mardi 12 mai 2020

The Worm Ouroboros (1922)

Lorsque Gorice XI, roi de Witchland, envoie un ambassadeur aux seigneurs de Demonland pour leur demander de reconnaître sa souveraineté, ces derniers n'apprécient guère et le défient à affronter leur champion Goldry Bluszco à mains nues. Si le roi l'emporte, Demonland se soumettra. Finalement, Goldry Bluszco tue le roi, mais le successeur de celui-ci, Gorice XII, ne lâche pas l'affaire et emploie sa magie pour faire naufrager la flotte de Demonland.

Tandis que Lord Juss, souverain de Demonland, et Brandoch Daha restent sur le continent au sud de Witchland, d'abord prisonniers de Gorice XII puis, après leur évasion, libres d'essayer d'escalader une immense montagne pour retrouver Goldry, Gorice organise l'invasion de Demonland, d'abord confiée à Corsus puis à Corinius, qui doivent faire face à Spitfire.


Ce résumé extrêmement succint ne rend pas du tout honneur à la densité de The Worm Ouroboros. E. R. Eddison a écrit une épopée assez incroyable. Ici, tout est plus grand que nature: les personnages, les batailles, la fourberie, le courage, les chaînes de montagne. On se croirait dans un récit aurthurien du XIIe siècle ou dans Le Seigneur des Anneaux si Tolkien avait été en roue libre. On a vraiment l'impression de voyager dans le temps avec ce récit, et ce d'autant plus qu'Eddison l'a rédigé dans un anglais très archaïque.

Ce qui m'amène à mon principal ressenti durant cette lecture: qu'est-ce que j'ai souffert, bordel! Qu'est-ce qui m'a pris de lire ça! Si j'avais su!! 😂 Si vous le lisez, choisissez la traduction de Patrick Marcel aux éditions Callidor!

Quand le souverain ayant accueilli sur ses terres le combat entre Gorice XI et Goldry Bluszco annonce que le différent entre Demonland et Witchland est réglé, voilà comment il s'exprime:
"A great champion hath been strook to earth this day in fair and equal combat. And according to the solemn oaths whereby ye are bound, and whereof I am the keeper, there is here an end to all unpeace betwixt Witchland and Demonland, and ye of Witchland are to forswear for ever your claims of lordship over the Demons. Now for a sealing and making fast of this solemn covenant between you I see no likelier rede than that ye all join with me here this day in good friendship to forget your quarrels in drinking of the arvale of King Gorice XI, than whom hath reigned none mightier nor more worshipful in all this world, and thereafter depart in peace to your native lands."
Et c'est comme ça tout le temps. Quand on lit des lettres, c'est même ENCORE PIRE.
"Renouned Kinge and moste highe Prince and Lorde, Goreiyse Twelft of Wychlonde and of Daemounlonde and of all kingdomes the sonne dothe spread his bemes over, Corsus your servaunte dothe prosterate miself befoare your Greateness, evene befoare the face of the erthe. The Goddes graunte unto you moste nowble Lorde helthe and continewance and saffetie meny yeres. After that I hadde receaved my dispache and leave fram your Majestie wherby you did of your Royall goodnes geave and graunt unto mee to be cheefe commaundere of al the warlyke foarces furneshed and sent by you into Daemonlond, hit may please your Majestic I did with haiste carry mine armie and all wepons municions vittualls and othere provicions accordingly toward those partes of Daemonlonde that lye coasted against the estern seas."
Vous ne serez peut-être pas étonnés d'apprendre que je suis revenue en arrière régulièrement, relisant des passages précis ou relisant en diagonale des chapitres entiers pour essayer de démêler tout ça – car non seulement j'avais un mal fou à comprendre, mais en plus Eddison n'utilise que des noms alambiqués difficiles à retenir et fait parfois disparaître ou réapparaître des personnages sans trop d'explications. Je me suis même demandé, vers la page 150, si je n'allais pas abandonner. Reconnaissance éternelle à Vert, camarade de lecture qui m'a grandement éclairée!

Heureusement, j'ai tenu le coup, et un dimanche particulièrement efficace m'a permis de passer la moitié du livre et de réellement m'engager dedans. Je me suis presque passionnée pour la guerre entre les deux royaumes, les relations tendues à la cour de Gorice, la résistance héroïque de Demonland, les retournements de situation au gré de batailles démesurées. Certains personnages sont marquants, comme Prezmyra, un des rares personnages féminins, Gro qui retourne constamment sa veste, Corinius qu'on adore détester. Et parfois, en outre, Eddison m'a transportée avec des phrases particulièrement réussies et puissantes. Ainsi de cette description de Carcë, la forteresse du roi Gorice:
"Dismal and fearsome to view was this strong place of Carcë, most like to the embodied soul of dreadful night brooding on the waters of that sluggish river: by day a shadow in broad sunshine, the likeness of pitiless violence sitting in the place of power, darkening the desolation of the mournful fen; by night, a blackness more black than night herself. "
Et puis la fin. LA FIN, mes petits. Je ne peux rien dire mais LA FIN, mes petits, LA FIN m'a retourné le cerveau et m'a limite fait serrer le livre contre mon coeur tellement elle ressemble à celle d'une autre oeuvre que j'adore.

Sur le long terme, que me restera-t-il de cette lecture? Une bataille contre une rédaction à la limite de l'insurmontable dans une langue qui n'est pas la vôtre, ou une épopée digne d'Homère et de Tolkien avec des chevaliers recouverts de sang? Les deux, probablement, le plaisir des gestes étant intimement lié à la manière dont ils sont décrits et dont les personnages s'expriment. Cet Ouroboros a bien failli m'achever, mais quel voyage extraordinaire!

Allez donc voir ailleurs si ce serpent y est!
L'avis de Lorhkan: première partie, deuxième partie
L'avis de Vert

12 commentaires:

  1. Quelle abnégation ! Ca fait presque mise en abyme de devoir livre bataille à un livre qui parle de batailles :p

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  2. Et ben, ça a l'air intéressant mais bien complexe à lire ! Tu te lances dans le tome 2 ?

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    1. @Shaya: Eh bien il n'y a pas de tome 2 en anglais :D C'est l'avantage, tu souffres qu'une fois. Plus sérieusement: c'est un roman unique, c'est Callidor qui l'a découpé en deux en France. Il n'est même pas divisé en deux parties en anglais, il y a juste un découpage en chapitres.

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  3. Hébé j'avoue que les extraits ne sont pas faciles à lire, tu as eu du courage de t'accrocher !
    C'est marrant que worm soit devenu serpent dans la VF. Le ver Ouroboros ça fait moins classe XD
    Je ne pense pas lire ce bouquin prochainement, mais quel teaser sur la fin !! :-O

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    1. @Ksidra: Je crois que "worm" signifie "ver", "serpent" ou "dragon" en vieil anglais, c'est absolument formidable. :D The Lair of the White Worm de Bram Stoker a été traduit par Le Repaire du ver blanc, par exemple.

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  4. J'allais faire la même remarque que Ksidra sur la traduction de "worm", c'est étonnant - mais sensé selon ce que tu dis. ^^
    C'est marrant comme ton résumé ne ressemble pas à celui de Vert, vous n'avez pas pris le même angle. C'est marrant aussi que vous ayez toutes deux dû batailler à la lecture, différemment, pour un résultat tout de même satisfaisant. C'est à la fois tentant et un peu effrayant. ^^

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    1. @Baroona: C'est toujours intéressant de voir les retours de chacun et ça l'est tout particulièrement quand on lit le bouquin en même temps. Tigger Lilly et moi avions également fait des billets très complémentaires pour notre dernier Zola, La joie de vivre, c'était amusant.

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  5. Je suis ravie d'avoir fait le voyage avec toi. C'était épique à tout point de vue et j'espère bien que dans quelques années je me rappellerai plus de l’esbroufe de Brandoch Daha que des subjonctifs imparfait ^^

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    1. @Vert: Non mais le subjonctif imparfait c'est la vie! Patrick Marcel a dû tellement s'amuser!! :D

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  6. Je n'ai finalement pas pu vous rejoindre, j'ai fait une pause après le tome 1 en français, j'avais d'autres trucs importants sur le feu.
    J'entame normalement le tome 2 bientôt, mais en tout cas ma relecture du tome 1 m'a confirmé que j'adore cette oeuvre, pas de raison que ce soit différent avec le tome 2.
    J'ai hâte. C'est démesuré, théâtral, très emphatique, j'adore ces personnages complètement over-the-top, pétris d'honneur jusqu'à la moelle, déclamant à tout va, etc... Je suis en transe quand je lis ce bouquin. :D

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    1. @Lorhkan: Je ne t'en ai jamais reparlé non plus, mea culpa! Hâte de voir ce que tu penses de la deuxième moitié! Et merci de m'avoir fait découvrir ce bouquin. Quelle odyssée!

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