dimanche 18 mars 2018

Bakhita (2017)

Avec Bakhita, Véronique Olmi retrace la vie d'une Soudanaise enlevée enfant, réduite en esclavage, battue et violée, rachetée par un Italien, libérée en Italie, devenue sœur puis reconnue comme bienheureuse puis sainte par l'Église catholique. Un parcours incroyable pour une femme dont je n'avais jamais entendu parler.


Tout commence pendant les années 1870. L'enfant grandit dans la tribu soudanaise des Dagiù. L'esclavage est un risque permanent, les négriers rôdent et certains leur vendent des personnes juste pour se faire un peu d'argent, même si ce n'est pas leur métier. La sœur de Bakhita est enlevée, puis c'est au tour de Bakhita deux ans plus tard, quand elle a sept ou huit ans. Commence la marche vers l'enfer, la traversée du désert à pied sous les coups, jusqu'à El Obeïd pour la vente. Puis c'est la vie dans une famille qui lui offre des conditions relativement clémentes, jusqu'au viol, terrible, par le fils du maître. Violée avant ses dix ans ou à tout pile dix ans – l'âge de Bakhita reste incertain –, putain, je vous laisse imaginer.

Bakhita est ensuite passée chez d'autres maîtres plus violents, avec notamment une scène terrible de scarification forcée, avant d'être vendue à un Italien à Khartoum, où ses maîtres avaient fui face à l'avancée de Mahdi, qui mène les Soudanais à l'attaque du gouvernement égyptien soutenu par les Britanniques. Nous sommes en 1883-1884. Cet Italien va fuir Khartoum à son tour en emmenant son esclave avec lui, et Bakhita va devenir une domestique presque comme les autres – à part par sa couleur de peau bien sûr, qui étonne et fait peur dans l'Italie de l'époque. Puis elle entre dans un couvent pendant que sa maîtresse voyage et ce qui devait être un séjour temporaire deviendra une nouvelle vie.

La première partie du roman est violente et désespérante de par ses conditions inhumaines, la vie terrible de ces esclaves dont la vie ne vaut vraiment pas grand-chose. Le style de Véronique Olmi a quelque chose d'assez simple et ces passages ne sont donc pas intolérables – on est loin de l'horreur zolienne par exemple –, mais c'est abominable de lire tout ça, les morts sous les coups, les gens devenus fous, les séparations au gré des ventes... Les ventes tout court d'ailleurs, la vision des négriers alignant les esclaves et les faisant courir et sauter face aux acheteurs potentiels, l'irruption permanente dans l'intimité, les doigts dans la bouche pour regarder les dents.

La deuxième partie est plus apaisée mais tout aussi intéressante; c'est la rencontre avec une Italie provinciale bien tranquille à la fin du XIXe, puis la Première Guerre mondiale et la montée du fascisme, avec la politique coloniale italienne qui s’enorgueillissait de civiliser les Africains. Le contraste est d'ailleurs intéressant entre cette sœur perdue, qui garde la peur de mal faire de son passé d'esclave et qui aide tous ceux qu'elle peut aider, et la société complètement raciste avec sa vision toute faite de l'Africain "simplet"...

Passons maintenant aux critiques. J'avais déjà lu un livre de Véronique Olmi il y a quelques années, Cet été-là, et je n'avais pas aimé du tout, même si je ne me souviens pas pourquoi. J'ai trouvé ce livre-ci beaucoup plus abouti et maîtrisé. J'ai des réserves, toutefois, face au style un peu naïf et un peu simple, ou plutôt transparent dans la manière dont il fait passer l'émotion. Je ne sais pas trop comment décrire ça mais c'est quelque chose que j'ai souvent identifié en littérature blanche contemporaine. On sent que l'auteur et l'éditeur prennent ça très au sérieux mais je ne suis pas tout à fait convaincue...

La deuxième critique concerne le personnage de Bahkita, qui est décrit ici comme d'une candeur incroyable, à croire qu'elle était simple d'esprit. Alors je suis bien consciente qu'être enlevée à sept ou huit ans, battue quotidiennement, violée à dix ans maximum, ce n'est pas du tout bon pour le développement d'un enfant et que ça ne créée par des adultes fonctionnels... Mais de là à ce qu'elle soit restée une petite fille dans sa tête toute sa vie... Du coup, je n'ai pas ressenti d'empathie particulière pour elle, alors qu'elle a réellement eu une vie terrible! 

Enfin, dernière critique: on ignore totalement ce qui est vrai et ce qui est romancé. Véronique Olmi n'a pas indiqué comment elle a reconstruit cette existence. C'est un peu dommage. Je pense qu'elle a été globalement fidèle aux faits historiques mais j'aurais aimé savoir si/pourquoi/comment elle a ajouté certaines choses.

En deux mots: un livre passionnant qui se lit tout seul malgré son énorme taille. À découvrir sans hésitation, malgré les critiques abordées ici, si l'histoire vous intéresse.

8 commentaires:

  1. Je veux absolument le lire et là j'avoue que ton avis confirme cette envie. La thématique et le côté "histoire vraie" m'attiraient vraiment beaucoup, mais c'est vrai que c'est dommage que l'auteure n'ait pas spécifié ce qui est vrai/faux. Mais je t'en dirai plus quand je l'aurais lu du coup :D

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    1. Gloups, je t'ai répondu et mon message a disparu, grrrr.
      Je disais que j'ai hâte de lire ton avis alors :) Je pense que ça te plaira, c'est très intéressant.

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  2. Quand je disais que tu avais tout de même des lectures très atypiques. Comment tu es tombée là-dessus ?
    L'autrice est italienne ?

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    1. Non, elle est française. Elle était au salon du livre d'ailleurs, j'ai vu sa photo sur le programme. C'était un cadeau d'anniversaire. :) Il faudrait que je pose la question maintenant que je l'ai lu mais je pense que le fait que Bakhita ait vécu en Italie a influencé le choix de mes amis. :)

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  3. J'ai lu de très bonnes chroniques de ce livre, ce qui m'a fait le noter il y a quelques mois. C'est typiquement un livre que je n'achèterai pas en grand format mais je serai curieuse de le découvrir un poche ! Je note tes critiques, qui pondèrent un peu les éloges :)

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    1. Oui, je pense aussi qu'il veut mieux l'acheter en poche ou l'emprunter. Comme beaucoup de romans de littérature générale, je trouve que ce n'est quand même pas un chef d’œuvre de fou. Mais c'est super intéressant et je pense que tu y trouveras ton compte! Pour ma part, je suis ravie de l'avoir découvert.

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  4. Pour le coup ça ne me tente pas du tout, mais j'ai souvent du mal avec la littérature blanche française :) dommage en effet pour l'aspect historique !

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    1. En effet, il y a quelques travers typiques du genre. Un avantage toutefois: ça se lit très vite compte tenu de la taille du pavé!

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