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vendredi 29 août 2025

Journal à quatre mains (1958)

Aujourd'hui, grand retour de Benoîte Groult, figure féministe que j'ai découverte il y a quelques années!

Journal à quatre mains est sa toute première publication, et il est écrit – comme son titre l'indique – à quatre mains avec sa sœur Flora. La structure est celle d'un journal intime: une date suivie du récit de la journée qui vient de s'écouler, ou des quelques jours qui viennent de s'écouler. Les passages en romain sont écrits par Benoîte; ceux en italique sont écrits par Flora.

Wikipédia qualifie cet ouvrage de "roman", ce qui implique qu'il ne constitue pas leur véritable journal. Et, en effet, le prénom du mari de Benoîte, ainsi que les circonstances de sa mort, ne correspondent pas avec la réalité (ou, du moins, avec ce que Wikipédia et la courte biographie du Livre de Poche disent de la réalité). Je ne peux donc pas dire dans quelle mesure tout ceci est réel ou inventé, mais la lecture est passionnante.

D'une part, le journal s'ouvre en mai 1940 et court jusqu'en janvier 1945, et couvre donc pratiquement toute la Seconde Guerre mondiale, une période haute en rebondissements et propice à un quotidien... hors de l'ordinaire. Les nouvelles de la guerre trouvent leur place dans les pages, de même que les rationnements. La nourriture est un sujet de premier ordre; quand on en voit à l'occasion d'une visite à la campagne, c'est une fête! À l'hiver 1943, Flora indique qu'elle casse la glace dans le lavabo gelé de sa chambre, car la famille ne peut chauffer qu'une seule pièce (et ce n'est pas sa chambre!). Bien sûr, ces difficultés sont bien moins horribles que celles des soldats sur les différents fronts européens, mais elles pèsent tout de même sur les esprits.

Moi, je trouve toujours passionnant de voir le quotidien des gens, les petites choses de rien du tout.

Le 20 janvier 1943, dans le journal de Benoîte:

"Et pourtant, la guerre est en train de prendre un virage. Sur les communiqués, on apprend que les Allemands repoussent, victorieusement bien sûr, les contre-attaques soviétiques. Donc nous savons indirectement que les Russes ont commencé à contre-attaquer. C'est un phénomène nouveau."
Inférer ce que l'occupant ne dit pas de ce qu'il dit, voilà quelque chose que je n'ai pas eu à vivre.

D'autre part, le quotidien de deux jeunes filles de bonne famille est très intéressant aussi, guerre ou pas guerre. Et figurez-vous que Benoîte, future figure féministe, parle quand même beaucoup d'une vérité qui pourrait sembler éminemment secondaire: âgée de 20 ans et célibataire au début de la guerre, elle craint grandement de ne pas trouver d'homme avant la fin du conflit, vu que beaucoup d'hommes sont absents, et d'être trop vieille pour en attirer un après, quand la guerre sera enfin finie!!! Lol. En attendant, les deux sœurs sortent quand même pas mal, et flirtent à droite et à gauche. Benoîte rencontre même un garçon, Blaise, qui semble le bon, et elle l'épouse malgré l'opposition de sa mère...

Puis, en 1944, après la libération de Paris, c'est tout simplement une vague de soldats américains. Pas forcément pour coucher avec, mais pour les accompagner en ville, servir d'interprète, leur faire visiter des monuments, les emmener au musée, leur tenir compagnie. Apparemment, il y a avait une sélection de jeunes filles sachant parler anglais, et tant Benoîte que Flora ont été retenues. Ce n'est pas de la prostitution à proprement parler, car ce n'est pas un échange de relations sexuelles contre de l'argent. Mais pour ces filles qui ont été privées de tout pendant quatre ans, ces soldats sont un moyen de subsistance, tout simplement parce qu'ils les emmènent au restaurant et leur offrent des tas de choses encore très rares à Paris: des boîtes de conserve, du charbon...! Benoîte fait également plein de commentaires sur leur bon état de santé général, sur le fait qu'ils ne sont pas maigres et qu'ils portent de beaux vêtements... Ça devait vraiment être la joie à Paris avant leur arrivée!!!

Un élément d'une importance capitale: les deux sœurs lisent Jules Romains!!!!! AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAHHHHH!!!!!

Le 22 août 1940, dans le journal de Benoîte:
"J'ai eu le temps de lire la moitié du Verdun de Jules Romains, pour voir sous quel jour y était décrit Pétain."
Le 4 novembre 1942, dans le journal de Flora:
"Je lis Les Hommes de bonne volonté et j'en suis au XVII: La Douceur de Vivre. Mais il y a un passage qui me déboulonne plutôt: « Un vraiment grand a-t-il jamais tenu un journal ? » [...] Bigre, il met le doigt dans la plaie et même il fait la plaie ! Cela me gêne qu'un vraiment grand n'ait jamais tenu de journal. Je le refuse."
😱😱😱😱😱


Je suis encore loin de Verdun et de La Douceur de Vivre la Vie (désolée Flora, tu t'es trompée de titre 😅), mais je ne manquerai pas d'observer Pétain de près et de prêter attention à ce passage sur l'écriture de journal, que je ne recopie pas entièrement ici par fleimme, mais que je trouve très réducteur. Comme Flora, je le refuse! J'ai hâte de voir quel personnage de Jules Romains pense ça!

En bref: ce journal était une lecture passionnante, et on peut ajouter à la liste des qualités de Benoîte Groult qu'elle lisait Jules Romains. Quant à vous, lisez Benoîte Groult, bien sûr. 😊

mercredi 12 mars 2025

La Touche étoile (2006)

En 2021, j'ai découvert Benoîte Groult avec un immense plaisir. Après une trouvaille dans une étagère de livres à donner en 2023, j'ai cette fois-ci trouvé un roman d'elle en bouquinerie, et je n'ai pas hésité.

La Touche étoile est paru en 2006, et il m'a pas mal rappelé La Part des choses, qui est paru bien plus tôt, en 1972. On y retrouve des éléments communs: des points de vue multiples, la Bretagne, la mer et la navigation, les relations entre hommes et femmes, l'insatisfaction, l'adultère et le vieillissement. Et le franc-parler formidable de cette autrice, bien sûr.

Le premier chapitre donne la parole à Moïra, le destin en grec. Les autres chapitres alternent entre le point de vue d'Alice, âgée de quatre-vingt ans et plus, et celui de sa fille Marion. J'ai parfois eu un peu de mal à me repérer, chacune ayant un mari et plusieurs enfants, mais leurs trajectoires sont assez différentes.

Alice est une féministe "historique", qui voit les portes se fermer progressivement à cause de son âge, et qui observe avec consternation les jeunes générations. Son arrière-petit-fils est tellement gâté qu'elle l'appelle "l'énergumène" ou quelque chose de ce genre, ce qui m'a bien fait marrer. Je pense qu'elle est l'avatar de l'autrice, car c'est là que j'ai le plus retrouvé la verve que j'avais déjà lue.

L'intrigue de Marion tourne essentiellement autour de sa relation adultère avec un Irlandais, Brian, qu'elle a fréquenté par intermittence durant des années et dont elle a eu un enfant. Moi, cet élément d'adultère me laisse assez perplexe. Je considère la fidélité comme une des bases du couple, donc je vois l'adultère comme quelque chose de malhonnête – et ce même si, dans ce cas précis, le mari de Marion la trompe allègrement, à répétition et y compris avec ses amies à elle! (Enfin, des "amies"... Le terme ne me semble pas terriblement adapté... 🙃) Mais j'ai tout de même apprécié son histoire aussi.

Les deux femmes parlent toutes deux du vieillissement, de la santé qui s'amenuise, des expériences vécues qui s'accumulent, et c'est drôle par moments et poignants par d'autres.

"Une des tristesses de l'âge, c'est de s'apercevoir que les pires traditions, les préjugés les plus révoltants, les comportements les plus condamnables et qui ont été brillamment condamnés depuis trente ans par des sociologues et des psys de toutes obédiences, survivent à tout imperturbablement."
Halàlà, quelle déprime.

Surprise: la fin du roman se termine par un plaidoyer en faveur de l'euthanasie humaine. J'avais totalement oublié que Benoîte Groult militait pour l'Association pour le droit de mourir dans la dignité, et même que, selon sa page Wikipédia, elle a elle-même été euthanasiée. J'ai trouvé ça vibrant, quoi qu'un peu flippant. J'aimerais bien soutenir cette association, mais l'environnement reste ma priorité – accompagné en 2025, si mes moyens me le permettent, de journaux indépendants –, donc je doute d'y venir. Mais j'écris ça ici dans l'espoir de m'aider à me souvenir de franchir le pas un jour.

Autres livres de l'autrice déjà chroniqués sur ce blog
La Part des choses (1972)
Ainsi soit-elle (1975)
Mon évasion (2008)

dimanche 21 mai 2023

La part des choses (1972)

Il y a deux ans, suite à un podcast, j'ai lu deux livres de Benoîte Groult, Mon évasion et Ainsi soit-elle, et j'ai adoré la rencontre avec cette féministe venue au militantisme assez tard. Par conséquent, je n'ai pas hésité quand je suis tombée sur ce roman dans l'étagère de livres à donner de ma médiathèque.


J'ai déjà dit dans mes billets précédents que Benoîte Groult n'avait pas sa langue dans sa poche. Ça se confirme ici. C'est extraordinaire, une verve pareille.

Foncièrement, l'histoire de ce roman est celle de plusieurs quadragénaires et cinquantenaires en pleine crise existentielle réunis sur un bateau pour faire le tour du monde à l'occasion du tournage d'un documentaire. Le personnage le plus présent est Marion. Certains chapitres adoptent son point de vue et d'autres sont carrément des extraits de son journal. Son mari l'a trompée pendant des années avec une de leurs amies, qui s'est suicidée environ un an plus tôt. À bord, on a aussi Iris, une femme riche désespérée par son âge, le départ de son fils et la froideur de son mari. Et Jacques, qui fuit ses cinq enfants et leurs demandes d'assistance incessantes et veut revivre après un infarctus. Et leurs compagnons ou compagnes respectifs.

Un petit huis clos d'Occidentaux temporairement pétés de fric qui dérivent à bord d'un yatch et se désolent de leurs vies sentimentales, ça n'a, en soi, rien pour me plaire. Mais avec Benoîte Groult, c'est aussi un portrait acéré des relations humaines en général et des relations homme-femme en particulier, et je me suis régalée. Je n'ai pas arrêté de souligner des passages.
"Iris s’était passionnée pour l’organisation du voyage mais elle commençait déjà à ressentir cette déception qu’elle éprouvait toujours à l’approche de la réalité. C’est elle-même qu’elle craignait de retrouver partout, cette femme vieillissante qu’Alex venait d’embrasser sur un sourcil avant de gagner son coin du lit. Il tenait à lire plusieurs ouvrages sur l'Inde avant d'y débarquer. Iris se moquait de l'Inde et voulait se faire mettre quelque chose de doux et de chaud. Chacun finit par s'endormir en considérant l'autre comme un bourreau."
La première phrase, c'est moi, chaque fois que j'ai cru que j'allais vivre un truc sympa, voire extraordinaire, dans ma vie: plus ça approchait, plus c'était... juste moi, avec les mêmes problèmes qu'avant. Donc, ça n'avait aucun intérêt. La suite, c'est un couple qui ne s'entend plus comme il y en a des milliards. Et il y a une femme qui veut faire l'amour. Plus tard, on la voit même se masturber. J'ai été très étonnée – mais je ne devrais plus l'être, je sais quand même depuis des lustres qu'on parlait de sexe dans les romans bien avant mon époque.

À propos de Tibère et Betty, les deux seuls voyageurs à être jeunes, Benoîte Groult, par la voix de Marion, écrit:
"La différence, c’est qu’aucun des hommes ici présents n’éprouve de complexe devant Tibère alors que nous, nous avons toutes un peu honte devant Betty. Honte d’être plus ou moins abîmées, de nous éloigner inexorablement du type idéal d’humanité, d’occuper auprès de nos maris, sans autre raison souvent que l’ancienneté, une place où beaucoup d’hommes ont déjà installé des Betty."
Et à propos d'Yves, le mari de Marion:
"Chaque fois qu’Yves m’a dit au cours de ces vingt années : "On ne dîne pas à la maison ce soir, tu es contente ? Comme ça, tu n’auras rien à préparer", j’ai pensé à la sous-entendue : "Mais demain bien sur, tu t’y remets"."
Je vous mets aussi le passage qui m'a fait rire:
"Jacques ne trouvait pas beaucoup de temps à passer avec ses enfants puisqu'il travaillait tant pour eux, mais Patricia se montrait une mère exemplaire. Elle avait docilement appris le vocabulaire des mères modernes, disait dysorthographie pour paresse d'apprendre les mots d'usage, asthénie pour refus de sortir du lit le matin, et comportement asocial pour les menus larcins, refus de prêter ses affaires, coups de pied en vache et cruautés diverses propres au jeune âge.
Tout cela se soignait bien sûr, chez des spécialistes spécialisés. Patricia disait "soigner", Jacques traduisait "payer"."
Oh, ma chère Benoîte, comme j'aime ce franc-parler et comme j'aimerais entendre ton avis sur les parents des années 2020. 🤣🤣🤣🤣

En parallèle de tout ça, on retrouve deux éléments qui ont marqué la vie de Benoîte Groult, à savoir la Bretagne et la navigation. Le roman s'ouvre et se referme en Bretagne, après que Marion a traversé la moitié de la planète en bateau. Cette parenthèse aura constitué une période de transition pour tous les personnages, qui repartiront de là pour une vie changée de diverses manières. Le titre prend tous sens dans le cas de Marion et Yves: la part des choses consiste pour elle, me semble-t-il, à rester avec lui pour les bonnes raisons, à savoir l'intimité et la complicité de ce dernier chapitre, et non les mauvaises, à savoir... l'habitude, tout banalement.

lundi 8 novembre 2021

Ainsi soit-elle (1975)

Après avoir lu Mon évasion, l'autobiographie que Benoîte Groult a écrite quand elle avait 80 ans passés, j'avais très envie de lire l'essai féministe qu'elle a publiée pendant les années 70, Ainsi soit-elle. C'est accompagnée de Shaya que je suis passée à l'action...

"Je n'avais pas envie d'écrire un roman. Mais un je-ne-sais-quoi. Un fourre-tout. Un livre qui parle des femmes qu'on qualifié aujourd'hui de M.L.F. dès qu'elles s'avisent de broncher..."
Difficile de parler de cet essai, qui aborde de très nombreux sujets: place des femmes dans la société, mépris diffus les enjoignant à rester à leur place, réaction des hommes (et de très nombreuses femmes) face aux revendications féministes, insultes contre les militantes (les éternelles "mal baisées"...), mutilations génitales, contrôle de la natalité et renvoi permanent à la position subordonnée à l'homme, qui donne du sens à tout, et à la maternité (dans le cadre adéquat du mariage, évidemment: si elle n'est pas mariée, la mère n'est plus une sainte mais une âme perdue...).

Hélas, je retiens surtout de cette lecture un certain abattement, car les piques et les critiques n'ont pas beaucoup évolué depuis les années 1970: on parle trop de féminisme, les femmes nous ont bien fait chier, et puis quoi encore?

Je retiens aussi le chapitre sur les mutilations génitales, parfaitement horrifiant. Ah, les orties sur le clitoris pendant une nuit entière, une recette sans faille pour le faire enfler et le couper plus facilement! Et Benoîte Groult fait le lien avec d'autres pratiques qui ont pour unique but d'handicaper la femme pour qu'elle ne puisse pas être autonome, comme le bandage des pieds en Asie et les colliers des femmes-girafes en Afrique.

Sur un plan plus positif, je retiens aussi la verve de Benoîte Groult, qui n'avait pas DU TOUT sa langue dans sa poche! Tout le monde en prend pour son grade et c'est assez jubilatoire, même si son ton parfois vindicatif ne me semble pas le plus approprié dans un essai, un genre que je considère comme plus universitaire et neutre. En même temps, quand on voit le sujet, difficile de ne pas frôler l'explosion à la figure de certains connards... Outre la dénonciation, elle donne aussi quelques pistes pour des relations hommes-femmes plus épanouies, dont une que j'ai soulignée:

"Sans fierté de soi-même et sans respect de l'autre, il n'y a pas de couple. Et la fierté de l'un ne se construit pas sur l'abaissement de l'autre."

Une maxime que je ferais bien de retenir, moi qui ai la critique facile et qui ai à maintes reprises utilisé des connaissances ou des proches comme faire-valoirs... (Oui, j'ai honte. Mais notez que, au moins, j'en ai pris conscience.)

Si cet essai est probablement un peu daté et n'a pas révolutionné ma vision du monde, certainement parce qu'on parle énormément de féminisme depuis #MeToo et que j'ai déjà lu sur le sujet, il reste une lecture intéressante et une rencontre fort intéressante avec Benoïte Groult. Elle a le prénom... Elle a le nom... Elle a le staïle... On ne peut pas passer à côté d'elle! 🤩

Allez donc voir ailleurs si Benouâââte y est!
L'avis de Shaya

mercredi 16 juin 2021

Mon évasion (2008)

Il y a quelques mois, la rediffusion d'un épisode du podcast le Book Club consacré à l'autrice et illustratrice Diglee a ravivé mon intérêt pour Benoîte Groult, écrivaine venue au féminisme assez tard dans sa vie, à la cinquantaine passée. J'ai donc souhaité lire Mon évasion, son autobiographie, et j'ai eu la chance d'être en bonne compagnie, puisque cette lecture s'est faite avec Shaya! 🤩

Elle a le prénom... Elle a le nom...
Et elle a le staïleuh!! 🤩

Mon évasion est, comme je le disais, une autobiographie. Benoîte Groult retrace donc sa vie, depuis son enfance et son adolescence à Paris, avec des parents plutôt "éclairés", jusqu'à ses différents mariages et son œuvre littéraire. C'est très intéressant car 1/ elle est extrêmement lucide dans sa description des rapports de force homme-femme et 2/ elle n'a pas sa langue dans sa poche. L'âge y est pour quelque chose; ce livre est sorti quand elle avait 88 ans, ce qui donne sûrement un peu de recul sur les choses de la vie. Comme elle le dit dans sa préface, elle a écrit "avec la franchise et l'insouciance que seul l'âge peut conférer".

Dans sa jeunesse, elle a bien senti une différence de traitement entre hommes et femmes, mais sans l'exprimer et sans l'intellectualiser énormément. On sent plutôt un ressenti obscur et imprécis, qu'elle exprime avec beaucoup de lucidité mais grâce au recul du temps. Néanmoins, elle a mené sa vie en bonne partie comme elle l'entendait, par exemple en divorçant à une époque où la chose était beaucoup plus rare qu'aujourd'hui. Quand elle s'est mise à l'écriture, elle a d'abord écrit à quatre mains avec sa sœur, puis elle s'est embarquée dans un essai féministe, Ainsi soit-elle (que ce serait vachement bien que je lise aussi...).

Certains chapitres centrés sur des périodes très précises, comme un séjour de ses petites-filles durant des vacances scolaires, sont moins intéressants et nets dans leur objectif, mais ils sont largement compensés par les autres chapitres sur sa vie et, surtout, par deux chapitres reprenant un long entretien avec la journaliste Josyane Savigneau. Là, c'est du beau niveau, la pensée est acérée, NUANCÉE et COMPLEXE, un truc que je trouve de plus en plus précieux à l'ère des réseaux sociaux et de leurs phrases-choc destinées à faire réagir sous le coup de l'émotion. Même les questions de la journaliste sont longues et articulées, c'est formidable.

Un seul regret pour ce bouquin: lorsqu'elle évoque son passage dans une émission de Bernard Pivot, qui ne s'est pas bien passé pour elle, Benoîte Groult dit que "Cavanna et Jean Vautrin [...] n'étaient pas venus pour me défendre". Je me fous totalement de Jean Vautrin, dont j'ignorais l'existence et que j'ai dû wikipédier pour savoir de qui il s'agit, mais j'adore Cavanna et cette petite phrase m'a attristée. Je ne veux pas chercher cette émission sur le net parce que je ne veux pas voir un écrivain que j'adore, et qui parle à tout va de fraternité entre humains dans ses bouquins, avoir un comportement déplacé/inique/moqueur/quesaisje face à une écrivaine féministe et un présentateur qui la met en difficulté. 💔

Allez donc voir ailleurs si cette Benoîte y est!
L'avis de Shaya