Étant complètement débordée de travail en ce moment et à peu près incapable de lire plus de quinze minutes par jour, je vous propose aujourd'hui un interlude non littéraire. Est-ce que ça vous dit de découvrir le triste sort des botanistes de Leningrad, l'actuelle Saint Petersbourg?
Mes informations sur cette histoire proviennent principalement du livre que je traduis actuellement (je ne peux pas vous en parler pour des raisons de confidentialité, mais c'est une source fiable 😊), mais aussi de mes propres recherches sur le sujet.
Pendant les années vingt et trente, Nikolaï Vavilov, un botaniste soviétique, a parcouru le monde à la recherche de graines anciennes, qu'il a réunies dans l'Institut de botanique de Leningrad. Il souhaitait améliorer les cultures pour lutter contre la faim et espérait trouver les ancêtres des variétés vivrières de son époque. C'était un scientifique tout à fait sérieux. Malheureusement, Staline préférait Lyssenko, un botaniste autodidacte qui prétendait pouvoir obtenir des variétés résistantes au froid beaucoup plus vite que Vavilov, notamment en trempant les grains de blé dans l'eau froide (!). (Apparemment, il croyait que les caractères acquis se transmettent de génération en génération; si une graine de blé résiste à de l'eau glaciale, elle va modifier son patrimoine génétique et ses descendants seront d'emblée résistants au froid.)
Staline étant ce qu'il était, la pseudoscience de Lyssenko est devenue science officielle. Vavilov a été arrêté et est mort en déportation en Sibérie des suites de la dénutrition, ce qui est particulièrement triste pour quelqu'un qui essayait d'éradiquer la famine...
Avant son arrestation, Vavilov avait recommandé à ses collègues de quitter son équipe car il avait bien compris combien il était menacé. Mais certains avaient refusé, voulant continuer leurs recherches malgré le danger, et étaient restés travailler à l'institut. Et puis Leningrad a été encerclée par l'armée allemande en septembre 1941. Je crois que le siège de Stalingrad est plus connu parce qu'il a marqué le retournement de la guerre, mais celui de Leningrad a été tout aussi terrible: presque deux ans et demi de siège et presque deux millions de victimes, majoritairement des civils morts de faim!! Le jour de Noël 1941, 4000 personnes sont mortes de faim...
Barricadés dans leur institut de botanique, les collaborateurs de Vavilov étaient assis sur un tas d'or, ou plutôt un tas de bouffe, ce qui est encore plus précieux en temps de guerre: des milliers et des milliers de graines. Ils auraient pu faire cuire tous ces grains de riz et de blé et manger tous ces fruits à coque pour survivre, ou bien partager tout cela avec leurs proches. Mais ils ne l'ont pas fait. Ils ont poursuivi leur travail. Ils ont continué à cataloguer les graines et à faire des croquis dans le froid glacial pendant que Leningrad agonisait autour d'eux (apparemment, ils ont eu la chance de ne pas être bombardés car Hitler connaissait la banque de semences de Vavilov et souhaitait s'en emparer). Ils mangeaient la même ration que le reste de la population, deux tranches de pain par jour, puis il n'y a même plus eu de pain.
Et ces pauvres botanistes ont fini par mourir de faim les uns après les autres, au milieu de leurs graines... Parce qu'ils pensaient qu'il fallait conserver ce patrimoine génétique pour les générations futures, que ces graines seraient nécessaires à la fin de la guerre pour replanter.
Et ces pauvres botanistes ont fini par mourir de faim les uns après les autres, au milieu de leurs graines... Parce qu'ils pensaient qu'il fallait conserver ce patrimoine génétique pour les générations futures, que ces graines seraient nécessaires à la fin de la guerre pour replanter.
Je trouve ça triste à pleurer et beau à redonner foi en l'humanité, un de ces actes de désintéressement qui forcent l'admiration. (Et tellement russe: tout est toujours plus grand, plus incroyable et plus surhumain en Russie.) L'institut, qui a pris le nom de Vavilov bien plus tard, quand Lyssenko a été sorti de la scène publique par des scientifiques qui ont osé dire qu'il racontait n'importe quoi (après la mort de Staline, bien sûr), existe encore et joue un rôle important dans la préservation de la diversité des variétés vivrières, un thème encore plus important aujourd'hui que pendant les années trente et quarante.
Pour aller plus loin
Les disciples de maître Vavilov, L'Express
The men who starved to death to save the world's seeds, Russia Beyond
Les disciples de maître Vavilov, L'Express
The men who starved to death to save the world's seeds, Russia Beyond