Pour info, je vis plus ou moins dans une grotte coupée du monde depuis 2010. Avant, je lisais le journal. Je lisais même des journaux différents. Puis je me suis retrouvée au chômage et je n'ai plus acheté la presse, vu que j'avais besoin d'économiser et que lire les articles en ligne était gratuit. Et puis l'actualité s'est faite de plus en plus terrifiante, notamment avec la crise de l'euro, et j'ai délibérément fui les informations.
Tout ça pour dire que, à part qu'il s'agit d'une dictature communiste qui adore l'argent, je ne sais à peu près rien sur le régime chinois actuel.
Kai Strittmatter, journaliste, décrit dans cet ouvrage le fonctionnement de la dictature chinoise. Sous l'impulsion de l'actuel secrétaire général du Parti communiste chinois (PCC) et président de la République populaire de Chine, Xi Jinping (qui s'est débrouillé pour pouvoir être président à vie...), le Parti et le pays ont beaucoup évolué depuis 2012.
Tout d'abord, l'auteur étudie les mutations de la langue même, avec de nouveaux éléments de langage. Je n'ai pas retenu d'exemples, mais c'est ce chapitre qui m'a le plus fait frémir, en bonne linguiste. Strittmatter passe ensuite à la répression politique et au règne de la terreur, avec des emprisonnements arbitraires suivis de longues séances de repentement publiques dans lesquelles les malheureux dissidents demandent pardon d'avoir trahi le Parti ou la Chine, ou les deux, vu que de toute façon le Parti EST la Chine. Il parle aussi de la propagande très active – les nouvelles générations de Chinois ne savent rien du massacre de la place Tiananmen, tandis qu'on leur parle quotidiennement du méchant Occident qui ne veut pas d'une Chine forte – et de la récupération ingénieuse de l'intelligence artificielle et des méthodes de surveillance généralisée pour traquer la moindre désobéissance, d'un piéton qui traverse au feu rouge à un Ouïghour qui reçoit d'autres Ouïghours dans son logement... C'est cette surveillance généralisée qui est le véritable propos du livre. Avec un réseau très dense de caméras de surveillance et l'omniprésence de la reconnaissance faciale (pour débloquer votre nouveau téléphone, pour obtenir du papier toilette dans les toilettes publiques (!!), pour prendre à manger au restaurant universitaire, etc. etc.), le Parti sait à tout moment qui est où. Encore plus gênant: certaines firmes occidentales ne se gênent pas pour l'aider ou cèdent à ses demandes, comme Apple qui a retiré plus de 500 (!!) applications de l'App Store à la demande de la Chine.
Un chapitre étudie également le retour en force de Marx et Confucius dans le pays.
On a fait lecture plus plaisante, évidemment, et j'ai donc lu ce livre à petites doses. D'autant qu'il se termine sur un constat que je partage: avec la montée du populisme, de l'extrême-droite et des tensions sociales, les vieilles démocraties occidentales ont perdu de leur attrait et ne sont plus un modèle pour les pays non occidentaux. Avec Donald Trump à la Maison Blanche, les États-Unis sont étaient mal placés pour faire la morale en matière de démocratie. Le modèle chinois peut séduire bien des gouvernements – d'ailleurs, la Russie s'intéresse à ces technologies. Et les pays de l'Union européenne ne pourront faire face à ce géant qu'en s'unissant, ce qui est précisément ce qu'ils ne sont pas en train de faire.
Je vous laisse avec une citation hilarante, mais qui rend l'idée du degré auquel le Parti verrouille tous les aspects de la vie en Chine. (Ce serait hilarant si ce n'était pas horrible, en fait...)
"Les formations idéologiques paraissent avoir singulièrement déteint sur l'administration de la banque de sperme de la troisième clinique universitaire de Pékin. Lorsqu'elle a cherché de nouveaux donneurs, elle n'a pas seulement exigé des candidats potentiels, entre vingt et quarante-cinq ans, qu'ils soient dénués de maladies héréditaires ou infectieuses, ou encore de «calvitie manifeste». L'appel à dons de la banque de sperme sur Weibo réclamait en outre «d'excellentes qualités idéologiques»: on n'acceptait que des donneurs «patriotes, soutenant le pouvoir du Parti communiste et ayant une attitude loyale à l'égard de la mission assignée au Parti»."
Pourquoi ce livre?
Parce qu'il a été traduit de l'allemand par Olivier Mannoni, le brillant directeur de l'École de traduction littéraire du Centre national du livre.
Vous voulez en savoir plus?
Je vous invite à lire l'article "Parler pour la Chine. Le politiquement correct des travailleurs chinois en Zambie" de Di Wu, brillamment traduit de l'anglais par Lise Garond et publié dans la revue Terrain.
Ce blog étant désormais sous surveillance chinoise - on ne peut pas colporter impunément que la Chine est une dictature - je ne ferai aucune tentative de commentaire amusant.
RépondreSupprimerLa partie sur la langue a l'air intéressante, c'est la seule chose qui me donnerait un peu envie.
@Baroona: Tu sais que j'y ai pensé? 😜 Je me suis dit que j'allais voir mon blog disparaître et que l'éditeur était bien courageux...
Supprimer" les mutations de la langue même" -> atta, genre novlangue les mutations linguistiques ?
RépondreSupprimerAnecdote : quand j'étais à l'unif, on parlait souvent politique en soirée (arrosée) et j'ai discuté plusieurs fois avec un ami d'une amie, qu'elle disait être un génie. Il me causait de la Chine en disant que ça allait devenir une des plus grosses puissances mondiales. J'étais un peu "hahaha mais non XD" "les US blabla haha". Maintenant, il parait clair que le PIB de la Chine va finir par dépasser celui des US et les US ont eu un prez digne d'Idiocratie le film pendant 4 ans. Plus rien ne m'étonne XD
@Tigger Lilly"genre novlangue les mutations linguistiques ?" --> Oui tout à fait, même si je n'ai pas retenu d'exemple en particulier.
SupprimerSuper anecdote. Les années 2010, ça aura quand même été une illustration constante de l'adage selon lequel ça peut toujours être pire. XD Concernant la Chine, ça me semblait logique, juste à cause du nombre d'habitants (même si, en réalité, le nombre d'habitants n'est pas du tout la seule variable influençant la richesse d'un pays, mon raisonnement était totalement biaisé...). J'attends aussi l'Inde, d'ailleurs. Imagine 2050...
C'est terrifiant mais à la fois intéressant. C'est vrai que la dictature et la surveillance sont tellement présentes que c'est difficile pour nous occidentaux d'avoir une réelle idée de la vie des Chinois.
RépondreSupprimer@Shaya: Oh oui, c'est une société très éloignée de la nôtre. Ça fait relativiser beaucoup de choses. XD
SupprimerÇa doit drôlement faire relativiser sur nos tracas quotidiens ce bouquin... (même si c'est pas non plus une excuse pour laisser tout passer)
RépondreSupprimer@Vert: Ah oui tout à fait. Quand je vois le nombre de personnes qui passent leur temps à dénoncer la dictature de Macron, je pense qu'on n'a pas la même définition de ce qu'est une dictature. 🤪 Et au contraire, c'est en ayant une bonne vision de ce que c'est qu'on peut identifier ce qui tend vers ça. Et ce n'est, évidemment, pas une raison d'accepter certaines choses parce que c'est pire ailleurs. C'est un argument qu'on m'a beaucoup donné quand je me plaignais d'être au chômage, genre j'aurais pu être SDF et ça aurait été pire. Super...
SupprimerPas étonnée de la montée en puissance de la Chine. On dit qu'un pays qui commence à s'implanter en Chine à tous les niveaux, c'est le signe qu'il prend le pas sur les autres et apparemment, c'est le cas pour la Chine depuis quelques années.
RépondreSupprimerLe côté linguistique m'attire. On sait l'importance de la langue, de la rhétorique en politique (et au-delà), y a qu'à écouter par ex. les analyses de Clément Viktorovitch pour saisir cette importance.
Je trouve ça passionnant.
@Ite: J'ai assisté à un atelier du traducteur de ce bouquin, Olivier Mannoni, sur la traduction du nazisme, et c'est passionant de voir comment on utilise le langage quand on est un extrémiste. À tout hasard (pour le jour où tu auras du temps...), je te conseille de lire la Langue de Trump de Bérengère Viennot, qui a l'air très intéressant aussi. Elle traduit le politique depuis des années et Trump l'a obligée à revoir sa méthode de travail. Je ne connais pas Viktorovitch, je vais regarder qui c'est.
SupprimerBon par contre, je n'ai pas bien compris "On dit qu'un pays qui commence à s'implanter en Chine à tous les niveaux, c'est le signe qu'il prend le pas sur les autres et apparemment, c'est le cas pour la Chine depuis quelques années", n'y aurait-il pas un "Chine" de trop? :D