vendredi 25 octobre 2024

Une Vieille Maîtresse (1851)

Un petit Barbey d'Aurevilly pour trois euros, comment refuser? 😊😊

L'histoire
À Paris, à la moitié des années 1830, deux vieilles dames prennent le thé avec la petite fille de l'une d'elles: Hermangarde de Polastron, jeune fille ravissante, innocente et amoureuse sur le point de se marier. Mais dès qu'Hermangarde quitte la pièce, l'une des deux dames, amie de longue date de la deuxième, tente de convaincre celle-ci d'empêcher ce mariage. Le fiancé, Ryno de Marigny, est un libertin de la pire espèce, qui a déjà ruiné une femme de la bonne société et qui traîne une réputation plus que sulfureuse. Quelques jours plus tard, Marigny, ayant appris que l'amie mène son enquête sur lui, décide de jouer cartes sur table et se confesse à la grand-mère de sa promise. Durant quatre chapitres, il décrira avec honnêteté la relation de dix ans qu'il a eue avec une Espagnole insaisissable, mystérieuse, indomptable et sensuelle, la terrible Vellini.

Ainsi se déroule la première partie de ce roman de Barbey d'Aurevilly, notre expert en regrets pour l'Ancien Régime et en Normandie spectrale. La relation entre les deux dames âgées, qui ont connu le XVIIIe siècle et ne s'en laissent pas conter par le XIXe, est assez sympathique, tout comme les efforts de la plus méfiante des deux pour prouver que Marigny a un comportement répréhensible. Puis le récit de Marigny est prenant. Coup de foudre improbable, tentative d'enlèvement à cheval, amours passionnées, rites destinés à unir les deux amants pour l'éternité, tout y est. À ce stade, on voit bien que Marigny est sincèrement amoureux d'Hermangarde et déterminé à ne jamais revoir Vellini, et on pourrait presque espérer. La grand-mère, d'ailleurs, est pleinement convaincue, et le mariage a bien lieu.

Sauf que.

Déjà, la quatrième de couverture de cette édition Folio divulgâche éhontement la fin de l'histoire. Et bon, je le connais un peu, Barbey. Je ne lis pas pour avoir des fins heureuses. Je le lis pour avoir des personnages torturés et une ambiance sombre qui pourrait presque flirter avec le surnaturel (ici: Vellini est-elle un peu sorcière, en fin de compte? Et cette Normandie désolée battue par les vents, quel bonheur!) Donc, je savais à quoi m'attendre dans la deuxième partie. Et la fin est à la hauteur des enjeux.

Contrairement à Folio, je préfère annoncer que je divulgâche, donc, attention: [divulgâcheur] après plusieurs mois d'extrême félicité conjugale, la pauvre Hermangarde assiste aux ébats de son mari adoré avec son affreuse maîtresse. Évidemment, comme on est au XIXe siècle, elle délire pendant des jours, fait une fausse couche et reste allitée pendant des semaines. Puis elle se relève, malgré son immense tristesse, et reprend tant bien que mal sa vie, mais sans reprendre sa vie sexuelle avec son mari infidèle et sans le pardonner formellement. D'un côté, Marigny a tout gagné, car il a fait le beau mariage qui l'a rendu riche et qu'il continue de fréquenter Vellini; mais le fait que, bizarrement, il aime sincèrement Hermangarde (aime-t-il les deux, au fond?) le prive du bonheur qu'il a goûté avant que Vellini n'aille le chercher au fin fond du Contentin [divulgâcheur].

Ce qu'on retient de ce roman, c'est ce triangle amoureux entre la jeune fille pure et héroïquement gentille, Hermangarde, que j'ai sincèrement aimée, Marigny, qu'on peut voir comme un mec bêtement dominé par sa bite, et bien sûr Vellini, la femme plate et laide aux pieds de laquelle les hommes se prosternent dès qu'elle bouge. C'est assez dingue, mais c'est vraiment ça l'idée: Vellini séduit par sa démarche et son regard oblique. C'est une femme qui respire la sensualité. (D'ailleurs, le roman ne parle pratiquement que de sexe, soit dans les souvenirs des personnages âgés qui ont eu leur vie sexuelle en leurs temps, soit dans les aventures des personnages jeunes.) Et elle a une volonté de fer, une conviction en son propre destin qui la rend pratiquement imbattable.

J'ai trouvé que le livre avait quelques longueurs (une lettre de Marigny, notamment, décrit ce à quoi le lecteur a déjà assisté), mais globalement j'ai adoré.

Pour le fun, je suis allée relire l'article de Mes Haines qu'Émile Zola a consacré à Barbey et qu'il a sobrement intitulé, dans sa deuxième moulure, "Le catholique hystérique". (Quelle rime, mon petit Émile!) Il faut que vous sachiez que Barbey s'est reconverti au catholicisme à un moment donné et que la société française de l'époque n'était pas du tout apaisée en matière de religion, et, comme le titre le laisse penser, Zola ne partageait pas ses idées. Toutefois, cet article date de plus tard, 1865, et fait la critique d'un autre roman de Barbey, Un prêtre marié, que je n'ai pas encore lu. J'y ai trouvé des critiques qui ne sont pas délirantes au regard de ce que j'ai déjà lu de lui, mais j'aimerais souligner que Zola lui-même, dans sa chronique au vitriol, reconnaît qu'il y a du bon dans ce roman. Je me réjouis de le lire un jour!! 🤩

Autres livres de l'auteur déjà chroniqués sur ce blog
L'Ensorcelée (1852)
Les Diaboliques (1874)
Une histoire sans nom (1882)

dimanche 20 octobre 2024

Dewey (2008) 🐈📚

En janvier 1988, par une froide journée d'hiver, Vicki Myron, directrice de la bibliothèque de Spencer, dans l'Iowa, trouve un chaton transi de froid dans la boîte de retour des livres. Le chaton survit et l'équipe décide vite de le laisser habiter sur place. Baptisé Dewey Readmore Books en hommage à la classification décimale de Dewey (ces bibliothécaires, toujours prêts à faire une petite blague!), il vivra là jusqu'à sa mort en 2006.

Et bien sûr, s'il y a un livre sur lui aujourd'hui, c'est que ce chat était extraordinaire, ou plutôt qu'il a connu un destin hors du commun, vu que tous les chats sont extraordinaires par essence. 😼

Avec l'assistance de Bret Witter, Vicky Myron aborde trois grands sujets dans son livre: bien sûr, la vie de Dewey à la bibliothèque, ses habitudes, ses aventures, ses goûts alimentaires, etc.; la ville de Spencer et l'effet de la présence de Dewey sur les habitants; et sa vie à elle, notamment familiale. La partie sur Spencer donne à voir une petite ville du Mid-West avec ses difficultés économiques et son moral d'acier. C'est un peu le cliché du bon vieux trou paumé américain, où les gens travaillent dur et ne se plaignent pas. La présence d'immenses champs de maïs, pour ma part, m'a fait penser avec une certaine nervosité à Stephen King, HAHAHAHAHAHA. La partie sur la vie de Vicky elle-même est sans doute la moins intéressante, même s'il faut lui reconnaître qu'elle n'a pas eu une vie facile, notamment en raison de problèmes de santé colossaux et de son mari alcolique (j'aurais bien aimé savoir ce qu'il est devenu, d'ailleurs!).

Mais Dewey est là. Tous les matins, Dewey attend Vicky à son arrivée à la bibliothèque. Tous les matins, deux minutes avant l'ouverture au public, Dewey se poste devant les portes. Et en peu de temps, il devient l'attraction de la ville. Vicky Myron détaille plein de petits changements. Elle précise bien que la présence du chat n'était pas non plus un remède miracle, mais les tensions existantes se sont apaisées au sein de l'équipe, le nombre de visiteurs a augmenté, les enfants turbulents ont appris à se tenir plus calmement pour ne pas lui faire peur, des enfants handicapés et des adultes au bout du rouleau ont souri pour la première fois depuis qui sait quand en le voyant. Bref, du lien social s'est retissé autour de ce chat. Et moi, j'adore les histoires de lien social et j'adore les histoires d'animaux et de thérapie par les animaux. Là, ce n'était pas une thérapie, mais il s'est passé quelque chose. Dewey a aidé des tas de gens juste en étant là, en dormant sur leurs genoux et en se baladant sur le chariot à livres. Comme des dizaines de chevaux de club m'ont aidée juste en mangeant leur foin sous mes yeux ou en me laissant les gratouiller.

Une belle histoire vraie, en somme. Vicky Myron n'arrête pas de dire que Dewey savait ce qu'il faisait et était ravi de le faire, ce qui me semble relever de l'antropomorphisme, mais l'histoire est touchante, et donne furieusement envie d'emménager dans une ville dont la bibliothèque a un chat à résidence!

Le petit truc en plus que vous devez absolument savoir:
Ce livre est traduit de l'anglais par Bérengère Viennot, qui a dû bien rigoler en intitulant un article de journal "Charperlipopette" (qui sait ce qu'était l'original!). Je vous ai déjà parlé d'elle, car elle est plus tard devenue la grande experte de la traduction de Donald Trump. Le grand écart. Je pense qu'elle a dû passer un meilleur moment avec Dewey. 😂

mardi 15 octobre 2024

Maupassant (1989)

Chronique express!

Henri Troyat était écrivain, mais je le connais uniquement en tant que biographe: j'ai lu, il y a fort longtemps, sa biographie d'Alexandre Dumas, puis, il y a longtemps aussi mais quand même moins, celle d'Émile Zola. Adorant Guy de Maupassant, je n'ai pas hésité une seconde à acheter cette biographie-ci lorsque je l'ai trouvée d'occasion. Je connaissais déjà assez bien la vie de Maupassant dans les grandes lignes, car je l'ai étudié à l'école et j'ai lu un assez grand nombre de ses livres, mais j'ai bien sûr approfondi considérablement le sujet en passant un peu plus de 300 pages en sa compagnie. C'était très intéressant, car Maupassant a eu une vie hors de l'ordinaire: un mode de vie débridé avec beaucoup de femmes, une carrière littéraire express mais flamboyante au contact de très grands noms du XIXe siècle (Flaubert d'abord, qui l'a beaucoup aidé, puis Zola évidemment, et Edmond de Goncourt qui ne s'est guère privé de le démollir dans son journal), puis une mort particulièrement tragique. Né en en 1850, il a publié à partir de 1879 et a réussi à sortir six romans et quinze (!) recueils de nouvelles avant de sombrer dans la folie au début des années 1890. (Et quelle folie: le dernier chapitre est horrible et serre le cœur. Maupassant se croyait persécuté, piétinait des insectes qu'il était le seul à voir, léchait les murs de sa cellule, se retenait d'uriner parce que l'urine "est faite de bijoux"...) Henri Troyat évoque aussi sa vie sexuelle hyperactive. Je savais que Maupassant était un coureur de jupons, mais, apparemment, il couchait vraiment tout le temps, partout, avec des femmes de toutes les catégories sociales possibles. Sa folie a d'ailleurs été provoquée par la syphillis, une MST. Et sinon, j'ai découvert qu'il bataillait sec avec ses éditeurs pour se faire payer, et bien payer, et vite payer. De nos jours, il serait à la Ligue des auteurs professionnels!

Je vous laisse sur un extrait d'une lettre de Flaubert qui rend bien l'idée de l'activité sexuelle de Maupassant. Le 27 juillet 1877, Gustave Flaubert indique à Ivan Tourgueniev:

"Aucune nouvelle des amis, sauf le jeune Guy. Il m'a écrit récemment qu'en trois jours il avait tiré dix-neuf coups! C'est beau! mais j'ai peur qu'il ne finisse par s'en aller en sperme."

Je.

Je.

"J'ai peur qu'il ne finisse par s'en aller en sperme."

Les mots me manquent. Le dix-neuvième, ce siècle pudibond. 😂😂😂

jeudi 10 octobre 2024

Les BD du troisième trimestre 2024

Comme d'habitude, retour sur les lectures graphiques du trimestre écoulé!

La sage-femme du roi d'Adeline Lafitte (scénario) et Hervé Duphot (dessin) (2023)

L'histoire de Madame du Coudray, une sage-femme parisienne qui a réussi à professionnaliser son métier, et surtout l'enseignement de celui-ci, durant la deuxième moitié du XVIIIe siècle. À cette époque, les chirurgiens – hommes – s'appropriaient de plus en plus ce métier majoritairement féminin et le taux de mortalité des femmes en couches et des bébés était très élevé en province. Un beau combat inspirant, en somme. J'ai beaucoup apprécié que l'autrice n'en fasse pas non plus un modèle de pratiques irréprochables; même si Madame du Coudray exerçait un métier moderne pour son temps, on la voit saigner une patiente parce qu'il ne faut pas que le bébé "se noie dans tout ce sang", ce qui laisse quand même songeur. 👀
Une BD découverte chez Baroona.
Éditeur: Delcourt / Mirages

Girlfriends de Sara Soler, traduit de l'espagnol par Jacques Fuentealba (2021)

Une BD adorable sur la très belle histoire de l'autrice et de sa compagne et la transition de celle-ci vers son identité de femme. Ça fait rêver, un couple qui partage tout et se soutient comme ça. Moi, je ne sais pas trop comment je réagirais si mon compagnon m'annonçait, après des années, qu'il est en fait une femme. On a un bel exemple d'amour véritable, l'amour qui porte sur l'identité de fond de la personne et non sur ses caractéristiques externes. En plus, j'ai appris des tas de trucs sur un sujet que je connais mal. Bon, visiblement, je ne suis pas 100% "déconstruite", comme on dit, mais j'ai adoré!
Éditeur: Sarbacane

Paul Jenkins présente Hellblazer. Volume 1 de Paul Jenkins (scénario) et Sean Philips (dessin), traduit de l'anglais par Philippe Touboul (1995-1996)

Bien bien bien. Deux ans après ma dernière lecture de Hellblazer, j'ai enfin attaqué les volumes réunissant les épisodes scénarisés par Paul Jenkins. Le premier volume, paru chez Urban Comics en novembre 2022, réunit les épisodes 89 à 107. Hélas, j'ai détesté les dessins de Sean Philips et je n'ai rien pigé à la moitié des histoires. J'aime toujours beaucoup le personnage désabusé qui fume clope sur clope, mais, vraiment, je suis arrivée à la fin de la moitié des épisodes en ne sachant pas le moins du monde pourquoi ça se terminait comme ça. Je vais quand même lire le deuxième volume, mais je suis assez frustrée.
Éditeur: Urban Comics

All You Need Is Kill de Hiroshi Sakurazaka (scénario), Ryosuke Takeuchi (storyboard), Yoshitoshi Abe (design des personnages) et Takeshi Obata (dessin), traduit du japonais par Thibaud Desbief (2014)

All You Need Is Kill est à l'origine un "light novel" de Hiroshi Sakurazaka sorti en 2004. Hélas, je n'en savais rien quand je me suis procurée son adaptation en manga, et, de toute façon, ma médiathèque ne l'a pas et il n'est plus édité en France, donc j'aurais commencé par le manga même si j'avais su, haha. Bref, cette version manga est pas mal du tout, même si je ne suis pas très fan du "dessin manga" en général et si j'ai eu du mal à déchiffrer certains dessins de combats. Le premier tome parle de Keiji Kiriya, un jeune soldat pris dans une boucle temporelle en pleine guerre contre les extraterrestres; le deuxième tome parle plutôt de Rita Vrataski, guerrière inégalée dans la lutte contre ces mêmes extraterrestres. La fin est nettement plus cruelle que dans l'adaptation cinématographique américaine avec Tom Cruise et Emily Blunt, Edge of Tomorrow, mais celle-ci est quand même fidèle, à tel point que le fait d'avoir vu le film m'a aidée à comprendre certains dessins, haha.
Éditeur: Kazé Manga

samedi 5 octobre 2024

La gamelle de septembre 2024

En mai dernier, je faisais le bilan d'avril en disant "Plus la loose culturelle que ce mois d'avril, tu meurs!" Eh bien, j'ai réussi à faire pire en septembre, puisque je n'ai pas mis le pied au cinéma et que même mes vacances ne m'ont pas donné l'énergie nécessaire pour me remettre aux séries.

Quelques informations positives, tout de même, pour remettre en contexte ce vide intersidéral: je suis partie en vacances loin de mon cinéma, j'ai bu de l'eau gazeuse au bar en regardant les chiens promener leurs gens le long de la mer (👀👀), j'ai fait des mots croisés (La Settimana Enigmistica 💖 Ça me donne l'impression de retrouver mes grands-parents!) j'ai lu deux pavés (La Force de l'âge de de Beauvoir et Le Seigneur des Anneaux de Tolkien), j'ai fait du cat-sitting et je suis allée à un mariage (et deux fois, les cérémonies civile et religieuse n'ayant pas lieu le même jour). Ceci explique en partie cela.

Sur petit écran

J'ai regardé pas mal de vidéos YouTube en vacances. De la bouffe, du lifestyle, de la papeterie, des chevaux. Dès que je suis rentrée chez moi, YouTube a disparu de mon quotidien. Snif.

Sur grand écran

Rieeeeeeeeeeen.

Du côté des séries

Rieeeeeeeeeeeen. Je suis partie en vacances avec l'idée de regarder Shogun, mais c'était trop difficile, il fallait réfléchir à quand caler un moment avec mon copain, il fallait délaisser les mots croisés et de Beauvoir, ou alors délaisser la papeterie sur YouTube...

Et le reste

J'ai lu le Manière de Voir du Monde Diplomatique sur les trains. Une lecture passionnante, comme d'habitude, même si le constat du non-investissement en faveur du train en France est dé-so-lant.

Et c'est tout!!!! La situation chevalmagazinesque est catastrophique!!!!! 😱😱 Mon Cheval Magazine de septembre a dû se perdre quelque part, car il n'était toujours pas arrivé à mon retour de vacances. J'ai contacté l'éditeur pour signaler le problème. J'ai reçu le numéro d'octobre à la date prévue, fin septembre, mais je n'y ai pas touché car j'attendais que l'éditeur me renvoie le numéro de septembre. Puis le numéro de septembre est arrivé et je n'ai pas eu le temps de m'y mettre. Je l'ai donc commencé... le 30 septembre à 22 h 30. Et j'ai donc deux numéros de retard. Quand vais-je donc lire ça, je me le demande. 🐴🐴

lundi 30 septembre 2024

The Lord of the Rings (1954-1955)

Tout ayant déjà été dit sur Le Seigneur des Anneaux, et dans la plupart des cas par des gens bien plus érudits que moi, je me contenterai de quelques remarques rapides que j'aimerais ne pas oublier! Qu'est-ce qui m'a marqué cette fois-ci?

Divulgâcheur: malgré ma volonté de ne pas faire de chronique à proprement parler, ce billet est interminable. Lol.

1/ Cette relecture n'avait que trop tardé, puisqu'elle était au programme depuis 2015, mais, au final, je pense que ce retard était un mal pour un bien, car je connais le roman presque trop bien: je me souviens souvent, en commençant un chapitre, de tout ce qu'il s'y passe, et de ce qu'un tel va dire à tel moment. Si je l'avais relu aussi vite que je le voulais (en 2015 par rapport à 2011), cela m'aurait probablement gâché mon plaisir. Je ne sais donc pas si je le relirai encore une fois un jour. Il faut quand même dire que c'était la sixième fois que je le lisais.

2/ Au début, le roman commence assez doucement, presque naïvement. Les affaires des hobbits sont plutôt rigolotes, et il y a même des chansons que l'on peut presque qualifier de chansons à boire. On est tout de suite portés par le récit, certes, mais même le chapitre 2, "The Shadow of the Past", qui raconte pourtant l'histoire de l'Anneau, n'est pas très épique. Ce n'est qu'au chapitre 5, "A Knife in the Dark", qu'on a le premier passage DINGO – et c'est d'ailleurs grâce aux hobbits, car c'est là que les habitants de Buckland sonnent l'alarme à cause des Cavaliers noirs.

"AWAKE! FEAR! FIRE! FOES! AWAKE!"
Quelques paragraphes qui vont crescendo et se terminent sur le point de vue des Nazgûls: "Let the little people blow! Sauron would deal with them later." C'est deux phrases à peine, mais le ton est donné, l'heure est grave, j'avais la chair de poule.

3/ Les poèmes de Tolkien me semblent assez inégaux. Parfois, il touche au génie, c'est absolument exceptionnel, comme dans la fameuse comptine de l'Anneau. Parfois, et notamment dans les chansons rigolotes, je n'y trouve ni rimes ni rythme, et ça me laisse très froide.

4/ À part ça, tout est génial DINGO EXCEPTIONNEL STUPÉFIANT INOUBLIABLE BOULEVERSANT. J'ai lu des tas de passages deux fois pour bien les savourer et m'en imprégner. Quel génie de la langue, de la construction de personnages, de la création de monde évidemment, de la construction d'une intrigue où chaque bout microscopique est parfaitement à sa place et même essentiel à l'ensemble, halàlàlàlà.

5/ La droiture morale. En juin dernier, j'ai relu Légende de David Gemmell pour me donner du courage en pleine catastrophe politique. Le Seigneur des Anneaux joue sur les mêmes ressorts: il me donne à voir des gens qui sont DROITS, fidèles à leurs valeurs. Par exemple, lors de la poursuite de Merry et Pippin, Gimli, visiblement d'humeur chafouine, râle beaucoup et fait remarquer à Aragorn que s'ils ne trouvent pas à bouffer, ils ne pourront pas faire grand-chose pour les hobbits, même à supposer qu'ils les retrouvent, à part témoigner de leur amitié en mourant de faim avec eux. Et Aragorn répond, en gros: "Si c'est tout ce que nous pouvons faire, c'est ce que nous ferons". Putain. Si tout ce que tu peux faire c'est crever de faim avec ton pote, alors tu crèves de faim avec ton pote. C'est exactement comme quand tout ce que tu peux faire c'est te faire tailler en pièces sur les remparts de Dros Delnoch. Putain. C'est DINGO. Je pense aussi au terrible calvaire de Frodo dans le Mordor et à la dernière étape sur les flancs du volcan. Il rampe. Vous vous rendez compte. Il ne tient plus debout, alors il rampe. IL RAMPE sur la pente pour se rapprocher de la route et du sommet. Il rampe, putain. (Sam, à l'inverse, est brutal avec Gollum, et c'est sa faute si Gollum est perdu pour toujours; et je trouve dommage que Tolkien ne le condamne pas.) Et Faramir!!! Alors là!!! Faramir!!! Un de mes personnages préférés!!!

6/ Faramir m'amène à une autre chose qui m'a marquée: les films de Peter Jackson sont quand même assez loin du roman, sur certains plans. Peter Jackson est scrupuleusement fidèle à certaines choses, mais il y a ajouté quelque chose de spectaculaire que Tolkien aurait sans doute renié, à commencer par les Cavaliers Noirs qui sont bien plus effrayants dans les films que dans le premier roman. Et certaines choses sont carrément contradictoires, comme le fait que Narsil ne soit reforgée que vers la fin. Sinon, je lui reproche très fort d'avoir modifié Faramir ainsi – sans compter que le détour par Osgiliath doit sacrément foutre la merde dans les calendriers méticuleux de Tolkien. 😂😂

7/ À propos de calendrier: le plus dur à comprendre et surtout à retenir, ce n'est pas qui est qui, mais quel jour on est, où en est la lune et où sont les différents reliefs les uns par rapport aux autres. 😂😂 J'ai passé mon temps à consulter la carte, car Tolkien décrit tout le temps ce que les personnages voient à l'horizon, et bien sûr les différents reliefs sont à des points cardinaux différents selon où vous vous trouvez, donc les montagnes qui étaient au sud de machin sont à l'ouest de truc, etc.

8/ ARAGORN!!!! ARAGORN!!!! ARAGORN!!!! GANDALF!!! GANDALF!!! GANDALF!!! FARAMIR!!! FARAMIR!!! FARAMIR!!! C'est tellement FFFFFFFFOUUUUUU!!! Dès qu'ils ouvrent la bouche, c'est FFFFFOUUUUUUU!!! Et je suis vraiment très amoureuse d'Imrahil, malgré son rôle infime!! Je parierais presque que Peter Jackson ne l'a pas adapté parce qu'il n'a pas trouvé un acteur à la hauteur!!! 😂😂
"Amroth for Gondor!" they cried. "Amroth to Faramir!"
AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAHHHHHHHHH!!

9/ Shelob!! N'oublions pas Shelob!! Elle est terrifiante, avec son appétit qui pourrait avaler le monde et la relation gagnant-gagnant entre elle et Sauron.
"But still, she was there, who was there before Sauron, and before the first stone of Barad-dûr; and she served none but herself, drinking the blood of Elves and Men, bloated and grown fat with endless brooding on her feasts, weaving webs of shadow; for all living things were her food, and her vomit darkness."
 
10/ Je suis partie en vacances avec la jolie édition Guild Publishing visible au début de ce billet (mais qui ne contient pas les appendices, que j'ai relus dans mon vieil exemplaire qui tombe en morceaux, visible ci-dessus), le dictionnaire du monde de Tolkien publié par la Società tolkienania italiana et la version italienne de l'Atlas de la Terre du Milieu de Karen Wynn Fonstad. Ces deux derniers bouquins sont des cadeaux de ma mère, et qu'est-ce qu'ils me sont précieux, pour m'exprimer comme certains personnages de ce roman: ils sont des preuves que j'ai aimé Tolkien quand j'étais encore jeune et pleine de rêves, ils sont des preuves que ma mère a existé et n'est pas qu'un délire de mon cerveau malade, ils sont la preuve que non seulement elle a existé mais elle a pensé à moi pour des Noël et des anniversaires, ils sont la preuve que nous avons partagé ça. Elle devait m'aimer un peu, quand même, au moins un peu; je n'étais pas strictement rien du tout. Je vendrais un rein, je donnerais tout, même Le Seigneur des Anneaux, pour la revoir. Je me contenterais d'une toute petite toute petite place...

11/ Je n'ai pleuré qu'à la fin, et à peine, mais l'émotion a été grande en le refermant. La nostalgie qui s'en dégage, le crève-cœur des séparations, la conviction que c'est là ce que l'humanité a fait de mieux, que ça rachète bien des misères et des petitesses, que c'est l'œuvre d'art ultime, qu'on est même au-delà d'Avatar (que je considère pourtant comme le film qui m'a sauvé la vie, quand je me parle à moi-même sur un ton dramatique) – et en même temps la sérénité qui se dégage de ce monde où les échelles de temps sont autres et où l'on peut espérer panser ses plaies, un jour.
"Well, here at last, dear friends, on the shores of the sea comes the end of our fellowship in Middle-earth. Go in peace! I will not say: do not weep; for not all tears are an evil."
Les larmes qu'on verse sur Le Seigneur des Anneaux ne sont indubitablement pas un mal.

12/ Dans la dernière partie des appendices, Tolkien parle de ses choix de traduction depuis la langue commune de la Terre-du-Milieu vers l'anglais, avec les difficultés et les limites de son travail. C'est tout à fait les genres de question qu'on se pose, les vrais traducteurs, et on en viendrait presque à se dire que le gars n'a pas du tout ÉCRIT Le Seigneur des Anneaux mais l'a réellement TRADUIT, et c'est DINGO, parce que cela voudrait dire... que tout était vrai. 💕💖

13/ La Communauté de l'Anneau étant sorti en 1954, Le Seigneur des Anneaux fête ses soixante-dix ans cette année. Comme Godzilla! 🥳🥳🥳

jeudi 19 septembre 2024

La Fin du monde a du retard (2014)

Chronique express!

Un asile psychiatrique, un amnésique qui veut déjouer le Grand Complot – le seul complot qui vaille la peine d'être déjoué –, une amnésique qui ne ressent plus aucune émotion après avoir provoqué la mort de tous les invités à son mariage, un commissaire de police qui n'a plus que cinq jours à tenir avant la retraite, une évasion alambiquée avec une voiture déguisée en soucoupe volante (une "soucoupe roulante", donc): voilà les ingrédients du début de ce roman de J. M. Erre, aussi loufoque que son titre peut le laisser penser. J'ai bien rigolé avec cette histoire de complotisme puissance mille, puisque le Grand Complot consiste, entre autres, à inonder le public de complots fumeux pour discréditer l'idée même de complot (😂😂). Mené tambour battant avec un humour omniprésent, un ton décalé truffé de considérations sur les ressorts d'une quête et d'un récit (du genre "ici, un silence se fit, mais pas trop longtemps pour ne pas ralentir le rythme de l'action"), des personnage sympathiques et pas mal de références pop culture, ce roman était une parfaite lecture détente! J'ai juste trouvé la fin un peu décevante (mais peut-être logique au vu de l'intrigue). Il n'est pas du tout impossible que je lise autre chose de l'auteur à l'occasion...

samedi 14 septembre 2024

La Force de l'âge (1960)

Après Mémoires d'une jeune fille rangée, j'avais très très envie de poursuivre ma lecture des mémoires de Simone de Beauvoir, et j'ai profité d'une période de vacances assez calme pour emprunter le deuxième volume, La Force de l'âge. L'édition Folio fait 786 pages avec très peu d'espaces dus aux retours à la ligne ou aux changements de paragraphe, et il faut donc prévoir du temps pour s'y attaquer.

"Vingt et un ans et l’agrégation de philosophie en 1929. La rencontre de Jean-Paul Sartre. Ce sont les années décisives pour Simone de Beauvoir. Celles ou s’accomplit sa vocation d’écrivain, si longtemps rêvée. Dix ans passés à enseigner, à écrire, à voyager sac au dos, à nouer des amitiés, à se passionner pour des idées nouvelles. La force de l’âge est pleinement atteinte quand la guerre éclate, en 1939, mettant fin brutalement à dix années de vie merveilleusement libre."
La quatrième de couverture résume parfaitement la première partie du livre. De 1929 à 1939, de Beauvoir enseigne la philosophie dans différents lycées pour jeunes filles et consacre l'intégralité de son temps libre à Jean-Paul Sartre, la lecture, l'écriture et la marche. C'est absolument enthousiasmant. J'ai eu l'impression d'une personne qui croquait la vie à pleines dents, abattait une quantité de travail phénoménale, lisait TOUT, explorait l'Europe à un rythme de marche ahurissant, sans jamais hésiter. En réalité, de Beauvoir s'est aussi posé beaucoup de questions, notamment sur la société et sur ses futurs romans, et elle en parle longuement, mais cela ne ralentit aucunement L'ÉLAN qui se dégage de son récit. Son sac et quelques affaires sur le dos, elle a parcouru la France entière, l'Italie, la Grèce, l'Espagne, l'Allemagne avec peu de sous mais une détermination à toute épreuve, généralement en compagnie de Sartre, mais parfois seule et parfois avec des amis. Même quand elle arpente Rouen, où elle a enseigné et qu'elle décrit, somme toute, comme une ville de province endormie, on a l'impression qu'elle explore un lieu extraordinaire et le voit d'un œil plus acéré que le commun des mortels.
"Un jour, au premier étage du Flore, Sartre demanda à Queneau qu’est-ce qui lui restait du surréalisme : « L’impression d’avoir eu une jeunesse », nous dit-il. Sa réponse nous frappa, et nous l’enviâmes."
C'est un peu ce que j'ai ressenti en lisant ces mémoires: l'impression que de Beauvoir a eu une jeunesse qui, chez moi, ne s'est jamais manifestée.

Le tout en refaisant le monde dans l'attente de la révolution socialiste destinée à balayer la société petite-bourgeoise. Sur ce dernier point, de Beauvoir est très transparente, car elle n'était pas 100 % à l'aise avec sa propre condition de petite-bourgeoise: issue d'une famille originellement aisée, elle a pu faire des études et avait un revenu assuré en travaillant pour l'Université, et elle était donc loin de la condition ouvrière; elle contournait la chose par une sorte de pirouette, du type "je suis dans le système mais je n'en fais pas vraiment partie", et cela a quelque chose de rassurant de voir que même un grand esprit est en fait un humain avec ses contradictions.

Ces années sont bien sûr celles de la montée du fascisme dans toute l'Europe, et tant de Beauvoir que Sartre ont fait preuve d'un bel aveuglément, croyant à chaque étape que ce n'était qu'une situation mineure destinée à se résoudre facilement: le parti nazi ne tiendra jamais, Hitler ne restera pas longtemps au pouvoir, le soulèvement de Franco contre la République espagnole sera vite réglé... Et elle en parle avec une honnêteté que je trouve admirable. Pages terribles sur la guerre d'Espagne et la destruction du Frente Popular, en partie à cause de l'inaction de la gauche française. Au contraire, pages exaltantes sur la victoire du Front Populaire français, la semaine de quarante heures, la condition ouvrière qui change pour de vrai!

Ces années-là sont aussi celles des amitiés fusionnelles et des fameux ménages à trois, que de Beauvoir peint comme un peu schyzophrènes, très franchement. En même temps, les trois quarts des personnages sont des originaux et/ou des phénomènes, alors on imagine bien que les relations amicales et amoureuses entre eux sont spéciales. Wikipédia m'informe qu'elle a depuis été accusée de fournir des jeunes femmes à Sartre, mais rien ici ne permet de le soupçonner... (Et en même temps, elle ne l'aurait pas dit si cela avait été le cas, bien sûr.) Quant à la relation avec Sartre, elle est tout à fait unique et irremplaçable, et de Beauvoir semble tout à fait sincère quand elle dit qu'elle n'a jamais été jalouse de ses autres relations car elle savait que la leur était au-dessus de tout.

Ayant pris de la mescaline, Sartre s'est cru poursuivi, durant des années, par des crustacés. C'est tout à fait dingue. De Beauvoir raconte que ça lui a bien pourri une année scolaire. Puis il s'est remis. Mais cela donne des passages très drôles.
"Nous nous arretâmes encore quelques jours à Rome. Assez brusquement, l'humeur de Sartre changea; le voyage s'achevait et il retrouvait ses soucis: la situation politique, ses rapports avec Olga. J'eus peur. Est-ce que les langoustes allaient ressusciter? [...] Alors, nous allâmes prendre une chambre, et dormir. Sartre me dit plus tard que tout au long de cette nuit une langouste l'avait suivi."
Je... Les mots me manquent. Qui l'aurait cru?

Simone Weil est aussi citée, mais de très loin, car ils ne fréquentaient pas les mêmes cercles, tous les trois. Chez Gallimard, Sartre décrit, dans une lettre que de Beauvoir reproduit, qu'il est tombé sur Jules Romains, l'auteur de la saga des Hommes de bonne volonté que j'ai entrepris de lire. Ça m'a fait plaisir de voir que ces gens-là connaissaient cet auteur tombé dans l'oubli. Dans la deuxième partie, entre en scène un jeune auteur que de Beauvoir et Sartre ont tout de suite remarqué: un certain Albert Camus. Hystérie de ma part, moi qui ai été tant marquée par La Peste.

Cette deuxième partie, justement, m'a encore plus plu que la première, car elle est le récit de la guerre. D'abord, le journal que de Beauvoir tenait à l'époque, de septembre 1939 à septembre 1940: la sidération de la déclaration de guerre, l'angoisse des débuts, les mois d'incertitude durant lesquels il ne se passait rien, puis le désastre de juin 1940, l'angoisse d'être sans nouvelles de Sartre qui avait été mobilisé, l'exode en direction d'Angers, le retour dans une Paris occupée. Puis quatre ans d'occupation, les intellectuels du café de Flore, l'écriture de son premier roman, la nourriture qui prend une place prépondérante en raison de sa rareté, les tentatives de participer à la Résistance en tant qu'intellectuels, la peur pour les amis juifs, les nouvelles affreuses concernant tel ou tel ami ou connaissance tué au combat, fusillé ou disparu dans un train en direction de l'Est. Et enfin, le retour de l'espoir, de la certitude qu'il y aura un après. Sartre et de Beauvoir n'ont pas eu la guerre la plus affreuse de tous, vu qu'ils n'ont été ni emprisonnés ni blessés ni déportés (ils ont même pu partir en vacances en vélo et passer sans trop de difficultés en zone libre!!), mais on sent toute l'angoisse de cette période d'impuissance et d'horreur pour le régime vichissois.

Non contente de saisir avec acuité le monde qui l'entoure, de manier des notions de philosophie subtiles (d'ailleurs, je n'ai pas vraiment compris ce qu'elle raconte au sujet des personnages de ses romans, mais cela est sans doute partiellement dû au fait que je n'en ai lu aucun), de s'auto-étudier avec une grande finesse, de Beauvoir est aussi capable de dire "sur ce point, j'ai changé d'avis" ou "sur ce point, je me suis trompée", ce que je trouve admirable. Le troisième tome de ses mémoires, La Force des choses, est disponible en deux tomes, pour un total de 900 pages. J'espère avoir un créneau pour le lire durant la première moitié de 2025.