mercredi 11 mars 2020

Sorcières. La puissance invaincue des femmes (2018)

Impossible d'échapper à l'essai Sorcières. La puissance invaincue des femmes de Mona Chollet. Depuis sa sortie en 2018, je le vois partout sur les réseaux sociaux et j'ai ainsi appris que l'autrice évoquait longuement le sujet de la non maternité choisie, ce qui m'a forcément attirée...


Pour tout dire, j'avais quelques inquiétudes à cause du sous-titre "la puissance invaincue des femmes". Je craignais d'y trouver une revendication d'unicité et de différence que je trouve dangereuse car peu rationnelle et proche des répartitions genrées traditionnelles. Quelque chose, pour vous donner une idée en forçant le trait, comme "les femmes sont magiques car plus proches de la nature que les hommes". De là à "les femmes sont incapables d'apprendre les mathématiques", il n'y a qu'un pas...

Heureusement, je n'ai rien trouvé de tout ceci, sauf à la toute fin, dont je vous reparlerai.

L'ouvrage se divise en quatre parties et part du phénomène des chasses aux sorcières du XIVe au XVIIe pour aborder quatre grands thèmes: l'indépendance féminine, la non maternité, le vieillissement et le sexisme de la société actuelle. Il est bien documenté que la chasse aux sorcières a surtout visé des femmes seules et/ou âgées qui vivaient sans homme, en dehors des schémas patriarcaux dominants. Mona Chollet trace le parallèle avec de grandes figures féministes du XXe, puis elle détaille les résistances face au désir et à la revendication de la non maternité par certaines et étudie le rejet des signes de l'âge chez la femme. 

La lecture est tout à fait passionnante et prenante. Mona Chollet écrit très clairement, avec un peu d'humour et de panache qui donnent du relief à ses propos. J'ai lu l'essai en quatre jours en décidant délibérément de lire seulement une partie par jour pour que les idées aient le temps de cheminer dans mon esprit; dans un autre contexte, par exemple en vacances, j'aurais pu le lire d'une traite. Le propos est à la fois glaçant, stimulant et libérateur.

Glaçant pour deux raisons. Tout d'abord la liste ahurissante de violences en tout genre faite aux femmes: de la torture des sorcières au fait de mettre la main dans le vagin des parturientes à l'hôpital sans leur demander leur avis et sans les prévenir, il y a de quoi se barricader chez soi; et ensuite la profondeur du clivage dans l'éducation et la perception des deux genres. Ce dernier point est pour moi d'autant plus glaçant que je vois clairement, au quotidien, combien l'éducation traditionnelle que j'ai reçue étant enfant m'a enfermée dans des schémas dont je peine à me libérer – à commencer par le fait de me poser en "soutien de quelqu'un d'autre" plutôt qu'en personne, professionnelle ou artiste à part entière.

Heureusement, au-delà de ce triste constat, j'ai aussi dit que le propos de Mona Chollet est stimulant et libérateur. Car, oui, lire cinquante pages sur la non maternité, écrites par une femme qui n'a pas d'enfant et ose le dire, ça fait du bien, même si je reste terrifiée de voir arriver la quarantaine à l'horizon en n'ayant toujours pas d'enfant, ni même la moindre envie d'en avoir (et donc de mourir seule sous le regard méprisant d'un professionnel de la santé qui estimera que j'aurai râté ma vie). Ça fait du bien de voir qu'on n'est pas seule, qu'une femme dont l'essai se vend à des dizaines de milliers d'exemplaires a été agressée, elle aussi, par des gens qui lui ont expliqué qu'elle n'a rien compris à la vie si elle n'est pas mère.

Ça fait du bien de voir qu'il y a des millers de femmes, partout dans le monde, qui vivent comme elles le veulent malgré les obstacles et malgré le fait qu'elles dérangent et qu'on les moque, qu'on les prend de haut constamment.

Ça fait du bien de voir qu'il y a des femmes qui ne se teignent pas les cheveux parce qu'elles ne ressentent pas le besoin de faire semblant d'être jeunes et fécondes pour toujours.

Ça fait du bien de se rappeler que, quand un homme cinquantenaire abandonne sa compagne de longue date pour une femme de trente ans plus jeune en laissant ses enfants sur les bras de leur mère, c'est lui qui ne se comporte pas dignement, pas elle qui est une vieille peau condamnée à rester seule.

Du côté des réserves: je dois tout de même dire que j'ai parfois ressenti une légère confusion entre "argument" et "exemple", ou une surestimation de la valeur d'un exemple en particulier. Ainsi, dans la première partie, un paragraphe aborde le parcours d'une féministe pour ensuite signaler que le taux de divorce a explosé aux États-Unis à la même période. Je n'ai pas noté le passage pour vous le montrer, mais il m'a semblé que le sous-entendu était qu'il y avait un lien direct entre les deux choses. Or, l'augmentation des divorces s'explique par des tas de raisons, pas seulement par les propos de cette femme-là en particulier.

À la fin, la quatrième partie m'a parfois perdue; l'autrice y fait le lien entre femmes et nature, femmes et écoféminisme, et j'ai lu quelques paragraphes sans en saisir le contenu. C'est là qu'on pourrait glisser vers ce que je craignais à cause du titre, une vision de la femme comme élément de la nature, une espèce de force primitive (là où l'homme serait l'esprit et la machine, je suppose). C'est un peu comme quand on dit que les femmes devraient plus s'engager en politique car elles sont plus douces que les hommes. Voyons Margaret Tatcher et Marine Le Pen. 😅

Malgré ces réserves, je recommande chaudement la lecture de cet ouvrage. On ne prendra jamais trop conscience de combien la société occidentale est profondément misogyne et repose sur l'asservissement de la femme. Et même si ça ne change pas le quotidien dans l'immédiat, identifier ces mécanismes est indispensable pour ensuite les faire bouger.

Allez donc voir ailleurs si ces sorcières y sont!

15 commentaires:

  1. Si le sujet de la non maternité par choix ( toujours a justifier, c'est intolerable ) t'intéresse particulièrement, il y a d'autres livres, souvent des beaux livres. Je ne le souviens plus des titres, je cherche ( et si tu veux, je te dis ). Je comprends que cette lecture t'ait interpellée. Comme tu le sais, elle m'a bien moins enthousiasmée que toi. Je crois qu'il y a un aspect générationnel à notre lecture ( le demi siècle pour moi cette année ;)). Merci pour le lien.

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    1. @Marilyne: Ah oui, ça m'intéresse, merci! Ensuite, passer à l'action et les lire alors que j'essaye de vider ma pile à lire sera plus difficile – mais prendre conscience de leur existence sera déjà un début! :)
      C'est également ma première lecture d'un ouvrage féministe, à part Annie Ernaux qui adopte une écriture radicalement différente, cela a sûrement joué aussi.

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    2. J'ai retrouvé un titre : " A l'enfant que je n'aurai pas " de Linda Le.

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    3. @Marilyne: Merci! Le résumé disponible sur Fnac.fr évoque aussi un essai d'Elizabeth Badinter sur l'injonction à la maternité (pas forcément sur la non maternité – je ne sais pas si Elizabeth Badinter a eu d'enfant ^^).

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  2. Intéressant ton point de vue et j'apprécie ton esprit critique tout en arrivant à soulever ce qu'il y a de bon voire très bon dedans. J'ai ce livre dans ma liste mais bon je suis un peu à la ramasse du côté des essais surtout que je dois en lire pour le boulot aussi.

    Bon sinon la vraie question est : est-ce qu'elle parle des chats ? Parce que moi on m'a toujours dit que les sorcières avaient des chats et du coup comme sur le reste je rentre plutôt bien dans le moule, j'aimerais bien pouvoir affirmer que je suis, moi aussi, une sorcière.

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    1. (oh et j'oubliais : je pense que tu le sais déjà mais de mon côté je ne suis pas du tout intéressée par la maternité non plus, c'est un truc qui me dépasse complètement donc si tu veux qu'on en parle à l'occasion, ça me ferait très plaisir).

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    2. @Tigger Lilly: Eh bien je crois qu'elle mentionne les chats en passant, mais sans plus. Je ne m'en souviens pas, et vu ma mémoire extrêmement sélective sur ce point, ça doit vouloir dire qu'ils sont très peu présents. :) Mince. Ah, elle parle d'un article du genre "Comment être célibataire sans sentir la croquette", mais comme critique du spectre de la solitude venant punir les femmes seules.
      On en parle bientôt en mangeant des œufs brouillés :D

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  3. Et du coup, si un homme ne veut pas d'enfant, est-ce que c'est un sorcier ?
    Et est-ce qu'en posant cette question, j'ai atteint le point Godwin du patriarcat, en parlant du masculin alors que le sujet est le féminin ? (oups)
    ---
    Très intéressant ton retour. Je partage(ais) tes réserves sur le sous-titre, et du coup je suis content de voir ce que ça donne réellement. De là à le lire, je ne sais pas, mais qui sait.

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    1. @Baroona: Excellentes questions :D Je te vois bien sorcier, en tout cas :D
      Donne-lui une chance s'il croise ton chemin, il y a matière à réflexion. Ensuite, je dois tout de même dire, un mois après lecture, qu'il n'a pas changé ma vie...

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  4. Cet essai dort au pied de mon lit depuis bien longtemps. Je devrais profiter du confinement pour l'en sortir !

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    1. @Shaya: Je pense que tu apprécieras, même si, étant déjà très sensibilisée sur la question, tu n'y trouveras probablement pas de nouveauté incroyable.

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  5. Super intéressant ton retour ! l'aspect non maternité ne me touchera certainement pas autant, mais je suis sûre que c'est très intéressant dans tous les cas. Je ne lis pas beaucoup d'essais, je ne m'y connais pas trop en la matière, mais je note celui-ci, j'aimerais justement me documenter un peu plus sur le féminisme.

    P.S. : ben mince, je ne connaissais même pas le terme 'parturiente' !

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    1. @Ksidra: Je pense que c'est une bonne porte d'entrée. En tout cas, c'est très facile et plaisant à lire! :)
      Ahah je réalise que j'ai mal écrit "parturiente", je vais corriger...

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