vendredi 11 mars 2022

Factfulness (2018)

Hans Rosling était médecin, chercheur et conférencier. Selon la quatrième de couverture de cet ouvrage publié chez Flammarion, "avec plus de 35 millions de vues, ses conférences TED l’ont fait entrer dans le classement du magazine Time des 100 personnes les plus influentes du monde".

Dans Facfulness, Hans Rosling, assisté par Ola Rosling (son fils) et Anna Rosling Rönnlund (sa belle-fille), décrit dix instincts qui contrôlent nos pensées à notre insu, ont tendance à nous faire adopter une vision du monde déformée et nous empêchent de raisonner clairement ou de mettre à jour nos connaissances. Des biais, en gros.

Pour chacun de ces instincts, il se base sur une série de questions qu’il a posées à des tas de gens (14 000 au total, je crois) pour montrer à quel point les gens se trompent, puis il se base sur des faits, essentiellement des chiffres et des statistiques, pour expliquer comment les choses se passent réellement.

Exemple avec la première question:

Dans les pays à faible revenu, combien de petites filles finissent l’école primaire?
A. 20%
B. 40%
C. 60%

Je ne vous donne pas la bonne réponse, mais je peux vous dire que le pays qui a le mieux répondu est la Suède, avec………. 11% de bonnes réponses. La France et l’Espagne sont dernières, avec 4%.

Je ne sais plus ce que j’ai répondu à cette question en particulier, mais je sais que j’ai donné quatre bonnes réponses sur treize questions, dont trois bonnes sur les douze premières questions (la dernière est un peu à part, car tout le monde a juste à celle-là). Je fais donc moins bien que des chimpanzés qui répondraient au hasard et auraient, statistiquement, une chance sur trois de donner la bonne réponse. 🙈 Mais je fais mieux que de nombreux humains, ce qui a quelque chose de réconfortant.

Les dix instincts passés en revue sont les suivants:

l’instinct du fossé
l’instinct négatif
l’instinct de la ligne droite
l’instinct de la peur
l’instinct de la taille
l’instinct de la généralisation
l’instinct de la destinée
l’instinct de la perspective unique
l’instinct du blâme
l’instinct de l’urgence

Le premier est mon préféré: c’est notre tendance à catégoriser le monde en deux entités distinctes séparées par un gouffre infranchissable. Les riches et les pauvres, par exemple. Ou "nous" et "eux". C’est une vision binaire du monde. C’est tout ce que je reproche à Twitter. 😈 Pour s’en détacher, Hans Rosling recommande de toujours s’interroger sur les extrêmes (n’y a-t-il pas des niveaux intermédiaires? Quels sont-ils?) et applique ses propres dires en répartissant les pays du monde en quatre catégories de revenu: moins de deux dollars par jour, moins de huit dollars par jour, moins de trente-deux dollars par jour et plus de trente-deux dollars par jour, le tout à parité de pouvoir d’achat. Voilà qui nuance tout de suite la notion de "riches et pauvres" que nous avons bien en tête. Et la nuance est encore plus marquée quand il compare certains pays des catégories 1 à 3 au passé de pays de la catégorie 4. Exemple fictif, car je n’ai malheureusement pas noté la référence exacte: tel pays de niveau 2, disons un pays d’Afrique sub-saharienne, en est au niveau où en était la Suède en 1960. Tout à coup, ça a l’air d’un pays vachement moins arriéré aux yeux de votre dévouée blogueuse traînant une vision calamiteuse de l’Afrique subsaharienne.

L’instinct négatif est bien connu: c’est notre tendance à donner la priorité aux nouvelles négatives et à penser que tout va mal (et, corollaire, à penser que c’était mieux avant, une tendance que j’adore regarder chez les autres, car je n’en suis pas du tout atteinte). Il permet à Hans Rosling de faire une distinction certes évidente quand on y pense, mais néanmoins cruciale, entre "mal" et "mieux". Les choses peuvent aller mieux tout en continuant d’aller très mal. C’est d’ailleurs ce qu’il répète sans cesse à propos de ses statistiques: OUI, il reste trop d’êtres humains qui vivent dans la misère (un milliard de personnes au niveau 1), et c’est une mauvaise chose. Mais OUI, en même temps, les êtres humains qui vivent dans la misère sont beaucoup moins nombreux qu’il y a cinquante ou cent ans, et ça c’est vachement mieux. Les stats de l’ONU sont édifiantes quant aux progrès de l’humanité, c’est stupéfiant combien le monde a changé radicalement depuis le XIXe siècle. Et j’ai été stupéfiée alors que je suis super optimiste sur ce point, étant convaincue depuis des lustres que l’humanité est engagée sur un chemin certes très et trop long, mais néanmoins tourné vers le progrès.

Je ne vais pas aborder les dix instincts un par un, mais c’est vraiment passionnant à lire, et ça donne à réfléchir sur soi. L’instinct de la ligne droite, par exemple, je n’avais aucune idée de ce que c’était et je l’ai suivi comme une débile plus d’une fois dans ma vie. Dans d’autres cas, ça m’a donné des outils pour mieux exprimer certaines choses que j’ai toujours eu du mal à formuler.

Ce livre donne aussi à réfléchir sur combien certaines des données que nous croyons détenir sont dépassées. Sous certains aspects, ma vision du monde date des années soixante-dix, c’est consternant. Tous les pays évoluent rapidement, mais ceux des niveaux de revenu 1 à 3 évoluent beaucoup plus rapidement que ceux du niveau 4 et ça fait longtemps qu’ils n’abritent plus une masse uniforme de miséreux. Cela m’a d’ailleurs donné la migraine quand j’ai pensé à tous ces gens qui font progresser tout à fait légitimement leur niveau de vie et se dirigent vers une société aussi consumériste que celle des pays de niveau 4 – et comme personne ne change de mode de vie nulle part, nous serons de plus en plus de milliards à adopter un mode de vie insoutenable, c’est génial! Bon, je sais maintenant que cette vision est un mélange d’instinct négatif, d’instinct de la ligne droite et d’instinct de la peur, mais quand même, l’augmentation de la population mondiale devrait tous nous inciter à changer radicalement de mode de vie et à foutre la pression aux gouvernements en ce sens. Soutenez Greenpeace. 💪

Pour la petite blague, Hans Rosling recense cinq risques qu’il faut vraiment prendre au sérieux, même sans instinct négatif, et il y a dans la liste… une pandémie mondiale. Le livre est paru en 2018. Lol.

Toutes ces données sont distillées avec beaucoup de clarté, des exemples issus de l’expérience de l’auteur et un peu d’humour. Je ne sais pas du tout comment écrit Hans Rosling en anglais avec l’aide de son fils et sa belle-fille, mais en tout cas la traduction française de Pierre Vesperini se lit toute seule et allie précision et nuances, à l’image du propos de l’ouvrage.

Bref. Soutenez Greenpeace, je le répète. Et lisez Factfulness si vous voulez adopter une vision du monde basée sur les faits plutôt que pour les instincts. 😉

8 commentaires:

  1. Bon mon hypothèse sur la question sur les petites filles pauvres : je penche pour 60%. Car je pense qu'il cherche à montrer un biais cognitif qui tendraient les riches occidentaux que nous sommes à croire que forcément dans les pays pauvres l'éducation des petites est au plus bas. Sauf qu'en fait 60% c'est quand même pas dingue, je me dis qu'il est inutile de noircir le tableau.

    Ca a l'air génial. J'ai du coup cherché ce monsieur dans Google et commencé à regarder ceci : https://www.ted.com/talks/hans_rosling_the_best_stats_you_ve_ever_seen?language=fr et c'est génial, je me marre comment il commente l'évolution de la démographie et de l'espérence de vie comme un match de foot XD
    J'adore vraiment l'étude des biais cognitifs. J'ai un peu étudié ça à la fac en psycho sociale c'était passionnant. Y a une chaine YT qui décortiquait bien le sujet aussi mais ça fait longtemps qu'ils n'ont plus rien posté.
    Donc je te dis merci avant d'aller finir cette conf TED et d'aller rajouter ce livre (qui est sorti en FR pour celleux qui se poseraient la question).

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    1. @Tigger Lilly: Tu as tout compris aux questions. ^^ En gros, il fait toujours choisir la plus positive pour avoir bon. En simplifiant, on a tendance à croire que tous les pays non occidentaux sont l'Afghanistan des talibans ou le Sahel en pleine famine. Alors que non...
      Ahah géniale, la vidéo! Merci! Je voulais regarder quelque chose de lui, justement, et j'ai laissé passer le temps sans agir. C'est trop marrant. Tu as vu, il a parlé des chimpanzés, là aussi.
      Je l'ai lu en français et je peux te le prêter 😃

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    2. Je le lis le mois prochain ^^

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    3. @Tigger Lilly: Yeeeaaaah! Bon j'espère que tu ne seras pas déçue... ^^

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  2. Il manque un "D : Je ne sais pas". Parce que c'est important de savoir qu'on ne sait pas. L'obligation de savoir et de répondre, c'est presque un biais ça, non ? =P
    Mauvais esprit mis à part, ça a l'air très sympa. C'est toujours bon de se questionner sur les biais, les systèmes de pensée et plus généralement d'essayer de réfléchir de manière construite. Tu me donnes envie d'y jeter un oeil tiens.

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    1. @Baroona: Bien vu :D J'aurais eu bon à toutes les réponses, du coup!
      J'ai pensé à toi en le lisant car ça met de la nuance dans les choses. Je suis sûre que tu apprécierais. D'ailleurs, si tu étais du genre à révéler ton adresse, je te proposerais de te l'offrir. ^^

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  3. Ca a l'air super intéressant, je note, merci !

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    1. @Shaya: Il est parti chez Tigger Lilly, mais un prêt sera tout à fait possible par la suite!

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