Le métier de traducteur vous amène régulièrement à découvrir des tas de choses insoupçonnées et vous impose parfois de lire des choses improbables. Il y a fort longtemps, par exemple, j'avais partagé mes emprunts sur le thème de l'astrologie. Cette année, la même traduction qui m'a fait découvrir l'histoire des botanistes de Leningrad m'a motivée à emprunter le seul ouvrage de Carl Sagan disponible dans ma médiathèque. C'était ainsi parti pour 250 pages environ de considérations glaçantes sur les conséquences d'une guerre nucléaire.
Titre complet: Le froid et les ténèbres. Le monde après une guerre atomique. Le rapport de la Conférence sur les conséquences biologiques d'un conflit nucléaire
Auteurs: Paul R. Ehrlich, Carl Sagan, Donald Kennedy, Walter Orr Roberts
Préface: Lewis Thomas
Traduction: Danielle Pacanowski et Dominique Peters
La Conférence sur le monde après une guerre nucléaire s'est tenue à l'hôtel Sheraton de Washington D.C. le 31 octobre 1983 avec plus de 500 participants et cent journalistes. Le lendemain, elle a été suivie d'une liaison satellite avec un groupe de chercheurs soviétiques réunis à Moscou ayant travaillé sur le même sujet et ayant obtenu sensiblement les mêmes résultats. C'est quelque chose que tous les intervenants soulignent à de maintes reprises: ces résultats sont partagés par les Américains et les Soviétiques et font consensus parmi des centaines de scientifiques, un fait apparemment bien rare (lol). Ce sont des données précises issues de simulations plausibles, pas une déclaration sur la politique de tel pays. C'était plutôt encourageant de lire ça, de voir tant de gens déterminés à faire avancer les connaissances humaines et à mettre de côté leurs éventuelles peurs et rivalités pour sonner l'alarme. Les risques d'une guerre nucléaire avaient apparemment été largement sous-estimés jusque-là, mais on parle bel et bien de la disparition de notre civilisation, de l'humanité telle que nous la connaissons et même de la vie telle que nous la connaissons.
Les simulations reposent sur plusieurs scénarios différents que je n'ai pas retenus avec précision; tout dépend du nombre de bombes, de leur puissance et de leur nature (certaines bombes atomiques explosent au sol, d'autres en l'air), mais aussi de leurs cibles (on n'a pas le même résultat en lançant une bombe dans la toundra et dans une grande ville) et de la période de l'année (à cause de l'incidence sur les récoltes). Dans toutes les simulations, même une petite guerre nucléaire mobilisant une faible fraction de l'arsenal existant au début des années quatre-vingt a des conséquences catastrophiques, de l'ordre de 750 millions à un milliard de morts à cause du souffle des explosions.
Puis vient l'hiver nucléaire, provoqué notamment par les particules de suie dégagées par les incendies. Une ville bombardée par un engin nucléaire brûle pendant des jours ou des semaines et regorge de matériaux provoquant des fumées noires et toxiques qui bloquent les rayons du Soleil, obscurcissant les alentours et empoisonnant les éventuels survivants. Il faut s'attendre à ce qu'il fasse nuit à midi pendant de longues périodes. Les températures chuteraient de plusieurs dizaines de degrés par rapport à la normale, la photosynthèse prendrait fin, les végétaux (dont les cultures) mourraient, l'eau douce gèlerait sur plus d'un mètre dans une bonne partie de l'hémisphère nord. Les courants atmosphériques transporteraient rapidement les particules dans l'hémisphère sud également, qui serait donc touché même s'il ne participait pas à la guerre.
Les baisses de températures seraient moins marquées au niveau des mers à cause de l'inertie thermique des océans, mais la différence de température entre les océans relativement chauds et les continents froids provoquerait des oranges très violents le long des côtes, qui ne seraient donc pas habitables. Dans les océans comme sur terre, le manque de lumière détruirait la chaîne alimentaire en commençant par le phytoplanction.
Sur les continents, il faudrait aussi tenir compte des morts provoqués par les dégâts d'une bombe larguée sur les usines chimiques, voire une centrale nucléaire. Par ailleurs, il n'y aurait plus de structure sociale ou de soins médicaux. Un niveau d'irradiation donné ferait donc plus de dégâts sur notre santé qu'il ne le fait actuellement, quand les personnes exposées bénéficient d'une prise en charge spécifique.
Les bombes auraient aussi pour effet de réduire considérablement la couche d'ozone (à cause de l'augmentation d'un gaz que j'oublie) et les survivants seraient donc exposés à des taux d'ultraviolets plus forts que d'habitude; ils perdraient la vue, la cataracte détruite par ces rayons.
Les seuls organismes susceptibles de survivre avec une relative facilité dans cet environnement seraient les insectes, qui mangeraient les végétaux restants et transporteraient des maladies – encore un mauvais point pour nous.
Dans ce contexte, les survivants erreraient dans un monde dévasté, stérile et froid, sans plus aucun repère social et technologique – il faut imaginer la perte progressive de tout notre confort avec la désorganisation des États. (Très post-apo tout ça, Tigger Lilly.) Aujourd'hui, la notion d'hiver nucléaire est connue (même si j'ignorais les détails dont je vous ai fait part), mais ces recherches semblent avoir été les premières à en parler.
Pour la petite histoire, le sujet de l'augmentation du taux de CO2 dans l'atmosphère terrestre due aux activités humaines et de son effet sur le climat a été très rapidement abordé par un membre du public se demandant si cela pourrait compenser l'hiver nucléaire. C'était il y a trente ans et je crois qu'on en est au même stade aujourd'hui. 😕 (Et non, malheureusement, même cet effet de serre ne suffirait pas le moins du monde à compenser l'hiver nucléaire.) Toutefois, la présence des questions-réponses du public est une partie très intéressante: on voit certaines personnes demander plus de précisions sur un point, d'autres élargir vers d'autres recherches. J'aimerais beaucoup voir une vraie conférence scientifique un jour, même si je ne comprendrais pas grand-chose.
Bref bref, une lecture très anxiogène (d'autant plus qu'on se demande vraiment à quoi il sert que les scientifiques sonnent l'alarme si les politiques ne font rien derrière) mais aussi très intéressante. Je doute qu'elle me soit utile pour ma traduction (bien qu'il y ait un chapitre sur l'atome, mais mon auteure est une grande humaniste et s'attarde plutôt sur ce qui lui donne espoir que sur nos travers) mais je suis contente d'avoir trouvé cet ouvrage. Et bénies soient les médiathèques qui conservent ce genre de document antidéluvien en magasin. Je me demande depuis combien d'années il n'avait pas été emprunté. 😃😃
Les simulations reposent sur plusieurs scénarios différents que je n'ai pas retenus avec précision; tout dépend du nombre de bombes, de leur puissance et de leur nature (certaines bombes atomiques explosent au sol, d'autres en l'air), mais aussi de leurs cibles (on n'a pas le même résultat en lançant une bombe dans la toundra et dans une grande ville) et de la période de l'année (à cause de l'incidence sur les récoltes). Dans toutes les simulations, même une petite guerre nucléaire mobilisant une faible fraction de l'arsenal existant au début des années quatre-vingt a des conséquences catastrophiques, de l'ordre de 750 millions à un milliard de morts à cause du souffle des explosions.
Puis vient l'hiver nucléaire, provoqué notamment par les particules de suie dégagées par les incendies. Une ville bombardée par un engin nucléaire brûle pendant des jours ou des semaines et regorge de matériaux provoquant des fumées noires et toxiques qui bloquent les rayons du Soleil, obscurcissant les alentours et empoisonnant les éventuels survivants. Il faut s'attendre à ce qu'il fasse nuit à midi pendant de longues périodes. Les températures chuteraient de plusieurs dizaines de degrés par rapport à la normale, la photosynthèse prendrait fin, les végétaux (dont les cultures) mourraient, l'eau douce gèlerait sur plus d'un mètre dans une bonne partie de l'hémisphère nord. Les courants atmosphériques transporteraient rapidement les particules dans l'hémisphère sud également, qui serait donc touché même s'il ne participait pas à la guerre.
Les baisses de températures seraient moins marquées au niveau des mers à cause de l'inertie thermique des océans, mais la différence de température entre les océans relativement chauds et les continents froids provoquerait des oranges très violents le long des côtes, qui ne seraient donc pas habitables. Dans les océans comme sur terre, le manque de lumière détruirait la chaîne alimentaire en commençant par le phytoplanction.
Sur les continents, il faudrait aussi tenir compte des morts provoqués par les dégâts d'une bombe larguée sur les usines chimiques, voire une centrale nucléaire. Par ailleurs, il n'y aurait plus de structure sociale ou de soins médicaux. Un niveau d'irradiation donné ferait donc plus de dégâts sur notre santé qu'il ne le fait actuellement, quand les personnes exposées bénéficient d'une prise en charge spécifique.
Les bombes auraient aussi pour effet de réduire considérablement la couche d'ozone (à cause de l'augmentation d'un gaz que j'oublie) et les survivants seraient donc exposés à des taux d'ultraviolets plus forts que d'habitude; ils perdraient la vue, la cataracte détruite par ces rayons.
Les seuls organismes susceptibles de survivre avec une relative facilité dans cet environnement seraient les insectes, qui mangeraient les végétaux restants et transporteraient des maladies – encore un mauvais point pour nous.
Dans ce contexte, les survivants erreraient dans un monde dévasté, stérile et froid, sans plus aucun repère social et technologique – il faut imaginer la perte progressive de tout notre confort avec la désorganisation des États. (Très post-apo tout ça, Tigger Lilly.) Aujourd'hui, la notion d'hiver nucléaire est connue (même si j'ignorais les détails dont je vous ai fait part), mais ces recherches semblent avoir été les premières à en parler.
Pour la petite histoire, le sujet de l'augmentation du taux de CO2 dans l'atmosphère terrestre due aux activités humaines et de son effet sur le climat a été très rapidement abordé par un membre du public se demandant si cela pourrait compenser l'hiver nucléaire. C'était il y a trente ans et je crois qu'on en est au même stade aujourd'hui. 😕 (Et non, malheureusement, même cet effet de serre ne suffirait pas le moins du monde à compenser l'hiver nucléaire.) Toutefois, la présence des questions-réponses du public est une partie très intéressante: on voit certaines personnes demander plus de précisions sur un point, d'autres élargir vers d'autres recherches. J'aimerais beaucoup voir une vraie conférence scientifique un jour, même si je ne comprendrais pas grand-chose.
Bref bref, une lecture très anxiogène (d'autant plus qu'on se demande vraiment à quoi il sert que les scientifiques sonnent l'alarme si les politiques ne font rien derrière) mais aussi très intéressante. Je doute qu'elle me soit utile pour ma traduction (bien qu'il y ait un chapitre sur l'atome, mais mon auteure est une grande humaniste et s'attarde plutôt sur ce qui lui donne espoir que sur nos travers) mais je suis contente d'avoir trouvé cet ouvrage. Et bénies soient les médiathèques qui conservent ce genre de document antidéluvien en magasin. Je me demande depuis combien d'années il n'avait pas été emprunté. 😃😃
Tu m'étonnes que ce soit anxiogène quand tu vois les conséquences pour la planète et les humains.
RépondreSupprimerAutant dire que nous serions mal mal mal ^^
Ton travail de traductrice te conduit à lire des trucs pas mal intéressants quand même. J'imagine qu'il faut être passionnée pour s'enfiler des lectures un peu "plombantes" comme celle-ci :)
(pour les gaz, je crois qu'on a le méthane, le dioxyde de carbone et le protoxyde d'azote et sans doute d'autres...)
@Itenarasa: Oui c'était plombant mais aussi super intéressant! :) Et oui tu as raison de citer les gaz que tu cites, mais lequel en particulier est-il responsable de la destruction de la couche d'ozone? Il faudrait que j'aille voir dans le bouquin...
Supprimer@Ite: Après vérification, ce sont les oxydes d'azote (au pluriel). :) Je cite: "Les explosions nucléaires de plus d'une mégatonne produisent une boule de feu qui s'élève à travers la troposphère et pénètre dans la stratosphère [...]. Les boules de feu dont la puissance s'étend de 100 à 1000 kilotonnes (1000 kilotonnes = 1 mégatonne) ne s'élèveront que partiellement jusqu'à la stratosphère. La forte température de la boule de feu enflamme par réaction chimique une partie de l'azote de l'air, ce qui produit des oxydes d'azote qui à leur tour attaquent et détruisent chimiquement l'ozone de la stratosphère moyenne." Il explique ensuite que "la destruction partielle de la couche d'ozone stratosphérique [...] augmentera donc le flux de rayons ultraviolets solaires à la surface de la Terre".
SupprimerQue de courage d'avoir lu ça !! Pour le coup, ça me paraît intéressant mais beaucoup trop anxiogène.
RépondreSupprimer@Shaya: Héhé, oui, je ne recommande pas ça ne lecture loisirs ^^
SupprimerPassionnant ! Ces infos sont relativement passées dans l'inconscient collectif de nos jours et mises en scène dans les livres et films postapo (ex : la route, qui n'a pourtant pas été écrit par un écrivain de SF).
RépondreSupprimer@Tigger Lilly: Oui tout à fait, le terme "hiver nucléaire" est même couramment employé. C'est encourageant, ça veut dire que ces scientifiques se sont faits entendre!
SupprimerIntéressant... Et plombant !
RépondreSupprimerÇa ferait un joli cadeau de Noël ! XD
MDR. Je ne sais pas quel message percevrait le receveur en se retrouvant avec un truc pareil entre les mains.
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