Emmanuel Carrère étant un de mes écrivains contemporains préférés, je continue d'explorer sa bibliographie au gré du hasard et de mes trouvailles en bouquinerie. Aujourd'hui, je me penche sur un recueil de vingt-cinq textes courts, qu'il a publiés dans différents journaux de 1990 à 2015.
La couverture est un tableau d'Emmelene Landon,
artiste à laquelle est d'ailleurs dédié l'un des textes.
En bref, c'était un régal. J'adore comment Carrère écrit, comment il voit le monde, comment il se décrit et s'analyse, comment il fait des sortes de fixettes sur des gens. Je trouve dans ses ouvrages un certain réconfort et une meilleure compréhension de moi-même.
Pour vous en dire tout de même un peu plus, les textes réunis ici abordent toutes sortes de sujets. Le premier, "Trois faits divers", décrit justement trois faits divers, du genre "cette personne en a tué une autre". Le deuxième, "La Roumanie au printemps 1990", nous emmène dans le pays indiqué à l'époque indiquée, dans un certain flottement post-communiste. Plusieurs abordent des livres qui ont marqué l'auteur, et j'ai eu le plaisir de découvrir "Espèce de crétin ! Warren est mort !" qui revient sur sa rencontre avec Lovecraft. Plusieurs nous emmènent en Russie, ce que j'ai évidemment adoré. Un autre nous emmène à Davos en plein Forum mondial, et ça fait exploser le cerveau!
Pour certains, comme "Comment j'ai complètement raté mon interview de Catherine Deneuve" (nan mais ce titre!!!), le sujet était totalement nouveau pour moi dans sa bibliographie. Mais pour beaucoup, j'ai retrouvé ses obsessions habituelles ou le germe de ses livres à venir: "L'affaire Romand" de 1996 qui allait déboucher sur L'Adversaire en 2000, son introduction des nouvelles de Philip K. Dick publiées chez Denoel, qui fait évidemment écho à Je suis vivant et vous êtes morts, "La Mort au Sri Lanka" de 2005 et "Chambre 304, hôtel du Midi" de 2006 qui seront étudiées plus en détail dans D'autres vies que la mienne en 2009, "Le dernier des possédés" qui porte sur un certain Limonov, qui aura son livre en 2011. Et deux textes ouvrent la voie à un film, Retour à Kotelnitch, qui a lui-même ouvert la voie à Un roman russe.
Si vous connaissez un peu l'auteur, c'est donc un régal décuplé – mais je pense que quiconque se régalerait, tant la diversité des sujets permet forcément de trouver quelque chose à son goût et tant la verve de Carrère nous emmène avec une fluidité hors du commun. J'admire tellement cet homme. Il a l'air sérieusement névrosé, en fait, mais, déjà, il arrive à faire quelque chose de ses névroses; et il n'est pas *que* névrosé, il a aussi une analyse fine des gens et des situations, mais avec modestie en même temps; il a un humour qui me fait bien marrer; et il a l'air d'avoir mille idées par jour, davantage que moi en dix ans.
Voici deux extraits de "Une jeunesse soviétique, de Nikolaï Maslov". Le premier parle de Kotelnitch, en Russie; le deuxième du film que Carrère a consacré à cette ville, Retour à Kotelnitch.
"De fait, un séjour dans ce genre de patelin offre, sinon un spectacle car il n'y a rien à voir, du moins une expérience unique en son genre, une sorte de cinq étoiles du dépaysement dépressif."
Un "cinq étoiles du dépaysement dépressif". Si ce n'est pas le sens de la formule, ça.
"Après des mois passés à m'angoisser parce que le film risquait de ne pas se faire, je m'angoisse aujourd'hui parce qu'il semble bien parti pour se faire et je me demande si ce n'est pas pire, en tout cas je suis terrorisé: un lapin pris sur la grande route dans le faisceau des phares d'une voiture."
Putain. L'histoire de ma vie!
Et un extrait de "La Roumanie au printemps 1991" qui devrait plaire à certains lecteurs de ce blog:
"Je ne crois pas être seul à tenir l'écrivain de science-fiction américain Philip K. Dick (1928-1982) pour le Dostoïevski de ce siècle, c'est-à-dire, pour aller très vite, l'homme qui a tout compris."
Je conclus ce billet comme je conclus les trois quarts de mes billets cette année, tant mes lectures sont enthousiasmantes et je passe mon temps à vous recommander de découvrir l'écrivain dont je parle: en bref, lisez Carrère!
Note de service: je tente, pour ce billet, d'utiliser une taille de police un peu plus grande, car j'ai l'impression, ces derniers temps, que la taille habituelle n'est pas très propice au confort visuel. (C'est peut-être l'approche de la quarantaine qui me frappe de plein fouet, lol!) Si vous remarquez une quelconque différence, en mieux ou en moins bien, dites-moi. D'ailleurs, dites-le-moi aussi si vous ne remarquez aucune différence, lol.
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