samedi 28 février 2015

UGC Culte: Les Désaxés (1961)

Un film de John Huston avec Marilyn Monroe et Clark Gable: quand j'ai vu Les Désaxés au programme d'UGC Culte, j'ai su que je ne pouvais pas le rater.


Le film n'a pas super bien vieilli et me semble typique des années cinquante (même s'il est sorti en 1961, ne chipotons pas à deux années près ^^), notamment dans sa musique et quelque chose de "désuément culcul" (comprenne qui pourra, je ne sais pas comment expliquer ça autrement). Il présente en outre pas mal de longueurs. J'ai donc un peu décroché, mais je voulais noter quelques idées à ne pas oublier.

Venue divorcer à Reno, Roslyn fait la connaissance de deux hommes, Guido, garagiste, et Gay, cow-boy, qui tombent sous le charme et lui proposent de les accompagner à la campagne. Roslyn accepte. Isabel, sa logeuse, se joint au petit groupe, puis Gay et Guido recrutent un autre cow-boy, Perce, pour aller capturer des mustangs dans la montagne.


Ce qu'il faut en retenir, c'est que les hommes bavent tous après Roslyn, mais qu'en même temps ils lui font confiance et "s'ouvrent" en lui parlant de choses réellement intimes, qu'elle reçoit avec attention et douceur.

Clark Gable est super charismatique. Il surjoue, certes, mais il est indéniablement charismatique et même assez troublant lorsqu'il est ivre. Marilyn Monroe joue avec beaucoup plus de retenue et son personnage est très changeant, ce qui le rend plus intéressant (malgré une mollesse certaine qui donne un peu envie de la secouer). Je suppose qu'elle représente l'innocence qui touche les hommes blasés et endurcis qu'elle rencontre, mais la mise en avant de son physique m'a laissée un peu perplexe. Est-ce que John Huston a voulu créer un personnage sexuel dehors mais introverti dedans? Est-ce qu'il a voulu montrer que les hommes s'arrêtent injustement au physique de cette fille? Sa présence à l'écran est en tout cas éblouissante, cette actrice était vraiment hors du commun. (Et comme une Scarlett Johansson ou une Gemma Aterton de nos jours, il serait réducteur de ne penser à elle que comme sex-symbol.) Mais l'acteur qui m'a le plus touchée, et que j'ai trouvé le plus juste dans son rôle, est Montgommery Cliff, que je ne connaissais pas. Il est beaucoup plus sobre et offre les scènes les plus tristes.


J'ai adoré le personnage d'Isabelle, la logeuse de Roslyn, une dame qui lui sert de témoin lors de son divorce et qui joue ce rôle... pour la 77ème fois! C'est vraiment un personnage attachant et drôle (et la seule à avoir trouvé sa place dans la société, ou à assumer en tout cas son statut de marginale). L'actrice est Thelma Ritter, que je ne connaissais pas non plus.


En anglais, le film s'appelle The Misfits. Dans le Collins, misfit est défini de la manière suivante:
1. a person not suited in behaviour or attitude to a particular social environnement
2. something that does not fit or fits badly

En effet, tous les personnages (sauf Isabelle, donc), sont bien des marginaux, des désaxés (j'aime bien la traduction française). Ils ne sont pas ou plus à leur place. Roslyn ne l'a jamais été, elle l'exprime clairement plusieurs fois. Les autres ont perdu leur place par la force du temps ou des choses: Guido est veuf et est revenu changé de la guerre, Perce ne sait plus trop où il va et Gay s'accroche désespérément à son propre cliché d'homme sans attaches. "Better than wages" répètent les trois hommes pour souligner qu'ils refusent tout emploi stable, synonyme de servitude et de dépérissement, avec humour au début puis avec de plus en plus d'acharnement, comme pour se convaincre que cela a encore du sens pour eux.

Du coup, j'ai réfléchi aux autres films de John Huston que j'ai vus et j'ai réalisé qu'il ne parle en fait que de ça, de gens qui cherchent leur place ou se cherchent tout court, des mal-dans-leur-peau. C'est peut-être pour ça que j'ai aimé ses films...

Ici, la fin du monde des trois hommes est symbolisée par la capture de ces six pauvres mustangs que Gay s'évertue à chasser à la fin, tout en évoquant la belle époque à laquelle les cow-boys rassemblaient les chevaux sauvages par centaines. Ils ne valent pas grand-chose, ces six pauvres chevaux maigres et fatigués, pleins de cicatrices, mais Gay s'obstine, il les aura et peu importe que Perce lui dise "It don't make much sense for six horses, does it?" et que Roslyn en soit bouleversée.

La scène des captures est très pénible parce qu'elle est plus réaliste que les cascades équestres dont on a l'habitude. Les chevaux ne hennissent pas à tout va mais poussent des cris étouffés, de vrais râles, qui m'ont donné la chair de poule. Le message du réalisateur est le bon, il veut montrer la barbarie de cette capture, mais j'espère qu'Hollywood travaillait déjà avec des chevaux cascadeurs à l'époque et qu'aucun animal n'a été maltraité sur le tournage. :(

Un film qui a du bon, donc, (et qui m'a encore une fois fait écrire un pavé), mais pas celui à privilégier pour découvrir ce réalisateur (ou Marilyn Monroe d'ailleurs).

Films de John Huston déjà chroniqués sur ce blog

jeudi 26 février 2015

Le Pays des aveugles et autres récits d'anticipation (1896-1904)

Complètement enthousiaste de ma lecture de L'Homme invisible, j'ai emprunté le dernier livre de H. G. Wells de ma médiathèque qu'il me restait à lire, un petit recueil de quatre nouvelles (en édition bilingue malheureusement). Au final, c'est ce que j'ai lu de moins bon de Wells, mais c'était tout de même fort plaisant.


Le Pays des aveugles (1904)
"Au royaume des aveugles, les borgnes sont rois": c'est en se répétant ce célèbre adage qu'un alpiniste, arrivé par erreur dans une région d'Amérique du Sud habitée uniquement par des aveugles, essaye de s'imposer dans le village. Mais les choses ne sont pas si simples et être différent n'est pas forcément un avantage.

La Chambre rouge (1896)
Un homme passe la nuit dans une chambre qu'on dit hantée. Un texte très réussi qui nous fait hésiter jusqu'au bout entre rationnel et surnaturel.

La Vérité concernant Pyecraft (1903)
Un texte très amusant quoique anecdotique, dans lequel le narrateur révèle (vous l'avez deviné), la vérité sur Pyecraft, un membre de son club qui lui a demandé une recette de grand-mère pour résoudre un petit problème.

L'Histoire de feu M. Elvesham (1896)
Un jeune étudiant est approché par un homme âgé, le célèbre M. Elvesham. Un texte sombre, très efficace, sur une affaire louche que l'on pourra hésiter à interpréter, comme celle de La Chambre rouge, de manière rationnelle ou pas. Sans savoir laquelle des deux vérités est la préférable.

Ce recueil était un peu en-deçà des autres livres de H. G. Wells que j'ai lus, plus percutants, mais il s'agit néanmoins de textes de qualité et d'une lecture un peu différente si on connait déjà l'auteur. En revanche, il ne s'agit pas du tout de récits d'anticipation, j'ignore pourquoi le recueil a été nommé ainsi...

Un mot sur l'édition bilingue
Comme pour La Machine à explorer le temps, j'ai réitéré ici l'exercice consistant à ne lire que la page de gauche, en anglais, pour lire l'original. Mais, forcément, j'ai parfois regardé un peu celle de droite. Je me disais donc que ce type d'édition devrait bénéficier d'une traduction spécifique, un peu plus proche de l'original, pour aider les lecteurs ayant besoin de la version française. Certains passages, tout à fait bien traduits, m'ont en effet semblé peu pédagogiques pour un lecteur qui ne comprendrait pas bien un mot ou une tournure en anglais et aurait besoin de la lire en français, car ils véhiculaient bien le sens mais rendaient le face-à-face difficile (par exemple parce que la phrase était tournée différemment). Je n'ai pas noté d'exemple malheureusement, mais cela m'a traversé l'esprit et je voulais le noter pour ne pas l'oublier.

mardi 24 février 2015

Voyage au bout de la nuit (1932)

Pas facile de chroniquer Voyage au bout de la nuit de Céline. Ce roman est très particulier et je ne peux pas vraiment dire que je l’ai apprécié. (D’ailleurs, c’est l’un des rares livres que j’ai abandonnés: la première fois, il y a six ans, j’ai laissé tomber page 35 environ.)


"Une fois qu’on y est, on y est bien. Ils nous firent monter à cheval et puis au bout de deux mois qu’on était là-dessus, remis à pied."

Ce roman n’est pas évident à lire à cause du style très oral employé par Céline. Sans l’intonation qui indique comment en quelque sorte "dans quel ordre" lire une phrase, certains enchaînements sont un peu obscurs sur le papier. Il faut faire parfois l’effort de "penser" comme si on lisait à voix haute pour s’y retrouver.

En ce qui concerne le fond, je dois dire que j’ai rarement lu quelque chose d’aussi pessimiste. On m’avait dit que Céline détestait tout le monde, pas juste les Juifs, et c’est effectivement le cas: la seule chose qu’il voit chez l’homme, c’est la "vacherie", la tendance systématique à faire du mal à son prochain. C’est en tout cas la constatation du narrateur, Bardamu, double de l’auteur, qui revient des tranchées avec la conviction intime que tout le monde lui en veut. Sa seule réaction est la fuite ou l’indifférence (la lâcheté, à en croire Wiki). Du coup, difficile de s’attacher ou de s’identifier à ce personnage profondément égoïste et mou, un médecin qui laisse une de ses patientes se vider de son sang devant lui sans réagir…

Je n’ai pas trop compris le message de la fin, même si je suppose qu’il s’agit symboliquement du "voyage au bout de la nuit" dont parle le titre (que je trouve superbe, soit dit en passant), la marche inexorable vers la mort et l'oubli.

Ceci étant, ce roman reste une lecture très intéressante. Je n’y ai pas vu un chef d’œuvre, mais c’est certainement un livre pertinent qui a quelque chose à dire sur l’humanité en général et sur la Première Guerre mondiale, le colonialisme et le fordisme en particulier (car notre Bardamu, blessé au front, se retrouve dans un coin paumé d’Afrique puis à New York avant de revenir soigner ses patients en banlieue parisienne). Malgré l’argot et le style oral, je l’ai lu assez rapidement et j’ai été assez prise par ma lecture.

"Ce qui est pire c’est qu’on se demande comment le lendemain on trouvera assez de force pour continuer à faire ce qu’on a fait la veille et depuis déjà tellement trop longtemps, où on trouvera la force pour ces démarches imbéciles, ces mille projets qui n’aboutissent à rien, ces tentatives pour sortir de l’accablante nécessité, tentatives qui toujours avortent, et toutes pour aller se convaincre une fois de plus que le destin est insurmontable, qu’il faut retomber au bas de la muraille, chaque soir, sous l’angoisse de ce lendemain, toujours plus précaire, plus sordide."

Si j’ai vu la justesse de ce passage quand je l'ai lu, j’ai tout de même pensé: "Misère, qu’est-ce que c’est gai!" Cette réaction amusée me montre le chemin parcouru, cette vision de l’existence ayant été celle que j’ai ressentie du matin au soir pendant pas mal d’années… Je ne sais pas si j'avais tort, si je suis passée du côté des "heureux" que je déteste tant, ou si les deux états d'esprit cohabitent en nous en fonction des évènements.

"Il faudra endormir pour de vrai, un soir, les gens heureux, pendant qu’ils dormiront, je vous le dis et en finir avec eux et avec leur bonheur une fois pour toutes. Le lendemain on en parlera plus de leur bonheur et on sera devenus libres d’être malheureux tant qu’on voudra [...]."


En définitive, un livre à lire à l'occasion, histoire de savoir de quoi il s'agit. Mais à éviter en cas de déprime. Histoire de ne pas finir au bout d'une corde.

dimanche 22 février 2015

UGC Culte: Prête à tout (1995)

Un mot pour résumer Prête à tout de Gus Van Sant: jubilatoire!


Voilà un film enlevé, rythmé, drôle et un peu cruel -- mais délicieusement cruel si vous voyez ce que je veux dire.

En deux mots: La vie d'une jeune et jolie miss météo rêvant de célébrité prend un tournant inattendu quand elle séduit un groupe d'adolescents pour tuer son mari, un homme qui ne correspond pas tout à fait à sa vision de la vie.

L'histoire se construit peu à peu avec les faits et les témoignages des personnes concernées. L'héroïne, Susanne Stone, donne sa propre vision des choses; d'autres personnes prennent la parole dans des séquences filmées pour des émissions de télévision; et on enchaîne avec les faits réels. Par exemple, une personne interviewée dit: "Alors, je lui ai dit que...." et on passe à la scène qu'elle raconte, avec les mots qui sortent de sa bouche. Je ne sais pas si c'est clair mais c'est super réussi.

Ce découpage offre une belle critique des médias. Il y a bien sûr l'histoire de Susanne, obsédée par la célébrité ("You're not abybody in America unless you're on TV"), mais aussi la propension de tous ces gens à raconter leur histoire en public. Cela d'ailleurs quelque chose d'affolant quand les parents de Susanne et de son mari (mort!) sont réunis sur le même plateau...


Bien que je connaisse peu sa filmographie, Nicole Kidman fait partie des actrices que j'admire le plus. C'est donc en grande partie pour elle que je suis allée voir Prête à tout. Et je n'ai pas été déçue. Elle est vraiment au top. Son personnage est à la fois attendrissant, innocent, naïf, séducteur, provocant, simple, diabolique, manipulateur, flippant à mort, drôle et idéaliste. Les passages où elle est seule face à la caméra sont excellents, mais elle joue vraiment très bien tout au long du film.

Les autres acteurs sont également très bons. Wayne Knight (Dennis Nedry dans Jurassic Park!) m'a fait mourir de rire, ses passages sont juste excellents. Joaquin Phenix est un peu repoussant, mais c'est son perso qui veut ça, et quand on y pense c'est plutôt un exploit de se fondre dans la peau d'un personnage moche et raté quand on est plutôt beau gosse. Casey Afleck apparaît moins mais il est très convaincant. (Notons au passage que j'adore voir ces vieux films pour découvrir les carrières d'acteurs connus avant qu'ils ne soient connus...) Illeana Douglas, la belle-sœur, est aussi très convaincante. Malheureusement sa carrière ne semble pas avoir tellement d'intérêt après ce film.



La bande-son est géniale, avec un Danny Elfman très efficace pour créer une petite ambiance envoûtante et amusante (mais un peu inquiétante quand même) et des chansons rock très sympas. (Elle est dispo sur Deezer si vous voulez tenter.) En fait, le côté rock 'n' roll m'a fait penser à du Tarantino ou Very Bad Things, enfin ces films cyniquement drôles qui assument totalement leur cynisme...

La bande-annonce est parfaitement à l'image du film. Si vous aimez, vous pouvez y aller les yeux fermés. ^^

vendredi 20 février 2015

Cinquante nuances de Grey (2014)

À la base, je n'avais pas prévu de chroniquer Cinquante nuances de Grey avec un billet dédié. Ce film étant plutôt oubliable, il avait atterri dans ma Gamelle de février. Mais l'adaptation du livre d'E. L. James fait couler beaucoup d'encre et j'ai constaté au cours des derniers jours qu'on écrit beaucoup d'absurdités à son propos. Du coup, j'ai voulu le défendre...


Mon avis: une bonne surprise!

Bon, il faut dire que mes attentes étaient plutôt basses. ^^ J'avais feuilleté un des livres à Londres et j'en avais tiré l'impression qu'il s'agissait d'un roman Harlequin. Quand la trilogie est arrivée en France, on a beaucoup critiqué la plume de l'auteur et on a beaucoup dit que c'était très chaste par rapport à d'autres livres érotiques, notamment Histoire d'O. Du coup, mon avis est resté le même et je n'ai jamais lu le(s) livre(s).

Au final, le film s'est révélé beaucoup plus "fin" que je ne m'y attendais. (Fin est un grand mot, mais vous voyez l'idée...)

Déjà, l'acteur qui joue Grey est suffisamment charismatique pour que la fascination qu'il exerce sur Anastasia soit crédible; et je dois dire que ses yeux gris, qu'ils soient des originaux ou des lentilles, sont très prenants. Le fait qu'il ne soit pas, à proprement parler, si beau que ça est aussi intéressant, car c'est vraiment son calme et son charisme qui opèrent.

La mise en scène est très soignée. Vous allez rire, mais ce film est réellement pensé en  nuances de gris. Seattle semble la plus grise des villes. Les intérieurs épurés de Grey sont monochromes et mats. Tout est glacial et impersonnel. Les buildings, la décoration sont modernes, le verre et l'acier se mélangent et ne véhiculent aucune chaleur humaine. Pas très gai, mais efficace et adapté.

Un gros bon point pour la musique, enfin plutôt les chansons, qui donnent du rythme à l'ensemble et soulignent bien certaines scènes. Le remix de Crazy in Love est assez hypnotique: je me suis ruée sur Deezer pour l'écouter en rentrant chez moi. (La partition de Danny Elfman, en revanche, ne m'a guère marquée.)

Et en plus, il y a un peu d'humour, léger certes, mais rafraîchissant (Anastasia ivre qui appelle Christian et l'imite: "Come to me, Anastasia; no, stay away from me, Anastasia...").

Tout ça pour dire qu'on ne s'ennuie pas. Ce n'est que sur la fin que la relation "je t'aime moi non plus" des deux protagonistes m'a agacée.


Pour ce qui est du clou du film, les scènes de sexe, et bien ce n'est pas si sulfureux que ça. C'est assez propret en quelque sorte. Mais, dans le le contexte des blockbusters hollywoodiens, ce film est très osé (on voit même des poils pubiens!!), et je suis étonnée qu'il soit seulement interdit aux moins de douze ans: j'ai vu des films érotiques de M6 bien plus chastes qui étaient pourtant interdits aux moins de seize ans...

Pour conclure, il faut quand même dire que Cinquante nuances de Grey est un film tout à fait dispensable. C'est vraiment une histoire d'amour culcul en fait. Mais il est assez cohérent et bien pensé pour qu'on y croie. On ne s'ennuie pas et ce n'est pas la daube intergalactique à laquelle je m'attendais. Mon jugement aurait peut-être été plus dur si j'avais payé ma place 10€, mais avec mon abonnement j'ai été plutôt contente de le voir. On regrettera cependant que Jennifer Ehle ait atterri là car cette actrice mérite des films d'un bien autre acabit.

Mon énervement face aux critiques

Il est clair que Cinquante nuances de Grey a quelque chose d'absurde.

Citons par exemple la passion qui ravage le corps d'Anastasia au moindre contact de Christian, qui est tout sauf crédible malgré le sex-appeal considérable du jeune homme. Pensons aussi à la primauté absolue de la relation amoureuse ou sexuelle sur le reste de la vie des personnages (on ne saura rien des études d'Anastasia ou du travail de Christian). Sans oublier l'explication simpliste qui se devine sous la passion SM de Christian (le pauvre petit a eu une enfance malheureuse et compense en exerçant la domination, et puis il a été blessé très profondément le pauvre, alors il refuse l'amour, il en a peur, il se défend de tomber amoureux, il refuse de s'engager, toussa, mais au fond il ne demande que ça).

Il est clair aussi qu'il s'agit d'un film "de riches". Grey est carrément millionnaire, mais Anastasia et sa colloc ne sont pas à plaindre (beaux apparts spacieux, voiture personnelle). Et d'un film "de Blancs" et "de minces": le seul personnage non-blanc est le meilleur copain latino d'Anastasia, secrètement amoureux d'elle (qui ne s'en doute aucunement, bien sûr, car elle n'a aucune forme de conscience de son propre sex-appeal), et je crois qu'il n'y a pas de gros.

Il est clair aussi qu'Anastasia fait plus d'efforts que Christian pour que leur relation se mette en place, puisque c'est elle qui se penche sur ses demandes et qui va jusqu'à accepter d'être fouettée pour voir si la relation qu'il lui propose peut lui convenir.

De là à dire que ce film est mysogine, dégradant pour les femmes, raciste et capitaliste, et qu'il fait l'apologie des violences conjugales, je crois cependant qu'il y a un fossé qu'on ne peut franchir qu'avec beaucoup de mauvaise foi.

Et c'est donc pour ça que j'ai rédigé ce billet. Parce que ça m'énerve de lire autant d'absurdités bien pensantes de gens qui, s'ils ont au moins le bon sens de ne pas s'offusquer du sexe, vont quand même chercher très loin des raisons de cracher sur le film qu'il est de bon ton de détester ce mois-ci.

Je ne vois pas en quoi un film sur deux amants blancs, jeunes et sexy, est raciste. Évidemment que Hollywood est à la traîne et qu'on ne voit jamais de couples "mixtes". Évidemment que j'aimerais parfois voir des corps non parfaits, histoire de me sentir moins grosse et moche. Mais le débat dure depuis des années et ce film-ci n'y change rien, ni en bien ni en mal...

En fait, ce qui m'énerve, c'est cette idée que la mise en scène d'un certain type de personnages est une critique des personnes différentes des héros. À ce rythme-là, on n'a qu'à dire que Buffy contre les vampires est islamophobe parce que le seul personnage dont on connait la religion avec certitude, Willow, est juive... Comment peut-on raisonner comme ça?


Évidemment, aussi, j'aimerais voir au cinéma plus de personnages féminins intelligents et courageux dont la seule préoccupation n'est pas le Couple. Mais Anastasia a au moins le mérite de prendre le temps de réfléchir et de prendre la décision qui lui paraît la plus juste, même si celle-ci va à l'encontre de ses sentiments. Et, derrière ses airs fragiles et son rôle de Vierge, c'est elle qui est présentée comme la plus forte, psychologiquement parlant, des deux personnages. Ça ne va pas chercher bien loin, certes. Mais je préfère encore ça à l'Indienne de La nuit au musée 3, qui ouvre à peine la bouche... Sauf que personne ne souligne la misogynie (enfin, à mon avis plutôt la phallocratie, mais passons) de La nuit au musée 3...

Quant à la manie de contrôle de Christian, qui est présentée exactement comme cela, je ne vois pas non plus en quoi elle fait l'apologie des violences conjugales. Il va la voir une fois sur son lieu de travail; est-ce du harcèlement? Il géolocalise son téléphone; nous dit-on qu'il a eu raison de le faire? Il lui achète une voiture et un ordinateur; est-elle contente? Il pique une crise parce qu'elle part quelques jours chez sa mère sans le prévenir; accepte-t-elle cette crise? Renonce-t-elle à ce voyage? Bein non. Ta-da. Anastasia va voir sa maman même si son mec ne veut pas...

Ce billet étant devenu interminable, je conclurai en disant qu'il ne faut pas chercher du sens diabolique là où il n'y en a pas. Cinquante nuances de Grey est juste une histoire d'amour culcul (plus que cul) entre gens glamour. Ce n'est ni plus ni moins réducteur qu'une comédie romantique...

Le truc que j'ajouterai quand même, histoire de rire:

Mis à part un petit glaçon que j'ai trouvé fort bouillant, Cinquante nuances de Grey m'a donné moins de papillons dans le ventre que Jupiter Ascending...... Parce que Channing Tatum avec des ailes...... C'était trop!

jeudi 19 février 2015

L'Homme invisible (1897)

Chronique express!



H. G. Wells, c'est vraiment trop bien!

En plus d'être un grand classique, L'Homme invisible est un roman très efficace, le genre de lecture dans laquelle on rentre instantanément. Un homme étrange s'installe dans une auberge à Iping, un village anglais tout ce qu'il y a de plus tranquille, et on a beau savoir, dans les grandes lignes, de qui il s'agit, impossible de ne pas être aussi intéressé que les gérants de l'auberge! Quelle histoire se cache derrière ces grosses lunettes, ces bandages et ces habits épais? Roman d'aventures facile à lire, avec un peu d'humour très sympathique, ce livre est aussi rédigé dans une langue très soignée. C'est vraiment un plaisir littéraire et "loisirs" à la fois. Sur la fin, certaines pages sont tout de même plus dures, la figure de Griffin étant à la fois effrayante et tragique. Ce n'est pas de la science-fiction "à message"; je n'ai pas eu l'impression que H. G. Wells voulait forcément dire quelque chose comme dans La Machine à explorer le temps, mais il y a quand même quelque chose de lucide et de triste. Beaucoup de souvenirs de Dr Jekyll et Mr Hyde et Frankestein ont refait surface pendant ma lecture...

Un livre à la fois littéraire, intelligent et distrayant, donc, à lire d'une traite.

Livres de H. G. Wells déjà chroniqués sur ce blog

lundi 16 février 2015

Jonathan Strange & Mr Norrell (2004)

Jonathan Strange & Mr Norrell de Susanna Clarke est un roman fleuve que j'ai vu passer de multiples fois sur les blogs et que je crois avoir vu dans les bibliothèques de plusieurs amis. C'est aussi une lecture mitigée que je ne sais pas trop comment chroniquer.


L'histoire (dans les grandes lignes)
Début du XIXe. Mr Norrell, magicien de son état, a "ranimé" la Magie anglaise disparue depuis des siècles et l'a mise au service de son pays en guerre contre Napoléon. Il a ensuite été rejoint par Jonathan Strange, un riche oisif qui s'est découvert une vocation de magicien quand un inconnu lui a récité une prophétie. Mais les deux hommes n'ont pas la même vision de la magie, et en plus Mr Norrell a fait une grosse bêtise qui ne va pas tarder à compliquer la vie de tout le monde.

Les "pour"
Jonathan Strange & Mr Norrell est truffé de bonnes choses.
Le style est vraiment sympa. Susanna Clarke a pastiché avec brio le style un peu "matter-of-fact" et ironique de l'époque de l'intrigue. Ça se lit facilement et avec entrain et c'est toujours drôle, ce qui colle parfaitement avec les évènements (le coup des ananas, par exemple).
Les personnages sont également plutôt drôles, de Norrell, qui est paranoïaque et pétri de contradictions, et Strange, aussi pétri de contradictions mais plus sympathique, aux personnages secondaires très bien campés et/ou croustillants (Vinculus le vrai-faux-vrai magicien, Arabella, le duc de Wellington...).
La vision de la magie et des "faeries", les "êtres magiques" (j'ignore le nom français...), est très intéressante. Les magiciens en savent très peu sur leur "art" et leur magie peut facilement se retourner contre eux ou échapper à leur contrôle. Ça donne des situations très drôles et d'autres très inquiétantes. J'ai particulièrement aimé la vision morbide et inquiétante de Lost-Hope et l'utilisation des miroirs.
Enfin, Susanna Clarke a bien construit la mythologie magique de son Angleterre, avec maintes références aux magiciens des temps passés et surtout au Raven King, notamment dans des notes de bas de page citant les travaux des illustres prédécesseurs de Strange et Norrell. On y croit vraiment et on a envie d'en savoir plus.

Les "contre"
Jonathan Strange & Mr Norrell est long, long, long (mille pages dans mon édition).
Malgré le style très facile à lire et enlevé, j'ai commencé à désespérer quand j'ai constaté au bout d'une centaine de pages qu'il ne s'était encore rien passé. Pour vous donner une idée de la vitesse à laquelle l'auteur plante l'action, il me semble que le "méchant" de l'intrigue est indiqué comme tel page 450 environ.
En parallèle, j'ai commencé à trouver le style très répétitif. Les personnages têtes à claque, c'est très rigolo, mais pas pendant mille pages! De même, les notes de bas de page donnent du corps au contexte mythologique et historique, mais elles ne servent en général à rien en ce qui concerne l'intrigue à proprement parler, et il y a DEUX CENT notes de bas de page dans ce roman, qui durent parfois une page chacune!
En plus, bien que tout le monde parle de la Magie anglaise et du Raven King à longueur de temps, on n'apprend pratiquement rien. J'ai eu l'impression de me faire balader avec une carotte fort appétissante qui s'est volatilisée quand l'intrigue s'est résolue au quart de tour sur les cinq ou six derniers chapitres par je ne sais quelle intervention divine (enfin... magique).

Du coup, malgré les bons points, j'ai vraiment eu du mal à lire ce roman. D'ailleurs, je l'ai lu en diagonale à partir de la page 600... Je pense que j'aurais mieux fait d'attendre de voir la série que la BBC va en tirer avant de m'attaquer à ce gros pavé, qui me permet cependant de participer une quatrième fois au challenge SFFF au féminin de Tigger Lilly.


Pour finir, une citation rigolote et très juste:
"[...] perhaps she did not hear them. For, though the room was silent, the silence of half a hundred cats is a peculiar thing, like fifty individual silences all piled one on top of another."

Allez donc voir ailleurs si ces magiciens y sont!
L'avis de Grominou, qui souligne bien les points forts du roman

samedi 14 février 2015

UGC Culte: Les Sentiers de la gloire (1957)

Encore une belle découverte avec cette séance kubrickienne, Les Sentiers de la gloire, un film édifiant sur la Première Guerre mondiale et plus précisément sur l'exécution de soldats français pour lâcheté face à l'ennemi.


Ce n'est peut-être pas le plus abouti des films de Kubrick, mais il est très efficace et présente des scènes vraiment très bien maîtrisées (tous les travelings dans les tranchées sont assez déments, d'autant plus que le noir et blanc est parfait pour filmer les tranchées), et d'autres extrêmement marquantes (l'exécution des trois soldats, dont un inconscient sur une civière [!!], et la chanson de fin qui m'a fait piquer les yeux). Il faut dire que ce n'est pas un film très encourageant: en sortant de là, ma foi en l'humanité, toujours très limitée, était particulièrement faible. Le procès des soldats est révoltant et leur peur de mourir, bien que très surjouée (à cause de l'époque, certainement), m'a vraiment prise aux tripes. Je crois que cette sensation d'impuissance face à une machine démesurée est ce que Kafka a voulu faire dans Le Procès... que je n'ai pas lu, en fait, mais dont j'ai cette idée...


Un des points forts du film est la caractérisation très réussie des personnages. Ce n'est pas forcément très fin, mais on comprend vite les différences de tempérament et de valeurs entre eux, et cela permet de rentrer très vite dans l'histoire. Le film ne durant qu'une heure et demie, il était important d'y croire tout de suite. Le personnage le plus intéressant est celui de Kirk Douglas, ce qui tombe particulièrement bien vu qu'il s'agit du personnage principal et que Kirk Douglas crève tout simplement l'écran. De la résolution qu'il affiche lors de l'attaque à l'heartache de la fin (j'utilise délibérément le mot anglais car je ne sais pas comment dire ça en français...), il fait passer toute une palette d'émotions avec beaucoup de justesse, sans se départir de ce charisme viril bien typique des années cinquante qui colle particulièrement bien avec son rôle d'officier.


Les Sentiers de la gloire n'est sorti en France qu'en 1975 car il était jugé trop anti-armée française. Je crois que la frontière entre censure et pression sur le distributeur est faible, et, même si le gouvernement français ne l'a pas à proprement parler interdit (d'après ce que je comprends du moins), je trouve ÉDIFIANT que l'armée se soit sentie en danger à cause de ce film. Au final, ce genre de réaction est ce qui fait crouler mon opinion, déjà pas des plus élevées, encore plus que le propos du film en lui-même.

Coïncidence (ou pas ^^), j'ai entamé le lendemain Voyage au bout de la nuit de Céline, dont ce passage m'a marquée:
"C'est à partir de ces mois-là qu'on a commencé à fusiller des troupiers
pour leur remonter le moral, par escouades...."

UGC diffuse Les Sentiers de la gloire jusqu'à mardi prochain, le 17 février.

jeudi 12 février 2015

La Main gauche (1889)

Chronique express!


La Main gauche est un recueil de douze nouvelles de Maupassant, l'avant-dernier publié du vivant de l'auteur. Le thème principal en est l'infidélité, qui est présente dès le titre: la "main gauche", c'était la maîtresse... Seules deux nouvelles, Boitelle et L'Endormeuse, parlent d'autre chose. Boitelle est un très beau et triste texte que j'avais lu il y a longtemps; une histoire de racisme qui serre le cœur mais fait néanmoins constater que les choses évoluent. L'Endormeuse est quant à elle une sorte d'anticipation terrifiante dont je vous ai déjà parlé. Un texte réellement pessimiste et atrocement lucide, typique de Maupassant, qui fait bien plus dresser mes cheveux sur ma tête que ses nouvelles fantastiques. Il m'a semblé encore plus visionnaire après que j'aie vu Soleil vert il y a deux semaines. À retenir aussi: Hautot père et fils, L'Ordonnance (un texte un peu plus indulgent envers les femmes, dont Maupassant avait décidément une bien piètre opinion), Duchoux et Le Rendez-vous. Comme toujours, je trouve que Maupassant est un très grand Écrivain, un vrai géant de la langue française: un incontournable.

D'autres recueils de Maupassant sur ce blog
Contes fantastiques (1875-1890)

mardi 10 février 2015

L'Ensorcelée (1852)

Redécouverte totale que cette Ensorcelée, roman lu au lycée et totalement oublié par la suite.


C'est une histoire macabre et lugubre qui se déroule dans une lande désolée du Cotentin au début du XIXe, au lendemain de la Révolution. Racontée en pleine nuit par un paysan des lieux à notre narrateur, elle parle de la passion destructrice de Jeanne pour le terrifiant abbé de La Croix-Jugan. Cette noble désargentée ayant épousé un riche paysan, un Bleu qui s'est enrichi en rachetant des biens de l'église, est comme ensorcelée quand elle rencontre cet abbé au visage ravagé, ancien Chouan interdit de messe car il a tenté de se suicider.

À mes yeux, L'Ensorcelée est un livre parfait.

Déjà parce que Barbey écrit merveilleusement bien, comme un Maupassant ou un Zola: cette langue élégante et riche du XIXe est ce que je préfère en français. Ensuite, parce qu'il a créé des personnages plus grands que nature qui ne peuvent laisser indifférents. Qu'on les aime ou qu'on les redoute, ils nous ensorcellent forcément. Pour ma part, c'est la Clotte qui m'a le plus marquée. Ensuite, parce qu'il n'a pas peur de regarder l'horreur en face, encore comme un Maupassant ou un Zola. Il y a fort peu d'espoir dans ce livre et l'histoire se termine mal pour tout le monde, d'une manière tellement lugubre que mes cheveux se sont pratiquement dressés sur ma tête. Ensuite encore, parce qu'il y a une petite touche de surnaturel assumé, mais discret, juste de quoi semer le doute, un peu, encore une fois, comme chez Maupassant.... Et enfin parce que ce roman est un roman historique qui m'a fait redécouvrir tout un pan de l'histoire de France que j'avais complètement oublié, à savoir la Chouannerie, le mouvement des royalistes insurgés contre la Révolution, en Normandie qui plus est (et pas en Vendée). Et même si Barbey fait un peu vieux aigri à répéter que "c'était mieux avant", le temps de ces 270 pages j'ai moi aussi regretté le monde disparu de l'Ancien régime...

Un livre très marquant, qui m'a captivée et que j'ai fini à regret, mais qui ouvre heureusement d'autres portes: Barbey a écrit d'autres livres et Balzac a écrit Les Chouans...

"[...] mais la messe de l'abbé de La Croix-Jugan n'est pas une messe de Noël, c'est une messe des Morts, sans répons et sans assistance, une terrible et horrible messe [...]."

dimanche 8 février 2015

The Miscellaneous Writings of Clark Ashton Smith

Chronique express!


The Miscellaneous Writings of Clark Ashton Smith vient compléter les cinq volumes des Collected Fantaisies édités par Night Shade Books. Avec ces textes de jeunesse, pas forcément fantastiques ou horrifiques, on découvre un CAS tout à fait méconnu et... pas vraiment au top. ^^ En effet, si ces nouvelles partent sur de bonnes idées, elles manquent d'âme et de travail pour en faire des textes vraiment pertinents: un peu trop factuelles, elles sont plutôt prévisibles et plates. La petite pièce de théâtre The Dead Will Cuckold You est quant à elle carrément bancale, malgré un pitch génial (tout est dans le titre!). Je n'en retiendrai que Checkmate, qui a mieux su trouver le ton adapté, et le long poème The Hasish-Eater, que j'ai eu du mal à suivre mais qui est une lecture obligatoire pour les fans.

En bref, un tome à réserver aux inconditionnels de ce cher CAS; ne commencez surtout pas par ici si vous ne le connaissez pas! ^^

vendredi 6 février 2015

Un monde flamboyant (2014)

J'ai rencontré Siri Hustvedt il y a trois ans, avec Un été sans les hommes. Ce livre m'a beaucoup touchée, à tel point que je l'ai depuis offert à deux amies (voire trois). Mais Élégie pour un Américain ne m'avait pas plu du tout. Cette fois-ci, j'ai apprécié ma lecture,  mais je n'ai pas tout compris...


Un monde flamboyant est le portrait d'une artiste new-yorkaise méconnue, Harriet Burden. Les témoignages de diverses personnes l'ayant connue alternent avec des extraits de ses carnets de notes et dressent le portrait d'une femme intelligente et cultivée, terriblement frustrée par son statut de "femme de". En effet, c'est son époux marchant d'art qui attirait les regards. Harriet n'a jamais obtenu la reconnaissance artistique qu'elle estimait mériter, de par la présence de son époux et une certaine misogynie ambiante dans le monde de l'art. Une fois veuve, elle tente donc une nouvelle expérience: exposer ses réalisations en les faisant passer pour celles de trois autres artistes. Trois hommes.

Ce postulat de départ était très attrayant. Et je dois dire que Siri Hustvedt traite le sujet avec beaucoup de subtilité et de lucidité, en pointant du doigt ces petites attitudes paternalistes si présentes et si difficiles à combattre. La frustration d'Harriet est justifiée. La construction du livre est aussi pertinente; les récits se recoupent ou se contredisent et donnent vraiment envie d'explorer la psychée du personnage. En outre, Siri Hustvedt analyse certains sentiments avec une très grande finesse. Beaucoup de passages m'ont parlé et les dernières pages m'ont plongée dans une détresse émotionnelle réelle. Et le style, très élégant et érudit, est vraiment de qualité. La traductrice, Christine Le Bœuf, a fait un excellent travail.

Mais ce roman est tellement érudit que j'ai été puissamment larguée. Vous savez ce que c'est, vous, "la philosophie du moi et la dynamique de la perception"? Vous savez qui est Warburg? Vous connaissez en détail la pensée de Kirkegaard et Hegel?

Je ne suis pas du tout réfractaire à la complexité. Au contraire, je reproche à la plupart des productions cinématographiques d'aujourd'hui de prendre le spectateur pour un retardé mental qu'il ne faut surtout pas épuiser en lui demandant de réfléchir un tant soit peu. Mais ici l'accumulation de références obscures m'a semblé excessive. Une pose, en quelque sorte. Une manière de montrer que notre artiste (et notre auteure?) est vraiment très très cultivée et au-dessus du commun des mortels. Une véritable a-r-t-i-s-t-e.

En outre, ce milieu new-yorkais très aisé, sujet à toutes sortes de névroses, dont tous les habitants sont très malheureux et se font psychanalyser, ne m'attire guère et ne me parle pas. J'ai parfois eu envie de secouer les personnages ou de les envoyer travailler à la plonge d'un restaurant quelques jours pour qu'ils comprennent un peu ce qu'est vraiment la vie.

Du coup, le livre m'a paru long. Mais je veux vraiment souligner qu'il présente un intérêt certain. Siri Hustvedt a clairement quelque chose à dire sur la situation de la femme et celle de l'artiste en général. Est-ce qu'elle se retrouve dans le parcours d'Harriet, qui veut "être comprise" à travers son art et qui souffre au plus profond d'elle-même de l'indifférence avec laquelle ses créations sont reçues? D'une manière générale, quel lecteur peut ne pas se retrouver dans ce besoin impérieux et profond de communiquer avec ses semblables?

Au fond, ne sommes-nous pas tous, comme Harriet, un peu écartelés entre des tendances contradictoires qui vont tout à tour vers le génie et le défaitisme? Est-ce que tout le monde n'a pas quelques bouts du cerveau qui travaillent exclusivement à son auto-destruction? (Chez moi, c'est 10%, comme les 10% consacrés à la paranoïa.)

Un livre qui pose beaucoup de questions, donc, mais à lire en sachant qu'il présente une érudition encyclopédique difficile à appréhender pour le commun des mortels.

mercredi 4 février 2015

La gamelle de janvier 2015

L'année commence fort du côté des films, avec de bons moments sur Netflix et de belles choses au cinéma.

Sur petit écran (merci Netflix!)

Maléfique de Robert Stromberg (2014)
Pas mal, cette revisite du conte de La Belle au bois dormant version Disney. Angelina Jolie tient bien le rôle de Maléfique. Le monde des fées est très joli et présente de bonnes idées. En revanche, l'image de synthèse me semble vouée à vieillir très vite. Et il m'a quand même manqué quelque chose pour trouver ça vraiment bien. Mais bon si une nouvelle génération de petites filles grandit en regardant ce film-là, il y a de l'espoir pour l'avenir.

Le dernier samouraï d'Edward Zwick (2003)
TOOOMMM. Heuh pardon. C'était l'instant groupie. Un film intéressant mais pas mémorable. C'était sympa de le voir car il collait avec ma traduction du moment, et puis il y a des guerriers, des épées et des chevaux. Et TOOOMMM Cruise, donc, bien qu'il ne soit pas au top de son charisme et de ses capacités.


Entretien avec un vampire de Neil Jordan (1994)
"Putain, ce film" résume mon ressenti avec précision. Tout est parfait. La mise en scène est tellement soignée et les acteurs sont tellement bons. Tom Cruise est au TOP, Kirsten Dunst est INCROYABLE ("Which one of you did it?"), Antonio Banderas en Armand reste le personnage masculin pour lequel je donnerais le plus volontiers mon âme, Brad Pitt est parfait en Louis et Christian Slater a ce léger regard de "bad boy" que j'adore. "Putain, ce film", donc: j'ai déjà dû le voir trente fois et pourtant il m'émerveille encore. PARFAIT.

Sur grand écran

Invincible d'Angelina Jolie (2014)
Un beau film dur sur un soldat américain de la Deuxième Guerre mondiale. Après la chute de son avion, l'homme a passé 47 jours en mer avec deux autres survivants puis a été capturé par les Japonais. Angelina Jolie a clairement quelque chose chose à dire avec ce film, et si le reste de sa carrière de réalisatrice est du même acabit, il faudra désormais penser à elle en tant que réalisatrice plutôt qu'actrice. Le tournage a dû être éprouvant, mais le film est très bien maîtrisé et construit. Les dernières images m'ont tiré une larme et m'ont vraiment donné à réfléchir. Clint n'aurait pas fait mieux: j'insiste car le film me semble rester assez confidentiel et qu'il mérite vraiment d'être vu. Il faut maintenant que je me penche sur son film précédent, Au pays du sang et du miel. Attention, le titre d'origine, Unbroken, signifie plutôt "invaincu" qu'"invincible", ce qui fait beaucoup moins grandiloquent! ^^


Souvenirs de Marnie de Hiromasa Yonebayashi (2014)
Un dessin animé Ghibli fidèle à l'esprit du studio: émouvant, simple, profond, subtil, apaisant. Quand je sors de ces films, j'ai toujours l'impression d'être une meilleure personne. Je reste aussi étonnée par la modernité dont ils font preuve malgré leur côté intemporel: ce n'est pas demain qu'on entendra le mot "allocation" dans un Disney.

L'invasion des profanateurs de sépulture de Don Siegel (1956)
Une séance UGC Culte chroniquée en détail ici.

Whiplash de Damien Chazelle (2014)
Bon film musical sur la relation entre un jeune aspirant batteur et son enseignant charismatique et flippant. Les deux acteurs principaux sont très bons. Je n'ai pas apprécié les subtilités musicales à leur juste valeur et j'imagine qu'un expert doit trouver ce film absolument génial, mais heureusement, le néophyte peut aussi profiter du film.

Wild de Jean-Marc Vallée (2014)
Autre bon film dans un tout autre genre: on est ici du côté de la quête de soi au cœur de superbes paysages. Reese Witherspoon joue très bien et c'est un vrai plaisir de voir Laura Dern (Ellie Sattler dans Jurassic Park). Wild est plus dur qu'il n'en a l'air et "intelligemment profond", si vous voyez ce que je veux dire. Il m'a manqué quelque chose pour adhérer corps et âme, mais c'est plutôt heureux au vu des événements racontés, qui m'ont, du coup, juste tiré une larme au lieu de me faire sombrer dans des sanglots incontrôlables.

Les Laisons dangereuses de Stephen Frears (1988)
Une séance UGC Culte particulièrement bien nommée. Ce film est vraiment un chef d’œuvre avec sa mise en scène léchée et ses acteurs bluffants. Je ne l'ai pas chroniqué en détail car je n'ai pas grand-chose à ajouter sur mon billet d'il y a trois ans, si ce n'est que j'ai encore plus aimé.

Exodus - Gods and Kings de Ridley Scott (2014)
Un film un peu mou et bizarrement construit, avec des longueurs inutiles et des ellipses qui auraient mérité d'être développées. À la fin, il y a une telle énormité qui les bras m'en sont littéralement tombés, et l'image de synthèse du passage le plus connu est tout simplement médiocre. Le passage sur les plaies d'Égypte vaut cependant le détour, parce qu'il présente une vraie tension et m'a semblé très angoissant. Dans une moindre mesure, la représentation de Dieu est aussi intéressante (à lire à ce sujet, un article du Monde sur les raisons pour lesquelles le film est interdit dans certains pays). C'est typiquement un film à voir au cinéma. Le petit plus: les chevaux sont tous plus superbes les uns que les autres, c'est vraiment fou.

Charlie Mortdecai de David Koepp (2014)
Seul vrai ratage du mois, Charlie Mortdecai est vraiment très mauvais, mais heureusement il a un bon rythme et fait quand même rire un peu, ce qui fait qu'on ne s'ennuie pas. Mais bon c'est vraiment nul. Et c'est un peu triste d'y voir des acteurs du calibre de Johnny Deep, Gwyneth Paltrow, Ewan McGregor et (quelques minutes) Jeff Goldblum...

Soleil vert de Richard Fleischer (1973)
Une séance UGC Culte chroniquée en détail ici. C'est la première fois que je chronique un film Culte aussi vite, tellement vite qu'il passe encore au cinéma lors de la publication. J'en suis époustouflée.

Du côté des séries

J'ai fini la première saison de Poirot, une série très sympathique que je continuerai avec plaisir, même si tous ces meurtriers ont décidément bien du temps à consacrer à des mises en scènes extrêmement tordues. Malheureusement, c'est tout. Même pas un petit épisode de Downton pour avancer la saison 5...

Le reste

J'ai lu mon Cheval Mag et acheté Le Magazine Littéraire. La première partie était intéressante mais quand même un peu "monde de l'édition ayant une haute conception de lui-même". Le dossier sur le roman gothique, qui a motivé mon achat, était bien fait et plus prenant. Il m'a donné envie de lire plein de livres et de voir plein de films... En définitive, un magazine à relire à l'occasion si le dossier m'intéresse, mais un peu trop "pédant" pour le lire régulièrement.


Si vous avez tenu jusqu'ici: "That's all, folks!" ^^

lundi 2 février 2015

UGC Culte: Soleil vert (1973)

En 2022, New York est surpeuplée et accablée par la chaleur. La raréfaction des ressources est telle que la population tout entière se nourrit de petits carrés de protéïnes, les soylent, la variété la plus récente étant le soylent vert.

Frank, un policier, est amené à enquêter sur la mort d'un riche individu vivant dans un building de riches. Tellement riche qu'il pouvait se payer de vrais légumes et que l'appartement qu'il louait est fourni avec une jeune femme qui fait partie du mobilier...

Frank profite de l'enquête pour voler quelques légumes, mais il se rend bien compte que ce meurtre a quelque chose de bizarre. Le mort, qui était au conseil d'administration de la société Soylent, savait-il quelque chose qu'il ne devait pas ébruiter?


Soleil vert de Richard Fleischer est un film de science-fiction très intéressant. En plus, il m'a limite réconciliée avec Charlton Heston, c'est dire... Mais c'est surtout l'ambiance et le propos qui sont intéressants et sont encore (plus) d'actualité aujourd'hui qu'il y a quarante ans. Car on est propulsés ici dans un avenir très peu enviable, dans lequel la planète empoisonnée ne peut plus nourrir une population de plus en plus nombreuse. Notre protagoniste a la chance de partager une chambre avec son collègue libraire. Mais des dizaines de personnes vivent dans l'escalier de l'immeuble ou dans la rue... Le climat est perpétuellement chaud et humide et personne, à l'exception des richissimes, n'a vu un véritable aliment depuis des lustres.

La joie des deux protagonistes quand ils dégustent une tomate, un poireau et une pièce de bœuf est vraiment marquante. Quant à la mort du libraire, elle m'a fait piquer les yeux. Cette mise en scène est vraiment crédible et Edward G. Robinson joue très très bien! Je n'en dis pas plus pour ne pas spoiler, mais c'est un moment qui fait réfléchir et qui secoue...

Techniquement, il faut reconnaître que le film a vieilli. Les bagarres, notamment, sont ridicules. La tension est donc moindre pour le spectateur d'aujourd'hui. Mais les quarante ans écoulés depuis le rendent beaucoup plus inquiétant: car ce futur est celui que nous nous sommes tranquillement préparés pendant tout ce temps et que les émeutes de la faim ont déjà commencé...


Le personnage de Shirl, la jeune femme qui faisait partie du mobilier du mort, est également assez intéressant. C'est une petite touche d'humanité dans ce monde horrible, tout en étant aussi un élément très flippant. Car elle est vraiment fournie avec l'appartement: chaque locataire décide de la garder ou pas, et quand le policier vient enquêter, il ne lui demande pas qui elle est mais directement "You're furniture?"....


Soleil vert se termine sur une chute que je connaissais déjà, ce qui ne lui enlève pas de son impact. Le tout dernier plan m'a cependant laissée perplexe: faut-il y voir une référence à l'expression anglaise "to be caught red-handed"? Est-ce une manière de dire que Frank sera contraint au silence et [spoiler] jugé pour meurtre? Qu'on le fera passer pour un dangereux psychopathe afin que personne ne croie à ses propos? [fin du spoiler] Si vous avez des idées, partagez!