dimanche 1 décembre 2019

Flatland (1884)

Dans le roman Flatland. A Romance of Many Dimensions d'Edwin A. Abbott, l'univers est plat. Littéralement. C'est un monde en deux dimensions peuplé de figures géométriques, comme des carrés et des triangles, vivant dans des maisons plates. La société est très hiérarchisée en fonction du nombre d'angles des habitants. Ainsi, les lignes droites, les femmes, sont tout en bas de l'échelle sociale, tandis que les cercles (ou plutôt les polygones présentant tellement d'angles et de côtés qu'ils semblent des cercles) sont tout en haut.


Dans la première partie, le narrateur, un carré, décrit longuement le fonctionnement de Flatland: comment les habitants peuvent espérer voir leurs enfants monter dans l'échelle sociale, comment le nombre d'angles et la longueur des côtés influence le rôle dans la société, comment les figures se reconnaissent et s'organisent. Par exemple, les femmes présentant une extrémité pointue, elles peuvent se révéler dangereuses pour les autres figures, qu'elles pourraient percer. Elles disposent donc d'une entrée séparée dans les habitations et sont tenues de toujours signaler leur présence oralement, pour éviter tout accident. Les triangles avec des angles très aigus sont également dangereux. Plus un triangle a un angle aigü, d'ailleurs, moins sa vie a de valeur...

Dans la deuxième partie, notre carré décrit un rêve étonnant dans lequel il a vu un univers réduit à une simple ligne, puis sa découverte de l'existence d'un univers à trois dimensions grâce à l'irruption dans sa vie d'une sphère. Ce solide est pour lui inconcevable; quand la sphère lui explique qu'elle se compose d'une infinité de cercles superposés les uns aux autres, il est en effet incapable de comprendre la notion de superposition. Dans son univers, il y a un nord et un sud, mais pas d'au-dessus ou d'en-dessous. La sphère devra l'arracher à Flatland pour qu'il comprenne combien son monde est limité.

Ce court roman est tout à fait brillant. Il se lit tout seul et aborde des notions philosophiques et politiques tout à fait sérieuses avec une simplicité et une clairvoyance remarquables. La société très hiérarchisée de Flatland est en effet soigneusement maintenue en place par une combinaison de répression (mise à mort des figures irrégulières, par exemple) et d'espoir (le fait que la descendance des figures gagne, dans certains cas, un côté à chaque génération [le fils d'un pentagone sera un hexagone] cristallise les espoirs des parents, qui ne remettent pas en cause la société).

Mais le plus remarquable reste la présentation très claire de ce que voit ce pauvre carré quand la sphère débarque dans son salon. Comme il n'y a pas de hauteur dans son monde, il NE PEUT PAS avoir la sphère. Il voit seulement l'interception de la sphère et du plan de son monde, soit.... un cercle qui change de taille. Une fois soulevé de son plan d'existence, le carré, converti à l'existence d'une troisième dimension, ira jusqu'à supposer l'existence de mondes en quatre dimensions... Cinq dimensions... Et pourquoi pas six?

Si jamais le lecteur a du mal à visualiser tout ça, Adwin A. Abbott a parsemé son livre de petites figures très agréables et délicieusement rétros qui contribuent à faire de ce roman un agréable voyage dans le temps vers un XIXe siècle, voire un XVIIIe, aussi charmant dans son style que moderne et horrible dans son fonctionnement. Une belle lecture que je recommande.

Allez donc voir ailleurs si ce carré y est!

14 commentaires:

  1. Content que tu ais apprécié ce voyage dimensionnel.
    150 ans est toujours d'actualité, une gageure.
    Ce qui me fait marrer, c'est que pour défendre certains auteurs, certains nous disent de nous replacer dans le contexte de l'époque. Mais avec ce roman, on voit que malgré le contexte, l'auteur bocarde les oeilleres.

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    1. @Le chien: Oui, c'est d'ailleurs un argument que j'utilise aussi (ou plutôt: un *paramètre* que j'utilise aussi). Mais certains sont en avance sur leur temps. :D

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  2. Vraiment très intéressant, d'abstraire à ce point les inégalités, ça montre d'autant plus à quel point elles sont absurdes.

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    1. @Tigger Lilly: Oui tout à fait, et aussi à quel point tout est lié au confort des plus nantis (les cercles ^^).

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  3. L'idée est tout simplement excellente. Et qu'il soit encore parfaitement d'actualité ne le rend qu'encore plus remarquable. Il faut vraiment que je le lise. ^^

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    1. @Baroona: Je pense que tu apprécierais, en outre. C'est assez amusant à lire.

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  4. Il est génial ce roman, à mettre entre toutes les mains malgré son âge. Une vraie pépite, content que tu l'aies apprécié. :)

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    1. @Lorhkan: Contente que tu me l'aies fait découvrir, car je crois que j'avais raté le billet du Chien et que je l'ai donc découvert chez toi! :)

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  5. Il est intriguant ce roman, faudra que je le lise un jour. Ou que je l'offre à Monsieur, c'est un matheux, ça lui parlera :P

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    1. @Vert: Oui, je suis certaine que ça te plairait, en plus. :) Il est très sympa.

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  6. Ça a l'air intéressant mais j'ai mal au crâne rien qu'à imaginer l'univers xD

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    1. @Shaya: Oui, c'est totalement déstabilisant d'imaginer ce monde totalement plat!

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  7. Au début je me suis dit "houla c'est bizarre" et puis, comme tu mets très bien en avant le propos du roman, j'en suis arrivée à me dire "ben pourquoi pas m'en faire une idée".
    C'était pas gagné hein :p

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    1. @Ite: Lol! C'est sûr que c'est bizarre, mais c'est excellent! :)

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