mercredi 25 juin 2025

Du thé pour les fantômes (2023) 🍵

Du thé? Des fantômes? Avec un titre pareil, ce roman de Chris Vuklisevic a attiré mon attention dès que je l'ai vu passer dans les chroniques des amis. Et qu'est-ce que j'ai bien fait de le lire! J'ai tout simplement adoré.

L'histoire est celle de deux sœurs, Agonie et Félicité. Elles ne se sont pas vues depuis trente longues années, mais, lorsque leur mère meurt, Félicité prévient Agonie (en utilisant pour cela des feuilles de thé dans une tasse!!!) et Agonie revient sur les lieux de leur enfance, dans les montagnes aux alentours de Nice. Avec Félicité qui voit les fantômes et utilise des thés aux propriétés presque magiques, et Agonie qui fait naître des phalènes dès qu'elle ouvre la bouche et pousser des fleurs carnivores dès qu'elle crache par terre, on se doute que l'enquête sur le passé de leur mère va sortir de l'ordinaire.

J'ai deux petites réserves à faire à ce roman. D'une part, le fait que l'histoire soit racontée par un narrateur tiers, qui la tient lui-même des deux sœurs, ne m'a pas semblé apporter un plus; ça fait un petit effet "approchez-vous et écoutez-moi", ok, mais cela ne m'a pas semblé vital. D'autre part, la résolution de l'intrigue comporte un élément qui ne m'emballe pas ([divulgâcheur]: en gros, la mère horrible a elle-même eu une enfance horrible, ce qui ne me semble que "renvoyer le problème dans le passé" [fin du divulgâcheur]).

Mais bon, à part ces deux bémols, qui relèvent de préférences à moi et non d'un manque de maîtrise de l'autrice, ce roman est excellent, et allie une solidité et une complexité d'intrigue de haut vol – dans lesquelles le moindre détail compte, c'est bonnement hallucinant – à un univers magique absolument délicieux (le thé!! la notion de "théières sauvages"!! C'est comme l'écharpe dans La Passe-Miroir!!) et à une langue extrêmement soignée et bien choisie. Trois atouts de taille qui rendent la lecture addictive. En plus, l'histoire est pleine d'humanité et bizarrement réconfortante, bien qu'on y parle essentiellement d'une famille tragique.

Franchement, chapeau à Chris Vuklisevic pour avoir créé quelque chose d'aussi fin et frais dans son originalité. Ces personnages et ces pouvoirs ne ressemblent à rien de ce que j'ai pu lire ailleurs, et, même si j'ai lu l'ensemble avec entrain, heureuse de replonger dedans pour retrouver les personnages et curieuse de connaître la fin, j'ai un peu regretté d'arriver au bout du voyage, car j'aurais bien aimé rester là plus longtemps. Même le fait que ça se passe à Nice, sur une côte méditerranéenne qui, en soi, ne m'envoie pas du tout du rêve, est ici un plus à la fois charmant, drôle et plaisamment mystérieux, voire légèrement inquiétant. (Un peu comme Timothée Rey qui fait de l'horreur lovecraftienne en Savoie dans La providence du reclus, ou Carlos Ruiz Zafon qui noie Barcelone sous la brume dans L'Ombre du vent: soudain, les lieux ne sont plus du tout les mêmes.)

La couverture, réalisée par Cécilia Leroux, prend tout son sens au fur et à mesure qu'on y reconnaît des éléments du livre, ce qui ajoute au plaisir.

Je finirai par citer l'excellent Baroona, qui évoque dans son article "un sublime passage à deux voix, aussi réussi sur le fond que sur la forme, qui dit parfaitement les rancoeurs et les points de vue différents que deux personnes peuvent acquérir, sans que l'une ait plus raison que l'autre. C'est un point de bascule pour moi mais ce n'est pas une rupture, c'est seulement l'aboutissement - le premier aboutissement - d'une grande maitrise de la part de Chris Vuklisevic dans sa construction du récit." Moi aussi, ce passage m'a marquée! Je l'ai lu d'un souffle.

Bon, évidemment, je suis un peu jalouse de Chris Vuklisevic. Car notre âge et, de ce que j'en vois, certains de nos intérêts nous rapprochent, mais qu'elle est, comme Samantha Bailly et Louise Le Bars, de celles qui ont réussi, qui ont vu un autre monde et qui ont écrit cet autre monde – et avec talent. Moi, je suis là comme une bouffonne avec ma phrase de fiction du matin et ma phrase de fiction du soir qui ne vont nulle part, et c'est comme imaginer une fourmi qui croirait qu'elle pourra, à force d'abdos, devenir un tyrannosaure. Mais bon, comme je dis tout le temps, c'était encore pire quand je n'écrivais même pas une phrase...

Allez donc voir ailleurs si ces fantômes y sont!
L'avis de Baroona
L'avis de Shaya
L'avis de Vert

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