Après plusieurs livres difficiles à lire, voici une lecture en espagnol qui m'a remotivée et que j'ai vraiment appréciée. Un largo silencio de Angeles Caso (qui n'a pas été publié en français) est l'histoire d'une famille uniquement composée de femmes qui revient s'installer dans sa ville natale, Castrollano, une ville créée par l'auteur et située quelque part au bord de la mer.
Nous sommes fin 1939 et la guerre civile est finie. Franco et les nationalistes ont gagné et le temps est aux représailles contre les républicains. Ces femmes avaient justement fui Castrellano face à l'avancée des troupes de Franco, de peur d'être fusillées au moment de la victoire des nationalistes, la famille étant nettement à gauche. Le père est mort en exil; le fils est mort sur le front en combattant justement pour le côté républicain; le mari d'une des filles croupit en prison à Madrid.
Menées par la matriarche, ces femmes reviennent en ville dans l'espoir de retrouver, autant que possible, leur vie d'antan. Mais tout a changé et leur défaite, déjà établie sur le plan militaire, va continuer jour après jour dans une ville qui ne veut plus d'elles. Leur appartement a été loué à d'autres et la propriétaire ne veut même pas entendre parler de locataires rouges. Pour les filles qui doivent travailler, les portes des magasins sont fermées: les commerçants ne veulent pas donner de travail à des personnes n'ayant pas le certificat d'adhésion au Mouvement national. Et pour elles, impossible de l'obtenir.
Avec une plume que j'ai trouvée très juste et très pudique, c'est donc une longue suite de désenchantements et de souffrances que nous offre Angeles Caso. Elle explore les pensées effrayées et pourtant douces de ces femmes qui vont payer pour avoir osé rêver d'un monde plus juste et qui vont perdre tout ce qui donnait encore un sens à leur vie durant l'exil: l'appartement, l'amitié, l'amour parfois.
Avec une utilisation du futur très intéressante, elle jongle entre le présent du retour à Castrollano, le passé de l'exil et de la vie avant et enfin ce que chaque femme, à un moment donné, devra faire pour faire face et retrouver une place dans le monde. Et ce n'est pas gai. On ne peut qu'admirer ces pariahs qui gardent la tête haute et qui continuent d'essayer, tant bien que mal, de trouver de quoi manger et de se soutenir les unes les autres, et qui sont prêtes aux plus grands sacrifices pour ceux qu'elles aiment, comme Maria Luisa quand elle visite la prison où est enfermé son mari Fernando...
J'ai été séduite par ce livre immédiatement, dès les premières pages. Et à la fin, devant un piano particulièrement triste, j'ai pleuré pour la première fois sur un livre en espagnol. C'est dire si l'émotion était là et a réussi à m'atteindre malgré que cette langue soit celle que je maîtrise le moins bien. Et le titre, Un long silence, justifié par une vieille dame habillée en noir prenant le train en même temps qu'une autre femme, bien plus jeune, elle aussi habillée de noir, convient parfaitement à cette époque trouble, où la peur des vaincus se mêlait à l'exultation arrogante des vainqueurs, qui se sont accordés tous les droits. Et il convient aussi parfaitement à ce qui commençait alors, trente six longues années de dictature franquiste...