Voilà une très belle découverte que ce roman de Lucie Baratte!
Dans un château au cœur d'une mystérieuse forêt naissent deux jumelles, Ronce et Épine. Deux filles on ne peut plus différentes: Ronce se consacre tranquillement à la broderie, comme leur mère, tandis qu'Épine ne rêve que de parcourir les bois pour chasser avec leur père, le seigneur des lieux. Cet univers très inspiré de l'Europe médiévale, qui ne peut cependant pas être associé à une période ou un lieu en particulier, est aussi très magique. Certains oiseaux n'ont pas un comportement tout à fait normal; les messagers peuvent errer des mois sans trouver leur chemin dans la forêt; la légende parle d'un être démoniaque; et il se pourrait bien que les images brodées se mêlent à la réalité.
C'est surtout le style d'écriture de Lucie Baratte qui fait le charme de ce roman que j'ai dévoré. C'est une histoire qu'on nous raconte, avec un rythme et une sonorité hors de l'ordinaire. J'ai bien tiqué sur un terme ou deux (je lis "jouvencelle" et je vois tout de suite des ados boutonneux qui essayent de "faire Moyen Âge" dans un support comique genre Donjon de Naheulbeuk 😅 alors même que je n'ai jamais écouté ou lu Donjon de Naheulbeuk 😅), mais c'est très efficace et poétique dans l'ensemble, et cela crée un univers bizarrement empreint de magie...
... Une magie qui peut protéger, mais aussi défaire, enserrer et envahir, à l'image de la forêt et du végétal. J'ai tendance à penser que pas mal d'auteurs ont exploré la dimension dangereuse du végétal, mais, ici, il y a aussi quelque chose de répugnant et de malsain qui marche très bien. J'ai pensé à Vert-de-Lierre de Louise Le Bars, qui a bien réussi à rendre l'étrangeté de sa créature végétale.
Attention, cependant, le roman parle aussi du corps des femmes et de la maternité, soit par le parcours de Ronce qui va en voir des vertes et des pas mûres, soit par la figure de la mère des deux protagonistes, qui a perdu tous ses bébés après avoir donné vie aux jumelles. Je pense que ça peut perturber certain(e)s.
En fond, la broderie est partout, avec plein de termes techniques qui laissent deviner un univers fascinant, et des dessins symboliques et naïfs ou au contraire sanglants, à à l'image de cette superbe couverture réalisée par Tristan Bonnemain, qui parvient à être à la fois bucolique et tragique.
Également pleine de détails, cette couverture m'a fait penser à celle de Du thé pour les fantômes de Chris Vuklisevic, et un autre parallèle me semble pertinent entre ces deux romans: ils proposent tous deux quelque chose d'unique, une ambiance nouvelle, ou en tout cas que je n'ai, moi, jamais rencontrée ailleurs.
Bref, une belle réussite!
Et pourquoi ce livre, me demandez-vous?
Parce que l'autrice a été reçue dans le podcast Passion médiévistes à l'occasion de la remise du Prix de la Rose d’or Jeunes Amis du musée de Cluny 2025. Une interview super intéressante, qui m'a convaincue d'emprunter le livre sur le champ (car mon super réseau de médiathèques l'avait acheté) (bénis soient les bibliothécaires!).
Éditeur: les Éditions du Typhon.
Je le note, je pense que ça pourrait me plaire (ou pas, enfin on verra bien)
RépondreSupprimer@Vert: Ah oui, je pense que tu y trouverais ton compte. C'est assez différent de ce que j'ai vu de typé "moyenâgeux" ailleurs. Mais n'oublie pas la thématique maternité/corps des femmes, qui est sans doute plus marquante quand on est soi-même parent. 😊
Supprimer"dans un support comique genre Donjon de Naheulbeuk" : j'ai un gros doute sur le fait que John Lang ait utilisé "jouvencelle" dans Naheulbeuk, pas dans ce sens-là en tout cas, c'est bien plus direct et 'familier' comme univers. ^^
RépondreSupprimerJe ne suis pas sûr que ça soit pour moi mais le fait que ça soit différent reste intrigant. Je me demande si quelqu'un a déjà réalisé une broderie de la couverture.
@Baroona: Ah merci pour la précision ^^
SupprimerExcellente question, ça. J'espère qu'il aura suffisamment de succès pour générer du fan-art, ce serait tellement génial!!! 🤩🤩
"Et pourquoi ce livre, me demandez-vous?" Oui, merci d'anticiper notre question XD
RépondreSupprimerEtonnant roman. Sur la thématique du corps des femmes au Moyen Age, ça a réveillé mes souvenirs de Mary Toft la reine des lapins.
@Tigger Lilly: Ah mais ouiii, ça avait l'air fou, ce bouquin. Dans ma tête, c'était plus récent, genre XIXe, mais je ne l'ai pas lu, lol. Il faudrait que je me penche dessus.
Supprimerj'ai vérifié c'était 18è, ma mémoire me joue des tours. Pour ma défense il y avait des termes qui sonnaient très moyenâgeux dans le livre :D
Supprimer@Tigger Lilly: Ahah trop fort!! Du coup, je le croyais plus récent, moi! ^^
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