mercredi 24 avril 2019

Bonjour tristesse (1954)

J'entends parler de Françoise Sagan depuis longtemps par une amie qui l'apprécie beaucoup (elle en parle par exemple ici et ici). Il y a quelques années, elle m'a prêté Aimez-vous Brahms, dont quelques passages m'ont marquée mais dont j'ai largement oublié l'histoire. Avec Bonjour tristesse, j'ai découvert le roman qui a révélé et lancé Sagan, alors âgée de 18 ans.


Après son baccalauréat, qu'elle a raté, la jeune Cécile passe l'été dans une ville au bord de la Méditerranée en compagnie de son père, qu'elle ne connait réellement que depuis sa sortie de pension deux ans plus tôt, et la maîtresse de celui-ci, Elsa. Les journées sont consacrées à la paresse et au plaisir. Cécile flirte avec un voisin un peu plus âgé qu'elle, Cyril. C'est une période sans nuage, jusqu'à ce que son père invite Anne, une amie qui mène une vie bien différente de la leur: élégante, intellectuelle, Anne est bien plus mesurée dans son mode de vie et beaucoup moins "frivole". Pour Cécile, c'est le risque de voir sa belle insouciance s'évaporer.

"Je courus vers la mer, m'y enfonçai en gémissant sur les vacances que nous aurions pu avoir, que nous n'aurions pas. Nous avions tous les éléments d'un drame: un séducteur, une demi-mondaine et une femme de tête."

Commençons par quelques réserves. Je n'ai pas été tout à fait enchantée par le style de Sagan. J'ai trouvé quelques phrases lourdes ou sans queue ni tête, comme si la narratrice passait du coq à l'âne ou terminait son paragraphe par une réflexion n'ayant aucun lié avec les phrases précédentes. Par ailleurs, le roman est aussi assez fortement ancré dans son époque, avec une répartition des rôles homme-femme assez conservatrice (la narratrice va même jusqu'à dire qu'elle "s'en remet" à son amant pour ne pas tomber enceinte et que celui-ci trouve cela naturel...).

Au-delà de ces réserves, toutefois, c'est un petit livre très intéressant et  fin. Les relations humaines en général et amoureuses en particulier sont analysées avec une justesse remarquable. L'insouciance et la légèreté de la narratrice et de son père, l'amour d'Elsa, la découverte du plaisir charnel de la narratrice (plaisir charnel indépendant de l'amour au sens sentimental), la retenue presque glaciale d'Anne, l'inquiétude de la narratrice face à la fin de la vie de fête qu'elle a menée jusque-là, tout est criant de vérité et d'une grande lucidité. Et donc plutôt triste: quand on va jusqu'au bout des motivations de l'être humain, on ne trouve que rarement de jolies choses.

À l'époque, je crois que Bonjour tristesse a pas mal choqué, vu que Sagan parlait de sexualité féminine sans filtre (pas qu'il y ait des scènes érotiques, mais la narratrice parle de son plaisir sans s'en cacher). Cet aspect n'est plus aussi choquant aujourd'hui; comme me l'a dit mon amie, "ça n'empêche plus personne de dormir", mais c'est intéressant de voir ça. Ça m'a rappelé qu'il faudrait décidément que je lise L'Amant de Duras, un jour.

Pour ma part, j'y ai aussi trouvé une certaine vision de la jeunesse, une sorte de rêve d'insouciance dont on sait qu'il est impossible, comme le dit la narratrice dans la citation que j'ai mise plus haut, sur ces vacances qui auraient pu être. Tout est dans le "aurait pu". On ressent une nostalgie de quelque chose de non-existant. Je pense que j'aurais adoré lire Sagan quand j'étais au lycée, il y a quelque chose d'un peu torturé dedans, de jeunesse brûlée, qui m'aurait parlé. Une certaine nostalgie des années cinquante aussi, d'un monde où on ne parlait pas de terrorisme et de chômage, où l'Occident semblait profiter de la vie sans se poser trop de questions, le conflit mondial déjà oublié (et la guerre froide? Quand on lit ou regarde des œuvres de l'époque, c'est souvent comme si elle n'existait pas) (tout comme, un jour, les gens croiront en regardant les comédies romantiques des années 2000 et 2010 que l'Occident n'avait pas peur du terrorisme à cette période, je sais, je sais). Ce roman m'a aussi rappelé Le Mépris de Moravia, un livre qui parle également d'une relation amoureuse complexe sur un ton tristement lucide et fataliste, à la même époque et dans un contexte tout aussi ensoleillé si ma mémoire est bonne. (Je n'ai pas chroniqué Le Mépris, mais je vous ai parlé de Moravia ici et ici.)

En bref: une belle découverte, même si ce n'était pas non plus la lecture la plus marquante de l'année. Je recommande de lire Sagan au moins une fois pour connaître une des principales femmes de lettres du XXe siècle français. En plus, Bonjour tristesse est un livre court, un atout pour les plannings de lecture chargés! 😃

6 commentaires:

  1. Oh, je l'ai lu il y a ... une éternité ;). J'en garde un bon souvenir de lecture mais je ne m'aventurerais pas à le relire. Je me souviens m'être dit qu'il était très inscrit dans son époque. J'avoue que Je n'ai jamais relu Sagan.

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    1. @Marilyne: Tu confirmes mon ressenti et celui de mon amie concernant son contexte. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de le relire maintenant que tu sais de quoi il s'agit. Si j'étais toi je tenterais un autre de ses livres à l'occasion. :)

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  2. Voilà une auteure importante qui manque à ma culture!

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    1. @Grominou: Je pense que tu apprécierais, en plus. C'est très intéressant.

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  3. Il est dans ma wishlist ce livre, je suis pas sûre d'aimer mais je pense que c'est un de ces livres qu'il faut avoir lu, ou au moins essayé de lire.
    Sinon, Duras je l'ai étudiée en cours de littérature, j'avais une prof qui en était fan. Je trouvais incompréhensible et inintéressant. Bref si tu lis L'amant je lirai ton avis avec grand intérêt parce que Duras c'est une autrice que j'ai bannie de ma biblio depuis.

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    1. @Tigger Lilly: Oui, tout à fait, je pense aussi que c'est un livre "qu'il faut" lire.
      Mince, ton commentaire sur Duras m'a rappelé un vague souvenir, je me demande si je n'ai pas déjà lu L'Amant et trouvé ça nullissime :D

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