mardi 7 juillet 2015

Jézabel (1936)

Au milieu des années trente, une femme d'une grande beauté est jugée pour meurtre: elle a froidement abattu son amant, un homme plus jeune qu'elle. Les témoins se succèdent, les faits ne font pas de doute et le verdict est prononcé. Les spectateurs quittent la salle et passent aussitôt à autre chose. La belle accusée est déjà de l'histoire ancienne.


Après une cinquantaine de pages sur le procès, Irène Némirovsky entre dans le vif du sujet en retraçant le parcours de Gladys Eysenach, depuis son entrée dans le monde aisé du début du XXe ("une enfant qui avait dansé pour la première fois à Londres, au bal des Melbourne, par un beau soir de juin depuis longtemps passé") jusqu'à ce moment fatidique où, bien plus tard, après une vie de mondaine marquée par le plaisir mais aussi par le malheur, elle a fait feu sur le jeune Bernard Martin. Comment une obsession superficielle, mais si compréhensible, peut-elle se mettre en place dans la vie d'une femme qui a tout pour elle? Comment l'angoisse peut-elle prendre le dessus de tout autre sentiment? La vie de Gladys a été marquée et écrite par sa beauté ("dont l'éclat effaçait la beauté de toutes les rivales") et la séduction que celle-ci lui offrait dans un monde insouciant dédié aux bals et aux flirts, où l'argent coule à flots et où les femmes n'ont qu'une chose à faire: précisément être belles et séduire. Mais cette beauté a un ennemi implacable: le temps. Si Gladys est horrifiée par la vieillesse des autres, elle est surtout paniquée à l'idée d'être un jour elle-même celle dont on dira qu'elle "a été belle"...

Jézabel n'égale pas Suite française du même auteur, mais est néanmoins un beau roman sur un personnage complexe, saisi avec une grande justesse par une plume simple et élégante, parfaitement adaptée. Outre la solitude et le vieillissement, qui sont les thèmes principaux, j'ai aussi cru y voir une critique voilée de la place de la femme (oisive) dans la (haute) société: Gladys est certes un cas extrême, mais dans son milieu les femmes n'ont de place que tant qu'elles sont jeunes et belles. Une fois passés les quarante ans, elle ne sont plus que "la mère de" et l'on parle d'elles au passé.

Cela m'a beaucoup fait penser à Gatsby le Magnifique de Fitzgerald et à Daisy, notamment quand elle souhaite à sa fille d'être une petite sotte car c'est ce qui peut arriver de mieux à une femme... Comme pour Daisy, d'ailleurs, j'ai un peu eu envie d'étrangler Gladys, mais il faut se resituer dans le contexte de l'époque et ne pas juger avec notre regard du XXIe, époque à laquelle nous avons malgré tout des horizons autrement plus larges.

En définitive, un beau et triste roman très bien écrit qui fait réfléchir sur le passage du temps. Je recommande.

Livres de l'auteur déjà chroniqués sur ce blog

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