Cinq ans après avoir lu La Main gauche de la nuit, que j'ai trouvé absolument brillant, j'ai enfin lu un autre roman d'Ursula K. Le Guin, et il s'est avéré non moins brillant!
The Dispossessed raconte l'histoire de Shevek, un physicien qui est né, a grandi et a fait ses études sur Anarres, une planète où s'est implantée une société anarchiste. Anarchiste au sens original du mot: "sans gouvernement central". Dès le premier chapitre, toutefois, on le voit décoller pour Urras, la planète jumelle d'Anarres, celle dont sont partis ces anarchistes, quelques 170 ans plus tôt. Ses études sur le temps ayant traversé les frontières – ou plutôt l'espace –, Shevek a été invité à les poursuivre sur Urras.
Les chapitres vont ensuite alterner entre son présent sur Urras, où il rencontre d'autres scientifiques et découvre cette société "propriertaire" (comment ça a été traduit en français, propertarian? 😀), et son passé sur Anarres, ce qui permet de comprendre pourquoi ses études n'ont pas pu avancer autant qu'il le voulait et de constater que cette société très horizontale, qui met en avant le collectif et non l'individu mais où personne n'est contraint à rien, n'est tout de même pas à l'abri d'un certain autoritarisme.
Et donc voilà, c'était brillant. Déjà, la structure de l'aller-retour dans le temps fait vachement monter le suspense, car l'action est souvent interrompue en fin de chapitre. Ensuite, la vie de Shevek elle-même est passionnante, ou en tout cas Le Guin réussit à la rendre passionnante, même quand il s'agit "juste" de savoir où il va aller travailler. Et il y a un suspense plus concret dans la partie sur Urras, par exemple quand l'autrice nous relate une conversation entre deux scientifiques, qui discutent en présence de Shevek mais que celui-ci ne peut pas entendre parce qu'il dort après avoir bu trop d'alcool.
Quant au fond, c'est brillant aussi, avec plein de réflexions sur l'organisation de la société et le rôle de chacun. Ce que j'en retiens, c'est une des maximes d'Odo, la penseuse anarchiste à l'origine de l'exil vers Anarres: en gros, les moyens sont déjà la fin. Ou, en d'autres termes: atteindre l'objectif n'est pas le plus important; ce qui compte vraiment, c'est comment on progresse vers lui. Franchement, ça met du beaume au cœur. À peu près au même moment, j'ai relu complètement par hasard ma chronique de Yoga d'Emmanuel Carrère et cela rejoint totalement une citation de Lénine qui m'avait marquée et dont j'avais parlé.
Bon, il y a aussi plein de réflexions sur le temps, car c'est le sujet d'étude de Shevek, mais là je n'ai rien compris. :D À part que ses études permettent la création d'une certaine technologie primordiale dans l'univers de Le Guin.
Concernant le titre: je pense que l'éditeur français a bien fait d'opter pour le masculin pluriel, mais, techniquement, "The Dispossessed" peut se traduire aussi par "le dépossédé", "la dépossédée" et "les dépossédées". Et je me demande si Le Guin voulait vraiment parler du collectif, au pluriel, ou si elle faisait référence à Shevek en particulier...
Enfin, une note sur cette édition Gollancz. Avec ses reflets mordorés sur le nom de l'autrice et sur les petits points éparpillés, la couverture est superbe. À l'intérieur, en revanche, le texte est pénible à lire à cause de la police petite, serrée et grasse. C'est un vrai miracle que j'aie réussi à lire le roman en une dizaine de jours et avec mon cerveau branché.
Autres livres de ou sur l’autrice déjà chroniqués sur le blog
The Left Hand of Darkness (1969)
Le Langage de la nuit (1973-1977)
Monographie Ursula K. Le Guin. De l'autre côté des mots (2021)
Allez donc voir ailleurs si ces dépossédés y sont!
L'avis de Baroona
L'avis de Vert
Merci de me rappeler qu'il faut que je continue à explorer la bibliographie de Le Guin !
RépondreSupprimerJe ne lis ta chronique qu'en diagonale car celui-ci devrait être un des prochains que je lirai, ayant entrepris de lire tout le cycle de Hain. Mais dis donc, alors tu n'as pas lu Earthsea ? Il faut remédier à la situation au plus vite!
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