mardi 25 janvier 2022

La Débâcle (1892)

Après quatre ans de lectures enthousiastes, ma relecture des Rougon-Macquart en compagnie de Tigger Lilly approche de sa fin. La Débâcle, paru en 1892, est en effet le dix-neuvième et avant-dernier tome de la saga. Il ne nous reste maintenant qu'à relire le Docteur Pascal et la grande épopée sera terminée...

Pour cette étape militaire, nous étions de nouveau accompagnées de notre Baroona (inter)national.

L'intrigue
En août 1870, Jean Macquart, que nous avons connu dans la Terre, a repris du service et est caporal dans le 106e régiment de ligne de l'armée française. Son escouade réunit cinq ou six membres, dont Maurice Levasseur. Au début, les relations entre les deux hommes sont tendues: le deuxième, plus instruit, méprise fortement le premier, qu'il considère comme un rustre. Au fur et à mesure que les marches insensées de l'armée française se succèdent, toutefois, une amitié solide va se forger entre eux et les aider à surmonter les difficultés grandissantes, jusqu'à l'affrontement terrible contre les Prussiens à Sedan.

Un roman militaire
La Débâcle est le roman de guerre de Zola. Commençant en août 1870, il tourne essentiellement autour des journées précédant la bataille de Sedan, puis autour de cette bataille en particulier. Tout est raconté avec beaucoup de minutie: organisation de l'armée française, quotidien des soldats, mouvements de troupes, ordres des généraux ou de Paris, positions des Français et des Prussiens... Zola a bien fait ses devoirs, comme d'habitude. Pour ma part, j'ai vite décidé qu'il était inutile que j'essaye de comprendre avec précision qui était où (et encore, mon édition du Livre de Poche comprend deux cartes de Sedan et des environs!) et j'ai simplement suivi les aventures de nos personnages, dont ressortent deux éléments majeurs: la désorganisation de l'armée française et la supériorité technique, organisationnelle et stratégique de l'armée prussienne.

Des va-et-vient insensés
En juillet 1870, la France déclare la guerre à la Prusse (je vous invite à lire la page Wikipédia sur le pourquoi du comment: ça me semble particulièrement insensé) et nos personnages zoliens partent à la guerre avec le sourire, convaincus qu'ils vont botter le cul des Prussiens rapidement et proprement. Hélas pour eux, les défaites se succèdent et Jean et Maurice sont pris dans des mouvements de troupes insensés: pendant plusieurs chapitres successifs, ils avancent puis reculent, puis changent de direction, puis font du surplace, au gré des ordres contradictoires venus d'en haut. Un temps, l'armée semble se replier sur Paris pour la défendre, puis il faut aller à la rencontre de l'ennemi, puis on ne sait plus, puis on réavance, puis on ne sait plus, etc. On partage totalement le désarroi des soldats, qui sentent bien que l'armée manque d'un commandement net. Bien sûr, ces mouvements de troupes chaotiques entraînent d'énormes problèmes logistiques, les convois de nourriture se retrouvant au mauvais endroit. Et comme disait Napoléon (le premier!), "une armée marche à son estomac"...

Un Empereur perdu
Après jenesaisplusquelle défaite, Napoléon III a perdu le commandement direct de l'armée, qui a été confié en partie à l'Impératrice régente et en partie à jenesaisplus quel général. Là aussi, désaccords sur la stratégie à suivre, ordres insensés, tout ça. Ce qui est intéressant, c'est que Napoléon III, présent aux côtés de ses troupes dans l'Est de la France, fait furieusement pitié. Dans les romans précédents, c'était une figure floue, toute-puissante et assise sur un tas d'or aux Tuileries dans la Curée ou un chef de gouvernement planant un peu dans Son Excellence Eugène Rougon, avec, dans tous les cas, un contrôle rigoureux de l'opposition. Donc, bon, pas le genre de dirigeant pour qui vous avez envie de verser une larme. Là, le pauvre homme est au bout de sa vie. Il sait qu'il ne sert à rien, vu qu'il a perdu tout pouvoir exécutif, et il sait même que la défaite face aux Prussiens est inévitable. Il traîne sa carcasse d'homme malade de maison en maison et ne peut rien faire, jusqu'au moment où, dans un sursaut, il décide de hisser le drapeau blanc sur Sedan, mettant ainsi fin au massacre. Et encore, même là, il est obligé d'attendre la signature d'un général! 

Ah ! ce misérable empereur, à cette heure sans trône et sans commandement, pareil à un enfant perdu dans son empire, qu’on emportait comme un inutile paquet, parmi les bagages des troupes, condamné à traîner avec lui l’ironie de sa maison de gala, ses cent-gardes, ses voitures, ses chevaux, ses cuisiniers, ses fourgons, toute la pompe de son manteau de cour, semé d’abeilles, balayant le sang et la boue des grandes routes de la défaite !

La débâcle du Second Empire
Comme son nom l'indique, la Débâcle parle de la grande défaitede l'armée française à Sedan – éreintée par des jours de marche et plusieurs défaites, elle met le cap sur Sedan et les Prussiens parviennent à encercler la ville –, mais aussi de la chute du Second Empire au sens large. La saga des Rougon-Macquart est étroitement liée au Second Empire et  se termine avec lui. Le Docteur Pascal, dans mon souvenir, fait plus office d'épilogue et de bilan. Zola voit dans cette défaite militaire la chute d'un monde pourri de l'intérieur par l'excès d'argent, entre autres, et considère la guerre comme un gros coup de balai qui remet les compteurs à zéro; la chose est exprimée par Maurice à la fin du roman et est confirmée par un article publié par Zola dans le Figaro à propos de Sedan, repris dans mon édition du Livre de Poche. La guerre comme mal nécessaire et cyclique permettant aux sociétés d'avancer, ce n'est pas du tout mon point de vue sur la question, mais ça a quelque chose de dantesque sous la plume de Zola...

Des personnages humains
En parallèle des faits militaires et du contexte politique, Zola met en scène de nombreux personnages, et la Débâcle est avant tout leur roman. Jean et Maurice, en leur qualité de soldats, portent la plupart des chapitres et permettent au lecteur de voir la guerre de l'intérieur. Mais on s'attache aussi à d'autres soldats, comme Honoré, qui porte la cicatrice d'un amour déçu, Prosper, qui prend grand soin de son cheval Zéphyr, ou Bouroche, le médecin qui soigne et ampute dans Sedan assiégé. Et on rencontre plusieurs civils: Henriette, la sœur de Maurice, Weiss, son époux qui fera une fin épique face aux Prussiens (à croire que le personnage a en fait été écrit par David Gemmel, grand spécialiste des combats désespérés!), les Delaherche qui mettent une touche de normalité bourgeoise et de vaudeville dans tout ça... De "petites gens" qui permettent de voir la guerre d'un autre point de vue et d'en mesurer toute la portée, au-delà des champs de bataille et des morts.

La guerre et ses conséquences
Le roman ne s'arrête pas avec la défaite de Sedan, puisque toute la troisième partie raconte l'après-Sedan: traitement inhumain des prisonniers français, occupation allemande, organisation des civils pour reprendre leur vie comme faire se peut, poursuite du combat ailleurs en France... Le constat, pour moi, est complètement déprimant: la violence appelle la violence et la guerre appelle la guerre, dans une succession insensée où les responsables politiques ne répondent pas réellement de leurs actes puisqu'ils ne sont pas sur le terrain en train de mourir. C'est d'autant plus consternant dans le cas des conflits franco-allemands, car, contrairement à Zola, le lecteur du XXIe siècle connaît les évènements de 1914 et 1940. Quant aux deux derniers chapitres, ils [divulgâcheur] tracent un portrait désolant de la Commune, comme une parenthèse insensée et sanglante, qui m'a confortée dans mon rejet des révolutions. Mais Paris qui brûle, holàlà, c'est un des panoramas les plus incroyables que Zola ait jamais peints! [fin du divulgâcheur]

Bref, un roman dur et cruel, plein de sang et de clairons, mais aussi de sentiments forts entre humains noyés dans la guerre. Et comme d'habitude, ça se lit tout seul parce que Zola écrivait comme un dieu. Un indispensable de plus!

Allez donc voir ailleurs si cette débâcle y est!
L'avis de Baroona
L'avis de Tigger Lilly

8 commentaires:

  1. Soldat Baroona au rapport !
    Comment ça tu n'as pas déplacé tes petits soldats de plomb sur ta carte IGN au fil des pérégrinations de l'armée ? Moi qui croyais que tu lisais Zola scrupuleusement...
    "La guerre comme mal nécessaire et cyclique permettant aux sociétés d'avancer" : "Some men just want to watch the world burn"
    Je suis plus partagé sur la vision de Zola sur la Commune, mais cette fin ! Ce fut une 'belle' lecture, pour une belle chronique, merci pour le voyage partagé. ^^

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    1. @Baroona: J'avoue. Je ne suis pas une vraie de vraie!
      Merci à toi pour les résumés 😊😊

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  2. "grande épopée sera terminée..." -> c'est triiiste :'(
    Formidable citation XD

    Je n'ai pas fait super attention au discours politique derrière le bouquin j'avoue, j'aurais dû connaître les positionnements de Zola avant de commencer.

    Il dit ça de toute les guerres ou alors juste de celle-là ? Parce que celle-là c'est quand même facile de la voir comme une remise à zéro puisqu'elle a mis fin au Second Empire, que Zola détestait (à raison). C'est un peu plus compliqué pour certaines autres 🤭

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    1. @Tigger Lilly: " c'est triiiste": Ouais 😭 Heureusement qu'il nous reste au moins autant de pages à lire, entre les romans écrits après et les écrits de jeunesse 😜😜😜
      Il me semble que c'était assez général (et là j'ai la fleimme de me lever pour prendre le bouquin et relire l'article, honte sur moi!), mais comme tu dis c'est vrai que ça passe très bien pour cette guerre-là, avec son changement de régime total. Je me demande ce qu'il penserait des guerres du XXIe siècle.

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  3. Ca va faire bizarre de ne plus avoir vos chroniques de Zola à lire ! En tout cas, merci pour la découverte, pour le coup j'ai envie de découvrir ce roman.

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  4. Avant-dernier, déjà ? 😱
    Ça va me manquer vos aventures zoliennes quand ce sera terminé. Et c'est toujours aussi intéressant à lire.

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    1. @Vert: Oui, déjà!! Heureusement, Zola n'a pas écrit que les Rougon-Macquart. Rassure-toi donc: tu n'as probablement pas fini d'entendre parler de lui.

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