Il y a fort longtemps, quand j'étais au collège, j'ai lu Le K de Dino Buzzati, vraisemblablement dans la traduction de Jacqueline Remillet pour Pocket. Depuis, j'ai toujours eu l'idée de le relire en italien, parce que bon, quand même. C'est enfin chose faite, et même pas vingt-cinq ans plus tard!
Il Colombre e altri cinquanta racconti est un recueil de nouvelles, dont la plus célèbre est la première, qui lui donne son nom. C'est l'histoire d'un marin pourchassé toute sa vie durant par un terrible requin, le colombre. "Colombre" n'est pas un mot italien, c'est le nom précis de ce requin-là. (Et le fait que ça a ait été rendu par "le K" en français n'est pas du tout idiot, contrairement à ce qu'on pourrait penser – même si je suis sourciste et que je l'aurais, BIEN ENTENDU, appelé "colombre" en français aussi.) C'est une excellente entrée en matière: un texte futé, intéressant, qui laisse un goût amer en bouche et qui exprime sans doute quelque chose sur la futilité de l'existence humaine, de même que le roman le plus connu de l'auteur, Le Désert des Tartares.
Étant donné que je manque de temps pour revenir sur les textes, ne serait-ce que ceux que j'ai le plus aimés, je vais résumer ce recueil en évoquant quatre axes.
L'empathie. Buzzati est extrêmement fort pour vous faire ressentir ce que ressentent ses personnages et vous causer un chagrin terrible face à leurs souffrances. Le cas d'école, le chef d'œuvre, c'est "Povero bambino" / "Pauvre petit garçon", qui m'a énormément marquée quand j'étais adolescente. Mais ce n'est pas le seul. "Viaggio agli inferni del secolo" est aussi bien gratinée sur ce point, avec ses multiples enfers tous plus affreux les uns que les autres dans lesquels le pauvre humain est broyé lentement.
L'humour. Bien qu'il sache nous serrer le cœur, Buzzati est aussi très drôle. Il y a plusieurs fois la figure d'un journaliste aux prises avec un travail ou une direction pas faciles ou la stratégie hilarante de Dieu dans "La lezione del 1980" (comment faire rentrer l'humanité dans le droit chemin une bonne fois pour toutes 🤣).
L'étrange / le fantastique. Il y a plein de choses pas franchement normales dans ce recueil: une voiture qui se conduit toute seule, des bosses qui apparaissent toutes seules dans un jardin, une tour Eiffel qui n'en finit pas de grandir, des filles qui tombent du dernier étage pendant un temps extraordinairement long, des chiens qui ressemblent étrangement à des humains (coucou Circé ^^). Un surnaturel discret, qui met juste ce qu'il faut d'étrange dans la normalité pour nous intriguer et nous amuser – et nous parler d'autant mieux de l'humanité, ses travers, ses espoirs, et l'inutilité totale de son combat.
La futilité vs la valeur intrinsèque. Globalement, on pourrait dire que ces textes sont plutôt décourageants, car on peut facilement en faire une lecture montrant combien l'humain s'attache à des choses inutiles, qui ne font pas le poids face au temps qui passe, à la vieillesse et à la mort. Et pourtant, ce n'est pas vrai, car il s'en dégage quelque chose de très humain, justement, quelque chose qui a de la valeur en soi et a le mérite d'exister même si, un jour, il n'en restera rien.
Enfin, je tiens à noter, en vue de m'en souvenir, que ce recueil des années soixante fleure bon la Guerre froide et décrit une Milan en plein miracle économique, ce qui fait franchement plaisir. Même si Buzzati dénonce une urbanisation effrénée et la froideur d'une ville où tout le monde est seul, il est tellement rare d'entendre un Italien dire autre chose que "l'Italie fait partie du tiers-monde" que j'ai été très heureuse. 😊
Voilà, une relecture extrêmement agréable, un excellent bouquin et un auteur que je continuerai sans aucun doute à lire – idéalement sans attendre quasiment vingt-cinq ans!
Allez donc voir ailleurs si ce K y est!
L'avis de Shaya
L'avis de Tigger Lilly
L'avis de Vert
Je n'aurais jamais pu deviner que "Il Colombre" correspondait à "Le K", le titre français paraît si spécifique. =O
RépondreSupprimerComme à chaque fois que je vois quelqu'un parler de Dino Buzzati, ça me rappelle que j'ai "Le Désert des Tartares" quelque part en PàL. Mais j'ai déjà lu ce recueil, c'est déjà ça, même s'il n'y a pas grand chose qui m'évoque des souvenirs, hormis les filles qui tombent de l'immeuble et surtout "Pauvre petit garçon" (si c'est bien avec H ?).
@Baroona: Ouais, ce titre est impossible à deviner, c'est dingue! Il serait intéressant de faire une étude comparative sur les adaptations dans différentes langues.
SupprimerOui, tu as bien repéré de quel texte je parle. Il est inoubliable, j'imagine.
J'ai Le Désert des tartares sur ma liste à lire depuis des lunes... Je passerai peut-être à l'action dans les prochains mois (mais ce sera en VF pour moi! ;) )
RépondreSupprimer@Grominou: Trop cool! J'espère que tu apprécieras et que ça me motivera pour le relire!
SupprimerMoi non plus je n'aurais pas deviné en cliquant sur ce titre en Italien arriver sur une chronique du K. Un livre que j'ai lu 2 fois et que j'ai beaucoup aimé les 2 fois, et en tu me donnes envie de le relire une troisième. La nouvelle Le petit garçon est très marquante. On l'avait étudiée en classe de Français et c'est pour cette raison que j'avais lu par la suite le recueil complet et Le désert des tartares aussi, que j'ai lu fort jeune et que j'ai adoré. Je m'en souviens mal, je le relirais bien aussi.
RépondreSupprimerCa soulève un petit brin de nostalgie ce billet...
Tout cela est très formidable tu as vraiment bien fait de relire ce recueil merveilleux, surtout que tu as l'occasion de le lire en VO.
@Tigger Lilly: C'est trop cool et touchant, tout ce que tu as écrit. ❤ C'est beau, ces souvenirs de lecture d'école, et je pense que "Pauvre petit garçon" est excellente à lire à un jeune âge. Ça illustre à la perfection ce qu'est l'empathie et combien la réalité est grise.
SupprimerHier, justement, je suis passée chez Gibert et j'ai acheté Le Désert des Tartares. ❤
Je suis allée retrouver quand j'ai lu tout ça dans mon carnet de lectures. J'ai lu Le désert des tartares en septembre 1997, un an après que j'en ai fait l'acquisition (j'ai toujours le livre), j'avais 15 ans.
SupprimerJ'ai lu Le K un mois plus tard, par contre je ne l'ai plus (je l'ai racheté quand je l'ai relu) donc je ne sais pas quand je l'ai acquis (peut-être en même temps?). Mais je pense que j'étais en 2ème secondaire (en 95 du coup) quand on a étudié Le petit garçon, à cause de la prof que j'y associe.
Le désert des tartares je l'ai acheté car je lorgnais dessus au Pêle-Mêle et une dame random m'a dit que c'était un magnifique livre et donc je l'ai pris.
J'ai qualifié ma lecture du K de "bien" (format nouvelles devait être un peu particulier pour mon âge) et Le désert des tartares d'"inoubliable".
Voilà ^^
@Tigger Lilly: Holàlà mais quelle merveille ce carnet de lectures!!! 😍
Supprimer"une dame random m'a dit que c'était un magnifique livre" --> Mais quelle histoire! Une recontre de bouquinerie, par-dessus le marché! C'est génial!
Complètement anecdotique mais je n'ai jamais oublié ^^ Sans doute parce qu'elle avait raison ^^
Supprimer@Tigger Lilly: À retenir: oser conseiller des livres à des inconnus!
SupprimerPareil, je ne pensais pas tomber sur une chronique du K (heureusement que je suis curieuse 😁)
RépondreSupprimerJe l'ai lu aussi (https://nevertwhere.blogspot.com/2011/07/le-k-dino-buzzati.html) et je réalise que je ne me souviens que de l'histoire du Veston ensorcelé parce que j'ai lu une adaptation BD dans ma jeunesse.
@Vert: Trop fort, je n'avais pas percuté que tu l'avais lu aussi. Pauvre petit garçon revient tout le temps, hihi!!
SupprimerC'était une lecture commune de feu le cercle d'atuan ^^
Supprimer@Tigger Lilly: Excellent choix du cercle!
SupprimerJe n'ai jamais lu de Dino Buzzati, et visiblement c'est une erreur. Merci à toi !
RépondreSupprimer@Shaya: Mais, Shaya, grâce au lien de Vert, j'ai découvert que tu as lu le K toi aussi!! Le lien sur le site de Vert est vers ton blog Blogspot, mais tu l'as rapatrié sur Wordpress: https://parchmentsha.fr/le-k-de-dino-buzzati/
SupprimerJ'ai lu ce recueil aussi, quelques temps après avoir étudié la nouvelle Le K au collège, dans la thématique des nouvelles à chute 😍 Mais il faudrait que j'y rejette un oeil car je ne crois pas me souvenir de Pauvre Petit Garçon... par contre je me souviens des filles qui tombent.
RépondreSupprimer@Ksidra: Avantage de taille quand on a peu de temps à y consacrer: ce sont des nouvelles, donc ça se lit par petits bouts!
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