J'avais entendu parler du Choix de Sophie de William Styron il y a de nombreuses années, quand j'étais à la fac à Florence. Une prof nous avait parlé du terrible choix de cette Sophie --un choix comme seuls les Nazis peuvent en exiger-- et j'avais été très émue. C'est donc avec plaisir que j'ai emprunté ce livre lorsque je suis tombée dessus dans les rayons de ma bibliothèque...
...Seulement pour m'arracher très vite les cheveux. Car je n'ai pas aimé du tout. Si je suis allée jusqu'au bout, c'est vraiment parce que je n'abandonne jamais (ou presque!) un livre et que j'attendais d'en arriver à la description de ce choix. Choix qui est présenté en deux paragraphes à 30 pages de la fin, sans explications, sans réflexions, sans sentiments, et qui tombe, au final, un peu comme un cheveu sur la soupe. Misère...
Dans sa structure de départ, le livre commence un peu comme Gatsby. À New York, en juin 1947, un jeune aspirant écrivain venu du Sud des États-Unis rencontre des voisins un peu particuliers dans son nouveau logement. Nathan est un jeune scientifique juif brillant. Sophie est une très belle Polonaise rescapée d'Auschwitz. Notre narrateur entre dans la vie de ce couple, qu'il observera pendant tout l'été tout en étant légèrement déconnecté d'eux: ce sont eux qui mènent la danse et qui l'entraînent dans leur vie. Ou plutôt, c'est Nathan; Sophie, éperdument amoureuse, est elle aussi en train de suivre et non pas de mener. Il apparaît cependant très vite que leur relation est quelque peu explosive et que Nathan est violent. Dans les moments de calme, en l'absence de Nathan, Sophie raconte progressivement des épisodes marquants de sa vie en Pologne.
Je vous disais donc que je n'ai pas du tout aimé. Je n'ai pas accroché le style de l'auteur; j'ai trouvé les divagations du narrateur sur sa propre vie totalement sans intérêt; le contenu sexuel m'a mise un peu mal à l'aise, oscillant comme il le fait entre la frigidité et le vulgaire ou le malsain; j'ai eu envie d'étrangler Sophie, qui pleure ABSOLUMENT TOUT LE TEMPS, au bout de deux chapitres; j'ai cordialement détesté Nathan; et je n'ai ressenti aucune émotion face aux tristes événements décrits.
Mais ce que je voulais vous dire aujourd'hui, c'était ce que j'ai apprécié dans ce livre. Car il y a quand même deux petits trucs qui valent la peine d'être soulignés. :)
Le premier, le plus difficile à décrire, consiste en une certaine "exploration" de l'esprit humain, c'est-à-dire que le narrateur saisit avec une certaine subtilité ce qu'il se passe dans la tête de Sophie et des différents personnages qui entrent en scène. Quitte à mettre en scène des motivations pas très glorieuses. C'est une des choses que j'apprécie chez Zola et chez Primo Levi par exemple, donc ça m'a un peu rassérénée dans ma lecture.
Le deuxième, c'est la volonté de l'auteur de parler des camps de concentration comme machine à détruire et à faire souffrir tout le monde. L'héroïne est donc, comme je l'ai dit, polonaise; elle a été envoyé à Auschwitz parce qu'elle avait acheté un jambon au marché noir. Il est fait mention des prisonniers russes (me semble-t-il) sur qui ont été testées les chambres à gaz de Bikernau, ainsi que des Tsiganes. En parallèle, l'attitude de Nathan, le Juif qui ne parle que du génocide des Juifs en particulier, est présentée comme limitée, voire cruelle quand il en parle devant Sophie. C'est un point de vue assez rare, le génocide commis par les Nazis étant généralement passé dans l'histoire comme le génocide des Juifs, et puis les autres on les a un peu oubliés. Je suis actuellement en train de regarder Shoah de Claude Lanzmann (9h30 de film, la chose la plus chiante que j'ai jamais regardée de ma vie, je me demande quand est-ce que j'en viendrai à bout) et je trouve que Lanzmann a typiquement cette attitude qui consiste en quelque sorte à revendiquer le monopole de la douleur et à accuser le reste du monde d'antisémitisme...
Bien entendu, Sophie, et William Styron à travers elle, n'est pas naïve. Que le but premier des chambres à gaz était d'exterminer les Juifs est une certitude. Mais on ne peut pas, pour autant, ignorer la souffrance des autres; et cette prise de position est parfaitement et horrifiquement rendue par le discours de Wanda, une amie de Sophie, qui compare les Juifs et les Polonais à des rats prisonniers, respectivement, d'un tonneau sur lequel tire un fou et d'un immeuble en flammes. Mieux vaut être dans l'immeuble en flammes: les rats peuvent courir dans les étages et à terme, peut-être, l'incendie s'éteindra. Mais comment prétendre de ces rats-ci d'aller aider les rats prisonniers dans le tonneau?
Ce court passage m'a vraiment marquée et j'y ai vu un vrai talent d'écrivain. D'ailleurs, d'une manière générale, tous les passages qui se passent en camp de concentration, c'est-à-dire le récit de Sophie, sont bien mieux écrits que l'interminable flot de détails sur la vie du narrateur en 47...
Voili voilou. Si quelqu'un peut d'ailleurs m'éclairer sur tout ce que j'ai loupé dans ce livre, il est le bienvenu! :)