lundi 13 décembre 2021

La civilisation du poisson rouge. Petit traité sur le marché de l’attention (2019)

Bruno Patino, directeur éditorial d’ARTE France au moment de la parution de cet ouvrage et actuellement président du groupe ARTE, explore dans ce Petit traité sur le marché de l’attention la manière dont les réseaux sociaux ont érigé en système la captation de l’attention. Étant donné que leurs revenus dépendant de la présence du public sur leurs plateformes, ils doivent tout mettre en œuvre pour nous retenir en ligne, d’où les multiples stratégies auxquelles nous avons tous été confrontés, comme les notifications de plus en plus dérisoires ou la lecture automatique de vidéos. Le titre fait référence à la proverbiale mémoire du poisson rouge, qui oublierait tout au bout de huit secondes. (Si vous voulez mon avis d’animaliste, c’est encore une vaste blague colportée par les spécistes pour faire semblant de croire qu’on peut martyriser un animal en l’enfermant dans un bocal parce qu’il "ne se rend pas compte" qu’il est dans un bocal. Et ça tombe bien, Bruno Patino explose le mythe à la dernière page de son bouquin. 😂)

Le ton est résolument noir, voire apocalyptique. Bruno Patino dresse un constat sans concessions de l’économie numérique des réseaux sociaux, essentiellement Facebook, qui nous abrutissent du matin au soir et nous maintiennent en boucle dans le vide. Deux éléments en particulier m’ont marquée : plus de 40% du trafic Internet serait généré par les robots, à tel point que le comportement des humains est parfois jugé comme suspect, et il suffit de quatre vidéos pour tomber sur du contenu complotiste sur YouTube, étant donné que l’une des stratégies pour maintenir le spectateur en ligne consiste à augmenter la charge émotionnelle de vidéo en vidéo. 🙃 Formidable. J’avais déjà bien conscience de certains rouages des réseaux pour les avoir vécus – j’ai passé au moins un an de ma vie sur Facebook – ou subis – le fil d’actualité de mon compte Twitter m’a souvent mise sur la défensive et dans un état de bouleversement politique important –, mais c’est très intéressant de lire sur le sujet, car cela permet d’aller plus loin et d’avoir une meilleure vue d’ensemble du phénomène. En revanche, on sent que l’auteur est très partisan, tandis que je reste d’avis que les réseaux ont un potentiel de communication formidable dont j’ai également bénéficié, par exemple en reprenant contact avec des amis perdus de vue depuis des lustres. La chose, hélas, est noyée dans un fonctionnement qui n’est pas du tout centrée sur l’utilisateur…

Par ailleurs, Bruno Patino n’aborde pas quelque chose dont j’ai beaucoup souffert, à savoir la comparaison aux autres: Facebook peut me faire passer en dix minutes chrono de "je suis aussi heureuse que faire se peut et je mérite d’exister" à "ah bein merde, tout le monde a plus de jolies choses que moi et une vie plus passionnante, pourquoi je n’arrive à rien?". Cela semble logique vu que ce n’est pas l’axe de son ouvrage, mais je préfère le préciser.

Alors, est-ce que j’ai supprimé tous mes réseaux sociaux après avoir refermé la dernière page de ce livre ? Non. Je suis trop prise dans l’engrenage pour en sortir totalement. Mais cela m’a confortée dans ma décision de les limiter drastiquement. Avec le recul, j’ai bien gagné une semaine de vie réelle en 2021 grâce à la suppression de mon compte Twitter, à la suppression de l’appli Instagram de mon téléphone et à mon utilisation réduite de Facebook, et j’en suis ravie.

12 commentaires:

  1. Le titre est accrocheur ;-). Et le propos ne me surprend pas. Nous sommes dans une société du consommable, il faut aller vite, renouveler toujours, réagir aussi vite, c'est donc par l'émotionnel. Je crois que l'usage de toute technologie n'est pas à rejeter, elle n'est que ce que l'on en fait, y compris le téléphone et les réseaux sociaux. Pour cela, une petite période de déconnexion de temps en temps fait toujours du bien :)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. @Marilyne: Je suis tout à fait d'accord avec toi, avec pour seul bémol que beaucoup de ces technologies sont conçues quasiment contre nous, ce qui fausse d'emblée l'usage qu'on peut en faire. Mais oui, dans l'absolu, à chacun de les exploiter intelligemment. Dixit celle qui les a utilisées pendant des années de manière tout sauf intelligente. 😜

      Supprimer
  2. Comme tu dis, c'est bien pratique mais il ne faut pas en être esclave.
    J'essaie de réduire également mon usage, ça marche plus ou moins bien selon les périodes...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. @Xapur: Tout pareil pour moi... Je retombe très facilement dans le scrolling mécanique...

      Supprimer
  3. Intéressant, mais au final on sait déjà tout ça… Et je suis d'accord avec toi que les RS peuvent aussi être de formidables outils de communication. Le meilleur usage est celui qu'on contrôle, comme tu sembles arriver à le faire (pas moi haha).

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. @Tigger Lilly: Ah bah ton usage me paraît raisonnable de loin 😊 (Pour parodier: je ne te vois pas partager tous tes repas en story ^^)

      Supprimer
    2. Non sur comment je me présente sur les RS je suis satisfaite à 95% de ce que j'en fais. C'est plus pour l'aspect scroll dans le vide ultra addictif. C'est un comportement qui ne voit pas de l'extérieur :D

      Supprimer
    3. @Tigger Lilly: Je comprends ^^ C'est vrai que même en ayant radicalement épuré ma page d'accueil, c'est tentant de juste faire défiler. Et je vois combien mon cerveau m'incite à rester là quand je suis fatiguée, ça demande tellement peu d'efforts...

      Supprimer
  4. J'ai tendance à penser que les réseaux sociaux ne sont que des outils et qu'ils ne sont que ce qu'on en fait, qu'il reste toujours une décision humaine individuelle au final. Cela dit ça reste intéressant d'avoir du fond sur le potentiel de "manipulation" et de biais que ça peut développer, mais bon, avec de la nuance ça serait, comme toujours, mieux...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. @Baroona: Je devrais bientôt lire un livre plus nuancé et optimiste, je pense que ça te plaira 😊 Pas sur le même sujet, mais quelque chose de sociétal également. (Enfin, à l'heure actuelle, "bientôt" peut signifier "dans un an"...)

      Supprimer
  5. Propos intéressants, mais l'ont dit d'autres, ce sont des outils dont on fait ce qu'on veut. Quoique Tiktok des fois....

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. @Shaya: Ouais je suis très sceptique quant à TikTok, en bonne partie parce que c'est chinois, mais comme je ne suis pas dessus, je suis sceptique quant à ce que je ne connais pas...

      Supprimer

Exprime-toi, petit lecteur !