Aujourd'hui, je vous propose un nouvel interlude musical. Direction l'Ukraine!
samedi 26 novembre 2022
🎶 Натаха (2019) 🎵
lundi 21 novembre 2022
Là-bas (1891)
De Joris-Karl Huysmans, je n’ai longtemps connu que le nom de famille, qui revient régulièrement quand on s’intéresse à Émile Zola, puis j’ai lu sa nouvelle Sac au dos, qui fait partie du recueil Les Soirées de Médan. Mais c’est en entendant la lecture d’un extrait de ce roman, Là-bas, dans je ne sais absolument plus quel épisode de la Compagnie des auteurs sur France Culture, que j’ai décidé avec détermination de le lire. C’était la description d’une crucifixion, avec un Jésus sanglant, sale, pitoyable et répugnant d’une force hors de l’ordinaire. Le genre de truc qui fait rêver les ados gothiques. Et comme je rêve d’être une ado gothique, à défaut de l’avoir été…
"Démanchés, presque arrachés des épaules, les bras du Christ paraissaient garrottés dans toute leur longueur par les courroies enroulées des muscles. L’aisselle éclamée craquait; les mains grandes ouvertes brandissaient des doigts hagards qui bénissaient quand même, dans un geste confus de prières et de reproches; les pectoraux tremblaient, beurrés par les sueurs; le torse était rayé de cercles de douves par la cage divulguée des côtes; les chairs gonflaient, salpêtrées et bleuies, persillées de morsures de puces, mouchetées comme de coups d’aiguilles par les pointes des verges qui, brisées sous la peau, la dardaient encore, çà et là, d’échardes."
Là-bas est un roman assez chelou, en ceci qu’il se divise assez distinctement entre deux histoires, mais n'a pour autant pas vraiment d'histoire.
D’une part, on suit un certain Durtal, écrivain blasé,
retiré du monde, qui se consacre à un livre sur Gilles de Rais. Il dîne chez le
sonneur de cloches de Saint-Sulpice avec son ami des Hermies, médecin, et les
conversations s’occupent beaucoup de satanisme (mais aussi, parfois, de littérature:
le roman s’ouvre par une diatribe anti-naturalisme assez amusante quand on sait
que l’auteur faisait, à l’origine, partie du cercle de Zola 😄). Durtal a une relation avec une femme mariée: d’abord, elle lui envoie des lettres
passionnées, puis ils passent à l’acte de manière compliquée, avec des
changements incessants de la part de Durtal, qui veut coucher, puis ne veut
plus, puis couche quand même, etc. [Divulgâcheur] L’apogée du roman, c’est quand
cette femme lui permet d’assister à une Messe noire. [Fin du divulgâcheur]
D’autre part, on suit aussi, au fil de chapitres épars, l’histoire
de Gilles de Rais, maréchal du XVe siècle et compagnon de Jeanne d’Arc, passé à
la postérité pour l’enlèvement, le viol et le meurtre de plusieurs dizaines d’enfants.
Deux histoires distinctes, donc, et le fil rouge du
satanisme, de l’occultisme, du succubisme et de la démonologie – mais pas vraiment
d’intrigue, au-delà de la relation assez instable et malsaine entre Durtal et Mme
de Chantelouve. Une fois le bouquin terminé, on ne sait pas trop ce qu’il faut en
tirer quant à l’évolution – ou plutôt la non-évolution – des personnages.
En ce sens, le roman me semble donc assez vain.
En revanche, il faut dire qu’il réserve quelques passages
assez spectaculaires, à l’image de ce Christ aux "chairs […] salpêtrées
et bleuies, persillées de morsures de puces". L’évocation des rituels
sataniques ne manque pas d’actes chelous et vaguement dérangeants à la fois, avec
une forte composante liée au sacrilège – se tatouer des crucifix sur la plante
des pieds afin de piétiner le Christ toute la journée, par exemple. Franchement
chelou, à mes yeux, mais très efficace comme symbole, dans ce que ça dit de l’opinion
que tu te fais de ton dieu. Je me demande d’ailleurs comment ce livre a été
reçu à l’époque de sa sortie. L’Église catholique a dû faire une attaque. Il
paraît que Huysmans s’est converti au catholicisme peu après, ce qui me laisse
assez perplexe…
(Si vous êtes catholique et avez lu ce livre, votre avis m’intéresse,
évidemment. Qu’en avez-vous pensé? Est-ce que ça vous blesse ou vous heurte,
ces gens qui profanent des hosties et dansent tout nus devant l’autel? Est-ce
que vous trouvez ça un peu ridicule? Daté? Puéril, parce que Dieu est forcément, par
essence même, plus grand que toute tentative de le rabaisser ou de lui nuire?)
Les autres passages spectaculaires, et les plus marquants,
sont ceux liés à Gilles de Rais et à sa dérive progressive vers le démonisme et
surtout la folie pédophile et meurtrière. Là, je crois pouvoir affirmer sans
hésiter qu’il vaut mieux vous abstenir de lire ce livre si vous êtes sensible
sur la question, car il y a quelques descriptions très claires des viols et des
tortures. Décidément, le XIXe siècle, qu’on considère comme très corseté, se
permettait de dire les choses sans ambages…
"Tu es bon, toi; ce n’est pas facile de se procurer des enfants que l’on puisse impunément égorger, sans que des parents chiaillent et sans que la police s’en mêle!"
Enfin, je retiendrai aussi le personnage de Mme de
Chantelouve, une figure protéiforme, à la fois femme du monde, épouse
indépendante et libérée qui ne cache pas à son mari qu’elle le trompe et qui n’hésite
pas à aller se chercher un amant, amoureuse soumise qui couche avec Durtal
alors que, à la base, elle ne le veut pas, et sataniste étrange, qui fait
partie du milieu mais ne participe pas à la transe collective de la Messe
noire. Lorsque Durtal la reçoit chez lui, lors de leur première nuit ensemble,
toute la préparation s’apparente à la préparation d’un viol, avec cet homme qui
réfléchit à la disposition des meubles pour arriver à ses fins et anticipe les
réactions de défense de la femme; mais au final, Chantelouve s’installe dans le
lit la première, pourvu de lui faire plaisir, et Durtal ne la rejoint qu’à
contrecœur, dégoûté de cette coucherie quasiment conjugale puis de l’ardeur
sexuelle de sa partenaire. Il faut dire que Durtal a quelques problèmes avec le
sexe, c’est dit dès le début du roman…
Voilà. Une lecture étrange, dans l’ensemble, mais que je
suis contente d’avoir faite, d’autant que c’est superbement bien écrit, avec
cette langue riche, typique du XIXe, que j’adore.
"Alors Durtal se sentit frémir, car un vent de folie secoua la salle. L’aura de la grande hystérie suivit le sacrilège et courba les femmes; pendant que les enfants de chœur encensaient la nudité du pontife, des femmes se ruèrent sur le Pain Eucharistique et, à plat ventre, au pied de l’autel, le griffèrent, arrachèrent des parcelles humides, burent et mangèrent cette divine ordure."
mercredi 16 novembre 2022
Le bon moment. La science du parfait timing (2018)
Chronique express!
On court tous plus ou moins après le temps… Et si on pouvait
améliorer sa productivité et sa vie en général en adoptant le bon timing, à
défaut de pouvoir ajouter des heures à sa journée? C’est en quelque sorte ce que
propose cet essai de Daniel H. Pink, qui est, à la base, docteur en droit –
rien à voir avec le développement personnel, donc, mais, hey, tous les chemins
peuvent mener à Rome si on s’y prend bien. Une lecture indéniablement
intéressante, le moment auquel on fait les choses semblant effectivement avoir
son importance. Déjà, les trois quarts des gens sont plutôt du matin et
connaissent un ralentissement de la vigilance et de la concentration l’après-midi,
ce qui se manifeste de plein de manières différentes – statistiquement, les
élèves passant des tests standardisés ont de meilleures notes le matin, par
exemple. De quoi faire réfléchir à l’organisation de sa journée. L’auteur
consacre aussi un chapitre à l’éloge des pauses et de la sieste, ce qui m’a
fait intégrer une ligne "faire des pauses" dans ma liste de tâches
quotidiennes pour le boulot. Passés ces deux chapitres enthousiasmants, cependant, mon intérêt est retombé, l’ouvrage me semblant nettement moins concret,
voire sentant le remplissage. Le dernier chapitre, sur la synchronisation, m’a
même semblé totalement superflu.
Pourquoi ce livre?
Par un amusant concours de circonstances:
1️⃣ cet ouvrage est cité dans un livre de développement personnel que je viens
de traduire; 2️⃣ quand j’ai vérifié s’il existait une version française afin de
l’indiquer au lecteur de ma traduction, j’ai constaté que oui, il y en avait
une, et qu’elle était l’œuvre d’Hélène Florea, que je connais dans la vraie
vie; 3️⃣ quand je le lui ai dit, elle m’a annoncé qu’il lui restait un
exemplaire et elle me l’a envoyé (et avec une dédicace mémorable! 🤩).
vendredi 11 novembre 2022
Philosophie féline (2020)
Chronique express!
Une couverture félinopensive réalisée par…
eh bien, on ne sait pas, ce n’est écrit nulle part dans le bouquin,
ni sur le site de l’éditeur. 🤪
John Gray, philosophe et enseignant anglais, propose dans Philosophie féline. Les chats et le sens de l'existence de passer en revue quelques notions bien humaines à travers le prisme de l’expérience féline. Le bonheur, l’éthique, la mort… Qu’en pensent les chats, que nous apprennent-ils et qu’en ont pensé les philosophes au cours de l’histoire? Pour une amatrice de chats, le pitch est alléchant, d’autant que j’adorais la philo quand j’étais au lycée (souvenez-vous, j’ai même essayé de m’y remettre il y a quelques années: ici, ici et ici…).
Deux problèmes se sont toutefois posés pour moi. Premièrement, j’ai le cerveau en difficulté après plusieurs années de labeur intense, j'ai lu ce bouquin durant une période de fatigue particulière et j’ai du mal à manipuler des idées; quand j’arrive à la fin d’un chapitre, je suis incapable de résumer ce qui y a été dit (à moins qu’on ne parle d’une notion que je connaissais déjà, comme le pari de Pascal… 😅). Donc, j’ai trouvé ça intéressant sur le coup, mais je n’en tire aucune connaissance sur le long terme. 🙄 (Ce problème vient bien sûr de moi et non de l’ouvrage, hein.) Deuxièmement, l’idée même de comparer le comportement de l’humain à celui du chat me semble absurde. L’auteur rappelle d’ailleurs que le chat, comme tout animal non humain, n’est PAS capable de concevoir des idées abstraites. Donc, dire que l’humain devrait faire comme le chat et profiter de l’instant présent sans se laisser obnubiler par l’angoisse de sa propre mort, ça me laisse perplexe. 🤔 Mais bon, c’était quand même chouette de me hisser temporairement dans le monde des idées, de réfléchir à la morale et à la quête de sens et de voir ce que certains philosophes ont raconté au fil des siècles; et la traduction française, assurée par Fanny Quément, est ciselée à la perfection, avec beaucoup de précision, c’est un régal. On félicite d’ailleurs la maison d’édition, Gaïa, qui indique le nom de la traductrice en couverture! 💪💪💪💪
dimanche 6 novembre 2022
Analog/Virtuel (2020)
Dans un avenir non daté, Apex City, autrefois appelée Bangalore, est la propriété de Bell Corp, une entreprise tentaculaire qui régit le moindre détail de la vie des habitants. Éducation, travail et surtout productivité sont suivis de près sur une "Courbe de Bell", qui détermine votre place dans la société. La plupart des gens font partie des Soixante-dix-Pour-Cent. Le rêve, c’est d’entrer dans les Vingt-Pour-Cent. Le cauchemar, c’est de basculer dans les Dix-Pour-Cent: les improductifs, les contestataires, les loques qu’on expulse d’Apex City et qu’on envoie grossir les rangs des Analogs, les déshérités qui vivent sans technologie, tandis que les Virtuels, en ville, sont constamment assistés par le numérique.
Dans ce contexte très joyeux, Lavanya Lakshminarayan, jeune
autrice indienne, met en scène de nombreux personnages dans une vingtaine de
textes courts, qui peuvent pratiquement tous se lire comme des nouvelles
indépendantes mais qui constituent néanmoins autant de chapitres d’un tout
cohérent. Les personnages et les lieux ne reviennent pas dans chaque texte,
mais on repère néanmoins des liens qui donnent de l’épaisseur à l’ensemble,
puis une intrigue globale se dessine progressivement. Le ton peut évoluer d’un
texte à l’autre: le premier, "La Voleuse Dix-Pour-Cent" est plutôt
porteur d’espoir, tandis que "…Sur ce, bonne nuit" est glaçant. "La
Police des Personas" m’a bien amusée (si on peut dire…) avec sa mise en
scène de véritables langues de vipère monologuantes. Dans tous les cas, le
roman se dévore avec avidité, cette narration éclatée donnant extrêmement envie
d’avancer pour en savoir plus.
Le seul reproche que je lui fais, c’est la présence
constante d’appareils portant des noms composés de deux mots: rien que dans la
première page, on a ainsi "médi-techs", "holo-montres", "raid-bots" et "pod-home". J’appelle ça "de la SF
à gadgets": bidouiller des machins pour montrer qu’on est dans un avenir
plus avancé que le nôtre. J’imagine aussi que le roman n’est pas d’une
originalité folle pour qui connaît bien le genre. Néanmoins, j’ai adoré et je
vais carrément garder un œil sur cette autrice. En plus, c’est quelqu’un de
bien: dans les remerciements de l’édition française, au Rayon Imaginaire de
Hachette, elle remercie sa "merveilleuse traductrice, Lise
Capitan"!!!! Yeah!!!! C’est beau!!!
(Et si vous vous demandez "Pourquoi ce
livre?", c’est précisément parce qu’il a été traduit de l’anglais
par Lise Capitan. 😍)
mardi 1 novembre 2022
La gamelle d'octobre 2022
Le hasard des sorties cinématographiques fait que j’ai profité d’un beau diptyque féminin en ce mois d’octobre. C’est peu quantitativement, mais c’était très bon!
Sur petit écran
Pas de film.
Sur grand écran
Simone. Le voyage du siècle d’Olivier Dahan (2022)
Un film extraordinaire sur une personnalité hors du commun.
Pour reprendre l’expression utilisée par je ne sais plus qui lors de
l’enterrement d’Émile Zola, cette femme a été "un moment de la conscience
humaine". Son parcours ne peut que pousser à s’engager plus résolument en
faveur de ce en quoi on croit.
The Woman King de Gina Prince-Bythewood (2022)
Une histoire de résilience et
d’insoumission dans un contexte guerrier avec des épées: aaaaaaaahhhh! Le film
n’est pas parfait; j’ai eu quelques fois l’impression d’une transition ratée ou
d’une fausse note, par exemple quand la cheffe des Agojié dit à ses élèves
qu’il ne leur reste plus beaucoup de temps avant leur épreuve finale alors
qu’on les a à peine vues commencer leur entraînement. Et un élément de l’intrigue
([divulgâcheur] la filiation [fin du divulgâcheur]) m’a moins passionnée. Mais
purée!! Ces guerrières dégagent un truc de MALADES!!! C’est un film de
super-héros quoi, mais sans costumes et gros flingues! Et Viola Davis est au
top du top, comme d’habitude. Holàlàlà! ON SIGNE OÙ POUR S’ENGAGER?
Du côté des séries
La Roue du Temps – saison 1 (2022)
Il n’y a pas de doute, la fantasy est le genre qui me fait
le plus rêver. Malgré des points faibles, notamment la remarquable absence de
charisme des quatre personnages principaux, j’ai adoré cette première saison,
qui m’a fait découvrir un univers fascinant, m’a procuré beaucoup d’émotions
(la scène du jugement dans l’épisode 6 🤯) et a su me prendre par surprise plus d’une
fois. Mention spéciale à Rosamund Pike, qui est extraordinaire. J’ai hâte de
voir la suite.