lundi 18 juin 2012

Rome (1896)

Le mois dernier, nous avons accompagné l'abbé Pierre Froment à Lourdes. Nous le retrouvons maintenant à Rome, où il se rend dans l'espoir d'obtenir une audience avec le pape Léon XIII et de défendre son livre, La Rome nouvelle, qui risque d'être mis à l'Index. Logé chez le cardinal Boccanera, qui refuse formellement de lui apporter son aide, l'abbé Froment va s'adresser pendant trois mois à de nombreux prêtres, confesseurs et cardinaux, qui lui feront faire le tour des réseaux d'influence du Vatican.

L'identification de Zola à son personnage principal est particulièrement flagrante dans ce roman, puisque Zola aussi s'est rendu à Rome après que Lourdes ait été mis à l'Index en 1895. (Il n'a par contre pas été reçu au Vatican.)


Rome est le plus gros livre de Zola que j'aie jamais lu, puisqu'il atteint les 840 pages en poche, et il déborde de thèmes intéressants.

C'est avant tout "le défile des évêques" et l'exploration du Vatican et de la Rome religieuse, le monde noir, tout un système destiné à préserver le dogme et le pouvoir temporel des papes. Zola trace un parallèle saisissant entre l'envie de domination d'Auguste et des empereurs romains et celle des papes.

"Seul, Auguste avait réalisé l'empire du monde, à la fois empereur et grand pontife, maître des corps et des âmes. De là, l'éternel rêve des papes, désespérés de ne détenir que le spirituel, s'obstinant à ne rien céder du temporel, dans l'espoir séculaire, jamais abandonné, que le rêve, se réalisant encore, fera du Vatican un autre Palatin, d'où ils régneront, en despotes absolus, sur les nations conquises." (chap. V)

C'est un monde ancien et immobile, où les éléments romantiques et historiques traditionnels sont encore bien présents, comme le poison des Borgias...

Peu à peu, l'abbé Froment découvre aussi le monde blanc, la nouvelle bourgeoisie liée à l'unité italienne accomplie dans les années 1860. Les Savoie sont devenus rois d'Italie, Rome est devenue leur capitale (une appropriation à laquelle le pape a répondu en s'enfermant au Vatican, dont il n'est pas sorti depuis 18 ans) et l'ancienne aristocratie romaine a perdu de sa richesse et de son influence. L'abbé rencontre un héros de l'unité italienne et constate que le monde noir et le monde blanc, de plus en plus et malgré l'intransigeance du pape, forment un monde gris duquel naîtra l'Italie de demain (raison pour laquelle cette chronique sera aussi rangée dans la catégorie "Livres d'Italie" de ce blog).

Un livre de Zola ne serait pas un livre de Zola sans de longues descriptions des lieux où se passe l'intrigue. Cette Rome en plein changement, où s'affrontent non seulement les mondes noir et blanc mais aussi l'industrie du Nord et la paresse du Sud qui veut jouir de tout tout de suite (Zola ne fait pas dans la dentelle en ce qui concerne le grand cliché des Méridionaux fainéants), n'a pas connu l'augmentation de population et le décollage économique prévus: des quartiers neufs entiers, construits pour faire face à l'afflux de population, sont tombés aux mains des miséreux. Ces sortes de bidonvilles permettent à Zola de revenir sur un de ses thèmes préférés, l'opposition entre richesse et misère. L'abbé Froment retrouve à Rome les mêmes conditions de vie répugnantes et inacceptables qu'il avait vues à Paris (attention, le livre démarre avec des passages assez durs...).

Bref, encore un Zola assez classique, dans le sens qu'il ne rompt pas avec le reste de l’œuvre du monsieur. On aime ou on aime pas. Je préciserai cependant que j'y ai trouvé une intensité dramatique particulièrement efficace, notamment en ce qui concerne le cheminement d'un petit panier de figues à cause duquel j'ai beaucoup retenu mon souffle...

Émile Zola, Rome.
Éd. Folio classique, 975 pages, 12€.

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