vendredi 21 février 2014

Germinie Lacerteux (1865)

On a tendance à l'oublier, mais avant d'être un prix littéraire très en vogue, les Goncourt étaient des gens. Des frères, plus précisément: Charles et Edmond. Si leur oeuvre n'est pas vraiment passée à la postérité, je me devais néanmoins de lire ce Germinie Lacerteux, un roman qui a eu une influence fondamentale sur le jeune Émile Zola.


Inspiré de la vie réelle de Rose Malingre, la bonne des Goncourt, ce roman met en scène une femme à la vie... disons... difficile. Née en province, elle monte travailler à Paris à l'adolescence, est violée par un collègue et fait une fausse couche. Elle trouve ensuite du travail comme bonne chez une vieille Mademoiselle qui a eu un lot assez effarant de souffrances au cours de sa vie. Et là, tout pourrait bien se passer pour Germinie... Si elle ne devenait pas amie avec les mauvaises personnes... Et si elle ne tombait pas amoureuse du mauvais gars.... D'année en année, sa situation ne fait qu'empirer, les personnes qu'elle aime profitent d'elle et la poussent de plus en plus loin dans la déchéance, le sort s'acharne en lui tuant son bébé, les dettes s'accumulent et l'alcoolisme règne en maître...

À sa sortie, Germinie s'est fait lyncher par la critique, outrée par ce ramassis d'ordures. Seul un certain Émile Zola, journaliste au Salut public à Lyon, en a pris la défense. Il est vrai que ce n'est pas une lecture très réjouissante et que, même aujourd'hui, beaucoup seraient rebutés par cette impitoyable succession de malheurs et cette destruction totale d'un individu qui aurait pu, dans un autre contexte, être quelqu'un de tout à fait normal. À l'époque, en plus, il ne fallait surtout pas appeler les choses par leur nom, alors les Goncourt ont beaucoup choqué...

Pour ma part, j'ai adoré. C'est un peu Zola (ou plutôt la pauvre Gervaise!) avant l'heure. C'est moins bien et moins précisément construit que l'oeuvre de Zola, mais je comprends bien pourquoi le jeune Émile a déclaré "admirer [cette oeuvre] excessive et fiévreuse". C'est de la littérature putride qui n'a pas peur de regarder les choses en face et de les dénoncer... Et avec quel style! Les écrivains du XIXème sont vraiment les meilleurs. Ils semblent énoncer avec une clarté déconcertante des phrases riches, complexes, longues et précises qui nous portent sans la moindre difficulté jusqu'aux points qui les séparent les unes des autres, dans une rythmique et une poésie juste jouissives. Décidément, je pourrais lire du Goncourt, du Maupassant et du Balzac toute la journée sans jamais m'en lasser -- même si le meilleur, évidemment, c'est Zola!

"Quand, à ses heures découragées, elle retrouvait par le souvenir les amertumes de son passé, quand elle suivait depuis son enfance l'enchaînement de sa lamentable existence, cette file de douleurs qui avait suivi ses années et grandi avec elles, tout ce qui s'était succédé dans son existence comme une rencontre et un arrangement de misère, sans que jamais elle y eût vu apparaître la main de cette Providence dont on lui avait tant parlé, elle se disait qu'elle était de ces malheureuses vouées en naissant à une éternité de misère, de celles pour lesquelles le bonheur n'est pas fait et qui ne le connaissent qu'en l'enviant aux autres."

De la littérature putride, oui; mais surtout de la Littérature avec un grand L! 

2 commentaires:

  1. Jamais lu les Goncourt mais ta chronique donne bien envie de s'y essayer.

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    1. Victoire alors!!! :)
      Bon c'est quand même rigolo que plus personne ne les lise alors que le milieu littéraire français "officiel" tourne autant autour du prix qui porte leur nom. Je vais essayer de lancer un mouvement de redécouverte.

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