samedi 22 novembre 2025

Au cœur des Méchas (2024)

Chronique express!

"Vous êtes là pour le combat, vous aussi ? Pour voir le Mécha se battre ? On peut attendre ensemble, si vous voulez. C'est votre premier ? Pas moi. Je suis comme qui dirait une habituée."
C'est sur ces mots que s'ouvre cette nouvelle de Denis Colombi. En attendant qu'un Mécha et un Titanide se tapent dessus, une femme raconte tranquillement sa vie à un inconnu dans le public. Le fait qu'elle soit "une habituée" est un léger euphémisme: elle a carrément travaillé durant des années DANS des méchas, avec toute l'équipe technique qui veille à faire tourner ces grosses machines qui défendent la Terre contre l'invasion de créatures gigantesques.

J'avais repéré ce texte chez le Chien Critique grâce à une interview de l'auteur, et c'est une franche réussite. Évidemment, le sujet des Méchas parle à l'hystérique de Pacific Rim qui sommeille en moi, mais, au-delà de ça, tout est très bien fichu: le ton oral qui est naturel mais passe bien à l'écrit, le parcours et l'évolution de la protagoniste, la manière dont on commence à comprendre que quelque chose cloche et dont la perception des Méchas évolue au sein de la société, les sujets sociaux abordés, l'aspect humain dans la machine gigantesque (le Mécha à proprement parler, mais aussi le système administratif et technique derrière), et même l'aspect "autre" des Titanides, qui sont très peu décrits mais ont néanmoins beaucoup de consistance. Un condensé de bonnes choses, en somme, vu que le texte fait à peine 74 pages en petit format! J'ai adoré et je l'ai lu d'une traite. Remercions donc Vert pour ce prêt, retenons un auteur à suivre et félicitons l'éditeur, 1115!

Allez donc voir ailleurs si ces méchas y sont!
L'avis du Chien critique
L'avis de Vert

lundi 17 novembre 2025

Feux (1936)

De Marguerite Yourcenar, j'ai lu et adoré Mémoires d'Hadrien et L'Œuvre au noir, deux romans magistraux absolument stratosphériques. Cette fois, je me suis penchée sur Feux, un court recueil de neuf textes sur des personnages antiques, entrecoupés de réflexions personnelles.

Le thème est celui de l'amour et de la souffrance qu'il engendre lorsqu'il n'est pas réciproque.

Et le titre est Feux.

Donc, oui, Marguerite Yourcenar parle ici des feux de l'amour. 🤣🤣🤣

Après cette petite blague télévisée (et dire que je crois n'avoir jamais vu le moindre épisode des Feux de l'amour 🤣🤣), passons à la liste des textes.

Phèdre ou le désespoir
Achille ou le mensonge
Patrocle ou le destin
Antigone ou le choix
Lena ou le secret
Marie-Madeleine ou le salut
Phédon ou le vertige
Clytemnestre ou le crime
Sappho ou le suicide

Je sors de cette lecture moins enthousiaste que des précédentes, et ce pour deux raisons. D'une part, je connais mal l'Antiquité classique, donc j'ai eu du mal à situer certaines histoires. Qui diable sont Lena et Phédon? Et Clytemnestre et Sappho, ça me dit quelque chose, mais quoi précisément? Même le texte sur Achille, personnage super connu, véritable star de l'Antiquité, parle d'un aspect de sa vie dont je ne savais rien. D'autre part, je n'ai pas toujours bien suivi ce que Yourcenar en disait. Ainsi, j'ai lu Phèdre deux fois et je suis bien incapable de vous dire de quoi ça parle. 

D'un autre côté, j'ai beaucoup aimé Antigone, qui résonne évidemment avec le texte d'Anouilh paru plusieurs années plus tard, Lena qui est tout simplement tragique (et ce d'une manière que je comprends très bien), et Clytemnestre, qui m'a, peut-être paradoxalement, pas mal rappelé la Phèdre de Racine. Et la plume de Yourcenar est dingue même quand je ne comprends pas trop où elle veut aller. Il y a une élégance, une force et un souffle hors de l'ordinaire dans ses écrits, et un sens de la formule assez stupéfiant. Je l'ai vraiment lu avec un grand plaisir formel.

"Créon, couché dans le lit d'Œdipe,
repose sur le dur oreiller de la Raison d'État."
💔💔💔

J'attire votre attention sur la couverture de cette édition Gallimard, dans la collection "L'Imaginaire". Il ne s'agit point de l'imaginaire tel que nous l'entendons, lecteurs et lectrices de ce blog (la SFFF, quoi), mais je trouve très sympathique que les premières lignes du texte soient mises en scène de manière à créer un objet en lien avec le texte. Ici, un petit feu.

Prochaine étape: Nouvelles orientales!

mercredi 12 novembre 2025

Noon du Soleil noir (2022)

Il y a deux-trois ans, quelques amis blogueurs ont mis sur mon radar un petit roman qui fleurait bon la fantasy classique des années trente à cinquante: Noon du Soleil noir de L. L. Kloetzer, c'est-à-dire Laurent et Laure Kloetzer. J'ai mis un peu de temps, mais j'y suis venue.

Et bon, évidemment, j'ai adoré. Je sentais bien que c'était ma came, donc je partais avec un a priori positif, et cela peut avoir joué. Mais bon, en gros, c'était effectivement TOTALEMENT ma came. Une ville genre médiévalo-renaissance, des caravanes, un médaillon ancestral lié à une divinité endormie au fin fond du désert, un guerrier expérimenté, un sorcier, youpi, youpi, youpi, YOUPI!!

On a donc affaire à deux personnages: Yors, le vieux guerrier qui gagne sa vie en jouant les gardes du corps et qui raconte l'histoire (et qui m'a beaucoup rappelé le merveilleux Capitaine Alatriste d'Arturo Perez-Reverte, qui gagne sa vie grâce à son épée et qui manque toujours d'argent), et Noon, un jeune sorcier un peu naïf qui débarque en ville. La magie n'est pas énormément présente pour l'instant, car il y a pas mal de mise en place et de découverte (normal pour un premier tome), mais elle est très sympathique, avec ce monde "du soleil noir" où Noon se transforme en oiseau. En plus, Yors raconte les choses avec pas mal d'humour, et les deux auteurs ont un vrai talent pour les dialogues entrecroisés (des gens qui parlent en même temps mais pas de la même chose), ce qui ajoute à la touche comique.

Je me suis donc éclatée, et je vais évidemment lire la suite. Seul problème: les couvertures de Nicolas Fructus sont tellement canons que je veux posséder ces livres. Ce premier tome, je l'ai emprunté en bibliothèque. Mais je veux l'acheter. Il me le faut. Il me les faut tous, impérativement. Il faut donc que je puisse investir en ce sens, et ce n'est pas une évidence au moment où j'écris ces lignes. Mais je vais y venir. Je vais y venir.

Allez donc voir ailleurs si ce Soleil noir y est!
L'avis de Lorhkan
L'avis de Vert
L'avis de Xapur

vendredi 7 novembre 2025

La gamelle d'octobre 2025

Comme d'habitude, retour sur les activités culturelles du mois, hors lecture.

Sur petit écran

Les Sept Samouraïs de Akira Kurosawa (1954)

Dernière étape dans mon parcours "arts martiaux" de l'été, ce grand classique du cinéma japonais, que j'ai regardé parce que je ne sais plus quel bouquin sur les arts martiaux en vantait les combats au sabre, a inévitablement vieilli. Les personnages des paysans sont insupportables et le traitement de la femme est affreux. Cependant, l'ensemble passe plutôt bien. Les sept samouraïs sont hyper charismatiques et classes. L'un d'eux est même assez rigolo et original. En outre, ces personnages racontent, en filigrane, une histoire assez tragique sur leur destin de guerriers. J'y ai vu pas mal de parallèles avec Légende de Gemmell, et je comprends très bien que le film ait été adapté en western: l'histoire s'y prête à merveille. En outre, il y a un propos sur la condition des paysans pauvres (je me suis sentie super mal de me gaver de Dragibus pendant la scène des grains de riz 😭😭😭), et un vrai talent pour mettre en scène l'action sur deux plans (avant-plan, arrière-plan) dans une même scène. J'ai tardé autant que je le pouvais à le regarder, car il dure 3 h 18 et que j'ai un mal fou à regarder des films chez moi, et j'ai fini par le regarder l'avant-veille du jour où je devais le rendre à la médiathèque; mais il mérite le détour.
Les Sept Samouraïs est sorti en 1954, soit la même année que Godzilla; quelle grande année pour la société de production, la Tōhō, et pour le cinéma japonais en général!

Leila et ses frères de Saeed Roustaee (2022)

Recommandé par Tigger Lilly sous mon billet sur Iran Awakening de Shirin Ebadi, ce film iranien met en scène une famille en galère: quatre frères qui n'ont pas un rond, une sœur qui se démène, un père qui ne pense qu'à obtenir le respect de son cousin, une mère qui geint tout le temps. À l'occasion d'un projet d'achat pour monter un commerce où travailleraient les quatre frères, la situation va progressivement imploser. C'était super, très humain, avec des personnages pleins de failles, et une vision poignante de la pauvreté. Merci pour la découverte! Par contre, je n'ai pas bien compris la fin. Lol.
L'avis de Tigger Lilly.

Sur grand écran

Avatar 2: La Voie de l'Eau de James Cameron (2022)

 🕷️🥹💕

Ma liste de critiques à l'encontre de ce film est longue comme le bras. Et pourtant... J'ADORE AVATAR 2. Je l'adore autant que le premier, de manière intégrale et inconditionnelle, défauts compris. Je le VIS de la première à la dernière image et je me reprends à chaque fois un choc esthétique d'ampleur. Avatar, c'est le dernier choc esthétique majeur de ma vie, le seul film qui a tout bouleversé alors que j'étais déjà une adulte, et le 2 a réussi à encore plus tout bouleverser. 
Je l'ai vu deux fois, à six jours d'intervalle, étant donné qu'il n'était diffusé qu'une semaine, et je ne me suis pas ennuyée une seconde la deuxième fois. Au contraire, je l'ai encore plus aimé. J'adore tous ces personnages que je me réjouis de retrouver et de voir grandir; je trouve plusieurs scènes extrêmement puissantes; j'ai pleuré d'émotion devant la beauté pure du récif; Payakan est le meilleur ami que je me sois fait au cinéma depuis qui sait quand; Spider est plus que jamais mon personnage préféré; je me réjouis de voir toutes ces pistes suivre leur cours dans le 3 qui arrive bientôt. Et à en croire le bref extrait diffusé à la fin du 2, le 3 va encore nous en mettre plein la vue. J'ai déjà une liste de critiques envers cet extrait à lui tout seul, mais je sens que je vais adorer de manière intégrale et inconditionnelle. 🥹🥹

Et le reste

Suite à l'achat d'un parfum, j'ai reçu le numéro automne-hiver de la revue du parfumeur Fragonard, que j'ai lu avec grand plaisir. Bien que le style vestimentaire et l'esthétique de Fragonard ne soient pas les miens, je trouve leur univers très élégant et alléchant, et la revue est exactement comme je les aime, sobre et qualiteuse à la fois. J'adorerais avoir l'opportunité de travailler sur ce genre de support dont on peut être fier. Dans la foulée, j'ai commencé à écouter leur podcast, À fleur de nez. Une merveille, là aussi.

J'ai également lu le hors-série de Mad Movies sur les adaptations télé et ciné de Lovecraft. Passionnant, comme toujours. J'aimerais tellement avoir le temps, l'énergie et l'organisation de regarder tout ce que ces journalistes regardent. Même si, bon, tout n'est visiblement pas quali dans les lovecrafteries, lol. (Ça vous étonne? 🤣) Et j'aimerais, bien sûr, avoir le temps, l'énergie et l'organisation de replonger dans Lovecraft.

En fin de mois, j'ai lu mon Cheval Magazine habituel (au sommaire de ce numéro: beaucoup de shopping pour préparer Equita Lyon, du tourisme dans le Dauphiné, les directionnels en cross, et des interviews), puis j'ai filé, justement, à Equita Lyon, le rendez-vous annuel qui donne quand même très envie de flinguer son épargne pour profiter de la vie en montant beaucoup durant deux ou trois ans, quitte à mettre fin à son existence de souffrance après, parce qu'on n'aura plus un rond pour affronter l'avenir. ❤️❤️

dimanche 2 novembre 2025

L'Inversion de Polyphème (1997)

Chronique express!

Un livre qui évoque la banlieue parisienne, c'est quand même rare, et c'est pour cela que j'ai emprunté L'Inversion de Polyphème de Serge Lehman à Vert! Bon, l'histoire se passe pendant les années soixante-dix, donc vingt ans avant mon propre vécu de la banlieue, et ne tourne pas du tout autour du fait qu'on est en banlieue, donc ne faites pas comme moi si vous êtes affamé de lectures banlieusardes. 🤣🤣 Néanmoins, je me suis bizarrement retrouvée dedans, car c'est l'histoire de quatre ados d'avant l'ordinateur, qui lisent des livres papier et qui se déplacent à pied et en vélo. Moi, je ne suis pas une vraie ado d'avant l'ordinateur, car tous mes amis en avaient un; mais comme mes parent n'en voulaient pas, j'ai vécu sans jusqu'à relativement tard par rapport à mon milieu social, et j'ai un peu fait les mêmes choses qu'eux.

Concrètement, on a donc quatre ados qui, un été, sont confrontés à un phénomène étrange. L'atmosphère est bien croquée et les personnages sont bien caractérisés, et j'ai donc apprécié; mais je dois dire que la partie science-fictive ne m'a pas beaucoup intéressée et que je n'ai même pas vraiment compris de quoi il en retournait. J'ai beaucoup de mal à piger les descriptions de trucs très différents de notre réalité, et c'est tout à fait ça ici. Heureusement, toutefois, que [divulgâcheur] j'ai lu Flatland de Edwin A. Abbott, ça m'a bien aidée à comprendre pourquoi je ne comprenais pas! 🤩 [fin du divulgâcheur] Donc voilà, une lecture sympathique, mais pas très marquante en fin de compte.

Comme toujours, la couverture de cet ouvrage de la collection Une Heure-lumière du Bélial est à créditer au talentueux Aurélien Police.

Allez donc voir ailleurs si ce Polyphème est inversé!
L'avis de Vert

mardi 28 octobre 2025

Tech Noir. The Art of James Cameron (2021)

L'an dernier, la Cinémathèque a organisé une exposition sur l'art de James Cameron. Pas juste son travail de réalisateur, mais tout ce qu'il a créé en dehors du cinéma et en soutien du cinéma: dessins, peintures, affiches, bandes dessinées, storyboards. J'en suis sortie enchantée, émerveillée, émue et hystérique, et j'ai demandé le livre qui l'accompagne en cadeau de Noël.

Sans surprise, j'ai lu le livre en étant enchantée, émerveillée, émue et hystérique. 😊

Début octobre, Avatar 2 est ressorti au cinéma durant une semaine, je suis allée le voir deux fois et j'ai commencé cette lecture dans la foulée, donc j'ai pensé James Cameron à peu près vingt heures sur vingt-quatre tout le mois d'octobre. Ce gars est tout simplement hallucinant. Même si on lui attribue un "talent" naturel pour le dessin, le fait qu'il ait réussi à se consacrer à son art et à maîtriser plusieurs techniques (stylo, crayon, peinture), puis à en faire son métier en dessinant des affiches pour le cinéma, puis à le mettre au service de sa carrière de réa, est juste dingo. Et rien ne prouve qu'il ait plus de "talent" qu'un autre, en plus; peut-être que beaucoup d'enfants intéressés par le dessin peuvent atteindre la même maîtrise s'ils y consacrent le temps nécessaire. Le débat entre inné et acquis me semble insoluble. Dans le cas présent, je pense qu'il y a des deux: le gars est hors de l'ordinaire ET il a fourni les efforts nécessaires.

Par ailleurs, j'aime tout ce que Cameron dit de l'humanité et tout ce qu'il rêve dans d'autres mondes, même la manière amusée dont il commente les dessins de filles sexys de son adolescence (quand il avait des "niveaux toxiques de testostérone"). Chaque image reproduite est accompagnée d'un commentaire de sa part, dans lequel il remet en contexte ce qu'il faisait à l'époque et ce qu'il a fait avec cette image en particulier, ce qui est, évidemment, super intéressant.

Franchement, le seul défaut que je pourrais trouver à cet ouvrage, qui est, par-dessus le marché, hyper agréable dans sa réalisation (papier, qualité des images), c'est la propension de Cameron à affirmer qu'il a envoyé balader telle ou telle personne qui remettait en question ses choix artistiques, et ce dès les cours de dessin de sa jeunesse. Je me demande si c'est vraiment 100% vrai ou s'il idéalise un peu pour se donner le rôle du gars intègre. Et si c'est vrai, ça lui donne quand même un assez gros égo, ce que je ne trouve pas fantastique, en soi. D'un autre côté, le gars est un putain de génie; s'il a un gros égo, c'est au moins un égo qui repose sur quelque chose. 😂😂

jeudi 23 octobre 2025

La Maison Tellier (1881)

Lorsque j'ai lu Toine et La Petite Roque, plus tôt cette année, je me suis penchée sur la bibliographie de Guy de Maupassant pour faire le point sur ce que j'avais déjà et ce qui me manquait, et je me suis rendu compte que je ne possédais pas le recueil La Maison Tellier. Ou, pour être exacte: j'avais un recueil de ce nom, mais il ne contenait pas l'intégralité des textes du recueil d'origine, tandis qu'il contenait d'autres textes qui n'en faisaient pas partie. 😱😱 J'ai fait une attaque. Puis, j'ai fait du tri, j'ai évacué deux ou trois recueils montés par des éditeurs modernes et j'ai racheté une édition correspondant à La Maison Tellier d'origine.

Et donc voilà, c'est parti pour quelques dizaines de pages en compagnie du grand Guy! La majorité des nouvelles avaient été publiées dans la presse avant la parution en recueil, tandis que trois étaient inédites.

La Maison Tellier (inédit)
Ce texte, qui donne son nom au recueil, est assez plaisant et rigolo. On est en Normandie, dans une petite ville, et la Maison Tellier, qui est une maison close, est fréquentée par des hommes très bien. Mais un soir, gros désarroi: la Maison Tellier est fermée "pour cause de première communion". Derrière le ton léger, Maupassant parle en fait de tas de choses malheureuses: l'exploitation des femmes, l'hypocrisie sociale, les destins brisés. Il y a une scène super triste dans l'église. Je l'avais forcément déjà lu, mais je n'en gardais aucun souvenir.

Sur l'eau (1876)
Grand classique de Maupassant, ce texte fait partie de ceux que j'ai lus en quatrième et qui ont marqué mon parcours de lectrice. J'y ai redécouvert, et conscientisé, le mot "épouvante". Il est magnifique et hyper efficace.

Histoire d'une fille de ferme (1881)
Une histoire désespérante sur la condition féminine. Vraiment, je pense que Maupassant, en parallèle d'une misogynie crasse, avait bien cerné combien les femmes partaient perdantes dans son monde.

En famille (1881)
Alors, ça, il fallait vraiment être Maupassant pour l'imaginer et surtout pour intituler l'histoire ainsi. 😂😂 Le début est pas mal désespérant à cause du parcours de raté du personnage principal (voir l'extrait ci-dessous), mais ensuite, quand on comprend (et on comprend bien avant lui 👀), ça devient assez drôle.

"C’étaient de grosses dames aux toilettes farces, de ces bourgeoises de banlieue qui remplacent la distinction dont elles manquent par une dignité intempestive ; des messieurs las du bureau, la figure jaunie, la taille tournée, une épaule un peu remontée par les longs travaux courbés sur les tables. Leurs faces inquiètes et tristes disaient encore les soucis domestiques, les incessants besoins d’argent, les anciennes espérances définitivement déçues ; car tous appartenaient à cette armée de pauvres diables râpés qui végètent économiquement dans une chétive maison de plâtre, avec une plate-bande pour jardin, au milieu de cette campagne à dépotoirs qui borde Paris."
Le Papa de Simon (1879)
Un autre texte que j'ai lu en quatrième et qui m'a marquée, quoique de manière très différente. Un bonbon de réconfort dans un monde de brutes. ❤️❤️❤️❤️

Une partie de campagne (1881)
Un autre grand classique de Maupassant, que je n'ai pas lu en quatrième pour le coup, mais que j'ai dû lire dans trois recueils différents au gré de mes trouvailles en bouquinerie. Je redoutais de le relire car je l'avais associé au viol, mais, en fait, ce n'est pas ça. C'est même triste, dans le genre "rencontres avortées". Comme souvent, Maupassant se moque des petits bourgeois de Paris...

Au printemps (inédit)
Un texte incisif et cruel, et surtout bien misogyne! Mais ça se lit avec plaisir.

La Femme de Paul (inédit)
Je crois que c'est la première fois que je rencontre des lesbiennes chez Maupassant. Je n'ai pas de certitude totale, mais le ton m'a semblé plutôt positif envers ces femmes. Le personnage principal, Paul, déteste l'homosexualité et il le dit, mais il m'a semblé que la voix narratrice s'incarnait plutôt dans les propos de sa femme, qui est plus large d'esprit. Bien sûr, tout cela finit remarquablement mal. C'est sympa, les guinguettes en bord de Seine, mais il peut s'y passer bien des drames. 👀

Et voilà, du Maupassant très constant dans sa qualité, comme d'habitude!

samedi 18 octobre 2025

Recours à l'abîme (1936)

Et voilà aujourd'hui le onzième tome de la saga des hommes de bonne volonté de Jules Romains!!

Mon enthousiasme est inchangé. Cette entreprise romanesque est ahurissante et je me régale. Si vous avez déjà lu certains de mes billets précédents, vous savez. Mais ce onzième tome m'a aussi mise très mal à l'aise. Je vous explique pourquoi avec de nombreux divulgâcheurs et ça parle de viol, donc ne lisez pas ce billet si vous comptez vous embarquer dans ce voyage au long cours ou si le sujet vous met mal à l'aise!

Le roman parle beaucoup de George Allory, un écrivain qui essaye d'entrer à l'Académie française. Dans un des tomes précédents, on avait déjà assisté, de loin, à sa première tentative. Ici, on suit, mais de bien plus près, sa deuxième tentative. Sauf que celle-ci se solde par un nouvel échec, et qu'Allory tombe dans une dépression assez sévère, dont il sort grâce à un autre personnage, qui le met en contact avec une sorte de proxénète, Madame Raymond(e). (Je précise que le "e" final du nom de famille de cette femme est entre parenthèses délibérément: certains l'appellent Madame Raymond, d'autres Madame Raymonde, et Allory pense son nom avec des parenthèses autour du "e". 🤣)

Madame Raymond(e) propose à Allory d'assouvir n'importe laquelle de ses envies. Et pas de bol pour nous, l'envie d'Allory est en fait un viol. Alors, Madame Raymond(e) organise une rencontre avec une jeune fille d'assez bonne famille, qui cherche une sorte de protecteur plus riche qu'elle, mais qui ne se doute quand même pas qu'on la livre en pâture à un inconnu. Le viol n'aboutit pas totalement, mais les chapitres durant lesquels Allory déroule son fantasme dans ses notes, puis durant lesquels la rencontre est organisée et a lieu, ont été très lourds pour moi, et j'ai refermé le roman avec un certain dégoût.

En outre, lorsqu'il prend des notes sur son fantasme, Allory écrit dans un cahier qu'il intitule plus ou moins "Notes pour un prochain roman", de manière que sa femme, si elle devait fouiller dans ses affaires, ne se doute pas qu'il s'agit de ses pensées à lui. En d'autres termes, on a un écrivain qui utilise un personnage virtuel comme subterfuge pour assouvir ses envies. De là à se demander si c'est ce qu'est en train de faire Jules Romains... 😱😱😱

Alors, attention, je ne dis pas que le roman est illisible ou à jeter à cause de cet élément.

D'une part, le ton ne cautionne absolument pas le projet d'Allory. Il ne le condamne pas non plus, me direz-vous. Mais ce n'est pas étonnant: la voix narratrice est toujours très proche des pensées des personnages, ce qui est d'ailleurs une des grandes réussites de l'auteur. Il y a déjà eu quelques horreurs dans les tomes précédents, notamment un meurtre, et jamais, me semble-t-il, la voix narratrice n'est venue critiquer, commenter ou valider un comportement; elle "rapportait" ce que pensait et éprouvait le personnage.

D'autre part, Allory, s'il ne se "rattrape" absolument pas, fait tout de même preuve d'une certaine transparence envers sa victime, Michèle, ce qui redonne à celle-ci une certaine... liberté? agentivité? Bon, ça ne dure pas longtemps, et il la prend bien au piège à la fin, mais c'est là. Il aurait pu garder une certaine information primordiale pour lui.

Enfin, le titre du roman, Recours à l'abîme, s'explique probablement par cette chute dans une sexualité crade et interdite, mais aussi par le dernier paragraphe, où Michèle, à son tour, se penche sur un abîme et plonge dedans. Là aussi, sans aucun commentaire extérieur de la voix narratrice. C'est un constat: elle dit "oui". Ce qui irait plutôt dans le sens de "des fois, les gens plongent dans les ténèbres".

Tout ça pour dire que, malgré mon gros malaise et le parallèle envisageable entre l'écrivain Jules Romains et le personnage-écrivain George Allory, je ne suis pas du tout convaincue que Jules Romains ait écrit ces scènes en mode "regardez comme c'est cool de toucher les seins d'une fille qui ne se doute de rien". On pourrait même y voir une critique d'un système qui fait qu'une fille sans ressources financières en est réduite par sa propre mère à trouver un homme plus riche qu'elle à qui vendre ses faveurs...

D'ailleurs, le chapitre intitulé "Quatre femmes" irait plutôt en ce sens: en donnant la parole à Mathilde, qui se rend, elle, à un rendez-vous avec son nouvel amant en sachant ce qu'elle fait, on pourrait presque prendre Jules Romains pour un féministe de notre temps. Elle y va volontairement... Mais en fait pas trop, c'est surtout qu'elle se sent coincée, elle est mal à l'aise avec son corps, elle pense à ses poils qu'elle va devoir épiler plus régulièrement, et à ses habits qui devront toujours être impeccables même là où le tissu est caché, bref elle a une charge mentale affreuse au sujet de son apparence à cause du rapport sexuel à venir! C'est le genre de commentaire qu'on "libère" de nos jours, ça. Sauf que le bouquin a quatre-vingt-dix ans.

Mais bon, tout de même, gros malaise!!!

Pour le reste, on retrouve dans ce tome des personnages et des thèmes récurrents: mes Jallez et Jerphanion adorés, mais peu présents; Margaret-Desideria, qui repart chez elle dans les Balkans et qui, à mon humble avis, aura un rapport avec un célèbre attentat qui aura lieu en 1914; la menace incessante de la guerre, le travail de fond de certains pour l'éviter et les manigances de certains salauds pour qu'elle ait bien lieu; et des tas de personnages qu'on retrouve pour seulement un chapitre, voire seulement quelques lignes, dans un extrait d'une lettre... Tout ceci reste absolument renversant de compléxité!!

Au hasard de mes pérégrinations sur Internet, j'ai découvert que cette édition Bouquins contient un récapitulatif des personnages. Le truc est totalement hallucinant. Il y a d'abord 75 pages de "Fichier des personnages", avec le récap de ce qui arrive à chacun. Puis presque 70 pages d'index listant les chapitres dans lesquels ils apparaissent. Le travail monstre que ça représente!!!! C'est complètement dingo!!!! Je vous mets une photo du début des deux documents, où vous aurez justement quelques infos sur Allory et sur l'Académie française, vu que ça commence par un A. 👀