La splendide édition des Complete Chronicles of Conan de Robert Ervin Howard, publiée par Orion Books en 2006, regroupe l'intégrale des textes écrits par Howard au sujet de Conan le Cimmérien: 17 nouvelles publiées dans Weird Tales entre 1932 et 1936, quatre nouvelles publiées à titre posthume, quatre nouvelles inachevées, une nouvelle ne mettant pas en scène Conan directement, un essai et un poème. Les illustrations (très jolies mais peu nombreuses) sont de Les Edwards.
J'ai récemment dit à des amies que Conan représentait pour moi une lecture "légère", comme peut l'être L'Acro du shopping pour certain(e)s. Il faut en effet reconnaître que les scénarios ne brillent pas par leur diversité: d'une manière générale, Conan entre en scène, Conan décapite le méchant, Conan sauve la fille entièrement à demi-nue qui se pâme d'émotion dans ses bras, Conan s'en va.
Mais cette remarque était bien réductrice, car les textes de Conan vont en réalité beaucoup plus loin que cela: c'est de la fantasy de type sword & sorcery au sommet de son art, avec un héros charismatique et un monde entier qui se dévoile peu à peu devant nos yeux. Conan nous emmène toujours dans des contrées exotiques et mystérieuses, pleines de jungles inexplorées, de villes oubliées, de déserts infinis, de peuplades primitives, d'êtres redoutables, de dieux assoiffés de sang, de temples en ruines et de joyaux maudits. De Poitan à Zamboula, de Kush à Zingara, du royaume d'Aquilonia aux territoires sauvages des Pictes, il traverse l'Âge hyborien l'épée au poing, affronte toute sorte d'adversaires et vit toute sorte d'aventures. Conan a été voleur, corsaire, mercenaire, général et enfin roi...
"Hither came Conan, the Cimmerian, black-haired, sullen-eyed, sword in hand, a thief, a reaver, a slayer, with gigantic melancholies and gigantic mirth, to tread the jeweled thrones of the Earth under his sandalled feet." (The Phoenix on the Sword)
Howard a créé bien d'autres personnages (je vous ai déjà parlé très brièvement de Solomon Kane
ici), mais c'est Conan qui a le plus marqué les esprits et qui était le préféré des lecteurs de
Weird Tales. Rappelons au passage que
Weird Tales était l'un des nombreux
pulp qui ont vu le jour aux États-Unis pendant les années vingt. Imprimés sur du papier de mauvaise qualité, ces magazines étaient vendus pour quelques dizaines de centimes et regroupaient des nouvelles de fantasy et/ou de science-fiction.
Weird Tales a notamment publié Lovecraft et Clark Ashton Smith, mes deux autres auteurs préférés... ♥
En plus de son imagination débordante, j'admire beaucoup Howard pour sa plume, que je trouve très bonne d'une manière générale et absolument exceptionnelle lorsqu'il s'agit de rédiger des vers. Cet extrait de The Pool of the Black One reste une des plus belles choses que j'ai jamais lues en anglais:
"Into the west, unknown of man,
Ships have sailed since the world began.
Read, if you dare, what Skelos wrote,
With dead hands fumbling his silken coat;
And follow the ships through the wind-blown track--
Follow the ships that come not back."
Il est étonnant de penser que Howard n'a pratiquement jamais quitté son Texas natal mais a néanmoins su donner vie à un monde aussi varié et complet. Qui sait jusqu'où il nous aurait emmenés s'il ne s'était pas tiré une balle dans la tête en 1936, à l'âge de trente ans...? (L'année suivante, Lovecraft décédait à son tour, et je ne peux m'empêcher de penser que leurs morts respectives ont marqué la fin d'une époque; si Clark Ashton Smith n'est mort qu'en 1961, il a pratiquement cessé d'écrire après la mort de ses deux correspondants, et l'âge d'or de Weird Tales était révolu.)
Attention! Mieux vaut prendre la version à couverture rigide (hardback),
sinon la reliure résiste mal à la lecture des 925 pages
(ici, après deux lectures de la première moitié et une lecture complète).
Le personnage de Conan a été largement popularisé par les comics de Marvel et les films des années quatre-vingt et de nombreux écrivains (dont Robert Jordan, célébrissime auteur de La Roue du Temps) ont ressuscité le personnage dans des pastiches. Mais Howard vaut vraiment le détour (à quand une édition intégrale en français?). Parole de Lovecraft: "His loss at the age of thirty is a tragedy of the first magnitude, and a blow from which fantasy fiction will not soon recover."
(Il faut dire que Lovecraft ne savait pas que, l'année suivante, un professeur d'Oxford allait publier un court roman intitulé... The Hobbit.)