Après avoir bouclé la saga des Rougon-Macquart, Zola s'est attaqué aux Trois Villes: Lourdes, Rome, Paris. Malgré son succès initial, cette série n'est pas autant passée à la postérité que les aventures de la famille dysfonctionnelle dont nous avons tous lu au moins un tome -- d'ailleurs cette trilogie n'est disponible en poche que chez Folio --, mais mon parcours zolien sera exhaustif ou ne sera pas, et j'ai donc lu Lourdes comme Zola du mois de mai. (À chaque mois son Zola.)
L'histoire: Pierre Froment, un jeune prêtre ayant perdu la foi, accompagne une amie malade en pèlerinage à Lourdes.
Le livre est divisé en cinq parties, une pour chacun des jours que Pierre consacrera au pèlerinage, et commence et se termine dans le train réservé aux grands malades et aux infirmes. Comme toujours, Zola s'est documenté à fond sur son sujet et c'est l'occasion de visiter Lourdes, d'en apprendre plus sur Bernadette et de découvrir comment le grand pèlerinage du mois d'août est géré (accueil des malades, stratégies commerciales de la ville, étude des cas de guérison). Mais c'est surtout une étude du désarroi qui traverse l'esprit d'un prêtre qui ne croit plus en son dieu et qui observe en silence une sorte de mouvement collectif exalté dont il ne peut faire partie. Bernadette lui apparaît comme une hystérique hallucinée et la foi brûlante des cadavres ambulants qui envahissent la ville est la consolation des désespérés, qui ont absolument besoin de croire qu'ils seront guéris tôt ou tard (si la Vierge les laisse repartir sans les sauver cette année, c'est qu'elle les sauvera une autre fois). Le fossé infranchissable entre la foi et la non-foi est aussi abordé.
Lourdes est un Zola assez classique. Je m'attendais à ce que ce livre traite de la foi aveugle et extatique qui fait tomber les foules à genoux, les yeux brillants (une manifestation qui est longuement traitée dans La Conquête de Plassans après que l'abbé Faujas ait pris l'ascendant sur Marthe Mouret [la maman d'Octave, patron du Bonheur des Dames, soit dit en passant]), et j'avais bien deviné.
Par ailleurs, l'action est très limitée, l'essentiel du livre étant composé de descriptions (des maladies, des plaies et des malformations, de la ville, du comportement de la foule, de la vie de Bernadette). Le thème de la fécondité est très présent (ce qui m'a surprise, car Zola avait déjà eu ses enfants au moment de l'écriture de Lourdes et j'aurais donc pensé qu'il serait moins obsédé par la notion de paternité). On aime ou on aime pas. Moi, j'ai évidemment barboté dans mon petit nuage intellectuel et stylistique personnel de pur bonheur pendant tout le livre, qui a (encore!) renforcé l'adoration que je porte à cet auteur. Mention spéciale à la description de la douleur (morale) de Mme Vincent: je n'ai pas fait la maline en lisant les passages la concernant, d'autant plus qu'on se doute de suite qu'elle a peu de chances d'obtenir ce qu'elle demande à la Vierge.
Lourdes a été mis à l'Index par l'Église catholique trois mois après sa publication. J'imagine l'enthousiasme qui a régné au Vatican quand il s'est avéré que la suite des aventures de Pierre Froment s'appelait... Rome. ^^ (Mon Zola du mois de juin, soit également dit en passant.)
Émile Zola, Lourdes.
Éd. Folio classique, 640 pages, 11,50€.