Aujourd'hui, grand retour de Benoîte Groult, figure féministe que j'ai découverte il y a quelques années!
Journal à quatre mains est sa toute première publication, et il est écrit – comme son titre l'indique – à quatre mains avec sa sœur Flora. La structure est celle d'un journal intime: une date suivie du récit de la journée qui vient de s'écouler, ou des quelques jours qui viennent de s'écouler. Les passages en romain sont écrits par Benoîte; ceux en italique sont écrits par Flora.
Wikipédia qualifie cet ouvrage de "roman", ce qui implique qu'il ne constitue pas leur véritable journal. Et, en effet, le prénom du mari de Benoîte, ainsi que les circonstances de sa mort, ne correspondent pas avec la réalité (ou, du moins, avec ce que Wikipédia et la courte biographie du Livre de Poche disent de la réalité). Je ne peux donc pas dire dans quelle mesure tout ceci est réel ou inventé, mais la lecture est passionnante.
D'une part, le journal s'ouvre en mai 1940 et court jusqu'en janvier 1945, et couvre donc pratiquement toute la Seconde Guerre mondiale, une période haute en rebondissements et propice à un quotidien... hors de l'ordinaire. Les nouvelles de la guerre trouvent leur place dans les pages, de même que les rationnements. La nourriture est un sujet de premier ordre; quand on en voit à l'occasion d'une visite à la campagne, c'est une fête! À l'hiver 1943, Flora indique qu'elle casse la glace dans le lavabo gelé de sa chambre, car la famille ne peut chauffer qu'une seule pièce (et ce n'est pas sa chambre!). Bien sûr, ces difficultés sont bien moins horribles que celles des soldats sur les différents fronts européens, mais elles pèsent tout de même sur les esprits.
Moi, je trouve toujours passionnant de voir le quotidien des gens, les petites choses de rien du tout.
Le 20 janvier 1943, dans le journal de Benoîte:
"Et pourtant, la guerre est en train de prendre un virage. Sur les communiqués, on apprend que les Allemands repoussent, victorieusement bien sûr, les contre-attaques soviétiques. Donc nous savons indirectement que les Russes ont commencé à contre-attaquer. C'est un phénomène nouveau."
D'autre part, le quotidien de deux jeunes filles de bonne famille est très intéressant aussi, guerre ou pas guerre. Et figurez-vous que Benoîte, future figure féministe, parle quand même beaucoup d'une vérité qui pourrait sembler éminemment secondaire: âgée de 20 ans et célibataire au début de la guerre, elle craint grandement de ne pas trouver d'homme avant la fin du conflit, vu que beaucoup d'hommes sont absents, et d'être trop vieille pour en attirer un après, quand la guerre sera enfin finie!!! Lol. En attendant, les deux sœurs sortent quand même pas mal, et flirtent à droite et à gauche. Benoîte rencontre même un garçon, Blaise, qui semble le bon, et elle l'épouse malgré l'opposition de sa mère...
Puis, en 1944, après la libération de Paris, c'est tout simplement une vague de soldats américains. Pas forcément pour coucher avec, mais pour les accompagner en ville, servir d'interprète, leur faire visiter des monuments, les emmener au musée, leur tenir compagnie. Apparemment, il y a avait une sélection de jeunes filles sachant parler anglais, et tant Benoîte que Flora ont été retenues. Ce n'est pas de la prostitution à proprement parler, car ce n'est pas un échange de relations sexuelles contre de l'argent. Mais pour ces filles qui ont été privées de tout pendant quatre ans, ces soldats sont un moyen de subsistance, tout simplement parce qu'ils les emmènent au restaurant et leur offrent des tas de choses encore très rares à Paris: des boîtes de conserve, du charbon...! Benoîte fait également plein de commentaires sur leur bon état de santé général, sur le fait qu'ils ne sont pas maigres et qu'ils portent de beaux vêtements... Ça devait vraiment être la joie à Paris avant leur arrivée!!!
Un élément d'une importance capitale: les deux sœurs lisent Jules Romains!!!!! AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAHHHHH!!!!!
Le 22 août 1940, dans le journal de Benoîte:
"J'ai eu le temps de lire la moitié du Verdun de Jules Romains, pour voir sous quel jour y était décrit Pétain."Le 4 novembre 1942, dans le journal de Flora:
"Je lis Les Hommes de bonne volonté et j'en suis au XVII: La Douceur de Vivre. Mais il y a un passage qui me déboulonne plutôt: « Un vraiment grand a-t-il jamais tenu un journal ? » [...] Bigre, il met le doigt dans la plaie et même il fait la plaie ! Cela me gêne qu'un vraiment grand n'ait jamais tenu de journal. Je le refuse."😱😱😱😱😱
Je suis encore loin de Verdun et de La Douceur de
En bref: ce journal était une lecture passionnante, et on peut ajouter à la liste des qualités de Benoîte Groult qu'elle lisait Jules Romains. Quant à vous, lisez Benoîte Groult, bien sûr. 😊