dimanche 16 décembre 2018

Les feux de l'automne (1957)

Avec Les Feux de l'automne, j'ai enfin lu le dernier livre d'Irène Némirovsky qui attendait dans ma PAL depuis trois ans. (Oui, trois ans: après quelques lectures pourtant très réussies, j'ai complètement perdu mon intérêt pour cette auteure, c'est dramatique.) Comme toujours, c'était une belle lecture, aussi sobre et élégante dans son écriture que fine et lucide dans son propos.


L'histoire est celle de Thérèse et Bernard, deux amis d'enfance dont la vie est marquée par les deux grands conflits du XXe siècle. Thérèse reste veuve pendant la Première Guerre mondiale. Bernard, engagé volontaire en 1914, revient de ses quatre ans au front bien décidé à profiter de la vie, à arracher la richesse et la jouissance au Paris d'après-guerre. Il réussit à infiltrer une certaine société financière et mondaine grâce à un ancien voisin, devient l'amant de la femme de celui-ci et commence à engranger de l'argent. Au détour d'une rencontre, Thérèse tombe violemment amoureuse de cet homme très différent d'elle, qu'elle n'a pas vu depuis des années, et ils finissent par se marier. Ils auront trois enfants, un garçon et deux filles, mais leur couple souffrira beaucoup du comportement de Bernard, qui court les bureaux et les salons, désireux d'avoir toujours plus. Il trouve totalement ridicule et dépassée la vie simple et honnête de Thérèse; il est fier de n'avoir plus aucune morale et trempe dans des affaires louches, ses éventuels scrupules étouffés.
 
Je retiendrai surtout de ce roman ce dernier point, la disparition de la morale d'une génération sacrifiée par son pays et ravagée par la guerre: Bernard estime qu'il a assez donné comme ça et ricane face au modèle vertueux de ses parents et de sa femme. Quand il se pose parfois des questions, il les oublie rapidement: ce n'est pas son problème, tout le monde le fait, c'est comme ça, pourquoi serait-il le seul à se priver? Il y a de l'argent à gagner. (Cette ascension dans les affaires louches m'a rappellé Daguerne dans La Proie.) Il sera toutefois bien rattrapé par le sort [divulgâcheur: son fils Yves meurt dans un accident d'avion provoqué par des pièces défectueuses, à l'achat desquelles Bernard avait participé malgré les mises en garde de certains experts]. Je ne sais pas si, en vrai, la défaite française de 1939 peut être en partie imputée à la moralité relative de certains milieux pendant les années vingt et trente, mais le tableau que brosse Némirovsky est assez effrayant (et toujours d'actualité, bien sûr: les gens qui estiment qu'ils peuvent faire n'importe quoi parce que tout le monde le fait, j'en connais plein, à commencer par des amis qui jettent leur mégot par terre, et on ne peut pas dire que la classe politique mondiale fasse preuve d'une grande responsabilité).

En parallèle du destin de Bernard, celui de Thérèse est également très touchant – c'est une femme très douce, pleine de courage et de bonne volonté – mais aussi contrariant, car Némirovsky la sacrifie en quelque sorte au bonheur de son mari. C'est vraiment la femme fidèle qui attend sagement que son mari adultère revienne et qui fait passer son bien-être avant le sien (même si, apprenant que Bernard a renoué avec son ancienne maîtresse, c'est elle qui demande la séparation). Ça donne des passages qui piquent les yeux, comme celui-ci que j'ai noté: "Puisqu'il me voulait, je n'avais qu'à céder. Après tout, l'homme est plus fort, plus intelligent que nous. S'il trouve que ça doit être comme ça, que l'amour n'est qu'une coucherie, c'est sans doute lui qui a raison. Je ne peux pas lui tenir tête, moi. Je ne suis pas un femme supérieure. Je ne pourrai pas lui prouver qu'il a tort. Je l'aime, je suis faible. S'il le veut, qu'il me prenne." 😱 Pendant la Deuxième Guerre mondiale, toutefois, elle force vraiment l'admiration en réussissant à faire tourner son ménage en plein rationnement, en travaillant sans relâche pour nourrir ses deux filles et sa belle-mère pendant que Bernard est prisonnier en Allemagne. Quand elle quitte Paris pour la campagne, j'ai même trouvé que c'était émouvant car c'est ce qu'a fait Némirovsky en vrai.


Ce livre parle aussi (mais assez peu) des ravages du temps (j'ai cru comprendre que les feux de l'automne sont une métaphore de l'âge), comme les autres de l'auteur, et comporte un passage sur l'exode des Français face à l'avancée de l'armée allemande en 1940 qui rappelle bien sûr Suite française. Je pense qu'il s'insère pleinement dans sa production. Némirovsky l'a achevé en 1942, l'année de sa mort, et il n'a été publié qu'en 1957. On a bien de la chance que cette écrivain n'ait pas été oublié! 😊

2 commentaires:

  1. Intéressant, merci pour cette chronique.

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    1. @Tigger Lilly: De rien. Je songerai peut-être à t'offrir ou te prêter un de ses bouquins un jour, je pense que ça te plairait de la découvrir.

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