Quand j'ai lu Poe en anglais il y a bientôt quinze ans, je suis, globalement, passée à côté: à part deux nouvelles que j'avais lues en français au collège (quelques années plus tôt, donc), la dizaine de texte que j'ai lus m'a laissée de marbre, quand je n'ai pas, tout simplement, rien compris. Mais j'ai voulu redonner une chance à cet écrivain majeur dans le genre du fantastique...
Le recueil Selected Tales de Penguin réunit des textes très disparates, dont quelques-uns des plus célèbres de cet auteur, et me semble constituer un bon aperçu de son œuvre. Il est peut-être un peu long si vous n'êtes pas sûr d'aimer, par contre; il fait à peu près 400 pages. (Je précise que cette édition a une police de caractères plutôt petite.) J'y ai repéré trois grands thèmes (le fantastique, le meurtre et l'enquête, parfois mêlés), mais certains textes sont tout à fait hors catégorie.
Les choses ont très mal commencé avec The Duc de l'Omelette (1832) et MS. Found in a Bottle (1833), que j'ai dû lire une deuxième fois après en avoir lu le résumé en ligne tellement je n'avais rien compris à la première lecture. Tout ça pour découvrir que... en fait... j'avais compris. J'ai un peu paniqué en pensant qu'il me restait 380 pages à lire...
The Assignation (1834), qui se passe à Venise, a relevé le niveau. Ce n'est pas un texte très marquant et j'ai dû consulter mes notes pour me souvenir de quoi il parlait, mais je l'ai lu avec bien plus de plaisir que les deux précédents.
Ligeia (1838), que j'avais déjà lue, m'a beaucoup plu; c'est du fantastique classique comme on l'aime, avec une atmosphère lugubre et macabre. Notez qu'il est judicieux de lire cette nouvelle quand on s'intéresse à Hellboy, histoire de comprendre le titre d'un certain album...
How To Write a Blackwood Article (1838) m'a à nouveau perdue. Je pense qu'il y a une certaine mise en abyme des textes de Poe dans ces conseils pour écrire un article, mais c'est TELLEMENT ampoulé et confus, ça m'est tombé des mains. J'ai dû le relire en diagonale après avoir lu le résumé sur le net...
Sont ensuite venues The Fall of the House of Usher (1839), du fantastique lugubre à souhait (youpi; et dire que je n'avais pas du tout aimé quand je l'avais lue la première fois!), William Wilson (1839), une histoire de double un peu inquiétante, et The Murders of the Rue Morgue (1841), un texte que j'aime beaucoup et qui mêle à la perfection enquête policière rigoureuse et un petit côté suranné et improbable. Un beau trio.
J'ai ensuite désespéré avec A Descent into the Maelström (1841) et The Island of the Fay (1841), qui m'ont ennuyée (malgré un joli paragraphe de fin dans ce dernier texte), et The Colloquy of Monos and Una (1841), dont je n'ai pas compris l'intérêt...
Les choses sont reparties avec The Oval Portrait (1842) et The Masque of the Red Death (1842), deux textes fantastiques qui fonctionnent bien sur moi. L'histoire du portrait ovale est prévisible, mais belle et efficace. Quant à la Mort rouge qui se balade dans le palais du roi Prospero, c'est un texte que j'adore et qui a eu une influence déterminante sur moi quand ma prof de français me l'a fait lire en 3e. C'est macabre, c'est gothique, d'aucuns trouveront que l'auteur prend trop la pose, mais je ressens le même frisson et la même excitation à chaque fois. Cette nouvelle me fait le même effet que The Outsider de Lovecraft (auteur qui doit beaucoup à Poe, bien sûr).
Malgré le retour de Dupin, l'intelligent enquêteur de la rue Morgue, The Mystery of Marie Rogêt (1842) ne m'a pas tout à fait convaincue, en partie à cause de sa conclusion (divulgâcheur: il n'y en a pas. On ne sait pas qui est le tueur).
The Pit and the Pendulum (1842), une histoire de torture dans les donjons de l'Inquisition à Tolède, n'est pas très marquante et a une fin inattendue qui m'a semblé tomber comme un cheveu sur la soupe.
The Tell-Tale Heart (1843), une histoire de meurtre parfait, est un texte sympathique qui rappelle le célèbre Chat noir. Il est un brin inquiétant.
The Gold-Bug (1843) est un texte résolument à part puisqu'on part sur les traces d'un trésor! S'il est un peu longuet par moments, il n'en est pas moins très plaisant. Un bel exemple de la diversité de Poe.
The Black Cat (1843) est un grand classique, que j'avais lu en 3e en même temps que Le Masque de la Mort rouge. J'aime beaucoup sa petite chute ironique.
The Premature Burial (1844) est un peu décevante mais néanmoins efficace en ce qu'elle joue sur une peur bien compréhensible: être enterré vivant...
The Purloined Letter (1844) marque la troisième apparition de Dupin, l'enquêteur, et est vraiment très sympathique. Cette histoire de lettre compromettante volée m'a beaucoup fait penser à Un scandale en Bohème de Conan Doyle, forcément...
The Imp of the Perverse (1845) rejoint The Tell-Tale Heart et The Black Cat dans la catégorie des hstoires de meurtre en mettant l'accent sur la perversité, cette envie de faire quelque chose parce que nous savons que nous ne devons pas la faire.
The Facts in the Case of M. Valdemar (1845) m'a beaucoup plu. Elle mélange un élément qui se veut rationnel, le mesmérisme, et un élément mystérieux et surnaturel lié à la mort comme le ferait un Maupassant ou un Conan Doyle. La fin est répugnante à souhait et trouverait parfaitement sa place chez Lovecraft.
Malheureusement, ce recueil s'est terminé sur trois textes décevants: The Cask of Amontillado (1846), une histoire de meurtre bien partie mais à la fin décevante, The Domain of Arnheim (1847), une longue considération sur la beauté du jardin idéal (je crois), et Von Kempelen and His Discovery (1849), un texte mineur.
En bref
Malgré des moments d'ennui profond, je suis contente d'avoir enfin sorti ce recueil de ma pile à lire, où il traînait depuis au moins trois ans. Poe est un auteur très intéressant qui a marqué la littérature anglophone dans bien des domaines et il me semble important de le lire. Ce que je trouve difficile chez lui, c'est d'une part une langue parfois très ampoulée, avec des Grands Idéaux Philosophiques et Esthétiques qui me semblent aussi pompeux que fumeux et des citations latines à tout va, ce qui m'évoque beaucoup plus le XVIIIe siècle que le XIXe, et d'autre part le manque d'intérêt total que je ressens devant certains textes, comme MS. Found in a Bottle, dont j'ai impatiemment attendu la fin, ne ressentant aucune forme d'empathie pour son narrateur malgré un sujet qui aurait pu (et dû?) me plaire.
Bon, entendons-nous, lire Poe en anglais me semble un sacré challenge, c'est certainement un des écrivains qui m'a donné le plus de fil à retordre...
Certains textes, par contre, sont efficaces et marquants et valent vraiment le détour. Mon conseil serait de commencer petit avec lui, pour ne pas faire d'indigestion. 😀 Je le trouve aussi intéressant du fait de l'univers très européen de son œuvre. C'est certainement l'auteur américain le plus européen que j'aie jamais lu. Est-ce à cause de son époque? Après tout, je crois qu'il est le seul écrivain américain du XIXe que j'aie jamais lu. Ou est-ce parce que certains thèmes et le format de la nouvelle m'ont évoqué Conan Doyle, que Poe a clairement influencé? Je ne saurais le dire...
Allez donc voir ailleurs si Poe y est!
Lorhkan parle du premier recueil de l'édition de la Pléïade, qui contient pas mal de textes cités ici.