Le nom d'August Derleth est connu des amateurs de Lovecraft: d'une part parce que le célèbre auteur l'a immortalisé dans ses ouvrages sous le nom de comte d'Erlette, et d'autre part parce que Derleth a fondé, avec Donald Wandrei, la maison d'édition Arkham House, justement dans le but de publier les œuvres de Lovecraft. Il serait également à l'origine de l'expression "mythe de Cthulhu", que Lovecraft n'employait pas. Pour en savoir un peu plus, je vous invite à lire mon billet sur Lovecraft. A look behind the Cthulhu mythos de Lin Carter.
Quid de ce recueil de nouvelles de Lovecraft complétées par Derleth, que m'a dégoté Vert? (Mille milliards de mercis!! 😍) Inévitablement, il y a du bon et du moins bon. Comme vous le verrez, il y a beaucoup de répétitions (la présence d'un cousin, les maisons isolées, les rumeurs et les superstitions locales...) et des structures assez classiques pour qui connaît Lovecraft. Mais c'est surtout la plume grandiloquente et archaïque de Lovecraft qui m'a manqué; je trouve qu'il exprimait quelque chose de puissant par sa manière unique d'employer des adjectifs peu usités. Ici, les choses sont plus plates.
Je dois préciser que j'ignore totalement quel genre de notes ou de brouillons avait laissés Lovecraft et dans quelle mesure chaque texte a été retravaillé par Derleth. À en croire le wiki sur Lovecraft, un de mes textes préférés se limitait à une ligne dans les notes de Lovecraft, auquel cas Derleth aurait fait tout le travail...
The Survivor (1954)
Une vielle maison qui respire le mal, un nouveau locataire, de mystérieux écrits laissés par un médecin ayant exercé là, des travaux douteux sur les reptiles et l'immortalité, un puits dans le jardin. Un texte classique et prévisible qui se termine sur un paragraphe en italique révélant la terrible vérité.
Wentworth's Day (1957)
Un narrateur perdu dans la montagne, une ferme isolée où s'abriter en attendant la fin de l'orage, un homme qui guette le moindre bruit, un mort qui a juré vengeance, des livres sur la nécromancie. Un texte classique et prévisible qui se termine sur un paragraphe en italique révélant la terrible vérité.
The Peabody Heritage (1957)
Un narrateur qui s'installe dans la vieille maison familiale isolée de tout, un caveau contenant un squelette bizarrement placé, une pièce cachée à la géométrie anormale, des rêves terrifiants, un chat noir, des locaux qui refusent d'approcher de la maison. J'ai eu un peu peur, mais surtout l'impression d'avoir déjà lu cette histoire de sabbat et de pièce cachée quelque part, même s'il m'est impossible de retrouver le texte en question... 😕 Et, oui, cette nouvelle est classique et prévisible et se termine sur un paragraphe en italique... 😉
The Gable Window (1957)
Un narrateur qui s'installe dans la vieille maison familiale isolée de tout, une fenêtre ronde au verre opaque, de mystérieuses notes laissées par un cousin, l'aperçu de mondes éloignés dans lequels s'épanouissent des créatures terrifiantes. Ce texte m'a lui aussi donné une forte impression de déjà lu. Et, oui, les dernières lignes sont en italique.
The Ancestor (1957)
Un narrateur qui s'installe chez un vieux cousin pour l'aider à mettre en ordre ses notes sur ses travaux, des recherches sur la mémoire qui remontent de plus en plus loin dans le passé, une odeur douteuse dans un laboratoire fermé de l'intérieur, un chien très calme qui se met à aboyer furieusement la nuit. Bien sûr, le dernier paragraphe est en italique. ^^
The Shadow Out of Space (1957)
Un homme qui n'est pas lui-même pendant trois ans, la vision d'un autre monde, la conviction qu'"ils sont parmi nous". Comme pour The Peabody Heritage et The Gable Window, j'ai eu la nette impression d'avoir déjà lu ce texte. Et il se termine en italique, lalalalala.
The Lamp of Alhazred (1957)
Autant les six premiers textes étaient sympathiques mais ne présentaient pas d'intérêt majeur, autant ce texte m'a capturée et émue. Les amateurs de Lovecraft savent, bien sûr, qu'Alhazred est l'auteur fou du Necronomicon. Ici, le narrateur reçoit une lampe à huile lui ayant appartenu via l'héritage d'un cousin. Mais cette lampe n'apporte pas que de la lumière: elle révèle d'autres mondes. L'homme, fasciné, couche ses visions sur le papier et finit par passer dans cet ailleurs. Hommage évident à la capacité de Lovecraft à nous faire soupçonner l'existence de mondes inconnus, ce texte est aussi un bel hommage à l'imaginaire dans une période historique qui n'a plus rien de magique. Il m'a touché et attristée.
The Fisherman of Falcon Point (1959)
Au large d'Innsmouth, ville côtière bien connue des lecteurs de Lovecraft, un vieil homme soutient avoir pris dans ses filets un poisson qui n'en était pas un – un poisson qui avait des jambes et qui parlait. Si certains se moquent de sa sirène, d'autres préfèrent ne pas commenter, sachant que les eaux d'Innsmouth ne sont pas comme les autres. Un texte nostalgique qui m'a beaucoup plu.
The Dark Brotherhood (1966)
Providence, un narrateur qui aime se promener la nuit, une rencontre étrange, un homme qui ressemble énormément à Edgar Allan Poe, sept hommes qui ressemblent énormément à Edgar Allan Poe, la vision d'un ailleurs inhumain, une machine infernale. Pas d'italique. ^^
The Shuttered Room (1959)
Retour à Dunwich (autre haut lieu des écrits lovecraftiens), un narrateur qui revient dans la vieille maison familiale, des instructions mysérieuses, une chambre fermée depuis des lustres, un crapaud caché derrière un meuble, des habitants méfiants, et bien sûr une fin en italique. Ce texte est toutefois plutôt bien mené et me semble représentatif de Lovecraft.
Au final, je n'ai pas boudé mon plaisir avec ces histoires d'horreur cosmique bien balisées, parce que j'aime les thèmes de Lovecraft et, j'en prends de plus en plus conscience, un côté "rétro" dans sa vision du monde. Même si ces textes ont été écrits durant la deuxième moitié du XXe siècle, ils m'évoquent un monde moins scientifique que le nôtre, sans numérique et sans téléphones portables, où la rencontre avec le surnaturel ou l'anormal semblait donc plus plausible. On les réservera toutefois aux grands amateurs de Lovecraft qui veulent aller au-delà de son œuvre (vu que, comme je l'ai dit, ces textes n'ont été qu'ébauchés par Lovecraft, Derleth les ayant repris après sa mort); en effet, il ne suffit pas de citer les Grands Anciens et le Livre des Goules dans un texte et de le conclure en italique pour faire du Lovecraft. Bref: si vous voulez lire Lovecraft, lisez plutôt Lovecraft. ^^
Le mot de la fin: j'attire votre attention sur l'aspect le plus horrifique de cette couverture, l'enlèvement d'un innocent cochon!!! 😱😱😜
PS: Bonne année 2020 😃