samedi 5 octobre 2024

La gamelle de septembre 2024

En mai dernier, je faisais le bilan d'avril en disant "Plus la loose culturelle que ce mois d'avril, tu meurs!" Eh bien, j'ai réussi à faire pire en septembre, puisque je n'ai pas mis le pied au cinéma et que même mes vacances ne m'ont pas donné l'énergie nécessaire pour me remettre aux séries.

Quelques informations positives, tout de même, pour remettre en contexte ce vide intersidéral: je suis partie en vacances loin de mon cinéma, j'ai bu de l'eau gazeuse au bar en regardant les chiens promener leurs gens le long de la mer (👀👀), j'ai fait des mots croisés (La Settimana Enigmistica 💖 Ça me donne l'impression de retrouver mes grands-parents!) j'ai lu deux pavés (La Force de l'âge de de Beauvoir et Le Seigneur des Anneaux de Tolkien), j'ai fait du cat-sitting et je suis allée à un mariage (et deux fois, les cérémonies civile et religieuse n'ayant pas lieu le même jour). Ceci explique en partie cela.

Sur petit écran

J'ai regardé pas mal de vidéos YouTube en vacances. De la bouffe, du lifestyle, de la papeterie, des chevaux. Dès que je suis rentrée chez moi, YouTube a disparu de mon quotidien. Snif.

Sur grand écran

Rieeeeeeeeeeen.

Du côté des séries

Rieeeeeeeeeeeen. Je suis partie en vacances avec l'idée de regarder Shogun, mais c'était trop difficile, il fallait réfléchir à quand caler un moment avec mon copain, il fallait délaisser les mots croisés et de Beauvoir, ou alors délaisser la papeterie sur YouTube...

Et le reste

J'ai lu le Manière de Voir du Monde Diplomatique sur les trains. Une lecture passionnante, comme d'habitude, même si le constat du non-investissement en faveur du train en France est dé-so-lant.

Et c'est tout!!!! La situation chevalmagazinesque est catastrophique!!!!! 😱😱 Mon Cheval Magazine de septembre a dû se perdre quelque part, car il n'était toujours pas arrivé à mon retour de vacances. J'ai contacté l'éditeur pour signaler le problème. J'ai reçu le numéro d'octobre à la date prévue, fin septembre, mais je n'y ai pas touché car j'attendais que l'éditeur me renvoie le numéro de septembre. Puis le numéro de septembre est arrivé et je n'ai pas eu le temps de m'y mettre. Je l'ai donc commencé... le 30 septembre à 22 h 30. Et j'ai donc deux numéros de retard. Quand vais-je donc lire ça, je me le demande. 🐴🐴

lundi 30 septembre 2024

The Lord of the Rings (1954-1955)

Tout ayant déjà été dit sur Le Seigneur des Anneaux, et dans la plupart des cas par des gens bien plus érudits que moi, je me contenterai de quelques remarques rapides que j'aimerais ne pas oublier! Qu'est-ce qui m'a marqué cette fois-ci?

Divulgâcheur: malgré ma volonté de ne pas faire de chronique à proprement parler, ce billet est interminable. Lol.

1/ Cette relecture n'avait que trop tardé, puisqu'elle était au programme depuis 2015, mais, au final, je pense que ce retard était un mal pour un bien, car je connais le roman presque trop bien: je me souviens souvent, en commençant un chapitre, de tout ce qu'il s'y passe, et de ce qu'un tel va dire à tel moment. Si je l'avais relu aussi vite que je le voulais (en 2015 par rapport à 2011), cela m'aurait probablement gâché mon plaisir. Je ne sais donc pas si je le relirai encore une fois un jour. Il faut quand même dire que c'était la sixième fois que je le lisais.

2/ Au début, le roman commence assez doucement, presque naïvement. Les affaires des hobbits sont plutôt rigolotes, et il y a même des chansons que l'on peut presque qualifier de chansons à boire. On est tout de suite portés par le récit, certes, mais même le chapitre 2, "The Shadow of the Past", qui raconte pourtant l'histoire de l'Anneau, n'est pas très épique. Ce n'est qu'au chapitre 5, "A Knife in the Dark", qu'on a le premier passage DINGO – et c'est d'ailleurs grâce aux hobbits, car c'est là que les habitants de Buckland sonnent l'alarme à cause des Cavaliers noirs.

"AWAKE! FEAR! FIRE! FOES! AWAKE!"
Quelques paragraphes qui vont crescendo et se terminent sur le point de vue des Nazgûls: "Let the little people blow! Sauron would deal with them later." C'est deux phrases à peine, mais le ton est donné, l'heure est grave, j'avais la chair de poule.

3/ Les poèmes de Tolkien me semblent assez inégaux. Parfois, il touche au génie, c'est absolument exceptionnel, comme dans la fameuse comptine de l'Anneau. Parfois, et notamment dans les chansons rigolotes, je n'y trouve ni rimes ni rythme, et ça me laisse très froide.

4/ À part ça, tout est génial DINGO EXCEPTIONNEL STUPÉFIANT INOUBLIABLE BOULEVERSANT. J'ai lu des tas de passages deux fois pour bien les savourer et m'en imprégner. Quel génie de la langue, de la construction de personnages, de la création de monde évidemment, de la construction d'une intrigue où chaque bout microscopique est parfaitement à sa place et même essentiel à l'ensemble, halàlàlàlà.

5/ La droiture morale. En juin dernier, j'ai relu Légende de David Gemmell pour me donner du courage en pleine catastrophe politique. Le Seigneur des Anneaux joue sur les mêmes ressorts: il me donne à voir des gens qui sont DROITS, fidèles à leurs valeurs. Par exemple, lors de la poursuite de Merry et Pippin, Gimli, visiblement d'humeur chafouine, râle beaucoup et fait remarquer à Aragorn que s'ils ne trouvent pas à bouffer, ils ne pourront pas faire grand-chose pour les hobbits, même à supposer qu'ils les retrouvent, à part témoigner de leur amitié en mourant de faim avec eux. Et Aragorn répond, en gros: "Si c'est tout ce que nous pouvons faire, c'est ce que nous ferons". Putain. Si tout ce que tu peux faire c'est crever de faim avec ton pote, alors tu crèves de faim avec ton pote. C'est exactement comme quand tout ce que tu peux faire c'est te faire tailler en pièces sur les remparts de Dros Delnoch. Putain. C'est DINGO. Je pense aussi au terrible calvaire de Frodo dans le Mordor et à la dernière étape sur les flancs du volcan. Il rampe. Vous vous rendez compte. Il ne tient plus debout, alors il rampe. IL RAMPE sur la pente pour se rapprocher de la route et du sommet. Il rampe, putain. (Sam, à l'inverse, est brutal avec Gollum, et c'est sa faute si Gollum est perdu pour toujours; et je trouve dommage que Tolkien ne le condamne pas.) Et Faramir!!! Alors là!!! Faramir!!! Un de mes personnages préférés!!!

6/ Faramir m'amène à une autre chose qui m'a marquée: les films de Peter Jackson sont quand même assez loin du roman, sur certains plans. Peter Jackson est scrupuleusement fidèle à certaines choses, mais il y a ajouté quelque chose de spectaculaire que Tolkien aurait sans doute renié, à commencer par les Cavaliers Noirs qui sont bien plus effrayants dans les films que dans le premier roman. Et certaines choses sont carrément contradictoires, comme le fait que Narsil ne soit reforgée que vers la fin. Sinon, je lui reproche très fort d'avoir modifié Faramir ainsi – sans compter que le détour par Osgiliath doit sacrément foutre la merde dans les calendriers méticuleux de Tolkien. 😂😂

7/ À propos de calendrier: le plus dur à comprendre et surtout à retenir, ce n'est pas qui est qui, mais quel jour on est, où en est la lune et où sont les différents reliefs les uns par rapport aux autres. 😂😂 J'ai passé mon temps à consulter la carte, car Tolkien décrit tout le temps ce que les personnages voient à l'horizon, et bien sûr les différents reliefs sont à des points cardinaux différents selon où vous vous trouvez, donc les montagnes qui étaient au sud de machin sont à l'ouest de truc, etc.

8/ ARAGORN!!!! ARAGORN!!!! ARAGORN!!!! GANDALF!!! GANDALF!!! GANDALF!!! FARAMIR!!! FARAMIR!!! FARAMIR!!! C'est tellement FFFFFFFFOUUUUUU!!! Dès qu'ils ouvrent la bouche, c'est FFFFFOUUUUUUU!!! Et je suis vraiment très amoureuse d'Imrahil, malgré son rôle infime!! Je parierais presque que Peter Jackson ne l'a pas adapté parce qu'il n'a pas trouvé un acteur à la hauteur!!! 😂😂
"Amroth for Gondor!" they cried. "Amroth to Faramir!"
AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAHHHHHHHHH!!

9/ Shelob!! N'oublions pas Shelob!! Elle est terrifiante, avec son appétit qui pourrait avaler le monde et la relation gagnant-gagnant entre elle et Sauron.
"But still, she was there, who was there before Sauron, and before the first stone of Barad-dûr; and she served none but herself, drinking the blood of Elves and Men, bloated and grown fat with endless brooding on her feasts, weaving webs of shadow; for all living things were her food, and her vomit darkness."
 
10/ Je suis partie en vacances avec la jolie édition Guild Publishing visible au début de ce billet (mais qui ne contient pas les appendices, que j'ai relus dans mon vieil exemplaire qui tombe en morceaux, visible ci-dessus), le dictionnaire du monde de Tolkien publié par la Società tolkienania italiana et la version italienne de l'Atlas de la Terre du Milieu de Karen Wynn Fonstad. Ces deux derniers bouquins sont des cadeaux de ma mère, et qu'est-ce qu'ils me sont précieux, pour m'exprimer comme certains personnages de ce roman: ils sont des preuves que j'ai aimé Tolkien quand j'étais encore jeune et pleine de rêves, ils sont des preuves que ma mère a existé et n'est pas qu'un délire de mon cerveau malade, ils sont la preuve que non seulement elle a existé mais elle a pensé à moi pour des Noël et des anniversaires, ils sont la preuve que nous avons partagé ça. Elle devait m'aimer un peu, quand même, au moins un peu; je n'étais pas strictement rien du tout. Je vendrais un rein, je donnerais tout, même Le Seigneur des Anneaux, pour la revoir. Je me contenterais d'une toute petite toute petite place...

11/ Je n'ai pleuré qu'à la fin, et à peine, mais l'émotion a été grande en le refermant. La nostalgie qui s'en dégage, le crève-cœur des séparations, la conviction que c'est là ce que l'humanité a fait de mieux, que ça rachète bien des misères et des petitesses, que c'est l'œuvre d'art ultime, qu'on est même au-delà d'Avatar (que je considère pourtant comme le film qui m'a sauvé la vie, quand je me parle à moi-même sur un ton dramatique) – et en même temps la sérénité qui se dégage de ce monde où les échelles de temps sont autres et où l'on peut espérer panser ses plaies, un jour.
"Well, here at last, dear friends, on the shores of the sea comes the end of our fellowship in Middle-earth. Go in peace! I will not say: do not weep; for not all tears are an evil."
Les larmes qu'on verse sur Le Seigneur des Anneaux ne sont indubitablement pas un mal.

12/ Dans la dernière partie des appendices, Tolkien parle de ses choix de traduction depuis la langue commune de la Terre-du-Milieu vers l'anglais, avec les difficultés et les limites de son travail. C'est tout à fait les genres de question qu'on se pose, les vrais traducteurs, et on en viendrait presque à se dire que le gars n'a pas du tout ÉCRIT Le Seigneur des Anneaux mais l'a réellement TRADUIT, et c'est DINGO, parce que cela voudrait dire... que tout était vrai. 💕💖

13/ La Communauté de l'Anneau étant sorti en 1954, Le Seigneur des Anneaux fête ses soixante-dix ans cette année. Comme Godzilla! 🥳🥳🥳

jeudi 19 septembre 2024

La Fin du monde a du retard (2014)

Chronique express!

Un asile psychiatrique, un amnésique qui veut déjouer le Grand Complot – le seul complot qui vaille la peine d'être déjoué –, une amnésique qui ne ressent plus aucune émotion après avoir provoqué la mort de tous les invités à son mariage, un commissaire de police qui n'a plus que cinq jours à tenir avant la retraite, une évasion alambiquée avec une voiture déguisée en soucoupe volante (une "soucoupe roulante", donc): voilà les ingrédients du début de ce roman de J. M. Erre, aussi loufoque que son titre peut le laisser penser. J'ai bien rigolé avec cette histoire de complotisme puissance mille, puisque le Grand Complot consiste, entre autres, à inonder le public de complots fumeux pour discréditer l'idée même de complot (😂😂). Mené tambour battant avec un humour omniprésent, un ton décalé truffé de considérations sur les ressorts d'une quête et d'un récit (du genre "ici, un silence se fit, mais pas trop longtemps pour ne pas ralentir le rythme de l'action"), des personnage sympathiques et pas mal de références pop culture, ce roman était une parfaite lecture détente! J'ai juste trouvé la fin un peu décevante (mais peut-être logique au vu de l'intrigue). Il n'est pas du tout impossible que je lise autre chose de l'auteur à l'occasion...

samedi 14 septembre 2024

La Force de l'âge (1960)

Après Mémoires d'une jeune fille rangée, j'avais très très envie de poursuivre ma lecture des mémoires de Simone de Beauvoir, et j'ai profité d'une période de vacances assez calme pour emprunter le deuxième volume, La Force de l'âge. L'édition Folio fait 786 pages avec très peu d'espaces dus aux retours à la ligne ou aux changements de paragraphe, et il faut donc prévoir du temps pour s'y attaquer.

"Vingt et un ans et l’agrégation de philosophie en 1929. La rencontre de Jean-Paul Sartre. Ce sont les années décisives pour Simone de Beauvoir. Celles ou s’accomplit sa vocation d’écrivain, si longtemps rêvée. Dix ans passés à enseigner, à écrire, à voyager sac au dos, à nouer des amitiés, à se passionner pour des idées nouvelles. La force de l’âge est pleinement atteinte quand la guerre éclate, en 1939, mettant fin brutalement à dix années de vie merveilleusement libre."
La quatrième de couverture résume parfaitement la première partie du livre. De 1929 à 1939, de Beauvoir enseigne la philosophie dans différents lycées pour jeunes filles et consacre l'intégralité de son temps libre à Jean-Paul Sartre, la lecture, l'écriture et la marche. C'est absolument enthousiasmant. J'ai eu l'impression d'une personne qui croquait la vie à pleines dents, abattait une quantité de travail phénoménale, lisait TOUT, explorait l'Europe à un rythme de marche ahurissant, sans jamais hésiter. En réalité, de Beauvoir s'est aussi posé beaucoup de questions, notamment sur la société et sur ses futurs romans, et elle en parle longuement, mais cela ne ralentit aucunement L'ÉLAN qui se dégage de son récit. Son sac et quelques affaires sur le dos, elle a parcouru la France entière, l'Italie, la Grèce, l'Espagne, l'Allemagne avec peu de sous mais une détermination à toute épreuve, généralement en compagnie de Sartre, mais parfois seule et parfois avec des amis. Même quand elle arpente Rouen, où elle a enseigné et qu'elle décrit, somme toute, comme une ville de province endormie, on a l'impression qu'elle explore un lieu extraordinaire et le voit d'un œil plus acéré que le commun des mortels.
"Un jour, au premier étage du Flore, Sartre demanda à Queneau qu’est-ce qui lui restait du surréalisme : « L’impression d’avoir eu une jeunesse », nous dit-il. Sa réponse nous frappa, et nous l’enviâmes."
C'est un peu ce que j'ai ressenti en lisant ces mémoires: l'impression que de Beauvoir a eu une jeunesse qui, chez moi, ne s'est jamais manifestée.

Le tout en refaisant le monde dans l'attente de la révolution socialiste destinée à balayer la société petite-bourgeoise. Sur ce dernier point, de Beauvoir est très transparente, car elle n'était pas 100 % à l'aise avec sa propre condition de petite-bourgeoise: issue d'une famille originellement aisée, elle a pu faire des études et avait un revenu assuré en travaillant pour l'Université, et elle était donc loin de la condition ouvrière; elle contournait la chose par une sorte de pirouette, du type "je suis dans le système mais je n'en fais pas vraiment partie", et cela a quelque chose de rassurant de voir que même un grand esprit est en fait un humain avec ses contradictions.

Ces années sont bien sûr celles de la montée du fascisme dans toute l'Europe, et tant de Beauvoir que Sartre ont fait preuve d'un bel aveuglément, croyant à chaque étape que ce n'était qu'une situation mineure destinée à se résoudre facilement: le parti nazi ne tiendra jamais, Hitler ne restera pas longtemps au pouvoir, le soulèvement de Franco contre la République espagnole sera vite réglé... Et elle en parle avec une honnêteté que je trouve admirable. Pages terribles sur la guerre d'Espagne et la destruction du Frente Popular, en partie à cause de l'inaction de la gauche française. Au contraire, pages exaltantes sur la victoire du Front Populaire français, la semaine de quarante heures, la condition ouvrière qui change pour de vrai!

Ces années-là sont aussi celles des amitiés fusionnelles et des fameux ménages à trois, que de Beauvoir peint comme un peu schyzophrènes, très franchement. En même temps, les trois quarts des personnages sont des originaux et/ou des phénomènes, alors on imagine bien que les relations amicales et amoureuses entre eux sont spéciales. Wikipédia m'informe qu'elle a depuis été accusée de fournir des jeunes femmes à Sartre, mais rien ici ne permet de le soupçonner... (Et en même temps, elle ne l'aurait pas dit si cela avait été le cas, bien sûr.) Quant à la relation avec Sartre, elle est tout à fait unique et irremplaçable, et de Beauvoir semble tout à fait sincère quand elle dit qu'elle n'a jamais été jalouse de ses autres relations car elle savait que la leur était au-dessus de tout.

Ayant pris de la mescaline, Sartre s'est cru poursuivi, durant des années, par des crustacés. C'est tout à fait dingue. De Beauvoir raconte que ça lui a bien pourri une année scolaire. Puis il s'est remis. Mais cela donne des passages très drôles.
"Nous nous arretâmes encore quelques jours à Rome. Assez brusquement, l'humeur de Sartre changea; le voyage s'achevait et il retrouvait ses soucis: la situation politique, ses rapports avec Olga. J'eus peur. Est-ce que les langoustes allaient ressusciter? [...] Alors, nous allâmes prendre une chambre, et dormir. Sartre me dit plus tard que tout au long de cette nuit une langouste l'avait suivi."
Je... Les mots me manquent. Qui l'aurait cru?

Simone Weil est aussi citée, mais de très loin, car ils ne fréquentaient pas les mêmes cercles, tous les trois. Chez Gallimard, Sartre décrit, dans une lettre que de Beauvoir reproduit, qu'il est tombé sur Jules Romains, l'auteur de la saga des Hommes de bonne volonté que j'ai entrepris de lire. Ça m'a fait plaisir de voir que ces gens-là connaissaient cet auteur tombé dans l'oubli. Dans la deuxième partie, entre en scène un jeune auteur que de Beauvoir et Sartre ont tout de suite remarqué: un certain Albert Camus. Hystérie de ma part, moi qui ai été tant marquée par La Peste.

Cette deuxième partie, justement, m'a encore plus plu que la première, car elle est le récit de la guerre. D'abord, le journal que de Beauvoir tenait à l'époque, de septembre 1939 à septembre 1940: la sidération de la déclaration de guerre, l'angoisse des débuts, les mois d'incertitude durant lesquels il ne se passait rien, puis le désastre de juin 1940, l'angoisse d'être sans nouvelles de Sartre qui avait été mobilisé, l'exode en direction d'Angers, le retour dans une Paris occupée. Puis quatre ans d'occupation, les intellectuels du café de Flore, l'écriture de son premier roman, la nourriture qui prend une place prépondérante en raison de sa rareté, les tentatives de participer à la Résistance en tant qu'intellectuels, la peur pour les amis juifs, les nouvelles affreuses concernant tel ou tel ami ou connaissance tué au combat, fusillé ou disparu dans un train en direction de l'Est. Et enfin, le retour de l'espoir, de la certitude qu'il y aura un après. Sartre et de Beauvoir n'ont pas eu la guerre la plus affreuse de tous, vu qu'ils n'ont été ni emprisonnés ni blessés ni déportés (ils ont même pu partir en vacances en vélo et passer sans trop de difficultés en zone libre!!), mais on sent toute l'angoisse de cette période d'impuissance et d'horreur pour le régime vichissois.

Non contente de saisir avec acuité le monde qui l'entoure, de manier des notions de philosophie subtiles (d'ailleurs, je n'ai pas vraiment compris ce qu'elle raconte au sujet des personnages de ses romans, mais cela est sans doute partiellement dû au fait que je n'en ai lu aucun), de s'auto-étudier avec une grande finesse, de Beauvoir est aussi capable de dire "sur ce point, j'ai changé d'avis" ou "sur ce point, je me suis trompée", ce que je trouve admirable. Le troisième tome de ses mémoires, La Force des choses, est disponible en deux tomes, pour un total de 900 pages. J'espère avoir un créneau pour le lire durant la première moitié de 2025.

lundi 9 septembre 2024

Éros de Paris (1932)

Chronique express!

Éros de Paris est le quatrième tome de la grande fresque des Hommes de bonne volonté de Jules Romains. Je l'ai lu très vite après le troisième tome, car je voulais profiter d'avoir un peu de temps libre en vacances. Même si chaque roman ne compte que 150 pages environ, il s'agit de pages grand format dans une police relativement petite, ce qui demande du temps. En outre, je me concentre pour essayer de bien saisir les tenants et les aboutissants des différentes intrigues, et mes innombrables retours en arrière et consultations des résumés rallongent le temps de lecture d'au moins 15%. 😅 Bref, je ne voulais pas laisser passer un créneau adapté!! Ce quatrième tome est dans la droite ligne des précédents et son titre le résume parfaitement: ce sont des histoires d'amour et des pensées sur l'amour en plein Paris. Jerphalion qui se désole de n'avoir personne, Jallez qui repense à son deuxième amour de jeunesse, Sammécaud qui essaye de faire céder sa maîtresse. J'ai adoré. Un peu moins que les précédents peut-être, car tous ces gens sont des hommes peu respectueux des femmes. Mais il n'y a pas que ça: déjà, il y a le chien Macaire qui se balade durant un chapitre qui lui est entièrement dédié; puis des socialistes qui préparent la révolution; puis l'infâme relieur qui est suffisamment en retrait pour que mon antipathie pour lui ne prenne pas le dessus; et puis on sait, enfin, pourquoi la femme aux yeux tristes est si triste. Quel livre a-t-elle fait relier dans le premier roman, toutefois? Il faudra encore attendre pour le savoir.

Le spectre de la guerre européenne est très présent, et je crains pour nombre de ces personnages. Mais l'auteur a pris quatre romans pour nous mener d'octobre à décembre 1908, et Wikipédia m'informe que l'année 1914, synonyme de catastrophe, n'arrivera pas avant le tome 14!! J'ai donc encore dix bouquins devant moi avant que la grande vague de l'horreur militaire ne fauche la jeunesse européenne. Joie, bonheur!

Le petit truc en plus que je ne veux pas oublier: au chapitre XXII (et peut-être à un autre endroit que je n'ai pas noté et que je ne retrouve donc pas), Jallez aperçoit Jules Romains, c'est-à-dire l'auteur de ce roman. 😂

mercredi 4 septembre 2024

La gamelle d'août 2024

Comme d'habitude, retour sur la vie culturelle du mois écoulé!

Sur petit écran

Quelques vidéos YouTube, le plaisir des périodes de vacances scolaires.

Sur grand écran


Edge of Tomorrow de Doug Liman (2014)

Un film de boucle temporelle que j'adore et qui vieillit très bien, avec un super rôle pour Emily Blunt et un Tom Cruise en forme. La fin a de gros problèmes, mais ne gâche pas l'ensemble pour autant. Il fallait bien toute la puissance de Tom-Tom pour m'attirer au cinéma en cette période d'hibernation. 🖤
(Le soir même de ma séance, Tom Cruise débarquait au Stade de France pour récupérer le drapeau olympique. CET HOMME.)

Borderlands de Eli Roth (2024)

Malgré une fin naze, j'ai passé un bon moment devant ce film de SF sans grandes prétentions. L'univers est très chouette et Cate Blanchett est exceptionnelle, comme d'habitude. Quel charisme!!

Seven de David Fincher (1995)

Un excellent film avec un duo d'acteurs de haut vol – Brad Pitt et Morgan Freeman au top du top –, une réalisation impeccable, une intrigue prenante, une musique mégasinistre qui fait beaucoup pour l'ambiance. Et une insomnie dans la nuit qui a suivi, bien sûr. Comment peut-on dormir après avoir vu Seven? 😂

Dû côté des séries

Riiieeeeeeeen.

Et le reste

J'ai lu Translittérature, la merveilleuse revue de l'Association des traducteurs littéraires de France. 🖤 Et c'est tout. Vendredi 30 août, Cheval Magazine n'était toujours pas arrivé et j'ai donc dû partir en vacances sans! 😱😱😱

vendredi 30 août 2024

La Nuit des Temps (1968)

Chronique express!

Après avoir découvert avec enthousiasme Ravage au printemps dernier, j'avais très envie de continuer à lire du René Barjavel. Je me suis donc tournée vers un autre de ses romans les plus célèbres: La Nuit des Temps. Hélas, l'enthousiasme a été moindre. Cela est dû, en partie, au fait que je n'ai pas retrouvé la langue très élégante que j'avais adorée dans Ravage, de la vraie belle littérature. Mais cela est aussi dû à des raisons plus vagues, que je suis en peine d'expliquer. Je me suis moins intéressée à l'histoire et aux personnages, les enjeux m'ont moins tenue en haleine… Je ne peux pas lui reprocher quelque chose de précis en particulier, mais voilà, ça a moins pris.

Alors, en toute objectivité, j'ai pris du plaisir à le lire, et j'y ai trouvé beaucoup de bonnes choses. Une technophobie nettement moins marquée que dans Ravage, déjà, où ça prenait des proportions insensées. Une métaphore pas du tout dissimulée de la bombe atomique, qui est vivement critiquée. Le message était puissant en pleine Guerre Froide, mais il reste d'actualité aujourd'hui, quand on pense au nombre d'ogives nucléaires qui demeurent. La société que découvrent les protagonistes  a quelque chose d'utopique, qui tourne au cauchemar quand on essaye d'en sortir; certains passages résonnent avec les problématiques de la surveillance de masse. Un contexte fascinant qui pose plein de difficultés: l'Antarctique, où se cachent les vestiges d'une société bien plus avancée que la nôtre, mais où on est loin de tout. Une collaboration bienvenue entre scientifiques de tous les pays, couplée à une critique acerbe de l'impérialisme et des luttes de pouvoir. Même le sexisme ambiant, moins marqué que dans Ravage mais bien présent (le nombre de commentaires sur les seins d'Éléa, l'Américain qui met la main aux fesses de la Russe… 🙃), pourrait être tempéré par le fait que [énorme divulgâcheur] le fond de l'histoire est la lutte d'une femme pour disposer de son corps et de sa vie [fin du divulgâcheur]. En fait, je pense que Ravage est tellement oufissime que La Nuit des Temps a beau être pertinent, il pâlit un peu en comparaison! Je pense que je lirai tout de même L'Enchanteur à l'occasion, car Méli du Bazar de la Littérature en disait beaucoup de bien...

Allez donc voir ailleurs si cette nuit y est!
L'avis de Grominou: première partie et deuxième partie

dimanche 25 août 2024

Les Amours enfantines (1932)

Chronique express!

Après Le 6 octobre et Crime de Quinette, place au troisième tome de l'incroyable fresque des Hommes de bonne volonté de Jules Romains!! J'ai mis des semaines à me décider à ouvrir mon pavé, puis des jours à dépasser les deux premières pages, car je ne comprenais rien à ce que je lisais à cause de la fatigue. Puis, miracle, j'ai pu y consacrer un peu de temps et mon cerveau s'est remis en marche. Et c'était génial!! Dans ce tome, on suit surtout Jallez et Jerphanion, les deux Normaliens. En racontant un amour de jeunesse, Jallez justifie le titre du roman. Jerphanion, lui, nous fait entrer chez les Saint-Papoul, une famille noble auprès de laquelle il donne les leçons. Les Saint-Papoul ont un chien, Macaire, qui sera sans doute important sur le long terme, car il est cité en quatrième de couverture. Une autre famille noble, les Champcenais, est beaucoup mise en avant, en partie pour les aventures de Madame, et en partie parce que Monsieur fait partie du cartel des pétroliers déterminé à circonscrire les actions du député Gurau… Gurau que j'adore, pour l'instant, et qui nous fait rencontrer Jean Jaurès, qui semble plus grand que nature et absolument enthousiasmant. On voit assez peu Quinette, le relieur criminel, et pas du tout la femme triste qui a fait relier son livre dans le premier tome – le personnage que je souhaite le plus revoir.

Je suis absolument ébahie par les ramifications de cette série, les rapports entre personnages, les retours parfois microscopiques d'un personnage qui a eu tout un chapitre dans le tome précédent ou le précédent encore. J'ai l'impression que c'est encore plus dense que les Rougon-Macquart, plutôt genre les bouquins russes comme Guerre et paix!! Un truc de malades!!