Il n'est jamais facile de lire ou de parler de Primo Levi. Ses livres sont à la fois très beaux et très terribles et ne peuvent jamais laisser indifférents. Il m'est arrivé de nombreuses fois de devoir arrêter ma lecture pour "souffler", me séparer en quelque sorte de ce que je lisais pour contrôler le dégoût et la tristesse qui m'envahissaient.
Maintenant ou jamais n'a dérogé pas à la règle. Il a beau s'agir d'un roman plutôt que d'un récit autobiographique, il prend aux tripes et s'immisce dans la tête sans qu'on puisse y échapper.
Entre 1943 et 1945, une bande de Juifs hagards erre dans l'Europe de l'Est. Ils ont survécu par miracle aux massacres perpétrés par les nazis ou sont des soldats de l'Armée rouge isolés en territoire ennemi. Ils doivent se cacher des nazis et ne peuvent compter ni sur la population, toujours susceptible de les dénoncer, ni même sur les partisans ukrainiens ou polonais, qui ne les regardent pas d'un bon œil. Pourtant, dans ce monde brisé par la guerre, la seule chose qui leur semble encore avoir plus ou moins un sens consiste à lutter contre les nazis, même s'il est déjà trop tard pour leur peuple et leurs familles exterminées.
Primo Levi aborde ici un aspect méconnu de la Résistance anti-nazis pendant la deuxième Guerre mondiale: la présence de partisans juifs dans les rangs des combattants. Je dois dire que je n'avais pas idée que quelques survivants juifs, au lieu de se cacher, ont réussi à prendre les armes et à organiser de petites poches de résistance (bien que je me demande s'il n'y a pas eu une expo sur le sujet à Paris il y a quelques années: est-ce que ça dit quelque chose à quelqu'un?). En fait, je ne savais même pas vraiment qu'il y avait eu de la résistance armée tout au long de la guerre au cœur même du Reich: exception faite de la révolte du ghetto de Varsovie, il me semble que cet aspect est laissé de côté dans les livres d'histoire.
Cette résistance me semble d'autant plus admirable qu'elle s'est faite dans des pays occupés depuis des années et complètement ravagés par la guerre. À côté de la Pologne, un pays comme la France était épargné: il me semble donc qu'il fallait encore plus de mérite et de courage pour décider de prendre le maquis là-bas qu'ici... Ajoutons à cela que ces pauvres Juifs devaient affronter l'antisémitisme ambiant, les paysans et les autres partisans n'ayant, globalement, aucune envie de les laisser approcher.
Je préciserai à ce sujet que, contrairement au film Shoah que j'ai trouvé assez bête et méchant de ce point de vue, Maintenant ou jamais ne se contente aucunement de montrer du doigt de supposés méchants Polonais anti-Juifs. Bien au contraire. Si Primo Levi dénonce l'antisémitisme sous toutes ses formes, il est capable, comme dans Si c'est un homme, de comprendre à quel point la guerre a ravagé les vies de tout le monde. Les paysans polonais, les soldats de l'Armée rouge et les Juifs planqués dans des bunkers forment un seul et même peuple de victimes, des naufragés comme dirait l'écrivain. Même les Allemands sont considérés comme des êtres humains et cela reste suffisamment rare pour être signalé...
L'absurdité du combat est également montrée: si les nazis sont l'ennemi à combattre, la Guerre froide se fait déjà sentir et l'Armée rouge qui approche à grands pas n'est pas synonyme de libération. Et c'est peut-être le plus triste dans ce livre, cette impression glaçante que toute cette souffrance n'a vraiment aucune forme de sens et n'aura servi à rien. La Pologne sera en chaînes au moment même où elle sera libérée et le rêve des Juifs de s'installer en Palestine entraînera à son tour de nouveaux morts...
En revanche, la dignité modeste dont fait preuve la plupart des personnages m'a touchée et redonnerait presque foi en l'humanité. La question du titre d'origine – littéralement "Si ce n'est maintenant, quand?" – revient régulièrement à symboliser le choix rationnel pris dans l'irrationnel le plus complet: la situation étant ce qu'elle est, que dois-je faire? Si ce n'est moi qui lutte, qui le fera à ma place? Si ce n'est maintenant, quand sera-t-il temps de combattre contre le mal nazi et ses ravages?
Ces questions resteront sans réponse pour une lectrice telle que moi, qui n'a pas à faire ces choix dans sa petite vie tranquille de privilégiée, mais je crois que l'important est que Primo Levi les pose.
Un livre à ne pas lire en période de dépression, donc, mais à lire néanmoins.
Primo Levi aborde ici un aspect méconnu de la Résistance anti-nazis pendant la deuxième Guerre mondiale: la présence de partisans juifs dans les rangs des combattants. Je dois dire que je n'avais pas idée que quelques survivants juifs, au lieu de se cacher, ont réussi à prendre les armes et à organiser de petites poches de résistance (bien que je me demande s'il n'y a pas eu une expo sur le sujet à Paris il y a quelques années: est-ce que ça dit quelque chose à quelqu'un?). En fait, je ne savais même pas vraiment qu'il y avait eu de la résistance armée tout au long de la guerre au cœur même du Reich: exception faite de la révolte du ghetto de Varsovie, il me semble que cet aspect est laissé de côté dans les livres d'histoire.
Cette résistance me semble d'autant plus admirable qu'elle s'est faite dans des pays occupés depuis des années et complètement ravagés par la guerre. À côté de la Pologne, un pays comme la France était épargné: il me semble donc qu'il fallait encore plus de mérite et de courage pour décider de prendre le maquis là-bas qu'ici... Ajoutons à cela que ces pauvres Juifs devaient affronter l'antisémitisme ambiant, les paysans et les autres partisans n'ayant, globalement, aucune envie de les laisser approcher.
Je préciserai à ce sujet que, contrairement au film Shoah que j'ai trouvé assez bête et méchant de ce point de vue, Maintenant ou jamais ne se contente aucunement de montrer du doigt de supposés méchants Polonais anti-Juifs. Bien au contraire. Si Primo Levi dénonce l'antisémitisme sous toutes ses formes, il est capable, comme dans Si c'est un homme, de comprendre à quel point la guerre a ravagé les vies de tout le monde. Les paysans polonais, les soldats de l'Armée rouge et les Juifs planqués dans des bunkers forment un seul et même peuple de victimes, des naufragés comme dirait l'écrivain. Même les Allemands sont considérés comme des êtres humains et cela reste suffisamment rare pour être signalé...
L'absurdité du combat est également montrée: si les nazis sont l'ennemi à combattre, la Guerre froide se fait déjà sentir et l'Armée rouge qui approche à grands pas n'est pas synonyme de libération. Et c'est peut-être le plus triste dans ce livre, cette impression glaçante que toute cette souffrance n'a vraiment aucune forme de sens et n'aura servi à rien. La Pologne sera en chaînes au moment même où elle sera libérée et le rêve des Juifs de s'installer en Palestine entraînera à son tour de nouveaux morts...
En revanche, la dignité modeste dont fait preuve la plupart des personnages m'a touchée et redonnerait presque foi en l'humanité. La question du titre d'origine – littéralement "Si ce n'est maintenant, quand?" – revient régulièrement à symboliser le choix rationnel pris dans l'irrationnel le plus complet: la situation étant ce qu'elle est, que dois-je faire? Si ce n'est moi qui lutte, qui le fera à ma place? Si ce n'est maintenant, quand sera-t-il temps de combattre contre le mal nazi et ses ravages?
Ces questions resteront sans réponse pour une lectrice telle que moi, qui n'a pas à faire ces choix dans sa petite vie tranquille de privilégiée, mais je crois que l'important est que Primo Levi les pose.
Un livre à ne pas lire en période de dépression, donc, mais à lire néanmoins.