dans le sud de la France au lendemain de la guerre civile espagnole. C'est révoltant et glaçant de voir comment la France a traité ces gens. Le film se termine toutefois sur une note d'espoir grâce à l'amitié, à la transmission et à l'art. Je précise que je n'ai apprécié ni le trait, ni l'animation, ce qui ne m'a pas aidée à rentrer dans le film, mais j'ai pu néanmoins apprécier le message.

Antoinette dans les Cévennes de Caroline Vignal (2020)
 
Le bonheur. 💖
 
Quelle surprise: contrairement à ce que m'avait laissé penser la bande-annonce, ce film est loin d'être con. Déjà, l'âne n'est pas ridiculisé ou humanisé, ce qui est bien; il fait essentiellement sa vie d'âne. Ensuite, le film présente plein de situations gênantes, dans lesquelles les personnages dépassent les bornes sans donner l'impression de s'en rendre compte (comme la femme qui critique ouvertement Antoinette parce qu'elle sort avec un homme marié ou le mec qui lui tourne autour avec insistance et lourdeur, allant jusqu'à donner des ordres à son âne à sa place); en général, je trouve ce genre de scène totalement beauf, mais là j'ai eu l'impression qu'on voulait justement montrer le malaise. Et puis Antoinette couche avec un parfait inconnu dans une relation d'un soir simple et respectueuse, quasiment entre bons copains, un rapport sexuel passager qui n'engage à rien et ne choque personne. Bref, une vraie surprise pour moi. Il va sans dire que je veux partir randonner avec un âne, moi aussi – mais ça je le savais déjà, c'était dans ma liste de projets pour 2015. 😁
 
Du côté des séries
 
Agatha Christie's Hercule Poirot – saisons 7 et 8 (2000 et 2001-2002)
Deux saisons de seulement deux épisodes chacune, réunies en un même coffret. Le plaisir est toujours aussi présent. Je dois carrément me retenir pour ne pas en regarder plus d'un par semaine. 🙂
 
Et le reste
 
Outre mon Cheval Magazine habituel, j'ai lu le Bifrost n°98 sur Van Vogt et le Translittérature n°57, qui aurait dû sortir en avril mais a été retardé par le confinement. Quelle revue merveilleuse et quels traducteurs extraordinaires.
 
 
Et voilà. Rendez-vous en décembre pour voir comment j'ai occupé ce mois de confinement!

jeudi 29 octobre 2020

Le Problème à trois corps (2006)

Le Problème à trois corps de Liu Cixin est un de ces romans dont on dit que sa réputation le précède. Je l'ai probablement repéré chez Lorhkan, puis un ami me l'a offert. Vert aidant, je me suis enfin plongée dedans...
 
 
Et c'est malheureusement une déception, mes amis.

Tout d'abord, un mot sur l'intrigue. Tout commence en Chine en 1967, charmante époque à laquelle la science se doit d'être révolutionnaire et les scientifiques sont facilement accusés de favoriser l'impérialisme étranger et la contre-révolution. Ye Winjie voit son père mourir sous les coups des gardes rouges à cause de ses travaux. Elle-même considérée comme contre-révolutionnaire, elle n'échappe à l'emprisonnement que grâce à ses compétences en astrophysique, qui intéressent la direction d'un gigantesque radiotélescope.

En gros, le livre suit le parcours de Winjie: de manière linéraire au début, avec un récit à la troisième personne, et par ses témoignages à la première personne à la fin. Et entre les deux? On évolue essentiellement en compagnie de Wang Miao, un ingénieur en nanomatériaux qui infiltre un groupe de scientifiques subversifs jouant à un jeu en ligne chelou. J'ai ressenti un désintérêt total pour ce personnage, même quand il est confronté à un compte à rebours qui a de quoi vous faire perdre la tête. Je l'ai trouvé froid, distant, incompréhensible, totalement à côté de la plaque... Puis il est entré dans le jeu, et là, c'était foutu, il y avait des tas de gens aux noms chinois que je ne retenais pas et leurs actions et motivations étaient plus que floues.

Quant à la fin, elle m'a paru partir franchement en vrille (au cas où des esprits suspicieux passeraient par là: non, ce n'est pas pas parce que c'était trop scientifique...). C'était à peu près aussi gros que le coup de l'écolo jusquauboutiste qui hérite de plusieurs milliards de dollars à la mort de son papa pétrolier au détriment de ses frères...

Tout au long du livre, les dialogues m'ont semblé bancals, comme si les personnages ne répondaient pas aux questions qui leur sont posées ou réagissaient à des choses qui n'avaient pas été dites. J'ai dû retourner en arrière plusieurs fois pour m'y retrouver. En outre, la rédaction française ne brille pas, avec des redondances agaçantes  ("son activité principale consistait principalement à éjecter des capsules" ou "maintenant" et "désormais" dans la même phrase) et des erreurs ("Stanton ne semble pas avoir étendu la voix dans son talkie-walkie"). Entendons-nous, je ne jette pas du tout la pierre à Gwennaël Gaffric, le traducteur; je sais d'expérience que vous pouvez remettre une traduction tout à fait correcte et découvrir, quand vous ouvrez le livre des mois plus tard, que quelqu'un a salopé votre travail. Mais Actes Sud, sérieux? Actes Sud qui fait des erreurs d'accord? Actes Sud qui n'utilise aucun moyen typographique pour marquer la poursuite du dialogue quand un personnage s'exprime sur plusieurs paragraphes, ce qui est essentiel pour éviter que le lecteur ne croie qu'on repasse au récit hors dialogue? Tout fout le camp dans l'édition, mes amis.

Pour toutes ces raisons, et malgré l'enthousiasme de bien d'autres lecteurs, je ne lirai pas les deux tomes suivants. Et sur certains plans, c'est dommage, car il y a aussi des sujets très intéressants dans ce roman: le poids des choix individuels, la confiance (ou l'absence de confiance) en l'avenir, la lutte pour la survie, la réaction face à des choses qui nous dépassent ([divulgâcheur] naissance de factions opposées parmi les Terriens ayant conscience de l'existence des Trisolariens, chaque faction ayant des attentes différentes envers ces derniers [fin du divulgâcheur]), affrontement entre deux civilisations qui consiste beaucoup à parier sur l'avenir ([divulgâcheur] les Trisolariens devant mettre 450 ans à rejoindre la Terre, il ont le temps de la faire évoluer à leur avantage, mais ils ne peuvent pas non plus tout prévoir [fin du divulgâcheur]). Qui sait, je lirai peut-être la traduction anglaise de Ken Liu un jour, si les copains font des retours enthousiastes des tomes 2 et 3...

Allez donc voir ailleurs si ce problème y est!

samedi 24 octobre 2020

Et on tuera tous les affreux (1948)

Chronique express!


Difficile pour Rock Bailey, qui s'est engagé à rester vierge jusqu'à ses vingt ans pour se consacrer pleinement au sport, de tenir ses résolutions tellement les filles lui tournent autour... Et puis, voilà qu'on le kidnappe et qu'on l'enferme tout nu dans une salle uniquement meublée d'un lit, où le rejoint une jeune femme très sexy et toute nue aussi. La température monte... Mais notre héros réussit à s'échapper. De retour dans le pub où il a commencé sa soirée, il tombe sur un cadavre et se retrouve ainsi mêlé à une sombre histoire de sélection génétique destinée à créer des humains parfaits.

Alors ça. Je n'ai jamais lu Boris Vian jusqu'à maintenant. Je croyais que c'était une littérature un peu provocatrice, mais surtout rêveuse et de toute façon très respectable. J'ai découvert dans ce roman, publié sous le pseudonyme de Vernon Sullivan, une petite bombe, un policier au ton très enlevé, très populaire – au sens de "langage de tous les jours" –, avec un humour permanent. Pas de quoi éclater de rire, non, mais un mélange coloré que je n'ai jamais rencontré. Et quelques passages très, très... heuh... discrètement suggestifs? (Cela m'a évoqué les romans SAS, mais comme je n'en ai jamais lu, je ne sais pas si le mélange d'action et de sexe est similaire.) Rien de marquant, à vrai dire – c'est un roman vite lu et vite oublié dont l'intrigue ne surprendra personne –, mais il faudra que je jette un coup d'œil à J'irai cracher sur vos tombes un jour...

"Je suis fasciné par le jeu des muscles de l'homme. Il a au moins un mètre soixante de tour de poitrine et il a l'air dessiné au pinceau tellement il est couvert de creux et de reliefs que des pauvres types mettent dix ans à ne pas acquérir en faisant huit heures de culture physique par jour."

"Elle claque la porte, se retourne, dégrafe sa robe et ses seins jaillissent à l'air... [...] Je sens comme qui dirait des picotements au creux des lombes... Zut, alors, ça va faire la douzième fois depuis ce matin... Il y a un peu d'abus..."
(Le gars se plaint de trop baiser, oui, oui. 😂😂)

lundi 19 octobre 2020

Au bal des absents (2020)

Chronique express!

Lorsqu'elle a l'opportunité de s'installer quelque temps dans une grande maison perdue au fin fond de la campagne, Claude n'est que trop heureuse d'avoir un toit sur la tête. Sa situation économique déplorable, en effet, l'oblige justement à quitter son studio. Du coup, enquêter sur la mystérieuse disparition d'une famille américaine lui semble une véritable aubaine, même si elle n'est pas du tout qualifiée pour le poste! Mais la maison s'avère bien moins accueillante qu'elle ne le voudrait et Claude fuit dès sa première nuit sur place, talonnée par des bruits suspects, des miroirs qui montrent des images impossibles et une présence ultramalveillante. Passée la première terreur, elle décide toutefois d'insister. Après tout, elle n'a nulle part où aller et a besoin de cette maison. Commencent ainsi de longues journée d'étude sur le surnaturel à la médiathèque du coin et de longues nuits dans sa voiture...

J'ai passé un excellent moment avec ce roman. Catherine Dufour campe une protagoniste incroyablement têtue et acharnée aux prises avec plus grand qu'elle et traite la chose avec beaucoup d'humour. Ainsi, Claude donne à la créature qui hante la maison le nom d'une de ses formatrices de Pôle Emploi, Colombe. 🤪 Le ton est à la fois cynique et léger, dans un mélange difficile à décrire qui rend la lecture à la fois aisée, plainsante et grinçante. Car au-delà du quotidien tout à fait particulier de Claude, qui récite des exorcismes ponctués d'injures et sème du sel sur son chemin quand elle visite la maison, Catherine Dufour parle aussi de déclassement social. Claude en est arrivée là parce que le marché du travail, Pôle Emploi et la société l'y ont menée. On n'est pas pour autant dans un misérabilisme social qui m'aurait déplu, plutôt dans un portrait assez cynique d'une réalité difficile qui fait qu'on ne peut que soutenir Claude et son entêtement, et ce jusqu'à une fin très satisfaisante.

Allez donc voir ailleurs si ce bal y est!
L'avis de Tigger Lilly
Une interview de l'autrice dans le podcast C'est plus que de la SF

mercredi 14 octobre 2020

Journal du dehors (1994)

Chronique express!
 

Après la déception des Armoires vides, il me restait un livre d'Annie Ernaux dans ma pile à lire: Journal du dehors. Par bonheur, il m'a énormément plu et a confirmé tout le bien que je pense de cette grande écrivaine. Ce court ouvrage d'une centaine de pages, écrites dans une police plutôt grande, rassemble de menus évènements auxquels Annie Ernaux a assisté entre 1985 et 1992: rencontres dans le RER ou le métro, conversations entendues au supermarché... Il s'apparente à un journal intime, sauf qu'elle n'y note pas ce qu'elle fait et pense, mais ce que font et pensent d'autres personnes. D'où le titre, Journal du dehors.

Pour moi, une partie du plaisir de lecture a découlé du fait qu'Annie Ernaux parle de la banlieue parisienne, plus précisément de Cergy Pontoise. Je n'habite pas Cergy, mais une autre ville nouvelle d'Île-de-France, et je me suis retrouvée dans ces descriptions, à commencer par l'absence de traces du passé dans ces villes sorties de terre très récemment. Certaines choses ont déjà changé depuis les années quatre-vingt, mais l'essence des lieux reste la même. Au-delà de cela, j'admire la capacité d'Annie Ernaux à voir le monde; avant d'écrire, elle a senti ces choses, elle a saisi ces petits riens qui en disent long. Une cliente qui consteste son ticket à la caisse du supermarché, deux amies qui parlent fort dans le RER, un homme qui ramasse les caddies sur le parking avant l'introduction des caddies à pièces (who knew?)... C'est le quotidien, ça n'a aucun intérêt, mais ça en dit long sur la société et sur l'humanité. Et après avoir vu cela, Annie Ernaux l'exprime avec une netteté admirable. Parfois, c'est atroce – un paragraphe sur l'excision, à peine six lignes probablement, et j'ai dû m'arrêter de lire –, mais on n'en attend pas moins d'une autrice engagée comme elle l'est. Je recommande chaudement, surtout si vous êtes banlieusard; c'est bien la seule fois où le RER a sa place en littérature. 🤪
 
"Dans Libération, Jacques Le Goff, historien: "Le métro me dépayse." Les gens qui le prennent tous les jours seraient-ils dépaysés en se rendant au Collège de France? On n'a pas l'occasion de le savoir."

"Un caddie renversé dans l'herbe, très loin du centre commercial, comme un jouet oublié."

vendredi 9 octobre 2020

La Femme sacrée (1984)

Chronique express!

Après avoir lu la Nuit du sérail au printemps, j'avais très envie de lire l'autre livre de Michel de Grèce que j'avais repéré dans la maison de famille d'une amie, la Femme sacrée. Après le sérail du sultan de Constantinople, direction l'Inde des maharadjahs, à la rencontre de Lakshmi, la Rani de Jansi, un petit État au nord de l'Inde. Devenue régente à la mort de son mari en attendant la majorité de son fils, elle est dépossédée par les Anglais en 1854. Cultivée, déterminée, elle souhaite ardemment voir son pays retrouver son indépendance, mais est aussi prête à aller à la rencontre des Anglais; elle tombe d'ailleurs amoureuse de Roger, un Anglais nettement plus intéressé par l'Inde que ses compatriotes hautains. Lors de la révolte des cipayes de 1857, elle ne peut empêcher le massacre des Anglais de Jansi – au cours de laquelle Roger trouve la mort –, mais elle s'efforce de conserver la neutralité de son État pour protéger son peuple de la terrible répression britannique. Mais les Anglais sont fourbes. Ravis d'avoir une raison de conquérir Jansi, ils prétendent avoir la preuve que la Rani a aidé les rebelles et marchent sur Jansi. Bien malgré elle, Lakshmi prend la tête de son armée pour résister au siège qui s'annonce. Ainsi devient-elle la figure de proue de la rébellion et entre-t-elle dans l'histoire...

Que dire? J'ai adoré découvrir cette figure dont je ne soupçonnais pas l'existence. Pour tout vous dire, je ne savais même pas qu'il y avait eu une révolte contre les Anglais en 1857, ma connaissance de l'Inde se limitant à la figure de Gandhi et à la partition avec le Pakistan. (Gloups, gloups.) Lakshmi est plus grande que nature et indomptable. Michel de Grèce a certainement romancé son parcours, je vous l'accorde, mais c'est l'Aventure avec un grand A, avec un amour secret entre une Indienne et un Anglais, des complots et des intrigues, une révolte, des massacres, des sièges, des combats, des fuites éperdues à cheval dans la nuit noire. Et le tout dans l'Inde opulente des maharadjahs, dans des palais qui débordaient encore de pierreries après avoir été pillés par les Anglais (présentés ici sous leur pire jour, celui des colonisateurs violents, hypocrites, menteurs et irrespectueux). J'apprécie aussi la plume simple et efficace de Michel de Grèce, le genre de récit dont vous avez toujours envie de lire un chapitre de plus avant de vous coucher... Et malgré un côté un peu simplet et naïf, une vision probablement bien occidentale d'un certain Orient fantasmé et quelques remarques datées sur les femmes, cette Rani m'a vendu du rêve et je l'ai vraiment vue siéger sur son trône, vêtue de son sari blanc, et charger les Anglais avec son fidèle cheval. Une belle figure de guerrière qu'il ne m'aurait pas déplu d'écrire si j'étais devenue écrivain.