mardi 30 avril 2019

Nana (1880)

Ma redécouverte des Rougon-Macquart, la grande saga d'Émile Zola, continue en compagnie de Tigger Lilly. Après une parenthèse de calme relatif avec Une page d'amour, retour dans la crasse avec Nana, roman qui met en scène la protagoniste du même nom, la fille de Gervaise, dont je vous ai déjà touché deux mots dans mon billet sur L'Assommoir.


L'intrigue
Le triomphe de Nana au théâtre dans le rôle de Vénus lui ouvre toutes les portes. Son sex appeal est tel que les hommes sont à ses pieds: acteurs, banquiers, nobles, tout le monde est prêt à payer, et généreusement, pour profiter de ses charmes. Elle attire notamment dans ses filets le comte Muffat, un noble très respectueux de la religion et très peu actif sexuellement jusque-là.

Les dessous du théâtre.. euh pardon, du bordel!
Le roman plonge dans les coulisses du théâtre où officie Nana. Bien sûr, Zola décrit avec soin les locaux et les machines, mais c'est surtout le trafic sexuel qui l'intéresse. Ici, actrice est synonyme de prostituée. Le directeur le dit lui-même: quand on lui dit "Votre théâtre", il répond "Dites mon bordel!" Les hommes viennent attendre les actrices avec lesquelles ils ont rendez-vous, la concierge fait passer des billets et l'entremetteuse vient arranger des rendez-vous avec des messieurs à l'extérieur. Nana chante faux, mais qu'importe! Elle pose presque nue sur scène et cela suffit.

Les dessous de la bonne société
En complément du monde du théâtre, Zola nous invite dans un salon de la bonne société, mais ce n'est que pour mieux revenir à la prostitution: même dans un salon très comme il faut, les hommes ne parlent que de sexe et ont tous rendez-vous chez Nana! Quant au fait de tromper sa femme, c'est plus que monnaie courante, c'est tout à fait normal.

La prostitution de haut vol
Après le théâtre, Nana fait un détour par la campagne, puis s'installe dans un luxueux hôtel situé près du parc Monceau: elle n'a plus besoin de jouer sur scène mais est devenue une femme entretenue grâce au comte Muffat, qui est prêt à la recouvrir d'or pourvu de coucher avec elle. Zola fait de Nana le vice qui symbolise et ruine le Second Empire, le délire des sens et le gaspillage ultime, des millions dépensés en pierreries et en robes par une société complètement pourrie (vérolée, même). (Je songe à l'Occident qui dépense des millions en iPhones et en voitures sans se soucier du lendemain...)

Entre hommes et femmes, on ne sait qui domine
Les relations hommes-femmes tournent essentiellement autour du sexe. (À ce stade, vous avez dû comprendre que ce roman ne parle que de sexe.) Cela donne lieu à un rapport de force complexe: l'homme domine par son argent, certes, mais la femme domine par le désir qu'elle inspire. Avec le comte Muffat, Nana est présentée comme toute-puissante; elle en fait ce qu'elle veut et va jusqu'à lui dicter ses relations avec sa femme et le mariage de sa fille, puis à lui imposer des jeux dégradants. Muffat est littéralement sa chose. Zola nous dit aussi qu'elle "croque" les hommes et qu'elle les dépouille de leur argent d'un coup de mâchoires. Elle sème la dévastation sur son passage. Mais Nana est aussi la victime de Fontan, un acteur avec lequel elle vit quelque temps malgré les violences et les problèmes d'argent.
En fait, Zola semble croire que les relations amoureuses et sexuelles passent forcément par la domination, il n'y a aucun couple "normal" dans ce roman, forcément une relation de force dans laquelle l'un des deux domine l'autre. La relation la plus "équilibrée" psychiquement semble encore celle des Mignon, le mari vendant tranquillement les charmes de sa femme au plus offrant... Mais sans qu'ils ne se déchirent l'un l'autre!
L'homosexualité ne change rien à l'affaire; après un début de relation plutôt sain, Nana plie sous le joug de son amie et maîtresse Satin, exactement comme les hommes plient sous le sien.

Sexe tarifé, sexe-corvée et homosexualité
Zola parle de la prostitution sans aucun filtre. Dans le deuxième chapitre, qui se passe chez Nana, on voit celle-ci rouspéter parce qu'elle doit sortir de chez elle pour rejoindre un homme. Elle dit que "c'est barbant". Quand elle couche avec Muffat, Zola dit clairement que c'est "sans plaisir". À d'autres moments, par contre, Nana couche gratuitement, par exemple avec Georges, qu'elle trouve tellement mignon, ou par habitude, sur un coup de tête, comme quand elle ramène des inconnus dans son luxueux hôtel particulier. Elle a aussi une relation homosexuelle avec une autre prostituée, Satin, qui sera peut-être la personne la moins vache parmi ses nombreuses aventures.

Une Nana détraquée
Les Rougon-Macquart ne seraient pas les Rougon-Macquart sans une bonne dose de folie, la "fêlure" héréditaire. Nana est assez détraquée et volage dans ses amours mais aussi et surtout dans son caractère: elle passe du rire aux larmes sans explications, se passionne soudain pour quelque chose avant de le délaisser, est tyrannique et imprévisible. Lors de sa relation catastrophique avec Fontan, elle rappelle sa mère Gervaise, expoitée et détruite par son amant Lantier dans L'Assommoir, mais elle est surtout le reflet de Renée dans La Curée, en passant du côté de la "mauvaise vie" plutôt que de la bonne société: comme Renée, Nana s'ennuie à mourir, couche pour s'occuper, est trimballée par les autres, ne prend pas de décisions sur certains points et flambe l'argent sans s'en rendre compte...

Pas étonnant que Nana ait tant choqué à l'époque, hein? Pourtant, L'Assommoir me semble bien plus puissant que Nana, dans le sens qu'il va plus loin dans la noirceur de l'esprit humain. Nana montre la pourriture de la bonne société et ne met en scène que des personnages négatifs, mais il m'a moins révoltée que l'histoire de la pauvre Gervaise...

Allez donc voir ailleurs si cette Nana y est!
L'avis de Tigger Lilly

8 commentaires:

  1. Je garde un souvenir passionné de Nana que je ne l'ai qu'une fois mais que j'ai dévoré. Tu as raison, la dénonciation est certes violente mais moins large et moins profonde que celle de L'Assommoir. Ici, la thématique est fort déclinée mais on a compris le propos dès le départ. Dans L'Assommoir, il y a une plongée progressive dans l'horreur qui semble ne jamais avoir de fond, c'est terrifiant.

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    1. @Lili: Tout à fait, tu as bien identifié ce qui rend L'Assommoir plus fort, c'est cette progression de la déchéance de plus en plus terrible.

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  2. Beau billet ^^ Tout ce que tu dis est très juste.

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  3. Nana ne serait donc qu'un roman de cul ? Je crois bien l'avoir eu longtemps à la maison dans l'espoir de tenter en plus.

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    1. @Shaya: Je ne crois quand même pas qu'on puisse le réduire à ça mais le sujet est très présent :D

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  4. Diantre, je m'attendais vraiment pas à ça chez Zola... et pourtant c'est pas si surprenant quand on y pense xD

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    1. @Vert: Il aura étudié la misère sociale de bien des manières :p

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