En Lituanie, le lendemain d'un mariage, un homme qui n'a pas dormi de la nuit annonce à son frère et à sa sœur qu'il va quitter la ferme familiale et s'installer sur leur parcelle du marais du Kaïrabalé, une terre jusque-là exploitée seulement une partie de l'année. Pour sa famille, c'est la stupéfaction. Mais Youza ne s'embarrasse guère d'explications: c'est un homme taciturne, qui a pris sa décision et ne reviendra pas dessus.
Durant 370 pages, ce roman de Youozas Baltouchis décrit ainsi le quotidien de Youza, tout seul dans son marais. Son frère passe quelques fois. Les habitants viennent faire les foins une fois par an. Mais dans l'ensemble, il est seul avec ses animaux – une vache, un cheval et quelques poules – et son terrain. Tout est à constuire et à installer: une maison, une étable, un puits, des champs, des ruches. Les saisons passent, la nourriture évolue en conséquence.
J'ai moi-même du mal à croire que ce roman comporte si peu d'action, mais c'est vrai. C'est vraiment, essentiellement, l'histoire d'un mec seul dans son marais, avec une simplicité que je ne sais pas vraiment comment qualifier si ce n'est d'"ancestrale".
Plusieurs fois, néanmoins, le monde extérieur fait irruption: les autorités réclament des impôts ou des hommes demandent un abri. Je ne sais pas en quelle année commence l'intrigue exactement, mais on traverse à peu près les années vingt à quarante (voire dix à cinquante) de l'histoire de la Lituanie, et j'ai bien sûr trouvé cela passionnant, étant donné que je ne sais à peu près rien sur la Lituanie en particulier et sur les États Baltes en général. Mais c'est une histoire mouvementée et tragique qui serre le cœur, notamment pour la communauté juive, et laisse songeur quant à la succession des régimes qui apportent tous leurs problèmes (même si certains sont bien plus crades que d'autres, il va sans dire).
Entre les descriptions de la vie à la ferme et les rencontres riches, l'ensemble dégage une humanité précieuse. Et surtout, la version française, traduite du lituanien et du russe par Denise Yuccoz-Neugnot, est sublime de richesse. Pour je ne sais quelle raison, j'ai trouvé le premier paragraphe ardu lorsque je l'ai lu peu après mon achat, et j'ai donc laissé le roman de côté plusieurs mois; mais quand je l'ai repris, j'ai été charmée tout de suite. C'est élégant et fin, et ça donne parfaitement vie à ce monde empli de plantes acquatiques et d'oiseaux. Je ne peux pas juger le texte en tant que traduction, vu que je ne peux pas comparer avec l'original, mais le produit final publié en France est un vrai régal. Chapeau.
Cherchant des infos sur le processus de traduction pour m'expliquer pourquoi le roman était traduit "du russe et du lituanien" (et non du lituanien uniquement), je suis tombée sur un article passionnant de Marielle Vitureau sur le processus de traduction et l'histoire du livre en France (attention, le lien télécharge directement le fichier PDF). Je suis éblouie de voir que ce roman a trouvé son chemin ici, car l'Europe de l'Ouest est fort peu tournée vers l'Europe de l'Est... Et donc, le roman est traduit du lituanien et du russe car la traductrice a traduit à partir de la traduction russe, mais avec une Lituanienne, dans un processus à quatre mains assez fascinant. Le résultat est tellement merveilleux que ça me peinerait de revenir dessus, mais, bien sûr, l'idéal serait de faire un jour traduire ce roman par quelqu'un qui travaille directement à partir du lituanien...
Pourquoi ce livre?
C'est sans doute la question que tout le monde se pose! Parce que c'est bien la première fois que je touche à la littérature lituanienne ou balte. Eh bien: parce que, en mai dernier, Marielle Vitureau est intervenue sur France Culture pour parler de Vilnius (la capitale lituanienne, préciserai-je) et qu'elle a évoqué ce roman. J'ai noté le nom et je l'ai acheté. J'ai tellement bien fait. Merci, Marielle. Pour info, je vous ai déjà parlé d'elle sur ce blog, car elle a écrit le Dictionnaire insolite des pays baltes que j'ai lu il y a deux ans.
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