Tout comme 1984, La Ferme des animaux de George Orwell a marqué la littérature occidentale. Je l'ai abordé avec beaucoup de curiosité, mais aussi un léger malaise absolument absurde et des craintes.
Un malaise parce que, quand j'étais en première, quelqu'un, probablement une certaine Audrey C., a dit devant moi qu'elle avait lu ce roman en anglais en seconde. Moi, je n'avais jamais lu de roman en anglais. J'en ai tiré une certaine honte. Cette fille connaissait un monde entier dont je ne savais rien. (Comme tous mes petits camarades depuis la primaire, de toute façon; ils avaient tous l'air de faire des trucs géniaux, que je ne comprenais qu'à moitié.) Durant les grandes vacances entre la première et la terminale, j'ai lu Le Seigneur des Anneaux en anglais. C'est, en toute objectivité, une entreprise nettement plus colossale et ardue que de lire La Ferme des Animaux en seconde. Mais comme je n'étalais pas ce genre d'exploit en public, ça n'a jamais tout à fait enlevé, à mes propres yeux, l'impression que Audrey C. avait fait un truc de fous. Les rares fois où j'ai effectivement dit que j'avais lu Le Seigneur des Anneaux en anglais, la personne en face de moi n'a pas réagi avec le quart de l'admiration que j'avais ressentie pour Audrey C. (et avec le recul, je me demande même si certains ne m'ont tout simplement pas crue). Du coup, La Ferme des animaux est toujours resté un peu le bouquin qu'on lisait en seconde et que je n'avais pas lu, ce qui prouvait que je n'avais pas de connaissances, pas d'aisance avec la langue, pas d'études, pas de culture gé.
Franchement, je m'autosaoule. Dans cette triste histoire, j'ai tout fait toute seule. Mais en même temps, j'ai beaucoup de peine pour cette gamine, puis cette ado, puis cette jeune femme, puis cette trentenaire, qui a toujours l'impression que les autres font plus et mieux. 😅
Par ailleurs, j'avais des craintes parce que ce roman a été adapté en bande dessinée récemment, dans Le Château des animaux de Xavier Dorison et Félix Delep, et que j'ai eu le malheur de voir ce qu'il arrive à l'oie. J'AI VU. JE SAIS. JE NE LIRAI JAMAIS CETTE BD.
Mais bon, malgré tout ça, j'ai évidemment acheté ce roman lorsque je l'ai trouvé d'occasion, car c'est un ouvrage célèbre, qui manquait à ma culture, et que j'ai adoré 1984 du même auteur. Et j'ai bien fait, bien sûr. Déjà, ça se lit tout seul et c'est même assez drôle. (Je comprends mieux que Audrey C. l'ait lu en version originale en seconde, du coup.) Il y a notamment un chat qui apparait de temps à autre et qui est sympathiquement fûté. 😼 Ensuite, parce qu'il donne à réfléchir sur la mise en place d'un système totalitaire avec toute l'innocence du monde (enfin, on peut douter de l'innocence des cochons, mais on ne peut nier qu'ils ne prennent jamais le pouvoir par la force. Ils sont les seuls à savoir lire. Il est LOGIQUE qu'ils s'occupent d'organiser le travail de la ferme après que les animaux ont délogé les humains). Aucune étape n'est décisive en elle-même, mais leur cumul mène les animaux à la catastrophe. Je suppose que c'est également un régal quand on connaît bien l'histoire de l'URSS, car la prise de pouvoir des animaux correspond totalement à la révolution du prolétariat, tantis que l'opposition entre Napoleon et Snowball est, je suppose, le reflet de celle entre Lénine et Trotski, ou plus probablement de celle entre Lénine et Staline.
Comme les animaux, à part les cochons et l'âne, sont plutôt dociles et ont la mémoire courte, tout se passe bien pour nos totalitaristes, ce qui constitue une bonne partie de la légèreté, et presque de l'humour, du roman. C'est seulement quand Boxer, le cheval de trait qui répond à tous les problèmes par la maxime "je travaillerai plus" (comme moi, tiens tiens), commence à avancer en âge que le roman tourne au tragique, avec quelques pages affreuses (le départ de Boxer et les animaux qui ne peuvent plus chanter "Beasts of England") et une fin qui laisse un goût amer en bouche.
Une très belle lecture, donc. Tout le monde devrait lire ce livre en seconde, en anglais ou pas. Mais si vous ne l'avez pas fait, n'hésitez pas! Il n'est pas trop tard!