Au hasard des boîtes à livres, ou peut-être des dons déposés dans l'entrée de mon immeuble par les occupants se séparant de leurs livres, je suis tombée sur Mémoires d'une jeune fille rangée de Simone de Beauvoir. Je n'ai, bien sûr, pas hésité à le ramasser et je l'ai lu dès que j'ai eu un peu de temps à disposition.
(Le seul avantage de ne pas avoir d'argent: ne pouvant pas me payer grand-chose, j'ai peu d'activités et donc un peu de temps libre quand mes activités sportives habituelles sont suspendues durant les vacances scolaires.)
Édition du Livre de Poche de 1966.
Ce livre est le premier tome des mémoires de Simone de Beauvoir. On y suit son enfance, son adolescence et ses années d'études: depuis sa naissance en 1908 jusqu'à l'agrégation de philosophie en 1929. Le texte est très dense: cette édition du Livre de Poche de 1966 compte 512 pages, qui sont réparties en quatre parties sans chapitrage et avec des paragraphes longs, qui font parfois une page complète. En d'autres termes, il n'y a aucune aération: ce sont 512 pages pleines. Heureusement, Simone de Beauvoir savait écrire, ce qui fait que le tout se lit facilement. Il faut néanmoins prévoir du temps. (Dans mon cas, donc, des vacances scolaires sous le signe des économies.)
Un livre bien usé par le temps.
Le parcours de Simone de Beauvoir est, au début, assez classique, avec une enfance aisée et bucolique entre Paris et une province assez "vieille France". Sa famille est bourgeoise et traditionnelle, mais la Première Guerre mondiale change la donne: les activités de son père ne marchant pas, il devient évident que Simone et sa petite sœur n'auront pas de dot et devront travailler. Brillante élève, Simone s'oriente, après le bac, vers un double cursus de mathématiques et de lettres, mais elle se réoriente finalement vers la philosophie, ce qui ouvre la voie à la carrière qu'on connaît (enfin, que je ne connais pas vraiment, moi, mes connaissances sur sa vie et son œuvre étant plus que parcellaires).
J'ai adoré ce récit, et j'en retiens trois éléments principaux. D'une part, la volonté de cette enfant, puis de cette jeune fille, de se distinguer, de faire quelque chose de grand, et d'aller à la rencontre d'un destin qu'elle imagine unique et digne d'intérêt, et même d'admiration. Je me suis beaucoup retrouvée là-dedans car j'ai, moi aussi, imaginé que je ferai quelque chose de brillant, à une lointaine époque où je croyais avoir des capacités intellectuelles.
"Ce qui les effarouchait, c’était ce qu’il y avait de plus têtu en moi : mon refus de cette médiocre existence à laquelle, d’une manière ou d’une autre, ils consentaient, et mes efforts désordonnés pour m’en sortir."
J'ai tellement pensé ça, moi aussi, quand j'étais ado. 😥
D'autre part, l'adolescente, puis la jeune femme, se détache progressivement du modèle de ses parents. Cela commence par la perte de la foi en leur Dieu, celui du catholicisme, puis par une certaine remise en question du modèle mariage-famille. Elle remet aussi en question les différences de traitement de la vie sexuelle des hommes et des femmes.
Enfin, je retiens de ce premier tome la grande absence d'un certain Jean-Paul Sartre, qui est cité pour la première fois page 338 mais qui n'entre réellement en scène que page 440, soit à la fin. Simone de Beauvoir et lui se sont rencontrés quand elle avait déjà bien entamé ses études et il est donc logique qu'il soit peu présent dans ce premier tome, mais, comme je ne savais pas du tout où s'arrêterait ce tome, je m'attendais à ce qu'il y soit. En revanche, je ne m'attendais pas à ce que Simone Weil soit nommée!
"Je fus reçue en philosophie générale. Simone Weil venait en tête de liste, et je la suivais [...]."
Ok! Vous voyez un peu le niveau de cette année-là! Deux géantes du XXe siècle, à l'université en même temps! 🤯
Ce qui est amusant, c'est que de Beauvoir parcourt ses jeunes années avec une certaine honnêteté, ce qui nous permet, entre autres, de suivre ses longs questionnements sur son amour pour son cousin Jacques. Pendant des années, elle l'aimera par intermittence et se demandera sans cesse s'il compte l'épouser un jour. Ça a quelque chose de terre à terre et de vain, et j'ai trouvé ça rassurant: même quelqu'un avec le cerveau de de Beauvoir a pu rêver les yeux ouverts de l'amour en se basant sur une réalité assez maigre – quelques mots et des sourires, par exemple. Un peu comme moi de mes onze à mes vingt ans, en somme.
Ce texte va assez loin dans l'introspection: rêves d'avenir, amitiés, ressentis vis-à-vis de sa famille, de Beauvoir décortique tout. Cela me convient très bien car j'adore l'introspection, mais je préfère le préciser car cela ne plaira pas à tout le monde, notamment si on aborde sa lecture en pensant lire un texte féministe. C'est un peu "de Beauvoir begins"; la femme qui a marqué le XXe siècle n'était pas encore formée à cette époque-là, même si sa pensée s'affirme. Les années suivantes sont racontées dans La Force de l'âge et La Force des choses, que je compte bien emprunter en bibliothèque, en espérant ne pas devoir attendre mille ans pour avoir devant moi un peu de temps et de neurones à leur consacrer s'ils sont aussi épais que celui-ci!