Commencer Beggars in Spain de Nancy Kress, c'est un peu comme plonger dans Bienvenue à Gattaca: un couple décide quelles modifications génétiques apporter à son futur enfant. Certaines concernent son aspect physique, mais le père, Roger Camden, veut surtout que son enfant n'ait pas besoin de dormir. La technique est encore expérimentale, mais qu'importe... Cet homme richissime n'a pas l'habitude qu'on lui dise non. L'enfant ne dormira pas.
Puis un coup de théâtre secoue les parents: par le plus grand des hasards, ils auront des jumeaux. Un ovule a été fertilisé naturellement, sans modification génétique. Ainsi naissent Leisha, qui ne dort pas, est extrêmement belle et possède une intelligence hors du commun, et Alice, qui est... normale.
Tout au long de la première partie de ce roman, intitulée "Leisha" et d'abord parue sous la forme d'une novella qui a remporté – à juste titre – le Hugo et le Nebula, Nancy Kress raconte l'enfance, l'adolescence et les premières années d'adulte de Leisha dans un monde où les Non Dormeurs (les Sleepless en VO) sont de plus en plus nombreux, mais toujours très peu nombreux – de l'ordre de quelques milliers de personnes dans le monde.
C'est tout simplement brillant. L'histoire est juste sur le plan humain: la vision qu'a Leisha du monde quand elle est enfant, sa compréhension vague des horribles préférences de ses parents par rapport à leurs deux filles, sa rencontre avec d'autres Non Dormeurs et son entrée dans la vie active dans une société qui les craint, les jalouse et les rejette sont poignants d'humanité et riches de nuances émotionnelles. En parallèle, l'intégration (ou plutôt la non intégration) de ces personnes est étudiée avec une lucidité horrifiante. Entre les rumeurs, les mots désagréables, les actes de loi à la con, les États-Unis perdent complètement la tête – et, par conséquent, les Non Dormeurs doivent prendre des décisions difficiles. Comment vivre dans une société qui vous déteste parce que vous êtes plus intelligent, que vous pouvez travailler plusieurs heures de plus par jour et que, par-dessus le marché, votre modification génétique vous a doté d'une vie exceptionnellement longue?
C'est tout simplement brillant. L'histoire est juste sur le plan humain: la vision qu'a Leisha du monde quand elle est enfant, sa compréhension vague des horribles préférences de ses parents par rapport à leurs deux filles, sa rencontre avec d'autres Non Dormeurs et son entrée dans la vie active dans une société qui les craint, les jalouse et les rejette sont poignants d'humanité et riches de nuances émotionnelles. En parallèle, l'intégration (ou plutôt la non intégration) de ces personnes est étudiée avec une lucidité horrifiante. Entre les rumeurs, les mots désagréables, les actes de loi à la con, les États-Unis perdent complètement la tête – et, par conséquent, les Non Dormeurs doivent prendre des décisions difficiles. Comment vivre dans une société qui vous déteste parce que vous êtes plus intelligent, que vous pouvez travailler plusieurs heures de plus par jour et que, par-dessus le marché, votre modification génétique vous a doté d'une vie exceptionnellement longue?
Cette première partie est disponible en France aux éditions ActuSF, dans la traduction de Claire Michel et sous le titre L'une rêve, l'autre pas. Lisez ce livre!
Mon édition Eos est celle du roman que Nancy Kress a écrit dans un deuxième temps. Il comprend trois parties supplémentaires. La deuxième partie, "Sanctuary", se passe en 2051 et tourne autour d'une enquête et d'un procès, eux-mêmes liés à des recherches scientifiques qui permettraient de transformer les Dormeurs en Non Dormeurs. La troisième partie, "Dreamers", commence en 2075 et raconte [divulgâcheur] la création d'une deuxième génération d'humains génétiquement modifiés, les Supers, par les Non Dormeurs dans l'idée de se protéger, un jour, des attaques des Dormeurs [fin du divulgâcheur]. La troisième partie, "Beggars", nous emmène en 2091 [divulgâcheur] pour assister à l'étape ultime du délire d'isolation de Jennifer Sharifi, qui déclare l'indépendance de Sanctuary, la station orbitale où vivent 95% des Non Dormeurs, par rapport aux États-Unis [fin du divulgâcheur].
Si ces trois parties étaient également très riches, je n'ai pas retrouvé l'enthousiasme ressenti à la lecture de la première. Le fait que le point de vue de Leisha, qui était unique au début, ne soit plus qu'un point de vue parmi d'autres, chaque chapitre consacrant quelques pages à plusieurs personnages, m'a clairement fait perdre la proximité émotionnelle que j'avais ressentie. L'effet de découverte est également passé: la présence des Non Dormeurs n'est plus une nouveauté et, même si les choses ne se passent pas bien et que certains passages font froid dans le dos, l'intrigue n'est plus aussi renversante.
Je tiens toutefois à écrire un mot sur Miri, un personnage très particulier, riche de nuances à sa manière. [Divulgâcheur] Il est difficile de s'identifier à elle, sa façon de raisonner n'étant pas réellement humaine à cause des modifications génétiques dont elle a fait l'objet (c'est une Super); et pourtant, sa profonde humanité, sa manière de sentir des notions éthiques essentielles, m'ont touchée [fin du divulgâcheur].
Vous vous demandez pourquoi ce roman s'appelle Beggars in Spain en version originale? Cela fait référence à la métaphore qu'emploie un Non Dormeur. Être un Non Dormeur dans une société de Dormeurs, c'est comme être entouré de mendiants dans un pays pauvre tel que l'Espagne (euh, sur ce point je me suis demandé si Nancy Kress savait où était l'Espagne ou s'il fallait par là comprendre que le personnage est un gros beauf... ^^). Et que font des mendiants quand ils voient tout ce que vous avez alors qu'ils n'ont rien...?
Si cette vision de la mendicité me semble plutôt tenir de la délinquence, elle permet d'utiliser le mot "beggars" de multiples façons tout au long du roman: avec compassion pour Leisha, un personnage très moral et juste, avec un mépris ahurissant par Jennifer Sharifi, et enfin avec humilité par Miri.
En bref: bien que les trois parties suivantes ne soient pas aussi exceptionnelles que la première, qui est vraiment brillante, je recommande cette lecture, qui est extrêmement riche de thèmes sociaux.
En revanche, j'ai survolé, sur Wikipedia, le résumé des deux romans qui sont venus compléter celui-ci de manière à former une trilogie Beggars et
je ne les lirai pas: l'intrigue semble retorse et confuse et je ne suis
pas pressée de voir les modifications génétiques aller encore plus
loin. [Divulgâcheur] Dans le deuxième roman, l'être humain devient même
une créature photosynthétique. Heuh? [Fin du divulgâcheur]
Allez donc voir ailleurs si d'autres dorment!