jeudi 22 avril 2021

Schluss? (2006)

Durant l'hiver 1945, dans la province de Prusse-Orientale, la propriété du Georgenhof accueille les derniers membres de la noble famille des von Globig: Katharina, une femme quelque peu planante, son fils Peter et la tantine, qui fait tourner la maisonnée. Le père est en Italie avec la wehrmacht. Ils accueillent régulièrement des gens de passage, qui sont, à des degrés divers, en train de fuir l'avancée des Russes sur le front de l'Est.

Walter Kempowski est un écrivain allemand qui semble connu et reconnu dans son pays. En France, il est traduit par Olivier Mannoni, raison pour laquelle je me suis interessée à ce bouquin. Dans un premier temps, le roman n'a pas soulevé un enthousiasme délirant de ma part. Il se lit bien, ça coule tout seul, mais le quotidien des personnages n'est pas franchement palpitant. Ça correspond un peu à l'idée que je me fais de de la littérature blanche contemporaine: c'est sympa, c'est intéressant, mais ce n'est pas marquant.

Toutefois, mon intérêt a augmenté progressivement. D'une part, vers la moitié du roman, Katharina cache un Juif chez elle. Cet acte héroïque est traité avec un détachement et quasiment une incompréhension assez particuliers qui, je crois, ont dû réellement s'appliquer au cours de l'histoire. En tout cas, je crois que j'aurais un peu ce ressenti-là si je devais cacher un fugitif chez moi. 😅 Puis, dans le dernier quart, c'est l'exode: les combats éclatent sur le front qui était stable depuis un moment, les civils fuient vers l'Ouest et le Reich et le livre prend une tout autre dimension en basculant dans l'horreur. Pas forcément l'horreur gore, mais l'horreur de voir tant de gens sur les routes, certains encore accrochés à la conviction que la wehrmacht va renverser la situation, d'autres maintenant en place les structures de l'État nazi alors que tout s'est déjà délité. Et puis, les vols, la confusion... Et puis, les vies qui valent de moins en moins cher, les corps gelés au bord de la route...

Ces passages m'ont rappelé deux romans qui m'ont marquée.

D'abord, Suite française, dans lequel Irène Némirovsky parle de l'exode des Parisiens face à l'avancée de la wehrmacht. On retrouve la même incrédulité, la même incapacité à comprendre que le monde que l'on a connu a déjà été balayé et que plus rien ne sera comme avant. Certains s'accrochent à des objets – l'argenterie, ce précieux manuscrit – mais toi, lecteur, qui sait comment ça s'est terminé, tu as envie de leur crier de se casser de là sans tarder parce que le rouleau compresseur est lancé et n'aura pitié de personne et que des gens crèvent, putain, qu'est-ce qu'on s'en fout de ton précieux manuscrit! Et bien sûr, maintenant que 2020 est passé par là, on a tous plus ou moins vécu des contrariétés face à l'épidémie de COVID-19 qui, un, deux ou trois mois plus tard, nous ont fait penser "pfiou, j'étais tellement naïf à l'époque"....

Ensuite, Die verratene Armee, un livre d'Heinrich Gerlach que j'ai lu traduit en anglais (par qui?? Je n'en sais rien, je ne trouve pas de nom de traducteur en ligne et je n'ai pas le bouquin...) sous le titre The Forsaken Army. Gerlach était soldat dans la wehrmacht et a combattu à Stalingard, où il a subi le siège des Russes. Ce bouquin m'a dressé les cheveux sur la tête. J'étais plus jeune à l'époque, peut-être qu'il ne me ferait pas le même effet aujourd'hui. Mais c'est horrible, ce qu'ont vécu les soldats allemands à Stalingrad. On n'en parle pas parce qu'on ne peut pas rentrer dans les détails à l'école et parce qu'on a peu d'empathie envers le pays qui a provoqué la Seconde Guerre mondiale, mais ces hommes encerclés et abandonnés par leur Führer ont vécu l'enfer. Je garde un souvenir épouvanté des "renforts" promis par la radio, qui se révèlent, une fois arrivés, être les malades de l'infirmerie remis sur pieds de force et renvoyés au front! Une armée en béquilles...

Schluss? va beaucoup moins loin que ce dernier roman dans la noirceur, mais il vous plonge aussi dans ces journées de fin du monde. Il raconte d'ailleurs, bel et bien, la fin d'une certaine bourgeoisie/aristocratie pré-Seconde Guerre mondiale, qui n'a jamais retrouvé le lustre d'antan après la guerre. Une bonne manière de voir l'histoire du côté allemand, pour une fois, et de se souvenir que le jusqu'auboutisme de l'état-major allemand et son refus de la capitulation a provoqué bien des malheurs et des morts encore plus inutiles que les précédents...

6 commentaires:

  1. Est-ce que du coup la première partie peut être vue comme nécessaire pour accentuer le basculement et l'horreur de la fin, ou c'est juste trop longuet quoiqu'il arrive ? ^^'
    La couverture est sublime en tout cas, et semble, vu ce que tu en dis, tellement en phase avec ce qu'il y a à l'intérieur.

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    1. @Baroona: Tu n'as pas lu le livre et tu l'as mieux compris que moi, je crois. 🤯
      Oui, la couverture est canon! Et très appropriée. On a bien cet écart entre cette grande demeure super calme et la guerre qui tonne au loin.

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  2. Très intéressant, titre et auteur inconnus au bataillon.

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    1. @Tigger Lilly: Tout pareil pour moi avant de le lire. 😃

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  3. Et du coup, qu'a fait de spécial ce traducteur pour que tu t'y intéresses ?

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    1. @Shaya: Il est directeur de l'École de traduction littéraire du Centre national du livre 🥰 Et sinon, plus prosaïquement, c'est un très gros cerveau et un très bon professionnel.

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