mardi 31 mars 2020

Le Royaume (2014)

Emmanuel Carrère est un écrivain un peu particulier. Dans ses livres, il parle des autres pour mieux parler de lui. Il est parfaitement conscient de ses névroses et de son égocentrisme; j'ai même tendance à penser qu'il est fou. On aime ou on n'aime pas. Moi, j'adore.


Dans Le Royaume, il revient sur les débuts du christianisme, retrace le parcours de Paul à partir de sa conversion sur la route de Damas et décrit le rôle de Luc. Sa source: la Bible, plus précisément les Épîtres de Paul et les Actes des apôtres.

En faisant cela, il dispose d'un point de vue bien particulier: celui de la personne qui a cru, de l'incroyant ex-croyant. Cela lui paraît fou, impossible, mais Emmanuel Carrère A CRU à un moment donné. Il a été sûr et certain de la réalité du dieu catholique.
"À un moment de ma vie, j'ai été chrétien. Cela a duré trois ans. C'est passé."
La première partie du livre parle justement de sa crise mystique. Du jour au lendemain, au début des années 1990 si je me souviens bien, Emmanuel Carrère est devenu catholique. Pendant trois ans, il a lu la Bible et est allé à la messe quotidiennement. La description de cette période de ferveur religieuse est celle qui m'a le plus plu. Je me suis tellement éclatée à lire Carrère parler de lui-même et analyser son propre comportement avec sidération.

Une précision pour mes lecteurs: je suis, moi aussi, une incroyante qui a autrefois cru. Pendant toute mon enfance et mon adolescence, j'ai été convaincue, j'ai même SU au plus profond de moi-même, que Dieu (et plus précisément le Dieu catholique de mes parents et du Vatican) existait. C'était une é-vi-den-ce. Même quand j'ai déserté les églises et que j'ai arrêté de communier à l'âge d'environ 11 ans, je suis restée persuadée que cet être divin créateur existait. Je m'en suis désintéressée au collège et au lycée parce que je préférais passer du temps avec mes amis et que le rite m'ennuyait énormément, mais je n'étais pas athée. C'est en terminale, quasiment du jour au lendemain, que j'ai réalisé que la religion de mes parents n'avait aucune raison de plus que les autres religions d'être la bonne, que Dieu et Jésus n'avaient aucun argument de plus qu'Allah et que Zeus. Je suis devenus athée, puis j'ai été agnostique quelques années, puis je suis redevenue (et je suis encore) athée.

Pour la première fois, j'ai lu le témoignage de quelqu'un qui, comme moi, regarde avec perplexité ce "moi" passé qui est convaincu qu'un être divin veille sur lui et le jugera après sa mort.

Fin de la parenthèse perso. 😉

Dans le reste de l'ouvrage, Emmanuel Carrère suit donc saint Paul et saint Luc. Ce qui est très intéressant, c'est qu'il remet en perspective un monde très éloigné du nôtre. D'une part, il souligne l'immense différence entre Israël, une théocratie qui vit très mal la présence romaine, et les églises de Turquie fondées par Paul, un contexte hellénisé et romanisé. On n'aborde pas la mission de Jésus de la même façon dans les deux endroits. À Jérusalem, on prêche à des Juifs. En Turquie, on prêche à des païens, et la question se pose de savoir s'il faut les convertir au judaïsme. (Réponse: non, les anciens de Jérusalem ont tranché qu'il n'était pas nécessaire de respecter la loi juive à la lettre pour rejoindre Jésus. Il suffisait de suivre quelques règles minimales, comme le fait de ne pas manger d'animaux sacrifiés aux dieux païens. Mais il n'était pas nécessaire de se faire circoncire, par exemple. Le fait que Paul ait fréquenté des tas d'hommes non circonsis lui a d'ailleurs valu des ennuis à Jérusalem.)

Carrère remet aussi en perspective ces débuts balbutiants dont on ne conserve que des bribes. La plupart des documents ont été perdus, les auteurs des documents dont nous disposons sont souvent inconnus. Les historiens attribuent bien les lettres de Paul à Paul, mais l'évangile de Luc est en bonne partie une retranscription de celui de Marc (si je me souviens bien). On a affaire à des textes à trous, parfois incohérents les uns avec les autres. Et c'est notamment dans ces trous que s'engouffre Carrère pour émettre des suppositions sur le caractère, les motivations et le ressenti de Luc et Paul. La démarche ne manque pas d'intérêt, mais m'a semblé vaine après quelques dizaines de pages. Comment savoir ce qu'ont pensé ces hommes? Comment émettre la moindre supposition sur ce qui les a séduits dans ce courant du judaïsme qui n'était pas encore le christianisme? Et cette partie dure plus de 400 pages...

Une précision: quand je dis que Carrère se projette, je fais référence à une démarche totalement transparente. Il précise régulièrement ce qu'il tire de la Bible, ce qu'il tire des recherches des historiens, ce qu'il tire de recherches moins reconnues ou controversées et ce qu'il tire de son propre esprit.
"[Si] je suis libre d'inventer c'est à la condition de dire que j'invente, en marquant aussi scrupuleusement que Renan les degrés du certain, du probable, du possible et, juste avant le carrément exclu, du pas impossible, territoire où se déploie une grande partie de ce livre."
Au final, donc, cet essai ne m'a pas entièrement convaincue, ou plutôt il ne m'a pas totalement intéressée, malgré l'écriture de Carrère que j'adore, la présence (inévitable?) d'un aspect érotique étonnant (sa description d'une vidéo de ma*tur*ation féminine) et les références à l'histoire russe et à Philip K. Dick. Disons que c'était long, un peu "tout ça pout ça?".

J'ai tendance à penser qu'il faut le lire si on veut lire tout Carrère (ce qui est mon cas – j'ai d'ailleurs La classe de neige qui attend dans ma PAL et je compte bien ensuite acheter Je suis vivant et vous êtes mort, sa biographie de Dick). Et si vous êtes catholique, je ne pense pas que vous pourriez y trouver votre compte. En tout cas, du temps où j'étais catholique, j'aurais été blessée, vexée, énervée et (ce dont j'ai maintenant profondément honte, ce dont j'ai maintenant le plus honte) pleine de pitié condescendante pour ce pauvre athée qui refusait, par orgueil, de voir l'évidence posée sous son nez pour son propre bien...

Allez donc voir ailleurs si ce royaume y est
L'avis de Grominou

jeudi 26 mars 2020

Les Dieux verts (1961)

Après Les Centaures d'André Lichtenberger, j'ai fait l'acquisition du seul autre livre francophone des éditions Callidor, Les Dieux verts de Nathalie Henneberg.


L'ouvrage s'ouvre sur une introduction de Thierry Fraysse, l'éditeur, qui présente le parcours de l'autrice. Sachez que Nathalie Henneberg a publié ses écrits sous le nom de son mari pendant des années car elle n'arrivait pas à les placer si elle se présentait comme une femme. 😠 Ce n'est qu'après sa mort qu'elle en a progressivement revendiqué la maternité...

Les Dieux verts propose une rédaction très particulière. Le style est riche et flamboyant, mais aussi mystérieux et parfois hermétique. Je n'ai pas toujours tout compris. Parfois, des parenthèses viennent fournir des précisions d'une manière que j'ai tendance à considérer comme peu élégante. C'est particulier et je ne pense pas que cela puisse plaire à tout le monde. Pour ma part, j'ai plutôt adhéré.
"La vie avait vaincu.
Sur la Terre c'était l'an 2000 de l'ère cosmique – et la nuit émeraude. Le grand cataclysme qui l'avait ravagée se perdait dans le passé immémorial. Quelques livres sacrés, gravés dans le jade et l'onyx et fixés aux autels par des chaînes d'orichalque, disaient que la mort était venue des étoiles."
L'histoire est celle de la reine Atléna et du suffète Argo, derniers représentants des Solaires, qui, si j'ai bien compris, sont des humains "purs", sans mutation génétique. Après une hécatombe nucléaire qui a bouleversé la face de la planète, les humains ne sont plus l'espèce dominante et sombrent vers l'apathie et l'animalité. Ce sont les plantes qui ont pris le dessus. Capables de penser et de se mouvoir, elles représentent déjà les deux tiers des membres du conseil de l'empire d'A-atlan, notre Mexique, et sapent lentement mais sûrement les restes de la civilisation humaine.

Les descriptions des végétaux sont saisissantes et exercent une espèce de fascination morbide. L'éditeur cite Clark Ashton Smith dans son introduction et je dois dire que ces plantes vivantes m'ont rappelé une nouvelle de cet auteur, dans laquelle un roi fait greffer les parties du corps de ses concubines qu'il aime le plus à des plantes – et possède ainsi un jardin empli de plantes dotées d'yeux, de seins, de mains, de cheveux...
"Sur un trône qui faisait face à celui de la reine, une énorme masse d'excroissances, un navet monstrueux bougea. Une sève verte afflua à ses tumescences. Une voix inattendue, en cristal félé, s'écria:
— Mes frères...."
Les Dieux verts ne manque pas d'ambition. Dans le contexte que je viens de décrire, on découvre ou devine des coutumes ancestrales rappelant le monde antique, comme la momification des reines, ou primitif, comme le vol nuptial de la reine, qui doit tuer son amant au lendemain de leur union. Dans les cieux au-dessus de cette Terre ravagée, les astronautes du futur essayent de regagner leur planète d'origine, inaccessible depuis des millénaires. Un univers riche et maîtrisé qui correspond parfaitement au style de l'autrice. Il s'agit presque d'un livre-concept, ce qui était déjà le cas des Centaures, où style et histoire s'imbriquaient de très près.

Si je ne peux pas dire avoir totalement apprécié ce roman, c'est parce que j'ai constaté un manque d'attention abyssal durant ma lecture dans les transports en commun et que je lis trop vite, je crois, pour apprécier des exercices de style à leur juste valeur. Arrivée à mi-chemin, j'ai même relu la première moitié en diagonale, car je me rendais compte que je ne savais pas qui étaient certains personnages et pourquoi Argo agissait comme il le faisait. J'ai malheureusement tendance à entrer dans la course à la lecture pour lire beaucoup. Or, il s'agit plutôt ici d'un roman à lire bien...

Malgré ce problème qui ne tient qu'à moi, et que j'ai résolu en ralentissant délibérément ma lecture durant la deuxième moitié du roman, je vous recommande cet ouvrage si vous voulez découvrir une œuvre à part et, disons-le, assez visionnaire. Merci Callidor de l'avoir tirée de l'oubli!

samedi 21 mars 2020

Chinoises (2002)

Chronique express!


Chinoises a été écrit par Xue Xinran, journaliste chinoise travaillant au Royaume-Uni. Il m'a été prêté par mes beaux-parents lorsque je leur ai parlé de Mémoires d'une geisha d'Arthur Golden.

Pendant les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, Xinran a donné la parole aux femmes dans son émission de radio en Chine. Ce livre reprend une partie des témoignages qu'elle a reçus. Sans surprise, le contenu n'est pas gai. Le ton est donné d'emblée avec un cas d'enlèvement et de mariage forcé. Viennent ensuite des histoires d'inceste, de viol, de mariages malheureux et de répression politique. L'ouvrage est très intéressant parce qu'il présente nombre de destins brisés par le communisme et la Révolution culturelle. Force est de constater que les femmes, traditionnellement défavorisées dans la société chinoise, ont été encore plus vulnérables que les hommes face à l'absolutisme, qu'elles fussent issues des couches aisées ou pauvres de la société. Le dernier chapitre nous laisse sur une vision encore plus effrayante: la misère extrême des femmes de Colline Hurlante, une région reculée où les petites filles d'une même famille se partagent un vêtement unique pour sortir de la maison chacune leur tour...

Le chapitre qui m'a le plus bouleversée, toutefois, ne faisait pas état d'une souffrance provoquée par l'homme, mais par une catastrophe naturelle, le séisme de Tangshan de 1976. Xinran donne la parole à trois femmes qui ont perdu leur enfant et c'est terrible à lire...

Chinoises a été traduit de l'anglais par Marie-Odile Probst pour les éditions Picquier. La version anglaise est elle-même une traduction du chinois réalisée par Esther Tyldesley. (Nous sommes donc face à une traduction relais. 😃)

Allez donc voir ailleurs si ces femmes y sont!
L'avis de Grominou

lundi 16 mars 2020

Jamaiplu (2019)

Josiane Balasko, actrice que j'apprécie de manière passive, c'est-à-dire en me rappelant vaguement l'avoir appréciée dans un film dont j'ai oublié le titre, touche également à l'écriture. Les avis de Lorhkan et Baroona m'ont donné envie de tester ce recueil de nouvelles et j'ai été conquise...


Jamaiplu: Le texte qui donne son titre au receuil raconte l'aventure d'une jeune femme capable de communiquer sommairement avec les animaux. En suivant un corbeau bien insistant et un chat borgne, elle rencontre un homme vivant seul avec sa fille handicapée. Mais les choses ne sont pas ce qu'elles semblent être... Si cette nouvelle se lit bien, elle ne m'a pas tellement emballée à cause de quelques maladresses stylistiques et de réactions qui m'ont paru peu crédibles (par exemple, le motard qui repart comme si de rien n'était après une rencontre très perturbante).

Le Boss: Cette nouvelle vous plonge dans l'esprit d'un chien. Amusant, touchant, triste.

Un scénario d'enfer: Une jeune réalisatrice est contactée par un riche producteur pour préparer le scénario d'un film dans lequel la femme de celui-ci tiendrait le premier rôle. Un récit sympathique mais guère marquant, peut-être le plus faible du recueil.

Histoire sainte: Ahah! C'est là que Balasko m'a conquise. J'ai ri-go-lé tout au long. Et ce qui est brillant, c'est que ce texte est entièrement composé de dialogues sans la moindre indication sur les personnages... Mais qu'on comprend parfaitement tout. Chapeau.

Les explorateurs: Pas mal du tout, cette histoire se passant dans une mine. J'ai continué à rigoler, même si c'est nettement moins drôle que le précédent. Ici aussi, l'art du dialogue est très bien maîtrisé.

Adopteunzombie.com: LOL. Génial. J'ai adoré. Dommage que la toute fin m'ait moins plu.

Faites pousser un extraterrestre: Un texte savoureux sur un collectionneur de bandes dessinées, une plante pas comme les autres, les rêves et une sorte de recherche du bonheur. Pas mal.

Le musée de l'Homme: Une discussion amusante entre quatre amies qui partagent leurs histoires sexuelles plus ou moins croustillantes. J'ai eu du mal à identifier les quatre voix (laquelle est la plus âgée, laquelle ne baise pas depuis un an, laquelle s'est un jour fait faire un cunnilingus par un nez 😂😂), mais ça se lit aussi bien qu'on regarde un épisode de Sex And the City et la fin donne un tout autre relief à la chose.

Pour conclure: un recueil charmant qui vaut le détour et une lecture de détente fort plaisante. C'est un peu l'équivalent d'un "roman de plage", mais avec du contenu en plus du plaisir, ce qui est parfait. Merci à Lorhkan et Baroona pour la découverte.

mercredi 11 mars 2020

Sorcières. La puissance invaincue des femmes (2018)

Impossible d'échapper à l'essai Sorcières. La puissance invaincue des femmes de Mona Chollet. Depuis sa sortie en 2018, je le vois partout sur les réseaux sociaux et j'ai ainsi appris que l'autrice évoquait longuement le sujet de la non maternité choisie, ce qui m'a forcément attirée...


Pour tout dire, j'avais quelques inquiétudes à cause du sous-titre "la puissance invaincue des femmes". Je craignais d'y trouver une revendication d'unicité et de différence que je trouve dangereuse car peu rationnelle et proche des répartitions genrées traditionnelles. Quelque chose, pour vous donner une idée en forçant le trait, comme "les femmes sont magiques car plus proches de la nature que les hommes". De là à "les femmes sont incapables d'apprendre les mathématiques", il n'y a qu'un pas...

Heureusement, je n'ai rien trouvé de tout ceci, sauf à la toute fin, dont je vous reparlerai.

L'ouvrage se divise en quatre parties et part du phénomène des chasses aux sorcières du XIVe au XVIIe pour aborder quatre grands thèmes: l'indépendance féminine, la non maternité, le vieillissement et le sexisme de la société actuelle. Il est bien documenté que la chasse aux sorcières a surtout visé des femmes seules et/ou âgées qui vivaient sans homme, en dehors des schémas patriarcaux dominants. Mona Chollet trace le parallèle avec de grandes figures féministes du XXe, puis elle détaille les résistances face au désir et à la revendication de la non maternité par certaines et étudie le rejet des signes de l'âge chez la femme. 

La lecture est tout à fait passionnante et prenante. Mona Chollet écrit très clairement, avec un peu d'humour et de panache qui donnent du relief à ses propos. J'ai lu l'essai en quatre jours en décidant délibérément de lire seulement une partie par jour pour que les idées aient le temps de cheminer dans mon esprit; dans un autre contexte, par exemple en vacances, j'aurais pu le lire d'une traite. Le propos est à la fois glaçant, stimulant et libérateur.

Glaçant pour deux raisons. Tout d'abord la liste ahurissante de violences en tout genre faite aux femmes: de la torture des sorcières au fait de mettre la main dans le vagin des parturientes à l'hôpital sans leur demander leur avis et sans les prévenir, il y a de quoi se barricader chez soi; et ensuite la profondeur du clivage dans l'éducation et la perception des deux genres. Ce dernier point est pour moi d'autant plus glaçant que je vois clairement, au quotidien, combien l'éducation traditionnelle que j'ai reçue étant enfant m'a enfermée dans des schémas dont je peine à me libérer – à commencer par le fait de me poser en "soutien de quelqu'un d'autre" plutôt qu'en personne, professionnelle ou artiste à part entière.

Heureusement, au-delà de ce triste constat, j'ai aussi dit que le propos de Mona Chollet est stimulant et libérateur. Car, oui, lire cinquante pages sur la non maternité, écrites par une femme qui n'a pas d'enfant et ose le dire, ça fait du bien, même si je reste terrifiée de voir arriver la quarantaine à l'horizon en n'ayant toujours pas d'enfant, ni même la moindre envie d'en avoir (et donc de mourir seule sous le regard méprisant d'un professionnel de la santé qui estimera que j'aurai râté ma vie). Ça fait du bien de voir qu'on n'est pas seule, qu'une femme dont l'essai se vend à des dizaines de milliers d'exemplaires a été agressée, elle aussi, par des gens qui lui ont expliqué qu'elle n'a rien compris à la vie si elle n'est pas mère.

Ça fait du bien de voir qu'il y a des millers de femmes, partout dans le monde, qui vivent comme elles le veulent malgré les obstacles et malgré le fait qu'elles dérangent et qu'on les moque, qu'on les prend de haut constamment.

Ça fait du bien de voir qu'il y a des femmes qui ne se teignent pas les cheveux parce qu'elles ne ressentent pas le besoin de faire semblant d'être jeunes et fécondes pour toujours.

Ça fait du bien de se rappeler que, quand un homme cinquantenaire abandonne sa compagne de longue date pour une femme de trente ans plus jeune en laissant ses enfants sur les bras de leur mère, c'est lui qui ne se comporte pas dignement, pas elle qui est une vieille peau condamnée à rester seule.

Du côté des réserves: je dois tout de même dire que j'ai parfois ressenti une légère confusion entre "argument" et "exemple", ou une surestimation de la valeur d'un exemple en particulier. Ainsi, dans la première partie, un paragraphe aborde le parcours d'une féministe pour ensuite signaler que le taux de divorce a explosé aux États-Unis à la même période. Je n'ai pas noté le passage pour vous le montrer, mais il m'a semblé que le sous-entendu était qu'il y avait un lien direct entre les deux choses. Or, l'augmentation des divorces s'explique par des tas de raisons, pas seulement par les propos de cette femme-là en particulier.

À la fin, la quatrième partie m'a parfois perdue; l'autrice y fait le lien entre femmes et nature, femmes et écoféminisme, et j'ai lu quelques paragraphes sans en saisir le contenu. C'est là qu'on pourrait glisser vers ce que je craignais à cause du titre, une vision de la femme comme élément de la nature, une espèce de force primitive (là où l'homme serait l'esprit et la machine, je suppose). C'est un peu comme quand on dit que les femmes devraient plus s'engager en politique car elles sont plus douces que les hommes. Voyons Margaret Tatcher et Marine Le Pen. 😅

Malgré ces réserves, je recommande chaudement la lecture de cet ouvrage. On ne prendra jamais trop conscience de combien la société occidentale est profondément misogyne et repose sur l'asservissement de la femme. Et même si ça ne change pas le quotidien dans l'immédiat, identifier ces mécanismes est indispensable pour ensuite les faire bouger.

Allez donc voir ailleurs si ces sorcières y sont!

vendredi 6 mars 2020

La gamelle de février 2020

Après un bon démarrage en janvier, stagnation désolante de ma vie culturelle en février...

Sur petit écran

Frère des Ours de Robert Walker et d'Aaron Blaise (2003)


Ça faisait beaucoup trop longtemps. 💖 Ce dessin animé est adorable, touchant, drôle et injustement méconnu. Donnez-lui une chance s'il croise votre chemin.

Sur grand écran

Les traducteurs de Régis Roinsard (2020)


Un thriller prenant et plutôt ambitieux. Le film me semble détonner dans la production française: il s'agit d'un scénario original, il ne s'agit pas d'une histoire familiale ou pseudo-sociétale (vous savez, ces films qui partent d'un état de fait socio-économique réel, disons la pauvreté des personnes âgées, pour en faire des comédies simplistes et lourdement conventionnelles, voire conservatrices) et surtout il est multilingue. Les langues des neuf traducteurs sont bien présentes et jouent même un rôle important dans une scène très réussie exploitant l'espagnol et le mandarin. J'ai même été bluffée de voir une des personnages parler de sa déception de la maternité!! C'est dingue. (Note perso: je me suis tellement vue dans ce personnage...)
J'ai un peu mois aimé la fin, l'intrigue se complexifiant d'une manière qui ne m'a pas tout à fait convaincue, mais je recommande néanmoins. Vu deux fois pour relever, la deuxième fois, les indices que j'aurais manqués la première fois. ^^

Du côté des séries

J'ai commencé Picard, mais je ne suis pas enthousiaste pour l'instant; je trouve certaines ficelles trop énormes et il me semble qu'il y a trop de doubles jeux pour que ça tienne la route. Bilan dans deux mois.

Et le reste


J'ai lu le Cheval Magazine de février, un ancien numéro de Terra Eco pour me pencher sur la finance éthique (catastrophe: comme me l'avait dit une ancienne enseignante d'équitation, il n'existe que deux banques responsables en France et l'une des deux ne propose que des comptes épargne, pas de comptes courants... Huit ans que je dois relire ce numéro pour redécouvrir cette triste vérité...) et un vieux numéro de Fiction, celui du printemps 2014, que m'a donné une amie qui y avait réalisé une traduction (il s'agit de Lise Capitan, traductrice des Véritables chroniques martiennes de John Sladek). Après deux interviews très intéressantes, la première d'Ayerdal et de Norman Spinrad et la seconde de Justine Niogret et Jean-Philippe Jaworski, j'ai été plutôt déçue par le niveau des textes. Le seul qui pourrait me rester en tête est L'éternité dure longtemps de Sonia Quémener, une amusante histoire de fantômes confrontés à leur propre incorporalité. D'autres avaient des idées sympathiques, mais n'étaient pas assez aboutis pour me marquer; d'autres m'ont paru incompréhensibles ou largement facultatifs.

Et voilà. En mars, j'espère rattraper Birds of Prey, qui par miracle passe encore dans mon cinéma, voir Woman et peut-être donner une chance à 1917...

dimanche 1 mars 2020

Autoportrait de l'auteur en coureur de fond (2007)

Chronique express!

Ne prenez pas peur face à cette couverture horrible... 😉

Bien que je n'aie lu aucun roman d'Haruki Murakami, j'ai eu envie de lire ce court ouvrage sur la course à pied et l'écriture à cause d'une vidéo de Samantha Bailly (à 4:08). L'auteur japonais y parle surtout de la course, une activité sportive pour lui indissociable de l'écriture. Quand il a décidé d'écrire un roman, Haruki Murakami a vendu son club de jazz et s'est consacré à l'écriture à temps plein. En parallèle, il a adopté une routine sportive stricte afin de conserver une forme physique suffisante pour écrire. Il court presque tous les jours, prend part à un marathon et un semi-marathon par an et a même participé à un ultra-marathon (une course de 100 km). Dans cet ouvrage rédigé en 2005, il prépare le marathon de New York.

Cette lecture est indéniablement prenante. Je m'intéressais plutôt à l'écriture, qui est nettement minoritaire, mais au final je me suis retrouvée dans les passages sur la course. Pas que je coure, entendons-nous – au contraire, j'ai haï cette discipline de toutes mes forces quand j'ai été contrainte de la pratiquer à l'école – mais je suppose que le dépassement de soi parle à tous. Le fait de préparer une performance en se donnant des objectifs et en s'entraînant est tout à fait transposable à l'équitation, par exemple. (Mais quelle idée de courir un ultra-marathon, j'ai eu mal pour lui tellement l'effort est démesuré pour les muscles. 😱) Haruki Murakami aborde aussi le vieillissement de son corps et la baisse de ses capacités, qu'il lui a tout simplement fallu accepter. En revanche, je n'ai pas aimé le style, qui m'a paru froid et presque mécanique et m'a empêchée de vraiment plonger dans ma lecture.

Éditions 10/18. Traduit du japonais par Hélène Morita.