vendredi 29 août 2025

Journal à quatre mains (1958)

Aujourd'hui, grand retour de Benoîte Groult, figure féministe que j'ai découverte il y a quelques années!

Journal à quatre mains est sa toute première publication, et il est écrit – comme son titre l'indique – à quatre mains avec sa sœur Flora. La structure est celle d'un journal intime: une date suivie du récit de la journée qui vient de s'écouler, ou des quelques jours qui viennent de s'écouler. Les passages en romain sont écrits par Benoîte; ceux en italique sont écrits par Flora.

Wikipédia qualifie cet ouvrage de "roman", ce qui implique qu'il ne constitue pas leur véritable journal. Et, en effet, le prénom du mari de Benoîte, ainsi que les circonstances de sa mort, ne correspondent pas avec la réalité (ou, du moins, avec ce que Wikipédia et la courte biographie du Livre de Poche disent de la réalité). Je ne peux donc pas dire dans quelle mesure tout ceci est réel ou inventé, mais la lecture est passionnante.

D'une part, le journal s'ouvre en mai 1940 et court jusqu'en janvier 1945, et couvre donc pratiquement toute la Seconde Guerre mondiale, une période haute en rebondissements et propice à un quotidien... hors de l'ordinaire. Les nouvelles de la guerre trouvent leur place dans les pages, de même que les rationnements. La nourriture est un sujet de premier ordre; quand on en voit à l'occasion d'une visite à la campagne, c'est une fête! À l'hiver 1943, Flora indique qu'elle casse la glace dans le lavabo gelé de sa chambre, car la famille ne peut chauffer qu'une seule pièce (et ce n'est pas sa chambre!). Bien sûr, ces difficultés sont bien moins horribles que celles des soldats sur les différents fronts européens, mais elles pèsent tout de même sur les esprits.

Moi, je trouve toujours passionnant de voir le quotidien des gens, les petites choses de rien du tout.

Le 20 janvier 1943, dans le journal de Benoîte:

"Et pourtant, la guerre est en train de prendre un virage. Sur les communiqués, on apprend que les Allemands repoussent, victorieusement bien sûr, les contre-attaques soviétiques. Donc nous savons indirectement que les Russes ont commencé à contre-attaquer. C'est un phénomène nouveau."
Inférer ce que l'occupant ne dit pas de ce qu'il dit, voilà quelque chose que je n'ai pas eu à vivre.

D'autre part, le quotidien de deux jeunes filles de bonne famille est très intéressant aussi, guerre ou pas guerre. Et figurez-vous que Benoîte, future figure féministe, parle quand même beaucoup d'une vérité qui pourrait sembler éminemment secondaire: âgée de 20 ans et célibataire au début de la guerre, elle craint grandement de ne pas trouver d'homme avant la fin du conflit, vu que beaucoup d'hommes sont absents, et d'être trop vieille pour en attirer un après, quand la guerre sera enfin finie!!! Lol. En attendant, les deux sœurs sortent quand même pas mal, et flirtent à droite et à gauche. Benoîte rencontre même un garçon, Blaise, qui semble le bon, et elle l'épouse malgré l'opposition de sa mère...

Puis, en 1944, après la libération de Paris, c'est tout simplement une vague de soldats américains. Pas forcément pour coucher avec, mais pour les accompagner en ville, servir d'interprète, leur faire visiter des monuments, les emmener au musée, leur tenir compagnie. Apparemment, il y a avait une sélection de jeunes filles sachant parler anglais, et tant Benoîte que Flora ont été retenues. Ce n'est pas de la prostitution à proprement parler, car ce n'est pas un échange de relations sexuelles contre de l'argent. Mais pour ces filles qui ont été privées de tout pendant quatre ans, ces soldats sont un moyen de subsistance, tout simplement parce qu'ils les emmènent au restaurant et leur offrent des tas de choses encore très rares à Paris: des boîtes de conserve, du charbon...! Benoîte fait également plein de commentaires sur leur bon état de santé général, sur le fait qu'ils ne sont pas maigres et qu'ils portent de beaux vêtements... Ça devait vraiment être la joie à Paris avant leur arrivée!!!

Un élément d'une importance capitale: les deux sœurs lisent Jules Romains!!!!! AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAHHHHH!!!!!

Le 22 août 1940, dans le journal de Benoîte:
"J'ai eu le temps de lire la moitié du Verdun de Jules Romains, pour voir sous quel jour y était décrit Pétain."
Le 4 novembre 1942, dans le journal de Flora:
"Je lis Les Hommes de bonne volonté et j'en suis au XVII: La Douceur de Vivre. Mais il y a un passage qui me déboulonne plutôt: « Un vraiment grand a-t-il jamais tenu un journal ? » [...] Bigre, il met le doigt dans la plaie et même il fait la plaie ! Cela me gêne qu'un vraiment grand n'ait jamais tenu de journal. Je le refuse."
😱😱😱😱😱


Je suis encore loin de Verdun et de La Douceur de Vivre la Vie (désolée Flora, tu t'es trompée de titre 😅), mais je ne manquerai pas d'observer Pétain de près et de prêter attention à ce passage sur l'écriture de journal, que je ne recopie pas entièrement ici par fleimme, mais que je trouve très réducteur. Comme Flora, je le refuse! J'ai hâte de voir quel personnage de Jules Romains pense ça!

En bref: ce journal était une lecture passionnante, et on peut ajouter à la liste des qualités de Benoîte Groult qu'elle lisait Jules Romains. Quant à vous, lisez Benoîte Groult, bien sûr. 😊

dimanche 24 août 2025

Iran Awakening (2006)

Il y a peu, mon amie de Lyon, cette femme formidable, me mettait entre les mains ce livre de Shirin Ebadi. Moi, évidemment, je n'avais aucune idée de qui est Shirin Ebadi; je n'avais même pas de vague notion comme pour Malala Yousafzai, c'était juste le vide total.

Somme toute, ça ne tombait pas trop mal, puisque cette autobiographie – que Shirin Ebadi a écrite en anglais en collaboration avec Azadeh Moaveni – commence par le début, à savoir l'enfance de l'autrice dans l'Iran des années cinquante.

Premier souvenir marquant lié à l'actualité de son pays: en août 1953, les adultes de sa famille se serrent autour de la radio pour écouter les nouvelles des troubles dans la capitale, qui débouchent sur un coup d'État et sur la chute du Premier ministre élu deux ans plus tôt, Mohammad Mossadegh. Mis à part ça, son enfance est plutôt sereine et se déroule dans une famille aisée et plutôt progressiste, qui ne la destine pas spécialement à devenir uniquement épouse et mère. Shirin entame des études dans le droit et devient juge.

Mais bon, l'Iran, c'est une histoire mouvementée. Le coup d'Êtat de 1953, orchestré par la CIA, a remis au pouvoir le shah qui était parti en exil. Le roi, donc. À partir de là, la police secrète veille au grain par la force, les riches se gavent en exportant du pétrole, le mécontentement gronde. En 1979, Shirin Ebadi soutient publiquement les troubles qui mènent à la fameuse révolution qui a fait de l'Iran la théocratie qu'il est aujourd'hui.

En quelques semaines, toutefois, elle se rend compte qu'elle a été aveugle aux idées de Rouhollah Khomeini sur les femmes et que le changement qu'elle a appelé de ses voeux, pour se débarasser du shah corrompu, autoritaire et subordonné aux puissances occidentales, repose en grande partie sur le contrôle des femmes.

De là, son parcours devient aussi politique, car elle a utilisé ses compétences juridiques pour venir en aide à des personnes visées par le pouvoir. (Elle avait du temps à leur consacrer, vu qu'elle a perdu son poste de juge parce que les femmes ne pouvaient plus être juges. 😜) Et bien sûr, cela attire une certaine attention médiatique, y compris internationale, à tel point qu'elle a été emprisonnée au début des années 2000. Et puis, en 2003, elle a reçu le prix Nobel de la paix. ✨✨✨

Ce qui est vraiment passionnant dans ce récit, c'est que rien n'est blanc ou noir. D'un côté, on pourrait dire que tout est d'un gris désespérant, entre régimes autoritaires et lecture conservatrice voire extrémiste de l'islam, mais Shirin Ebadi présente tout ça de manière assez factuelle et vivace à la fois, en détaillant son parcours, sa volonté de ne jamais reculer ou se taire, les soubresauts d'une société qui n'accepte pas les choses aussi passivement qu'on pourrait le croire, vu d'Occident.

J'en retiens plusieurs choses:

- Le ressentiment des Iraniens contre les États-Unis, ça se comprend plutôt bien quand on sait que ces derniers ont soutenu le coup d'État du shah pour renverser le Premier ministre élu démocratiquement, qui ne leur convenait pas parce qu'il avait nationalisé le pétrole. 🤡🤡🤡🤡🤡 On est sur le niveau du coup d'État de Pinochet. Ensuite, pendant les années quatre-vingt, ils ont armé l'Irak qui a envahi l'Iran et a balancé du gas sarin partout. Félicitations! Et cette année, les frappes de Trump ont dû arranger les choses, hein. Je ne dis pas qu'il est pour autant pertinent de les appeler "le grand Satan", mais on comprendra que le pays ne se prosterne pas devant eux.

- Le règne du shah, c'était la merde: oligarchie, pas d'État de droit, répression des opposants, pas de libertés. Mais les femmes étaient relativement libres, elles, dans le sens que l'État ne leur imposait pas spécialement d'obligations ou d'interdictions; la société était très patriarcale, mais ce n'était pas gravé dans la loi. C'est la révolution de 1979, et l'instauration de la République islamique d'Iran, un État théocratique, c'est-à-dire fondé sur une religion, qui a changé la donne pour elles. Rouhollah Khomeini a bâti son État sur une lecture traditionnaliste, conservatrice et mysogine de l'islam; c'est là que le chaddor est devenu obligatoire, comme c'est encore le cas aujourd'hui.

- Le président, en Iran, n'est pas extrêmement important. Il est élu par le peuple, certes, mais les candidats doivent de toute façon être validés par le régime avant de se présenter, donc il est forcément un élément du système. Le vrai pouvoir, c'est le Chef suprême de la révolution: Rouhollah Khomeini de 1979 à sa mort en 1989, puis Ali Khamenei de 1989 à... aujourd'hui. Le gars a quatre-vingt-six ans.

- L'Iran est majoritairement chiite. En fait, je le savais, car cela a son importance pour les alliances au Moyen-Orient. Mais j'ai mis du temps à percuter que "Shia" est le mot anglais pour "chiite". En revanche, j'ignorais que le terme "ayatollah" vient de l'islam chiite: il a pris une connotation négative en français, mais, à la base, c'est juste le grade le plus élevé des mollahs.

- Shirin Ebadi, elle, voudrait un État de droit qui reposerait sur des règles nettes, pas une théocratie qui repose sur l'interprétation d'un ancien texte religieux... Mais même ça, c'est présenté avec nuance, car Shirin Ebadi est musulmane croyante, en fait. Elle ne critique pas du tout l'islam en soi. Elle critique les gens qui structurent leur autoritarisme sur l'islam. C'est quand même salutaire de lire ça, car l'islam a une image déplorable en Occident. Pour moi y compris, hein. À niveau d'allumage égal, j'ai mille fois moins peur d'un allumé catholique que d'un allumé musulman. En fait, un catholique, ça ne me fera que rarement peur; un musulman, au contraire, très souvent.

- On pourrait quand même sortir de cette lecture avec une légère dépression. Quasiment vingt ans après la publication, la théocratie iranienne est toujours là, sous la direction du même vieux ayatollah (celui qui a quatre-vingt-six ans, donc) et avec la même police des mœurs qui vérifie que les femmes portent bien le chaddor. On en a beaucoup parlé en 2022 à cause de la mort de Mahsa Jîna Amini, cette pauvre fille arrêtée en raison de sa tenue vestimentaire et morte en détention...

Bon, en somme, cette lecture a été très intéressante et source de réflexions. La seule chose légèrement étonnante, c'est que Shirin Ebadi n'aborde pas la sujet d'Israel, alors que, bon, le régime iranien a tenu des propos un tantine violents sur l'État hébreu au fil des ans. Mais j'imagine que, en interne, cela les affecte moins que le flicage politique, la suspicion permanente et la répression constante des libertés...

mardi 19 août 2025

Au-revoir là-haut (2013)

Attention! Aujourd'hui, on a du lourd!

Il y a quelques semaines, TmBM publiait un avis si motivant sur Au-revoir là-haut de Pierre Lemaître que je réservais le roman dans ma médiathèque avant même de laisser un commentaire, de peur d'oublier de le faire plus tard. U
ne dizaine de jours plus tard, Grominou publiait à son tour un avis super positif, me confortant ainsi dans mon choix.

Lorsque j'ai récupéré le roman, toutefois, j'ai dû blémir; je n'avais pas réalisé que c'était un sacré pavé, 560 et quelques pages dans l'édition grand format d'Albin Michel. Quand allais-je bien réussir à lire ça?

Et puis, quand j'ai effectivement commencé à le lire, je suis rentrée dedans super facilement et je l'ai dévoré en moins d'une semaine. C'est hallucinant, ce roman se lit tout simplement TOUT SEUL. Tout s'enchaîne parfaitement, l'action est super prenante, le style est limpide même quand il adopte divers tons (par exemple en rapportant les pensées d'un personnage au discours indirect), c'est drôle, c'est cruel, c'est révoltant, c'est bien documenté (ou en tout cas ça donne l'idée d'une documentation solide, parce que je ne connais pas suffisamment la période historique pour vraiment juger 😅), ça se dévore.

Je suis joie, je suis bonheur. C'est totalement comme Antoine Bello, de la littérature de qualité, qui allie un vrai fond et un style mais sans jamais se regarder le nombril ou se prendre affreusement au sérieux. C'est merveilleux. Je suis joie, je suis bonheur.

Bonne nouvelle: je me demandais pourquoi l'épilogue disait que Louise, un personnage secondaire, "n'eut pas un destin très remarquable, du moins jusqu'à ce qu'on la retrouve au début des années 40". Fallait-il reconnaître en elle un personnage historique réel, tellement célèbre que son simple prénom et la mention des années 40 suffiraient à l'identifier? Mais pas du tout: en fait, ce roman a deux suites. On n'est pas obligés de les lire, l'intrigue se suffit totalement à elle-même ici, mais on peut continuer si on veut. Couleurs de l'incendie parle de Madeleine, et Miroir de nos peines parle, justement, de Louise. Je suis joie, je suis bonheur.

Pour ce roman, Pierre Lemaître a obtenu le Goncourt en 2013. C'est mérité. Et le roman a été adapté par Albert Dupontel au cinéma. Il faut que je me penche sur ça.

Cerise sur le gâteau: dans les remerciements, l'auteur évoque Jules Romains!!! AAAAAAAAAAAAAAHHH!!!

"Au revoir là-haut doit beaucoup à la littérature romanesque de l'après-guerre, d'Henri Barbusse à Maurice Genevoix, de Jules Romains à Gabriel Chevallier."
AAAAAAAAAAAAAAHHH!!!
 
Oh, et pour ceux qui s'interrogeraient sur l'intrigue: c'est l'histoire de deux poilus qui reviennent de la Première Guerre mondiale dans un état pas possible, soit physiquement soit mentalement. Une histoire à dormir debout en quelque sorte, mais totalement solide en même temps, et surtout ultraprenante. Le seul et unique reproche que je pourrais lui faire, c'est qu'Albert est très mou, mais, même ça, ça passe parfaitement! Du grand art!!! Merci aux copains pour la découverte!!! 🤩🤩🤩 Et chapeau à Albin Michel!!!

jeudi 14 août 2025

Les Producteurs (2015)

Après avoir lu avec une jubilation rare Les Falsificateurs, puis avec plaisir mais aussi une bonne dose de scepticisme Les Éclaireurs, j'ai entamé le troisième et dernier roman de cette série d'Antoine Bello avec autant d'enthousiasme que de crainte. Allais-je retrouver le plaisir que m'a procuré cet excellent auteur? Ou bien la série s'était-elle essouflée pour moi?

Par bonheur, je me suis régalée!! Ahlàlà. Quelle satisfaction. Même si la découverte n'est, inévitablement, plus au rendez-vous, j'ai jubilé comme une gamine en voyant Sliv, notre héros islandais, œuvrer au comité directeur du CFR pour concrétiser des falsifications ou des manipulations diversifiées et dingos. De l'élection de Barack Obama au thème de n'importe quel jeu vidéo, la réalité connue vaccille. Les choses se sont-elles vraiment passées comme nous le croyons en raison d'une succession de hasards et de faits plus ou moins indépendants les uns des autres, ou le CFR tirait-il les ficelles en coulisses, partout et tout le temps?

Ce doute typiquement belloïen est hautement réjouissant, et donne ici lieu à de nouvelles interrogations en raison de la disparition d'une mallette contenant de nombreux dossiers de falsification retoqués, qu'un agent a malencontreusement oubliée dans un taxi. Dans les mauvaises mains, ces dossiers peuvent constituer l'arrêt de mort du CFR, voire provoquer d'énormes remous. Mais que faut-il penser lorsque certains de ces scénarios deviennent réalité? La personne les ayant dérobés envoie-t-elle un message au CFR? Ou bien la réalité n'est-elle tout simplement pas si éloignée de la falsification?

Et quand on joue un rôle dans la falsification, est-ce qu'on devient son personnage?

En outre, ce roman constitue une belle occasion de revivre l'actualité des années 2007-2012, mais sous la plume claire et acérée de Bello, qui condense et explique tout d'une manière étonnamment facile à comprendre. C'est merveilleux. Et puis, la falsification est passée sur Internet, en cette période, et les thématiques résonnent fortement avec celles de notre époque et les élections de Trump – ainsi qu'avec l'usage de certains chimpanzés dans le dernier Superman, tiens. J'aimerais bien que Bello nous sorte un roman sur les années 2020, même si ce serait sans doute un chouïa anxiogène.

En plus, il y a beaucoup d'humour, comme dans les tomes précédents:

"Détestant travailler en avion, j'en profitais généralement pour conjuguer deux de mes passions en visionnant sur mon ordinateur des navets cinématographiques doublés et sous-titrés à la fois. Je me targue ainsi d'avoir vu ce monument de finesse qu'est Independance Day dans toutes les combinaisons de langue offertes sur DVD. Qui n'a jamais entendu Will Smith s'exclamer « Bienvenue sur Terre ! » en néerlandais avec des sous-titres en bengali passe à côté du chef-d'œuvre de Roland Emmerich et, accessoirement, d'une occasion d'apprendre à marchander dans les bazars de Calcutta."
Je me meurs, je me meurs.

Plus loin, un des personnages évoque aussi Transformers, dans une conversation sur la rédaction de scripts de blockbusters. 😂😂 Et James Cameron est évoqué au sujet d'un film tiré de l'exploration d'une épave (épave créée de toutes pièces par le CFR, bien sûr! Et non, ce n'est pas celle du Titanic 😂).

Bref, ce roman a été un régal, je me prosterne devant Antoine Bello et je vous recommande, une fois de plus, de lire cet écrivain!

samedi 9 août 2025

The Dispossessed (1974)

Cinq ans après avoir lu La Main gauche de la nuit, que j'ai trouvé absolument brillant, j'ai enfin lu un autre roman d'Ursula K. Le Guin, et il s'est avéré non moins brillant!

The Dispossessed raconte l'histoire de Shevek, un physicien qui est né, a grandi et a fait ses études sur Anarres, une planète où s'est implantée une société anarchiste. Anarchiste au sens original du mot: "sans gouvernement central". Dès le premier chapitre, toutefois, on le voit décoller pour Urras, la planète jumelle d'Anarres, celle dont sont partis ces anarchistes, quelques 170 ans plus tôt. Ses études sur le temps ayant traversé les frontières – ou plutôt l'espace –, Shevek a été invité à les poursuivre sur Urras.

Les chapitres vont ensuite alterner entre son présent sur Urras, où il rencontre d'autres scientifiques et découvre cette société "propriertaire" (comment ça a été traduit en français, propertarian? 😀), et son passé sur Anarres, ce qui permet de comprendre pourquoi ses études n'ont pas pu avancer autant qu'il le voulait et de constater que cette société très horizontale, qui met en avant le collectif et non l'individu mais où personne n'est contraint à rien, n'est tout de même pas à l'abri d'un certain autoritarisme.

Et donc voilà, c'était brillant. Déjà, la structure de l'aller-retour dans le temps fait vachement monter le suspense, car l'action est souvent interrompue en fin de chapitre. Ensuite, la vie de Shevek elle-même est passionnante, ou en tout cas Le Guin réussit à la rendre passionnante, même quand il s'agit "juste" de savoir où il va aller travailler. Et il y a un suspense plus concret dans la partie sur Urras, par exemple quand l'autrice nous relate une conversation entre deux scientifiques, qui discutent en présence de Shevek mais que celui-ci ne peut pas entendre parce qu'il dort après avoir bu trop d'alcool.

Quant au fond, c'est brillant aussi, avec plein de réflexions sur l'organisation de la société et le rôle de chacun. Ce que j'en retiens, c'est une des maximes d'Odo, la penseuse anarchiste à l'origine de l'exil vers Anarres: en gros, les moyens sont déjà la fin. Ou, en d'autres termes: atteindre l'objectif n'est pas le plus important; ce qui compte vraiment, c'est comment on progresse vers lui. Franchement, ça met du beaume au cœur. À peu près au même moment, j'ai relu complètement par hasard ma chronique de Yoga d'Emmanuel Carrère et cela rejoint totalement une citation de Lénine qui m'avait marquée et dont j'avais parlé.

Bon, il y a aussi plein de réflexions sur le temps, car c'est le sujet d'étude de Shevek, mais là je n'ai rien compris. :D À part que ses études permettent la création d'une certaine technologie primordiale dans l'univers de Le Guin.

Concernant le titre: je pense que l'éditeur français a bien fait d'opter pour le masculin pluriel, mais, techniquement, "The Dispossessed" peut se traduire aussi par "le dépossédé", "la dépossédée" et "les dépossédées". Et je me demande si Le Guin voulait vraiment parler du collectif, au pluriel, ou si elle faisait référence à Shevek en particulier...

Enfin, une note sur cette édition Gollancz. Avec ses reflets mordorés sur le nom de l'autrice et sur les petits points éparpillés, la couverture est superbe. À l'intérieur, en revanche, le texte est pénible à lire à cause de la police petite, serrée et grasse. C'est un vrai miracle que j'aie réussi à lire le roman en une dizaine de jours et avec mon cerveau branché.

Autres livres de ou sur l’autrice déjà chroniqués sur le blog
The Left Hand of Darkness (1969)
Le Langage de la nuit (1973-1977)
Monographie Ursula K. Le Guin. De l'autre côté des mots (2021)

Allez donc voir ailleurs si ces dépossédés y sont!
L'avis de Baroona
L'avis de Vert

lundi 4 août 2025

La gamelle de juillet 2025

Comme d'habitude, retour sur les activités culturelles du mois écoulé!

Sur petit écran

Pas de film.

Sur grand écran

Superman de James Gunn (2025)

On ne peut pas dire que cette relance des films DC soit une très grande réussite, mais le film est tout de même plus solide que le début ne le laissait présager: quand j'ai vu qu'il s'ouvrait sur la scène du chien Krypto prêtant secours à un Superman exsangue, c'est-à-dire le plan le plus fort de la bande-annonce, je me suis dit qu'ils avaient grillé leur meilleure cartouche tout de suite et que ça allait être long. Heureusement, il y a tout de même quelques bonnes idées ou beaux plans, et un léger message animaliste bienvenu (par exemple, Superman sauve un écureuil, et un habitant de Métropolis évacue la ville en emportant sa tortue!). Mais enfin, rien de bien mémorable.

Jurassic World de Gareth Edwards (2025)

La scène des titanosaures qui se courtisent,
un potentiel d'émotion énorme flingué par une image de synthèse imbuvable.

Le naufrage total. L'infamie. Dès la scène d'introduction, durant laquelle le système de sécurité d'un laboratoire ultra perfectionné passe instantanément de "une porte ne se ferme pas" à "système défaillant" à "reboot système", ce qui provoque le chaos total (nan mais qui programme un système de sécurité comme ça, sérieux??? On commence par sonner l'alarme, non???), le film aligne les incohérences et échoue totalement à tenir la route, à commencer par l'image de synthèse globalement dégueulasse. Il y a quelques beaux plans, comme le mosasaure qui saute hors de l'eau (j'ai évidemment pensé à Payakan dans Avatar 2 💙💚🩵), quelques idées sympas, comme le tyrannosaure qui dort le ventre en l'air et la gueule grande ouverte, ou des manières sympathiques de cacher l'action en arrière-plan pour mieux attirer l'attention dessus (ce que Gareth Edwards avait déjà fait, et avec brio, dans Godzilla). Mais, dans l'ensemble, c'est l'agonie. Et les hybrides de laboratoire ignobles à regarder... AU SECOURS!!!

Les Quatre Fantastiques. Premiers pas de Matt Shakman (2025)

Un ennui abyssal pour un film en plastique. En plus, je déteste le message sur la famille, ainsi que le fait que le seul personnage féminin soit enceinte et ne parle que de son bébé. MAIS ce film inutile est précédé de la bande-annonce d'Avatar 3!!! Et elle est prometteuse. J'attends décembre, le cœur palpitant.

Du côté des séries

Toujours rien.

Et le reste

J'ai relu en diagonale deux vieilles revues: le numéro de Yoga Journal de janvier-février-mars 2018 et le hors-série Esprit Veggie de Esprit Yoga, daté du printemps 2017. Puis j'ai lu le hors-série de Mad Movies consacré à la saga Jurassic Park (que j'avais déjà lu en 2018, mais qui a été mis à jour avec les opus les plus récents) (ils disent du bien de Renaissance, je pense qu'on n'a pas vu le même film 😅) et mon Cheval Magazine habituel. ❤️

mercredi 30 juillet 2025

Montée des périls (1935)

Et voilà le neuvième tome de la saga des Hommes de bonne volonté de Jules Romains!

 
Comme toujours, ce roman a constitué un plaisir de lecture assez rare tellement il allie une écriture de très belle qualité, des personnages récurrents que j'adore, une complexité d'intrigues de malades et des réflexions fascinantes sur des tas de sujets. Malheureusement, je l'ai lu de manière assez hachée, et j'ai dû pas mal revenir en arrière pour me remémorer ce qui s'était passé dans les chapitres précédents. Mon organisation ne me permet pas de lire autant que je le voudrais au quotidien, et j'oublie presque tout en 48 heures, ce qui n'est pas du tout favorable à une lecture suivie...

Mais enfin, j'ai resurvolé quelques paragraphes de chaque chapitre une fois que j'ai tout terminé, et je peux vous dire que ce tome présente une belle diversité, comme d'habitude: une partie assez longue sur les classes ouvrières et la vie de Maillecotin, ouvrier de son état; de la politique avec Gurau (un de mes préférés 💙) et Briand, Premier Ministre; les difficultés de Mionnet, le prêtre envoyé en province dans le tome précédent; les démarches floues de Laulerque avec l'Organisation (la société secrète tellement secrète que lui-même ne sait pas comment elle s'appelle et dans quel but elle œuvre 👀); deux lettres entre un frère et une sœur; et les conversations passionnantes entre Jallez et Jerphanion (qui comptent également parmi mes préférés 💙).

Comme toujours, les différentes histoires se recoupent parfois, avec plus ou moins de poids, mais toujours avec une cohérence, une finesse et une maîtrise que j'ai rarement vues ailleurs. Le titre "Montée des périls" me fait trembler, en revanche. Nous sommes en 1910-1911 et tout le monde parle de la menace de la guerre... 😭😭

J'ai noté pas mal de passages marquants, mais je vous en laisse un seul, en partie par fleimme de tous les recopier et en partie pour la douceur merveilleuse que j'y trouve. Nous sommes ici avec Laulerque, qui fait travaillers ses élèves sur la classification des mammifères, mais qui a l'esprit ailleurs.

"Il pensait aussi qu'il avait dans la poche une lettre de Clanricard, à peu près neuve. Il l'avait trouvée chez la concierge, en descendant de chez lui. Il avait jeté un coup d'œil sur la signature, sur les dernières lignes du texte, pour voir si elle ne contenait pas une recommandation d'extrême urgence, puis avait remis la lettre dans l'enveloppe, et le tout dans sa poche. Un journal peut se parcourir pendant qu'on se hâte vers son travail. Une longue lettre d'ami se déguste à loisir, et au pas tranquille du retour."
"Une longue lettre d'ami se déguste à loisir, et au pas tranquille du retour": c'est toute la beauté d'une communication qui prend le temps et je trouve que c'est superbement dit.

vendredi 25 juillet 2025

XY, De l'identité masculine (1992)

Chronique express!

Je suis tombée sur ce vieil essai d'Elisabeth Badinter dans une boîte à livres. Je n'avais que de très vagues notions sur cette féministe et je n'aurais sans doute pas fait la démarche de lire cet ouvrage si j'avais dû l'acheter, mais là, évidemment, je n'ai pas hésité.

Ma lecture n'a pas été très enthousiasmante pour plusieurs raisons. Déjà, c'est beaucoup trop pointu pour moi, qui n'en ai, en réalité, rien à faire, de l'identité masculine; c'est d'ailleurs pour ça que j'ai lâché le podcast Les couilles sur la table après deux ou trois épisodes seulement. 😜 Ensuite, il y a pas mal de notions de psychanalyse qui m'ont un peu perdue ou que je trouve fumeuses; je trouve notamment que certains font peser trop de poids sur les premières années de la vie ou le comportement des parents. (Je suis en cela tout à fait incohérente, puisque je me dis tous les jours que, avec les parents que le hasard m'a collés, il n'est pas étonnant que je sois aussi mal barrée...) Ce que j'ai trouvé intéressant, en revanche, c'est prendre conscience que l'identité masculine ne va pas de soi, dans la plupart des cultures: un garçon doit souvent prouver qu'il est un homme par un rite d'initiation ou par certains comportements, tandis que les filles deviennent des femmes automatiquement. Cela donne des tas de névroses de mecs qui doutent d'être des mecs. Que tout cela soit lié à la coupure avec la mère me semble plus douteux, en revanche.

L'ouvrage évoque aussi l'homosexualité masculine, et j'ai été ravie de découvrir que Freud n'y voyait pas du tout une maladie (il a même écrit "mais je ne peux pas le soigner, votre fils, il n'est pas malade" à une femme lui demandant de soigner son fils homosexuel... ^^). Puis Elisabeth Badinter présente un "homme réconcilié", qui serait capable de dépasser cette culture masculine traditionnelle pour embrasser aussi des valeurs traditionnellement féminines dans une société plus juste. Je l'ai parfois trouvée bien optimiste sur le fait que la patriarcat d'hier a pris du plomb dans l'aile grâce au féminisme, surtout qu'elle a écrit ce livre il y a trente ans, mais il est vrai que certaines choses changent.

Bref, une lecture assez ennuyeuse et pas pleinement convaincante, mais dont j'aurai retenu tout de même quelques idées.

dimanche 20 juillet 2025

I Am Malala (2013)

Avant de lire ce livre, j'avais la très vague idée d'avoir déjà entendu parler d'une certaine Malala, que j'associais tout aussi vaguement à l'Afghanistan. Le fait de voir le livre dans la bibliothèque d'une amie a constitué la bonne occasion de parfaire un peu ma culture, et je remercie l'amie en question de me l'avoir prêté!

Bon, en fait, Malala Yousafzai n'est pas afghane, elle est pakistanaise. Mais mon erreur n'était pas totalement insensée, nous le verrons.

Pour lire son autobiographie, j'ai stratégiquement commencé... par la fin, c'est-à-dire par le lexique et le résumé des grands évènements de l'histoire du Pakistan. Le lexique n'est pas vital. En revanche, le point historique m'a été très précieux. Bien que certainement déjà très résumé, il présente un pays dont l'histoire est plus que mouvementée depuis sa création en 1947, avec bien peu de stabilité politique interne et des relations internationales un chouïa tendues – les affrontements avec l'Inde ont d'ailleurs fait la une de l'actualité récemment.

Je n'ai pas retenu grand-chose, si ce n'est que le Pakistan se composait au début de deux régions, le Pakistan Occidental et le Pakistan Oriental, et que ce dernier État a pris son indépendance en 1971, devenant ainsi... le Bangladesh. Voilà. Ça m'a marquée. Je n'avais aucune idée que le Bangladesh avait à peine cinquante ans d'existence.

(Nan mais déjà, répartir les gens dans des pays en fonction de leur religion, comme dans le cas de la partition Inde-Pakistan, ça me tue. Mais en plus, découper ces pays de telle sorte qu'il y a des bouts du pays de l'autre religion entre deux bouts, comme ici le Pakistan Occidental et le Pakistan Oriental qui étaient séparés par un énorme bout d'Inde, ça me tue encore plus. On a envie de créer les guerres de demain ou quoi?)

Bref bref bref. Malala Yousafzai nait en 1997 dans la vallée de Swat, au nord-ouest du Pakistan tel que nous le connaissons aujourd'hui (l'ex-Pakistan Occidental du temps où il y en avait deux, pour ceux qui essayent de suivre 😜). Elle va à l'école dans l'établissement fondé par son père, elle se dispute avec ses deux frères, elle a une meilleure amie, elle adore regarder sa série préférée. Bref, elle décrit un quotidien d'enfant assez classique, avec toutefois une grande passion pour l'apprentissage scolaire.

Les relations entre hommes et femmes sont déjà très encadrées à cette époque et on ne peut pas dire que la région soit très moderne, mais la situation dégénère à partir de 2007, lorsque les Talibans arrivent et propagent leur discours extrémiste. Personnellement, j'ai du mal avec une société où les femmes mangent séparément des hommes et peuvent être mariées dès l'adolescence, mais par rapport aux Talibans qui posent des bombes dans les écoles pour filles parce que les filles ne doivent recevoir absolument aucune éducation, il y a un certain écart... 👀👀👀

Le père de Malala était très engagé contre les Talibans. Il a pris la parole contre eux et a essayé de défendre la région auprès du gouvernement central, à Islamabad, qui est intervenu militairement (comme toujours, ça a donné des années de guerre, des centaines de milliers de déplacés, les joyeusetés habituelles). Malala a progressivement pris la parole avec son père afin de défendre son droit à l'éducation. Elle adorait l'école et n'avait aucune intention d'abandonner son apprentissage parce qu'on lui interdisait d'étudier. Elle a acquis une certaine notoriété et elle a même tenu un blog pour la BBC! Hélas pour elle, cela n'a pas plu aux Talibans, qui l'ont désignée comme cible. En octobre 2012, deux hommes ont fait feu sur elle dans le car qui la ramenait chez elle après l'école.

C'est sans doute à cette époque que j'ai entendu parler d'elle et que je l'ai associée à l'Afghanistan. J'ai probablement entendu "taliban" et pensé "Afghanistan". Hélas, ces sinistres individus ne se limitent pas à un seul pays...

Heureusement pour elle (et pour nous!), Malala n'est pas morte! Il a fallu de longs soins en Angleterre, mais elle s'en est sortie. Cette tentative d'assassinat sur une jeune fille défendant l'éducation des filles a même attiré encore davantage l'attention internationale sur elle.

Malala Yousafzai a écrit ce livre en collaboration avec Patricia McCormick et, même si elle parle beaucoup de dieu (auquel je ne crois pas) et si je me suis demandée si elle ne forçait pas un peu le trait en disant des choses du genre "à dix ans, j'étais déterminée à changer l'avenir de mon pays", son histoire constitue une belle leçon de vie. J'admire sans retenue les gens qui continuent à faire quelque chose malgré le danger. Pour nuancer un peu mon propos et être honnête, je comprends les gens qui n'interviennent pas. Ici, par exemple, je comprends très bien les parents pakistanais de la région de Swat qui ont retiré leur fille de l'école par peur qu'elle y laisse sa peau. Je pense que je ferais comme eux. Mais les gens qui prennent le micro! Qui dénoncent!! Quelle force morale!! Malala s'est pris une belle dans la tête à quinze ans et elle a quand même pris la parole à l'ONU, quoi. Elle a dit à Barack Obama qu'elle n'aimait pas les attaques de drones américains sur le territoire pakistanais!! Vous imaginez la droiture qu'il faut avoir!!

Malala Yousafzai a eu le prix Nobel de la paix en 2014, avec Kailash Satyarthi, qui a aussi beaucoup œuvré en faveur de l'éducation. J'aimerais dire "treize ans plus tard, les Talibans n'ont toujours pas eu sa peau" sur un ton moqueur, comme si ces minables avaient tout raté, même si le fait qu'elle n'habite plus au Pakistan y est sans doute pour quelque chose. Hélas, le désastre récent de l'Afghanistan m'en empêche... :(

mardi 15 juillet 2025

Les miracles du bazar Namiya (2012)

 

Une nuit, trois petits voleurs tombent en panne de voiture et n'ont d'autre choix que de se planquer dans un bazar abandonné. Bizarrement, quelqu'un glisse une lettre à travers une fente dans le rideau métallique pour demander un conseil. Après avoir trouvé une vieille revue qui les informe que le bazar a été célèbre, en son temps, parce que le propriétaire répondait à de telles demandes de conseil, les trois compères répondent à la lettre même s'ils ne sont pas du tout le propriétaire. Mais le courrier suivant de leur interlocutrice arrive bien trop vite, et ils ne tardent pas à se rendre compte que cette personne ne semble pas vivre à la même époque qu'eux.

Au fil de  cinq parties se passant à des époques différentes, Keigo Higashino trace plusieurs portraits de personnes assez lambdas, qui sont face à un choix difficile dans leur vie et sollicitent l'aide du bazar Namiya pour y voir plus clair. Parfois, le conseil qu'on leur prodigue ne leur plaît pas, alors elles insistent pour défendre leur point de vue, à tel point que le roman émet l'hypothèse que leur décision est prise et qu'elles veulent juste être confortées dans cette décision. (Hmmm. Moi, parfois, je demande conseil parce que j'espère bénéficier d'un regard plus acéré que le mien, qui me montrera tout ce que j'avais raté.) Parfois, elles croisent la route les unes des autres sans le savoir. Ces petits détails forment un puzzle très sympathique à reconstruire, jusqu'à ce qu'on en revienne à nos petites frapes du début dans la dernière partie.

D'un certain côté, le fait que les personnages se croisent et qu'on réfléchisse à la notion de choix m'a fait penser à Tant que le café est encore chaud de Toshikazu Kawaguchi, mais le style est bien meilleur. :D

Pour être tout à fait honnête sur le style, ce roman m'a tout de même posé quelques petits soucis, notamment dans l'usage des pronoms. Exemple pour les pronoms personnels: des "elle" ou "il" qui apparaissent brusquement alors qu'aucun personnage n'a été mentionné depuis plusieurs paragraphes, ce qui me fait toujours pas mal tiquer. Exemple pour les pronoms possessifs: des "son chat" et "son père" dans la même phrase, alors qu'ils ne renvoient pas à la même personne (disons que le chat appartient à Mathilde et le père appartient à Trucbidule.) Bon, je chipote, c'est vraiment une remarque de rédactrice, et je sais que les trois quarts des gens ne comprennent même pas de quoi je parle – c'est d'ailleurs difficile à expliquer. Dans l'ensemble, c'était très bien. Une lecture claire et plaisante, parfaite pour un roman assez feel-good au final. C'est Sophie Refle qui est à la traduction, et elle est Madame Keigo Hisashino chez Actes Sud: j'ai l'impression qu'elle a traduit absolument tout ce que Actes Sud a sorti de cet auteur.

Allez donc voir ailleurs si ce bazar y est!
L'avis de Baroona
L'avis de Grominou
L'avis de Ksidra
L'avis de Tigger Lilly

jeudi 10 juillet 2025

Les BD du deuxième trimestre 2025

Comme d'habitude, retour sur les lectures graphiques du trimestre!

Batman City of Madness de Christian Ward, traduit de l'anglais par Mathieu Auverdin (2024)

Sous la Gotham que nous connaissons s'étend une autre Gotham, la Gotham d'en bas. Entre les deux, un portail que la Cour des Hiboux garde soigneusement. Et puis, un jour, quelque chose traverse...
Cette réinterprétation lovecraftienne de Batman est très réussie. La fin laisse peut-être un peu à désirer, mais toute la mise en place prend son temps pour poser une ambiance et suggérer l'étrangeté de ce qui se passe. Et les visuels! Les visuels! L'usage de ces couleurs très vives, mais très nuancées, sur un fond noir, est magnifique. Juste pour ça, c'est probablement la lovecrafterie la plus réussie que j'aie croisée. Ajoutez-y pas mal de poses ultra cool et des Hiboux mystérieux à souhait et ça marche du tonnerre!
(Même s'il m'est d'avis que ces "Hiboux" sont plutôt des Chouettes, et que la première traduction vers le français a été faite sans que le comics d'origine ne permette de trancher de quels types de "owls" on parlait, mettant ensuite les traducteurs dans une situation délicate... 👀)
Éditeur: Urban Comics

Sous les arbres de Dav (2019-2022)

Quatre albums merveilleux dont je ne me lasserai jamais 🌼💐🌸⚽🍂❄️
Éditeur: Les Éditions de la Gouttière

Bootblack de Mikaël (2019 et 2020)


Après m'avoir fait découvrir Giant l'année dernière, Baroona m'a cette fois informée de l'existence de Bootblack, nouvelle plongée dans la New York de la première moitié du siècle, entre immigration et pauvreté. C'était absolument super. J'ai juste été un peu gênée par quelques allers-retours dans le temps, car un récit plus linéaire me convient mieux. Mais les dessins sont oufissimes et le propos me parle, bien que l'histoire soit plutôt tragique. Et on en parle, de ces couvertures? 🤩
Éditeur: Dargaud

Libres d'obéir de Johann Chapoutot (scénario) et Philippe Girard (dessin) (2025)

J'ai lu en avant-première cette bande dessinée qui paraîtra en août prochain, car mon copain est rentré absolument enthousiaste d'une présentation aux libraires. Il m'a parlé nazisme et management et, pendant dix minutes, j'ai cru qu'il était prêt pour me rejoindre dans la lecture du Monde Diplomatique. 😂😂 Moi, je n'ai pas trop aimé: j'ai trouvé que l'écriture était parfois difficile à lire et que certaines notions – ou plutôt certains liens entre notions – n'étaient pas convaincants ou pas clairs. En gros, l'auteur fait le lien entre certaines caractéristiques du nazisme et celles du management moderne à travers la figure de Reinhard Höhn, ancien nazi et fondateur d'une école de management auquel il a consacré un essai, ici adapté en BD. Le refus nazi de l'État traditionnel et de l'administration, au profit de la force des travailleurs unis par la race, serait semblable au refus des règles au profit d'employés libres d'adopter n'importe quel moyen pour atteindre leur objectif au bureau. En parallèle, on voit le quotidien d'une cadre dans une grande entreprise qui passe son temps à lui parler du bonheur au travail tout en la broyant dans la machine.
Éditeur: Casterman

samedi 5 juillet 2025

La gamelle de juin 2025

Comme d'habitude, retour sur les activités culturelles du mois écoulé. 😊

Sur petit écran

Shanghai Kid de Tom Dey (2000)

 

Le scénario de ce western avec des arts martiaux est bien balisé et classique, mais l'ensemble offre un divertissement très efficace. On n'est quand même pas sur la réussite absolue d'un Pirate des Caraïbes, ok, mais c'est très drôle, bien emmené, bien monté, bien mis en musique, bien fait. Jackie Chan se bat avec joie et est très drôle; Owen Wilson a un rôle sur mesure de beau gosse à la fois imbu de lui-même et complètement à côté de la plaque. Comme je comprends que j'aie été folle amoureuse de lui quand j'avais quinze-seize ans... 😊

Évolution d'Ivan Reitman (2001)

Ici aussi, une vraie pépite de divertissement, mais science-fictif cette fois. J'adore encore ce film comme au premier jour, c'est fou! Les effets spéciaux vieillissent très bien, l'histoire est sympa et cohérente, les acteurs sont super. J'ai un peu de mal à croire que j'aie été amoureuse de Sean William Scott quand j'avais quinze-seize ans, mais c'est vrai que la scène du micro est la meilleure de tout le film. 🤩 Aujourd'hui, toutefois, je suis plus sensible au charme ravageur d'un David Duchovny tout en finesse... 

Sur grand écran

Le Seigneur des Anneaux – La Communauté de l'Anneau de Peter Jackson (2001)

Quel film! Mais quel film! Et quel plaisir de le revoir sur grand écran, et en version longue qui plus est! Je suis joie, je suis bonheur! 🤩🤩🤩 Et comme je comprends que j'aie été folle amoureuse de Legolas quand j'avais seize ans...

Skyfall de Sam Mendes (2012)

J'avais envie de revoir ce film en partie pour la musique, en partie pour l'Écosse et en partie, surtout, pour Judy Dench. J'ai un peu déchanté en trouvant le début relativement convenu, et en redécouvrant que le méchant est ici Javier Bardem, un acteur que je déteste – et qui joue par-dessus le marché un personnage que je déteste. Mais il y a du bon, tout de même, et j'ai été plus emballée par la fin, avec le discours de M et la partie en Écosse. Je veux y retourner!!!!

F1 de Joseph Kosinski (2025)

Des mâles en combinaison et des bagnoles pas belles filmées d'une manière qui n'a aucun intérêt. Et une bonne heure de valorisation de la triche, mesdames et messieurs! De la TRICHE!! Quel enfer! Mais quel enfer! J'ai agonisé durant toute la séance. Même Brad Pitt n'a rien pu sauver à mes yeux. Putain, pourquoi ils n'ont pas fait tourner ce film à Michael Bay, sérieux? Il aurait rendu ça canon, lui. Bon, au moins, j'ai trouvé Javier Bardem supportable... 😂 Et le truc cool avec ce réa, c'est qu'il met de nouveau en scène une histoire d'amour et d'attirance physique entre des adultes et pas des jeunots, comme dans Top Gun 2. Mais bon, après vérification, Brad Pitt et Kerry Condon ont plus de vingt ans d'écart...

Du côté des séries

Ça fait officiellement un an que je n'ai rien regardé du tout. J'ai terminé les épisodes de la série Dinosaures en mai 2024, puis j'ai regardé les bonus en juin. (Une heure cumulée, les bonus, à mon avis. Mais ça compte.) Je n'ai jamais trouvé l'énergie et la cérébralité nécessaires pour chroniquer cette série pourtant brillante, et je n'ai pas davantage d'énergie pour envisager d'en regarder une autre. Mais espérons, espérons.

Et le reste

J'ai lu Le Monde Diplomatique de juin. Ils sont mignons, à critiquer les influenceurs; on dirait qu'ils découvrent le XXIe siècle. 🥹 Puis, comme d'habitude, j'ai lu mon Cheval Magazine. Jean-Louis Gouraud était vent debout contre les animalistes... 😜😜😜

lundi 30 juin 2025

La Petite Roque (1886)

Les lecteurs réguliers de ce blog le savent, je suis une grande amatrice de Guy de Maupassant, que je lis toujours avec le même plaisir et le même émerveillement. Ce nouveau recueil, paru la même année que Toine, a confirmé, pour la trente-six millième fois, combien j'aime cet auteur et combien je le trouve uniformément bon.

Ce volume regroupe dix nouvelles, toutes issues de sa veine réaliste. La femme, l'adultère et le sexe y sont un peu moins prégnants que dans les deux derniers recueils que j'ai lu.

La petite Roque: on démarre fort avec le viol et le meurtre d'une enfant de douze ou treize ans, la petite Roque qui donne son nom au texte et au recueil. Horrible, évidemment. Bien que réaliste, il s'agit presque d'une histoire de hantise.

L'épave: changement complet de décor ici, puisque l'histoire se passe à bord de l'épave d'un navire échoué au large de la Vendée. L'histoire est assez simple; c'est vraiment le lieu qui fait le charme du texte.

L'ermite: une histoire très gloups-gloups, qui m'a rappelé le film Old Boy.

Mademoiselle Perle: un très beau texte sur un amour impossible, avec des personnages foncièrement gentils et un passage presque surnaturel où l'on entend un chien hurler pendant une nuit enneigée. Je me suis souvenue l'avoir lu lors de ma toute première rencontre avec Maupassant, au collège. Je l'ai lu, cette fois, le jour où j'ai réservé ma nouvelle voiture.

Rosalie Prudent: le témoignagne affreux d'une femme jugée pour infanticide. Ça fait froid dans le dos et me semble confirmer que Maupassant avait bien compris combien les femmes partaient perdantes dans sa société.

Sur les chats: un texte contrasté, qui commence par une scène d'une cruauté épouvantable et se termine par une nuit nettement plus sympathique. C'est peut-être un peu paresseux pour le génie de Maupassant, d'autant qu'il y cite deux fois des vers de Beaudelaire, ce qui fait pas mal pour un texte de seulement sept pages. Il me semble qu'il a écrit un autre texte du même genre, mais qui pousse plus loin l'élément de la visite nocturne d'un chat. Mais enfin, c'est quand même très bien, vu qu'on y parle de chats. 😼😼

Madame Parisse: ah, là, on retrouve la femme aimée et l'adultère, une constante chez Maupassant. C'est un texte assez rigolo, somme toute.

Julie Romain: un texte nettement plus triste, où le narrateur raconte sa rencontre avec une actrice autrefois célèbre, qui vit à présent seule et recluse. Le temps qui passe, mes amis, le temps qui passe... 💔

Le père Amable: l'histoire d'un paysan radin et méfiant, furieux de voir son fils se marier avec une femme qui a eu un enfant hors mariage. Je sentais venir la catastrophe, bien sûr, mais la catastrophe finale n'a pas été celle que j'imaginais. Merci, Guy, pour cette dernière phrase qui clot le recueil sur une petite note bien sombre et un peu dégueu. 😅😅

Et voilà. Du grand art, comme d'habitude. Maupassant était un génie.

Le petit truc en plus que je ne veux pas oublier: cette édition du livre de poche, qui semble dater de 1968, m'a coûté 90 centimes en bouquinerie et a visiblement appartenu à quelqu'un qui l'a utilisé comme support d'étude, car il y avait quelques pages annotées. C'était très mignon.

mercredi 25 juin 2025

Du thé pour les fantômes (2023) 🍵

Du thé? Des fantômes? Avec un titre pareil, ce roman de Chris Vuklisevic a attiré mon attention dès que je l'ai vu passer dans les chroniques des amis. Et qu'est-ce que j'ai bien fait de le lire! J'ai tout simplement adoré.

L'histoire est celle de deux sœurs, Agonie et Félicité. Elles ne se sont pas vues depuis trente longues années, mais, lorsque leur mère meurt, Félicité prévient Agonie (en utilisant pour cela des feuilles de thé dans une tasse!!!) et Agonie revient sur les lieux de leur enfance, dans les montagnes aux alentours de Nice. Avec Félicité qui voit les fantômes et utilise des thés aux propriétés presque magiques, et Agonie qui fait naître des phalènes dès qu'elle ouvre la bouche et pousser des fleurs carnivores dès qu'elle crache par terre, on se doute que l'enquête sur le passé de leur mère va sortir de l'ordinaire.

J'ai deux petites réserves à faire à ce roman. D'une part, le fait que l'histoire soit racontée par un narrateur tiers, qui la tient lui-même des deux sœurs, ne m'a pas semblé apporter un plus; ça fait un petit effet "approchez-vous et écoutez-moi", ok, mais cela ne m'a pas semblé vital. D'autre part, la résolution de l'intrigue comporte un élément qui ne m'emballe pas ([divulgâcheur]: en gros, la mère horrible a elle-même eu une enfance horrible, ce qui ne me semble que "renvoyer le problème dans le passé" [fin du divulgâcheur]).

Mais bon, à part ces deux bémols, qui relèvent de préférences à moi et non d'un manque de maîtrise de l'autrice, ce roman est excellent, et allie une solidité et une complexité d'intrigue de haut vol – dans lesquelles le moindre détail compte, c'est bonnement hallucinant – à un univers magique absolument délicieux (le thé!! la notion de "théières sauvages"!! C'est comme l'écharpe dans La Passe-Miroir!!) et à une langue extrêmement soignée et bien choisie. Trois atouts de taille qui rendent la lecture addictive. En plus, l'histoire est pleine d'humanité et bizarrement réconfortante, bien qu'on y parle essentiellement d'une famille tragique.

Franchement, chapeau à Chris Vuklisevic pour avoir créé quelque chose d'aussi fin et frais dans son originalité. Ces personnages et ces pouvoirs ne ressemblent à rien de ce que j'ai pu lire ailleurs, et, même si j'ai lu l'ensemble avec entrain, heureuse de replonger dedans pour retrouver les personnages et curieuse de connaître la fin, j'ai un peu regretté d'arriver au bout du voyage, car j'aurais bien aimé rester là plus longtemps. Même le fait que ça se passe à Nice, sur une côte méditerranéenne qui, en soi, ne m'envoie pas du tout du rêve, est ici un plus à la fois charmant, drôle et plaisamment mystérieux, voire légèrement inquiétant. (Un peu comme Timothée Rey qui fait de l'horreur lovecraftienne en Savoie dans La providence du reclus, ou Carlos Ruiz Zafon qui noie Barcelone sous la brume dans L'Ombre du vent: soudain, les lieux ne sont plus du tout les mêmes.)

La couverture, réalisée par Cécilia Leroux, prend tout son sens au fur et à mesure qu'on y reconnaît des éléments du livre, ce qui ajoute au plaisir.

Je finirai par citer l'excellent Baroona, qui évoque dans son article "un sublime passage à deux voix, aussi réussi sur le fond que sur la forme, qui dit parfaitement les rancoeurs et les points de vue différents que deux personnes peuvent acquérir, sans que l'une ait plus raison que l'autre. C'est un point de bascule pour moi mais ce n'est pas une rupture, c'est seulement l'aboutissement - le premier aboutissement - d'une grande maitrise de la part de Chris Vuklisevic dans sa construction du récit." Moi aussi, ce passage m'a marquée! Je l'ai lu d'un souffle.

Bon, évidemment, je suis un peu jalouse de Chris Vuklisevic. Car notre âge et, de ce que j'en vois, certains de nos intérêts nous rapprochent, mais qu'elle est, comme Samantha Bailly et Louise Le Bars, de celles qui ont réussi, qui ont vu un autre monde et qui ont écrit cet autre monde – et avec talent. Moi, je suis là comme une bouffonne avec ma phrase de fiction du matin et ma phrase de fiction du soir qui ne vont nulle part, et c'est comme imaginer une fourmi qui croirait qu'elle pourra, à force d'abdos, devenir un tyrannosaure. Mais bon, comme je dis tout le temps, c'était encore pire quand je n'écrivais même pas une phrase...

Allez donc voir ailleurs si ces fantômes y sont!
L'avis de Baroona
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L'avis de Shaya
L'avis de Vert

vendredi 20 juin 2025

The Hammer of God (1993)

Aujourd'hui, on décolle avec Arthur C. Clarke!! 🤩🤩🤩🚀🚀🚀

Après un long voyage, le capitaine Robert Singh et son vaisseau, le Goliath, arrivent à destination. Face à eux, Kali, un astéroïde. Un astéroïde qui doit son nom à la déesse de l'hindouisme, celle qui porte une ceinture de crânes. Car cet astéroïde fonce droit vers la terre, et, si rien n'est fait, l'humanité est très, très mal barrée.

La mission du Goliath: dévier Kali de sa trajectoire actuelle.

Le roman s'articule en sept parties. L'action principale se situe en 2109, mais au moins la moitié des chapitres se situent avant, ce qui permet de reconstituer la vie de Robert Singh depuis sa participation au tout premier marathon sur la Lune. Le tout premier marathon sur la Lune, vous imaginez!! Dingo!! On assiste aussi à la mise en place de SPACEGUARD, un système de détection des corps célestes baptisé "en référence à un obscur roman" (figurez-vous que Clarke s'auto-référence en parlant de Rendez-vous avec Rama, excusez du peu 🤣🤣🤣), et on voit toute l'évolution de la société mondiale, notamment avec l'apparition du chrislam, puis la détection de Kali et le lancement de la mission du Goliath.

Nombre de ces chapitres mettant en scène des personnages qu'on ne retrouve pas plus tard, j'ai eu un peu de mal à tous les cerner, mais Arthur C. Clarke a un vrai talent pour leur donner vie en quelques pages et les caractériser. Mon problème est surtout que je n'ai aucune mémoire des prénoms, alors je passe mon temps à me dire "mais je l'ai déjà vu, lui, ou non?".

Sinon, tout est passionnant, comme d'habitude. L'humanité a mis en place un gouvernement mondial unique, il n'y a plus de guerres, et elle a colonisé la Lune et Mars (et dans ce dernier cas, elle a même commencé la terraformation). Il y a plein d'explications scientifiques rationnelles distillées avec simplicité. De l'humour. Et un suspense très sympathique, même si, connaissant Clarke, j'étais confiante quant au fait que ça ne finirait pas trop mal. (Ai-je eu raison? À vous de lire le roman pour le savoir.)

Le ton est donné dès la première page:

"All the events set in the past happened at the times and places stated; all those set in the future are possible.
And one is certain.
Sooner or later, we will meet Kali."
Tenez-vous-le pour dit. 👀

Bon, évidemment, une histoire d'astéroïde tueur, ça fait tout de suite penser à Armageddon, et [divulgâcheur] figurez-vous que l'option de la bombe atomique est bel et bien tentée dans ce roman, dans l'idée de péter l'astéroïde en deux, sauf que ça ne va pas se passer comme prévu 🤣🤣🤣 [fin du divulgâcheur]. Je ne saurais dire si le film est inspiré du roman, mais enfin c'est rigolo, quand même, surtout que le roman est sorti seulement quelques années plus tôt. En revanche, ce roman a bel et bien, quoique temporairement, inspiré le film Deep Impact: d'après Wikipédia, le film est devenu tellement différent du roman que le roman n'est même pas crédité dans le film. Lol. 

Comme toujours, ce bouquin est un régal jusque dans les remerciements.

Bref, je conclurai comme d'habitude, en disant que Clarke était un génie. Lisez Clarke!

dimanche 15 juin 2025

The Galaxy, and the Ground Within (2021)

Retrouver Becky Chambers est toujours un plaisir pour moi, et ce roman, le quatrième de la série des Wayfarers, n'a pas fait exception! 😊😊

Au début, comme dans les romans précédents, j'ai eu un peu de mal à identifier les espèces extraterrestres en présence et à associer un prénom de personnage à une espèce donnée, mais Internet m'a été d'une grande aide. Merci aux amateurs qui dessinent les personnages de Becky Chambers, hihi! Et ce petit temps d'ajustement ne m'empêche pas de profiter de l'histoire.

Nous rencontrons cette fois cinq personnes réunies par un problème technique. Ouloo est une Laru qui tient une sorte de petit hôtel sur une minuscule planète, en compagnie de son enfant Tupo. Au début du roman, elle reçoit trois clients: une Aeluon (la seule espèce dont je me souviens d'un roman à l'autre 🤣), une Akarak et un Quelin. Malheureusement, ces clients ne vont pas pouvoir repartir comme prévu, car toute circulation est brusquement interrompue.

Comme d'habitude chez Becky Chambers, il n'y a pas énormément d'action là-dedans, mais on apprend à connaître des personnages qui ont des manières de penser et de faire très différentes, en raison tant de leurs physiques que de leurs cultures. Par exemple, les Aeluon s'expriment grâce à la couleur de leur peau, donc tout élément coloré dans leur environnement leur semble signifier quelque chose. Les Akaraks, en revanche, se déplacent systématiquement avec une combinaison, car ils ne respirent pas la même atmosphère que la plupart des autres espèces sentientes. Ouloo, que j'ai imaginée comme une espèce de gros lama dégindandé, est une hôtesse extraordinaire, qui essaye de répondre aux besoins de tous et toutes.

Inévitablement, des tensions ressortent, mais, dans l'ensemble, c'est un séjour incroyablement agréable dans un microcosme où, en gros, tout le monde est sympa et respectueux de son prochain. Peu à peu, les personnages vont faire connaissance et s'ouvrir les uns aux autres, révélant leur passé ou les choix difficiles auxquels ils sont confrontés.

En bref: j'ai adoré, comme toujours. La seule chose qui m'étonne là-dedans, comme je l'ai évoqué dans ma chronique de A Prayer for the Crown-Shy, c'est qu'il n'y ait aucune mention du végétarisme, qui est à mes yeux la brique numéro un d'un monde plus juste (à moins que les innombrables plats évoqués ne soient censés se comprendre comme étant végétaux, mais ces noms fictifs me semblent relever des deux mondes). D'autant qu'il y a une scène très drôle où les personnages poussent de grands cris horrifiés en découvrant le concept du fromage humain. Un produit à base de lait, ça manque d'hygiène, mais tuer quelqu'un et consommer sa chair après la mort, ça passe? 🤔🤔

Il ne me reste plus grand-chose à lire de Becky Chambers: un roman écrit à huit mains avec Yoon Ha Lee, Rivers Solomon et S.L. Huan, ainsi que quelques nouvelles parues isolément qui ne semblent pas avoir été reprises en recueil. Je suis un peu tristesse.

mardi 10 juin 2025

Elle et Lui (1859)

Un jour de mai, je passe chez Gibert pour racheter les deux tomes de La Force des choses de Simone de Beauvoir en neuf, car je désespère de les trouver assortis l'un à l'autre en occasion (et que posséder les deux tomes d'un même ouvrage dans deux éditions différentes, ça me crispe). Au moment de payer, le jeune homme de la caisse fait ma journée: il m'annonce que Folio propose actuellement une opération commerciale "un Folio offert pour deux achetés". Et parmi les trois livres proposés, je vois George Sand. Je choisis donc sans hésiter, car je viens tout récemment de lire – et d'apprécier grandement – La Mare au Diable. Je sors de Gibert dans un état d'euphorie assez plaisant. Deux Beauvoir achetés, un Sand offert! 🤩🤩

Bon, j'ai fini par déchanter, mais ce cadeau inattendu est vraiment un bon souvenir.

Dans Elle et Lui, George Sand met en scène deux peintres, Thérèse et Laurent, qui se rencontrent à Paris. Ils se fréquentent d'abord amicalement, puis Laurent commence à tourner autour de Thérèse, qui finit par céder à ses avances, car elle l'aime énormément. Mais après leur départ de Paris, tout dégénère: Laurent a une hallucination, puis est rattrapé par son sale caractère en Italie, puis quitte Thérèse, puis tombe malade, puis se repent de son comportement abject, puis...

Bon, en bref, ce roman est une longue description d'un phénomène de masculinité toxique: un gars qui ne sait pas ce qu'il veut, ou bien qui veut surtout ce qu'il n'a pas, en tout cas qui veut Thérèse de temps à autre mais la massacre verbalement entre deux crises d'adoration, et qui alterne entre gentillesse-travail-génie et caractère de merde-paresse-tromperie. Le fait qu'il ne contrôle pas du tout son humeur, et qu'il ait ces espèces de crises cérébrales incontrôlables que le XIXe aimait quand même pas mal, m'a laissée supposer qu'on le diagnostiquerait aujourd'hui comme un bipolaire ou un schizophrène sévère. Mais bon. Ça n'excuse pas.

En face, Thérèse, animée d'un amour quasi-maternel, lui pardonne à peu près tout. Elle cherche plusieurs fois à se protéger, mais elle lui tient la main à peu près jusqu'au bout. Elle est autant animée par un amour sincère que par la responsabilité qu'elle ressent d'aider Laurent à exploiter son talent – et même son génie.

Bon. Vous voyez. Le génie torturé qui se fait les nerfs sur sa femme, et ladite femme qui subit et se dévoue. Et ça se désole de page en page. C'est bien pire que les deux personnages du Blé en Herbe de Colette...

Ce qui est très déprimant là-dedans, c'est que cette histoire est en fait inspirée de la réalité! Et plus précisément de la relation de George Sand et d'Alfred de Musset. Eux aussi, ils se sont aimés, puis se sont déchirés en Italie, puis se sont remis ensemble à Paris, puis se sont déchirés de nouveau. Ici, on a le récit de George Sand, et on peut donc supposer qu'elle a présenté certaines choses à son avantage. Thérèse est d'ailleurs une vraie sainte, et on peut douter qu'une personne réelle soit aussi douce et altruiste.

Mais on peut vérifier l'autre son de cloches, si on le souhaite... Car bien avant tout ça, en 1836, Alfred de Musset avait déjà mis en scène sa relation avec George Sand!!! C'est de ça que parle La Confession d'un enfant du siècle, en fait!!! Nan mais mon cerveau a explosé!!! Un couple qui se sépare... le gars en fait un roman... vingt ans plus tard, la fille en fait un roman à son tour...

Et là, le roman de George Sand soulève un tollé lors de sa parution!! D'après le dossier sur sa réception critique, le frère d'Alfred de Musset, Paul, a très vite sorti un roman intitulé Lui et elle, dans lequel c'est le personnage féminin qui est odieux avec le personnage masculin. Puis une certaine Louise Collet, ex-maîtresse d'Alfred de Musset, a sorti un roman intitulé Lui... 👀👀👀

Voilà qui fait relativiser certains réglements de compte publics de notre époque. 🤣🤣🤣

Et sinon: oui, hélas, bien que les deux personnages m'aient grave saoulée à se torturer comme ils le font, je suis très curieuse de lire La Confession d'un enfant du siècle pour avoir l'avis de l'autre partie. Il est peu probable que je franchisse vraiment le pas, mais je suis curieuse.