lundi 28 décembre 2020

Histoires de vampires (recueil)

Probablement en réaction à la disparition de l'automne et de l'hiver, mes deux saisons préférées, j'ai envie de lire du fantastique en ce moment. C'est une sorte de lecture doudou qui me rappelle mon adolescence. J'ai donc resorti de la biliothèque un recueil d'histoires de vampires offert par une amie il y a fort longtemps, et déjà lu deux fois – mais totalement oublié depuis.

Histoires de vampires, éditeur Maxi-Livres, collection Maxi Poche, 2005, 2€ (à l'époque!)

Alexandre Dumas: Histoire de la Dame pâle (1849)
Un récit à la première personne qui sent bon le XIXe. Une Polonaise raconte comment deux frères se sont affrontés pour son amour au cœur des Carpates (cinquante ans avant Dracula, l'Europe de l'Est est déjà la patrie du vampire). On est loin de ce que Dumas a fait de mieux, mais c'est très agréable.

Charles Baudelaire: "Le Vampire" (1867)
Un des textes les plus célèbres des Fleurs du Mal. Déjà lu mille fois, mais toujours très beau.

Prosper Mérimée: Lokis (1868)
Cette nouvelle est un peu hors-sujet, puisqu'elle ne parle pas d'un vampire mais d'un ours-garou. Le schéma, en revanche, est très classique: un savant rejoint le château isolé d'un comte lithuanien et ne tarde pas à se rendre compte que celui-ci tient des propos bizarres. Rien de très mémorable, mais c'est plaisant.

Charles Nodier: Smarra ou les Démons de la nuit (1822)
Alors là, je n'ai absolument rien compris. C'est un texte très lyrique et plein de références à la mythologie (grecque, essentiellement), je ne sais pas du tout ce qu'il s'y passe.

Guy de Maupassant: Le Tic (1884)
Une nouvelle typique de Maupassant, qui, rappelons-le, est le roi de la nouvelle. Je l'ai déjà lue x fois, mais elle est très sympathique. L'auteur a un don incroyable pour poser son atmopshère et ses personnages en deux paragraphes, c'est dingue.

Aloysius Bertrand: Gaspard de la Nuit (1842)
Une série de visions indépendantes qui, si je comprends bien, racontent autant de rêves. C'est joliment écrit et j'ai étudié un des textes, "Le Rêve", quand j'étais au lycée. Nostalgie, quand tu nous tiens.

Le recueil contient également plusieurs textes très courts et extrêmement factuels de Charles Nodier (La Nonne sanglante, Le Vampire Arnold-Paul, Vampires de Hongrie et Tante Mélanchton) à l'intérêt limité, si ce n'est pour y retrouver les grandes caractéristiques du mythe (le cadavre encore frais dans son cercueil des semaines après la mort, les épidémies de mort, la destruction par décapitation et incinération...). Seul le dernier, Facéties sur les vampires, est amusant dans son ironie.

Enfin, le recueil comprend également Le Horla de Guy de Maupassant, que je n'ai pas relu car je l'ai déjà lu au moins quinze fois, et La Morte amoureuse de Théophile Gautier, que je n'ai pas relu car je l'ai déjà lu au moins cinq fois et que je l'ai justement relu il y a quinze jours.

Dans l'ensemble, les textes de ce recueil ne sont pas inoubliables ou très marquants (sauf Le Horla – lisez Le Horla si ce n'est pas déjà fait), mais il est très intéressant de voir combien le mythe du vampire était déjà balisé au XIXe. Et il a atteint l'objectif que je lui demandais, c'est-à-dire m'emmener dans des châteaux isolés au fin fond des Carpates, loin de tout, où des ombres rôdent entre les vieilles pierres la nuit...

mercredi 23 décembre 2020

Les Disparus du Clairdelune (2015)

Le mois dernier, j’ai lu et adoré les Fiancés de l’hiver, le premier tome de la Passe-Miroir de Christelle Dabos. Depuis, je trépigne d’impatience en attendant de lire le deuxième tome, dont j’avais programmé la lecture un mois plus tard pour ne pas risquer de gâcher mon plaisir en enchaînant les tomes trop vite.

Alors, quid des Disparus du Clairdelune?


J’ai adoré. À vrai dire, je suis au niveau au-dessus de l’adoration, je suis obsédée par la Passe-Miroir, je me prosterne devant Cristelle Dabos, j’ai dix-sept ans et un crush amoureux irrémédiable, je veux aller vivre au Pôle ou encore mieux à Amina, je suis dingue de l’écharpe.

Attention, je vais inévitablement révéler des éléments de l’intrigue du premier tome dans ce billet. 

Ce deuxième tome reprend là où s’était arrêté le premier, à savoir que l’héroïne, Ophélie, liseuse et passe-miroir de son état, s’apprête en quelque sorte à faire son "entrée à la cour" en rencontrant le seigneur Farouk, esprit de famille du Pôle. Ayant découvert que Thorn ne l’a choisie pour fiancée que pour bénéficier de son pouvoir de liseuse, elle est déjà très fâchée avec lui, mais la situation se complique encore lorsque Farouk la nomme vice-conteuse officielle, ce qui implique qu’elle divertisse la cour en racontant des histoires, puis lorsque des personnalités en vue du Pôle commencent à disparaître mystérieusement.

Bon, je ne sais même pas par où commencer tellement j’adhère à tout dans ce bouquin.

J’ai déjà mentionné l’univers génialissime dans le tome 1. Ici, l’effet de surprise et de découverte est, inévitablement, un peu passé, mais cela reste génial. La Citacielle, la ville suspendue qui peut se déplacer dans les airs, les Illusions pouvant aller jusqu’à déformer totalement l’espace, la présence inattendue d’objets rétro comme des dirigeables et des téléphones à fil… Tout cela forme un ensemble qui n’en finit pas d’étonner et de fasciner. C’est vraiment comme découvrir Poudlard et commencer à se dire: "putain, quand est-ce que je reçois ma lettre, moi!?"

J’adore les pouvoirs des habitants des arches et, au sein du Pôle, des différentes familles. L’animisme d’Ophélie et de son peuple est de loin mon pouvoir préféré, mais je prendrais bien les griffes des Dragons, franchement.

Les personnages sont tous géniaux, des plus importants aux plus secondaires. Ophélie bien sûr, qui évolue très joliment, gagnant en assurance et en lucidité sans changer ses caractéristiques essentielles – une discrétion à toute épreuve, une maladresse terrible, un sens moral fort et une détermination extrêmement persévérante derrière ses airs empotés. Thorn, glacial et raide comme un piquet, avec ses répliques cinglantes (je suis amoureuse de Thorn 😍 Mais franchement, qui ne l'est pas?!?). Archibald, négligé et dragueur, un feu follet irrésistible (je suis amoureuse d’Archibald aussi, maintenant que j’y pense). Farouk, terrible dans sa puissance démesurée. Le baron Melchior, obèse, raffiné et amusant ministre des Élégances que j’ai rapidement visualisé comme Ratcliffe, le méchant de Pocahontas de Disney. Gaëlle fait une rapide apparition et Renard revient aussi, et avec un chaton, Andouille. Et l’écharpe, n’oublions pas l’écharpe. Ni la mère Hildegarde avec ses cigares – seulement deux pages, mais quelle classe. Tous sont saisis avec une vivacité de fous.

"Gaëlle s’était hissée sur la rambarde comme un marin sur le beaupré d’un navire; au-dessus des contingences humaines, elle mâchonnait une cigarette juste à côté du panneau «INTERDICTION FORMELLE DE FUMER»."

Il y a aussi beaucoup d’humour dans ce tome: plutôt discret généralement, mais j’ai aussi éclaté de rire plusieurs fois.

"— Monsieur l’intendant, je me demandais où vous étiez!
— Ici, répondit Thorn comme une évidence."

J’ai posé le livre, j’ai ri. J’ai relu, j’ai reri. J’ai rerelu, j’ai rereri.

L’intrigue s’étoffe considérablement dans ce tome, puisque non seulement le mariage d’Ophélie dépasse les simples enjeux diplomatiques qu’elle avait imaginés, mais il ne concerne pas moins que le lointain passé des esprits de famille et la Déchirure, le grand cataclysme qui a fait de la Terre une série d’arches flottantes (autour, on suppose, d’un reste de noyau). J’ai hâte d’en apprendre plus sur ce mystérieux Dieu apparu dès la première page du premier tome.

Côté bémols, je pourrais exprimer quelques réserves sur ce tome, à savoir que j’aurais aimé voir plus la tante Roseline, un personnage extraordinaire, et peut-être découvrir un nouvel endroit aussi formidable que la Citacielle, à côté de laquelle la ville balnéaire des Sables d’Opale est finalement bien banale; et il y a de légère facilités à la fin, avec un méchant un peu trop bavard en présence d’Ophélie et un départ pour Anima bien expéditif au dernier chapitre – la réaction de Farouk à la disparition de Thorn aurait mérité quelques lignes d’explication plutôt que la simple mention du fait que Thorn est hors la loi. Mais je chipote totalement, un peu comme si, alors que vous vous extasiez sur un chat particulièrement sublime, vous commentiez la présence de trois poils gris foncé dans son pelage noir d’encre.

En bref: un deuxième tome très réussi pour Christelle Dabos. Chapeau, l’artiste. Je trépigne d’impatience en attendant le troisième. Lecture prévue durant la deuxième moitié de janvier, pour faire durer le plaisir.

Allez donc voir ailleurs si ces disparus y sont!
L'avis de la Petite marchande de prose
L'avis de Vert

vendredi 18 décembre 2020

L'Incivilité des fantômes (2017)

À bord du Matilda, qui vogue parmi les étoiles depuis des centaines d'années, Aster, une femme noire des bas-ponts, assiste le Chirurgien, un métis des hauts-ponts. La société de ce vaisseau est extrêmement hiérarchisée, avec à sa tête le souverain Nicolaée, représentant de la religion et garant de la mission du Matilda, à savoir atteindre une hypothétique terre promise. Aster étudie aussi les journaux laissés par sa mère, qui s'est suicidée le jour de sa naissance et qui avait découvert des vérités oubliées.



Bon, ce roman de Rivers Solomon ne me tentait guère, l'idée des sociétés ultra-hiérarchisées avec les riches exploiteurs d'un côté et les pauvres exploités de l'autre me semblant totalement insipide si ce n'est pas Zola ou Maupassant qui s'en occupe, mais je l'ai reçu en cadeau (et de la part d'une amie qui ne lit pas de SF, en outre!) et j'ai donc attaqué ma lecture pleine de bonne volonté. Comme je le craignais, la sauce n'a pas du tout pris, mais pas pour les raisons que j'anticipais: le problème a été que j'ai trouvé le tout extrêmement confus.

Au début, la présentation de la société m'a semblé laborieuse; on recueille des bribes d'information au fil des conversations et j'ai eu du mal à les recouper pour comprendre comment tout ceci était organisé. Le simple plan du vaisseau m'a totalement échappé. Les ponts sont numérotés de A à Z (enfin, le pont le plus bas cité est le Y, mais je suppose que ça va jusqu'à Z...) et on imagine une superposition linéaire, de haut en bas, mais les ponts agricoles (dont je n'ai pas retenu les lettres, ou dont on ne connait pas les lettres tout court) sont placés en rond autour d'une étoile artificielle qui fournit chaleur et énergie. Donc, je n'ai pas compris si le vaisseau est rectangulaire ou rond, ou à géométrie variable...

À maintes reprises, l'enchaînement des phrases m'a semblé bancal, comme si la fin d'un paragraphe n'avait rien à voir avec le début ou que les gens répondaient à côté de ce qu'un autre personnage venait de leur dire. Cela va jusqu'à l'apparition ou la disparition d'un truc en plein milieu d'un chapitre, comme un manteau tout au début: Aster le prend à la main, le manteau tient très chaud, tu as l'impression qu'elle va l'offrir à quelqu'un qui souffre plus d'elle du froid... Et, non, on ne sait pas, le manteau n'est plus cité. L'a-t-elle gardé à la main pendant toute la conversation sans rien en faire? Aucune idée.

Je suis aussi restée perplexe face à la clandestinité. Le Matilda est ultra hiérarchisé et il y a des gardes partout, mais Aster passe son temps à aller dans des endroits où elle n'a pas le droit d'aller en ne se faisant prendre que rarement et en ne prenant guère de précautions. À la fin, elle monte même jusqu'au pont A, ni vue ni connue, tranquillou.

Il y a aussi ce conduit d'aération ou monte-charges abandonné qui lui permet d'entrer dans un endroit extrêmement important, lui aussi abandonné (pourquoi? Depuis quand? Est-il franchement possible que la direction du vaisseau [divugâcheur] ait l'oublié l'existence de navettes permettant de quitter les lieux et ne se soit jamais rendu compte que la mère d'Aster y a pénétré? [Fin du divugâcheur]) Pourquoi Aster et son amie Giselle échouent-elles à atteindre le sommet du monte-charge après des heures (si ce n'est pas des jours, je ne sais plus) d'efforts quand elles sont enfants alors qu'Aster y parvient en un clin d'oeil une fois adulte?

Et concernant les agissements de la mère d'Aster: [divugâcheur] elle a inverti la trajectoire du Matilda pour le ramener sur Terre, mais depuis 25 ans personne ne s'en est rendu compte? Et alors, à quoi est due la coupure de courant du début du roman, supposément provoquée par un autre changement de direction? Qui a modifié la trajectoire, pourquoi, pour aller où? Et pourquoi, dans ce cas, le Matilda apparait-il à proximité de la Terre à la fin? [Fin du divugâcheur] Sérieux, je n'ai rien compris.

Arrivée en vue de la fin, j'ai profité d'une insomnie pour feuilleter les 200 premières pages et relire en diagonale les passages qui me semblaient importants. Ça m'a éclairci les idées en ce qui concerne la haine de Lieutenant, le successeur de Nicolaée, envers Aster, mais le reste est demeuré bien obscur.

Pour couronner le tout, malgré un certain intérêt pour la découverte des mystères que j'espérais comprendre, je n'ai ressenti aucune empathie pour Aster et ses compagnons d'infortune – malgré un quotidien éminemment néfaste composé de froid, de privations, de violences et de viols – et j'ai pris en grippe Giselle, que j'ai trouvée irrespectueuse et insupportable...

Très franchement, la moitié des problèmes que j'ai ressentis s'expliquent probablement par le fait qu'il s'agit d'un premier roman; j'ai eu l'impression que Rivers Solomon a vu les choses en grand mais n'a pas été capable de concrétiser cette vision. Il y a des idées, mais beaucoup de travail pour rendre la chose publiable. Je ne m'explique donc pas le succès du bouquin. Je vais m'accrocher à la maigre consolation d'avoir lu, pour à peine la deuxième fois de ma vie si je ne me trompe pas, un livre écrit par une personne n'ayant pas la même couleur de peau que moi... 😜

Les copains sont unanimes, ce livre est extraordinaire. Allez donc voir ailleurs si ces fantômes y sont!

PS: Vous noterez que j'ai formulé de billet de manière à ne pas me prononcer sur le genre de Rivers Solomon, qui utilise le pronom they singulier en anglais, sans pour autant avoir recours au pronom iel, auquel je ne m'habitue pas. Je n'ai cité son nom que deux fois et je n'ai utilisé qu'un seul adjectif, capable, qui ne change pas au féminin et au masculin en français. Je voulais faire quelque chose de beaucoup plus complexe mais je rédige ce billet en catastrophe la veille de sa publication, donc je manque de temps (et j'ai très très envie d'éteindre l'ordinateur pour commencer le deuxième tome de la Passe-Miroir 🤩). Il faudra que je lise un autre livre écrit par une personne se considérant comme non-binaire pour me faire un petit défi rédactionnel à l'avenir.

PS2: Si vous estimez que c'est moi qui n'ai rien compris au bouquin et que les réponses à mes questionnements sont évidentes, je serai ravie que vous me donniez les numéros de page concernés pour que je puisse me rendre compte de ce que j'ai raté.
 
PS3, plus tard: Une amie me signale qu'écrire "une personne se considérant comme non-binaire" ne convient pas, l'identité de genre étant, justement, une identité et non une considération ou un avis. J'en prends bonne note et je ne répèterai pas cette formulation à l'avenir. Je laisse ça là dans le présent billet pour réfléter l'évolution de ma rédaction.

PS4, plus tard aussi: Dans ma hâte, j'ai commis l'impardonable: je n'ai pas cité le traducteur!! C'est la honte, l'indignité professionnelle. Il s'agit de Francis Guévremont, dont la bibliographie est joliment variée.

dimanche 13 décembre 2020

La Morte amoureuse (1836) + Une Nuit de Cléopâtre (1838)

Chronique express!

La Morte amoureuse de Théophile Gautier est une nouvelle idéale pour un dimanche pluvieux de décembre. Portée par une plume riche et poétique, quasiment luxuruante dans ses descriptions, elle raconte l'étrange double vie d'un prêtre qui a cru, pendant trois ans, être courtisan en compagnie de la divine et mystérieuse Clarimonde, pourtant morte et enterrée. C'est une histoire de vampire délicieusement classique, qui m'a beaucoup marquée quand j'étais au lycée et que j'ai adoré relire adulte. Regard ensorcelant, mains diaphanes, amour survivant par-delà la mort, tissus précieux dans des palais regorgeant de richesses, sans oublier la galopade effrenée de deux chevaux noirs au clair de lune... Il y a tout ici pour contenter l'ado gothique qui sommeille en vous.

Une Nuit de Cléopâtre est moins marquante, mais tout de même très agréable. Cette fois, Théophile Gautier nous emmène sur une cange naviguant sur le Nil par une journée d'écrasante chaleur. À son bord, la sublime Cléopâtre, la reine toute-puissante sur laquelle le peuple n'ose même lever les yeux, s'ennuie à périr, lassée d'empoisonner ses esclaves et de régner sur autant de momies que de vivants. Un peu plus loin, sur une embarcation de fortune, un homme transi d'amour. Dans le plus pur orientalisme, tout n'est ici que luxe incroyable, jardins secrets aux bassins recouverts d'or, esclaves discrets, étoffes de prix et mets divins. Un décor à la hauteur de Cléopâtre, de son visage inoubliable et de ses adorables petits pieds...

mardi 8 décembre 2020

La Terre (1887)

Après L'Œuvre en septembre, Tigger Lilly et moi avons attaqué la Terre, le quinzième tome des Rougon-Macquart. Adieu Paris, bonjour les plaines de la Beauce.
 

L'intrigue
Dans le village de Rognes, en pleine Beauce, le vieux Fouan, devenu trop âgé pour travailler ses terres, les sépare entre ses trois enfants: Hyacinthe, alcoolique notoire surnommé Jésus-Christ, Fanny et Buteau. Ce dernier n'apprécie guère le lot qui lui revient et, s'estimant lésé, rompt avec son père. Il ne reviendra dans le giron de la famille que pour épouser une cousine qu'il a mise enceinte, Lise, lorsque la terre de celle-ci aura pris beaucoup de valeur. En parallèle, son ami Jean Macquart, le frère de la célèbre Gervaise, tombe progressivement amoureux de Françoise, la petite sœur de Lise.

Le roman de la possession
La Terre parle essentiellement de possession, la famille des Fouan se déchirant autour des héritages, des biens et des rentes des uns et des autres. La richesse ultime, c'est la terre, qui apporte nourriture et argent. Plus on a de terres, plus on est important et respecté. Quand on n'en a pas, ou plus, on n'est rien. Lorsque Buteau épouse Lise et se met à l'agriculture, il jouit de cette possession de la terre dans des métaphores très sexuelles. Cela m'amène au deuxième objet de possession de ce roman: la femme. Eh oui, les femmes sont très actives sexuellement à Rognes, soit de leur propre chef soit parce que les hommes estiment qu'elles sont en libre-service – auquel cas on ne peut plus dire qu'elles sont actives, en fait, mais j'y reviens plus loin.
De Jacqueline qui multiplie les amants dans le dos de son amant principal à la Trouille qui couche avec son cousin Nénesse et son ami Delphin l'un après l'autre en passant par Jean qui saute, en pleine nuit, sur une femme qu'il a "troussée" deux ans plus tôt et pas revue depuis et par Palmyre qui couche avec son petit frère Hilarion pour lui offrir un peu de réconfort dans sa vie miséreuse, il y a du sexe à toutes les pages. D'ailleurs, le roman s'ouvre par un taureau qui monte une vache et a besoin de se faire aider par la fermière car il est trop petit – la scène est étonnante et rigolote mais, avec le recul, elle annonce un thème essentiel du bouquin.

La plupart de ces relations sexuelles sont des viols. C'est absolument atroce d'horreur. J'ai déjà décrit, ci-dessus, comment Jean saute sur une femme sans lui demander son avis. Il y a aussi le long harcèlement de Françoise de la part de Buteau, son beau-frère odieux et possessif qui aimerait bien avoir deux femmes à domicile, son épouse légitime et la petite sœur de celle-ci, histoire de coucher avec la jeune tandis que la plus âgée allaite les gosses. Dégueulasse. Le roman se termine par un viol particulièrement sordide.

Une seule fois, le viol se retourne contre le violeur: privé de sa sœur bien docile, Hilarion, un jeune handicapé mental, finit par essayer de violer sa grand-mère (!) âgée de genre 90 ans (!), qui lui met un grand coup sur la tête et l'envoie ainsi au cimetière.

Vous l'aurez compris, la famille Fouan est tellement charmante que les Rougon-Macquart, à côté, ont parfois l'air sympa...

Une comicité inattendue
Bien que la Terre parle essentiellement de viol et de gens odieux pouvant aller jusqu'au meurtre, il est aussi très drôle. C'est probablement le roman le plus contrasté de Zola, je n'ai pas le souvenir qu'il ait autant fait le grand écart dans les autres. Pour vous donner une idée, un chapitre entier est consacré aux pets de Hyacinthe, dit Jésus-Christ. Oui oui, les pets. Jésus-Christ pète tout le temps, et très fort. Et il en est fier. Il pète tellement fort qu'il fait fuir un huissier en le menaçant de son fusil puis en lui faisant croire qu'il lui tire dessus. En fait, il est juste en train de péter, mais chaque pet est aussi fort qu'un coup de fusil. Vous ne vous attendiez pas à ça chez Zola, hein? 😁 Citons aussi la beuverie de l'âne Gédéon, qui avale vingt litres de vin à lui tout seul, et le "chasse-cousin" de la Grande, la charmante dame qui a assommé son petit-fils: elle garde soigneusement de côté un vin particulièrement dégueulasse qu'elle ne sort que quand la famille s'invite chez elle. Sans oublier tous les passages sur les Charles, un couple qui a amassé une petite fortune en gérant une maison close et qui cache pudiquement la chose aux oreilles de la petite Élodie... 😂

Le travail de la terre, la base de tout
Le thème qui sous-tend le roman et l'intrigue, c'est la terre nourricière, les plaines de la Beauce qui donnent le blé. Zola en profite probablement pour exprimer son propre avis sur la question – en tout cas, c'est comme ça que j'entends les propos de Hourdequin dans la deuxième partie – et pour décrire l'évolution du secteur de l'agriculture à une époque où les petits cultivateurs français se trouvent confrontés à la chute du prix du blé provoquée par les massives importations américaines. Je dis ça à chaque fois, mais Zola vivait dans le même monde que nous: ce qu'il décrit ici, c'est exactement ce qu'il se passe en ce début de XXIe siècle, juste à plus petite échelle. Il oppose la demande de mesures protectionnistes, destinées à sauvegarder les paysans qui ne peuvent rivaliser avec les immenses exploitations d'Amérique du Nord, à une volonté de faire baisser les coûts pour nourrir la main d'œuvre de l'industrie. Cependant, il montre surtout la vie miséreuse de paysans qui se tuent à la tâche sans jamais aucune certitude du lendemain, leurs cultures étant toujours à la merci des aléas climatiques. Pauvreté, esprit de clocher, enfermement sur soi, absence totale d'horizons culturels, déchéance des personnes âgées qui ne peuvent plus travailler... Tout cela rejoint le discours actuel sur des agriculteurs écrasés par les dettes et la concurrence impitoyable de très grandes exploitations.

Mes billets sur Zola sont généralement plus longs, mais je m'arrête ici aujourd'hui car la Terre me laisse au final assez perplexe: aussi révoltant que drôle, il semble être le roman dans lequel Zola a osé faire du grotesque, sans toutefois dégager un message social aussi percutant que celui de Germinal ou une ambiance aussi particulière que celle des halles du Ventre de Paris ou du Bonheur des Dames dans le roman du même nom. Je suis toutefois ébahie d'avoir pu oublier la fin, qui est absolument atroce....

Allez donc voir ailleurs si cette terre y est!
L'avis de Tigger Lilly

jeudi 3 décembre 2020

La gamelle de novembre 2020

Novembre 2020, le mois confiné pas confiné. Mon principal loisir, l'équitation, ayant continué malgré les restrictions (avec des ajustements, bien sûr), ce mois n'a pas été très différent d'un mois normal.

Enfin, à part que les cinémas sont fermés, bien sûr.

  

Sur petit écran

Pas de film.

Sur grand écran

Bein, rien, les cinémas étant fermés. J'ai hâte de faire le bilan cinéma de l'année, dis donc. 😉

Du côté des séries

Agatha Christie's Hercule Poirot – saison 9 (2004)
Une saison de quatre épisodes avec deux grands succès d'Agatha Christie: Five Little Pigs et Death on the Nile. Je n'ai lu aucun des deux et j'ai donc découvert l'intrigue. Ce sont des enquêtes très réussies, même si je crains de regarder trop de Poirot car je commence à les résoudre. (Le plaisir de ce genre d'histoire, ce n'est pas d'avoir vu juste, mais de s'en prendre plein la vue quand la vérité est révélée. 🤩) Le dernier épisode était l'adaptation de The Hollow, que j'ai lu l'année dernière, une histoire prenante avec pas mal de fausses pistes. Notons qu'apparaissent dans cette saison Phyllis Logan, qui joue Mrs. Hugues dans Downton Abbey, Emily Blunt, qu'on ne présente plus, et Frances de la Tour, qui joue Madame Maxime dans Harry Potter et la Coupe de feu.

Agatha Christie's Hercule Poirot – saison 10 (2006)
Ici aussi, quatre épisodes, dont deux romans assez connus: The Mystery of the Blue Train et Cards on the Table. Notons l'apparition de Michael Fassbender, qui dégageait déjà une intensité remarquable avant de faire ses débuts au cinéma.

Et le reste

J'ai lu le hors-série Une vie, une œuvre du Monde sur Émile Zola, qui s'est avéré légèrement décevant, en partie parce que j'avais oublié que cette collection consiste aussi à proposer des textes de l'écrivain (ce qui n'est pas très intéressant pour moi dans le cas de Zola, que je connais bien) et en partie parce que j'ai trouvé les textes de tiers assez creux. Sans oublier des erreurs de ponctuation qui m'ont hérissée.

J'ai également lu le numéro 58 de la merveilleuse revue Translittérature, une plongée dans le monde fascinant des traducteurs littéraires, et le Cheval Magazine de décembre, qui s'ouvre par une telle perle syntaxique que je leur ai écrit pour leur proposer mes services de correctrice, en leur expliquant que les coudes, ça ne se sert pas, ça se serre... 🤪