samedi 28 octobre 2017

Le Journal d'Hélène Berr (2008)

Difficile de parler du Journal d'Hélène Berr, que j'ai lu avant de partir en long week-end et de changer complètement d'air. Cette lecture s'est révélée brillante, pleine de sensibilité, d'une lucidité absolue, profondément humaine et très littéraire. Je la recommande chaudement et pense même qu'elle est supérieure au Journal d'Anne Frank car l'auteure était plus âgée au moment de la rédaction et m'a semblé faire preuve d'une plus grande maturité.


Qui était Hélène Berr?
Hélène Berr était une Parisienne juive (ou bien une Juive parisienne selon comment on voit les choses) qui a commencé, en avril 1942, à l'âge de 21 ans, à tenir un journal intime. Elle était étudiante en lettres et vivait avec ses parents. Elle a été déportée en 1944 et est morte en 1945 à Bergen-Belsen.

De quoi parle son Journal?
De sa vie quotidienne, de sa famille, de ses sorties et de ses études, puis, de plus en plus, des privations et des horreurs subies par la communauté juive de Paris. Le témoignage est remarquable parce qu'Hélène Berr avait une conscience aigüe des injustices subies et de l'étendue de la souffrance autour d'elle, même si ses proches n'ont pas été touchés tout de suite. On se demande vraiment, en la lisant, comment on peut encore se demander "si les gens savaient"; certes, elle ne parle pas de zyklon B, mais les Juifs qui n'avaient pas encore été arrêtés étaient pleinement conscients des terribles conditions de leur captivité et de la déportation (en wagons à bestiaux, avec trois seaux pour les besoins intestinaux de soixante personnes). Énormément d'informations ont par exemple circulé sur la rafle du Vélodrome d'Hiver et sur le camp de Drancy, où le père d'Hélène Berr a d'ailleurs été interné plusieurs mois.

En quoi est-il remarquable?
Parce qu'il est superbement bien écrit, avec un contraste douloureux entre la plume très fine d'Hélène Berr, ses ambitions de jeune femme, ses études littéraires qui lui laissent entrevoir des possibilités de réflexion formidables et la réalité, les enfants juifs à cacher, l'humiliation quotidienne de l'étoile jaune et des places réservées dans les transport, la peur permanente pour tous ceux qu'elle aime.
Je copie ici une citation très marquante et d'une justesse poignante:
"C’est le premier jour où je me sente réellement en vacances. Il fait un temps radieux, très frais après l’orage d’hier. Les oiseaux pépient, un matin comme celui de Paul Valéry. Le premier jour aussi où je vais porter l’étoile jaune. Ce sont les deux aspects de la vie actuelle : la fraîcheur, la beauté, la jeunesse de la vie, incarnée par cette matinée limpide ; la barbarie et le mal, représentés par cette étoile jaune."
Par ailleurs, j'ai aussi été marquée par certains passages plus personnels, notamment par celui sur la mort de sa grand-mère, qui m'a fait pleurer et penser à ma propre grand-mère, à tel point que j'ai envisagé d'aller au cimetière – chose qui ne m'était jamais passée par la tête jusque là...

Y-a-t-il des réserves?
Ma seule réserve concerne la difficulté de se repérer dans les personnes citées. Forcément, quand on écrit un journal intime, on peut utiliser des surnoms et des initiales, mais le lecteur ne connaissant pas la famille et les amis d'Hélène Berr a un peu de mal à situer tout le monde. Les notes de bas de page sont d'ailleurs très étranges, fournissant parfois des informations inutiles mais oubliant totalement d'expliciter certaines identités...
Par ailleurs, la préface de Patrick Modiano ne sert à rien et la postface "Une vie confisquée" de Mariette Job n'est pas très limpide, mais ça Hélène Berr n'y est pour rien. 😉

Pourquoi ce livre?
Parce que j'ai visité le Mémorial de la Shoah à Paris en novembre 2009 et qu'il y avait une vitrine ou un poster sur Hélène Berr. Le livre a passé huit longues années dans ma liste d'envies Amazon avant que je ne le trouve d'occasion au camion-bouquinerie de Pornic en juillet 2017. Comme quoi il ne faut jamais désespérer. Quelle belle et triste rencontre après toutes ces années... 💗


Une autre citation que je ne veux pas oublier
"Sa mère et son père sont déportés, elle était en nourrice, on est venus l'arrêter! Elle a passé un mois au camp de Poitiers.
Les gendarmes qui ont obéi à des ordres leur enjoignant d'aller arrêter un bébé de 2 ans, en nourrice, pour l'interner. Mais c'est la preuve la plus navrante de l'état d'abrutissement, de la perte totale de conscience morale où nous sommes tombés. C'est cela qui est désespérant."

6 commentaires:

  1. Bigre quelle lecture !
    C'est triste ces vies coupées dans leur élan. Qui sait ce qu'elle serait devenue si elle avait survécu.

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    1. Oui, elle donne vraiment l'impression d'avoir eu une brillante carrière académique devant elle. Elle a même déposé un projet de thèse genre en 1943, tu imagines comment il fallait s'accrocher pour faire ça cette année-là quand on était juif! :( Et elle met beaucoup l'accent sur la peine qu'elle ressent pour toutes ces personnes arrêtées qu'elle connait et dont elle est progressivement séparé (et pour qui elle ressent une inquiétude folle).

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  2. Intéressant, je prends note d'y jeter un oeil un jour (mais pas en ce moment)

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    1. Oui hein :) Dans trois quatre ans ce sera mieux. Au-delà de la grossesse, je ne suis pas sure qu'on veuille trop réfléchir à ça quand on a un très jeune enfant. Voir le passage où elle parle d'un enfant de deux ans arrêté chez sa nourrice, ça te dresse les cheveux sur la tête de lire ça.

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  3. Je le note, c'est le genre de livre qu'il est important de lire. Bon je ne pense pas le lire trop rapidement parce qu'il y a des périodes où l'on a plus ou moins envie de lire ce genre de témoignages, mais je le mets dans ma liste de livres à lire.

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