mardi 11 novembre 2014

L'Origine de la violence (2009)

Après Il est de retour et Fury, je reste dans le domaine de la deuxième Guerre mondiale avec L'Origine de la violence, le livre qui a permis à Fabrice Humbert de rencontrer le succès. Fabrice Humbert, je vous l’ai déjà dit, est l’écrivain français contemporain que j’estime le plus, avec Emmanuel Carrère et, maintenant que j’y pense, Annie Ernaux.


Dans ce roman, le narrateur, professeur dans un lycée franco-allemand (comme l’auteur!), accompagne ses élèves en visite à Buchenwald. Devant une photographie d’époque, il croit reconnaître son père dans les traits d’un prisonnier du camp. Une telle chose est bien sûr impossible, son père étant bien plus jeune, mais la ressemblance est tellement frappante qu’il commence à faire des recherches sur ce prisonnier. Il s’avèrera que l’homme fait bien partie de sa famille: David Wagner, juif déporté, est le grand secret de famille des Fabre.

Le roman s’articule en deux parties. La première concerne les recherches du narrateur et l’histoire de David Wagner, l’accent étant beaucoup mis sur les responsables de Buchenwald et leurs activités abjectes. La deuxième porte plutôt sur les conséquences de cette découverte dans la vie du narrateur et ses relations avec son père et son grand-père, ainsi que sur son choix d’écrire un livre sur cette histoire. (Les parallèles entre le narrateur et l’auteur sont nombreux; je me demande dans quelle mesure Fabrice Humbert y a mis de l’autobiographique.)

Il n’est pas facile de parler de ce livre. D’ailleurs, je trouve que les deux paragraphes précédents ne résument pas du tout la profondeur de l’œuvre et en sont complètement indignes… Fabrice Humbert aborde vraiment beaucoup de choses ici: le rapport avec l’héritage de nos parents et celui de l’histoire, la violence qui est en nous et menace toujours d’exploser, le rapport au mal, la complexité des destins, le sadisme collectif des nazis, la subtilité des relations sentimentales et familiales… Et comme toujours il le fait avec une lucidité vraiment terrible, comme Zola qui décortique les motivations intimes de ses personnages. Personne ne sort de cette étude sous un jour positif. Cette lucidité est portée par un style vraiment réussi, très clair et dur à la fois. Tout le monde n’est pas capable d’insérer autant d’informations dans une phrase tout en restant clair, ni de rendre des mots simples aussi lapidaires, aussi désespérants au sens de destructeurs d’espoir.

"Une fois qu’elles vous ont serré, ces mains ne s’écartent jamais. La peur ne vous abandonnera jamais, pas plus que la violence. Vous demeurerez toujours l’enfant terrifié – et donc l’adulte blessé, agressé, violent. Vous aurez beau ensevelir la peur, l’entourer d’un corps de marbre et d’acier, elle ne vous quittera pas. Le mal est sans remède."

L’Origine de la violence est cependant moins terrifiant que Avant la chute ou La Fortune de Sila, très certainement parce que les camps de concentration restent un fait du passé, tandis que les deux autres romans dépeignent le monde contemporain. En outre, on entend toujours beaucoup parler d’Auschwitz, on a plus ou moins tous lu Si c’est un homme et on a vu des films sur le sujet: à force de souligner combien les camps d’extermination sont une horreur, on s’est quelque peu habitué à la violence de la chose et l’impact n’est plus le même. D’ailleurs, quand Fabrice Humbert décrit l’arrivée de David Wagner à Buchenwald, son passage à la douche et le désarroi des prisonniers, j’y ai vu une redite par rapport à Si c’est un homme. (Par ailleurs, Primo Levi est cité assez longuement à un moment donné, mais là c’est bien une citation et pas une redite, voyez-vous la différence ?)

Il n'en reste pas moins que c'est une lecture importante et juste. À réserver cependant, comme les autres livres de l'auteur, à des lecteurs "prêts à sortir de leur zone de confort".

Allez donc voir ailleurs si ce livre y est!
Mon avis sur Avant la chute, lu dans le cadre du comité de lecture de ma médiathèque (il y a déjà deux ans...)

Fabrice Humbert, L'Origine de la violence
Éditions Le Livre de Poche, 352 pages, 7,10€
Prix Renaudot poche 2010

6 commentaires:

  1. Je note cet auteur que je ne connais pas, mais puisque tu aimes Carrère et Ernaux . Moi aussi alors ça devrait me plaire. On ne lit jamais assez sur cette période . Merci pour cette découverte.
    Ah oui j'aime aussi Philippe Claudel et Les Ames grises et Le Rapport de Brodeck

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. N'hésite pas, Fabrice Humbert est vraiment en écrivain de qualité. C'est dur en revanche. Mais justement comme Carrère et Ernaux, il va au bout des choses...
      Ton blog est dans ma liste, je vais bientôt venir explorer!!

      Supprimer
  2. Mmmh intéressant. Je vais finir par lire de la litt gé à cause de toi :p

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ce serait cool, ça viendrait en échange des nombreuses découvertes faites chez toi! Et je pense que tu es justement une lectrice à même de l'apprécier. Il est très zolien en fait.

      Supprimer
  3. Nous sommes en plein Centenaire de la première guerre mondiale et toi tu lis des trucs concernant la deuxième lol
    Cela dit je fais pareil je suis dans La Séparation de Christopher Priest qui concerne la Seconde aussi. En tout cas celui que tu viens de chroniquer m'a l'air bien dur mais tentant ^^

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui, je suis un peu à la ramasse, mais le hasard a voulu ça! :)
      C'est dur en effet, pas une lecture facile, même si comme je disais ses romans se déroulant dans le monde contemporain sont plus flippants.
      Je lirai ta chronique avec attention :)

      Supprimer

Exprime-toi, petit lecteur !