Un petit Barbey d'Aurevilly pour trois euros, comment refuser? 😊😊
L'histoire
À Paris, à la moitié des années 1830, deux vieilles dames prennent le thé avec la petite fille de l'une d'elles: Hermangarde de Polastron, jeune fille ravissante, innocente et amoureuse sur le point de se marier. Mais dès qu'Hermangarde quitte la pièce, l'une des deux dames, amie de longue date de la deuxième, tente de convaincre celle-ci d'empêcher ce mariage. Le fiancé, Ryno de Marigny, est un libertin de la pire espèce, qui a déjà ruiné une femme de la bonne société et qui traîne une réputation plus que sulfureuse. Quelques jours plus tard, Marigny, ayant appris que l'amie mène son enquête sur lui, décide de jouer cartes sur table et se confesse à la grand-mère de sa promise. Durant quatre chapitres, il décrira avec honnêteté la relation de dix ans qu'il a eue avec une Espagnole insaisissable, mystérieuse, indomptable et sensuelle, la terrible Vellini.
Ainsi se déroule la première partie de ce roman de Barbey d'Aurevilly, notre expert en regrets pour l'Ancien Régime et en Normandie spectrale. La relation entre les deux dames âgées, qui ont connu le XVIIIe siècle et ne s'en laissent pas conter par le XIXe, est assez sympathique, tout comme les efforts de la plus méfiante des deux pour prouver que Marigny a un comportement répréhensible. Puis le récit de Marigny est prenant. Coup de foudre improbable, tentative d'enlèvement à cheval, amours passionnées, rites destinés à unir les deux amants pour l'éternité, tout y est. À ce stade, on voit bien que Marigny est sincèrement amoureux d'Hermangarde et déterminé à ne jamais revoir Vellini, et on pourrait presque espérer. La grand-mère, d'ailleurs, est pleinement convaincue, et le mariage a bien lieu.
Sauf que.
Déjà, la quatrième de couverture de cette édition Folio divulgâche éhontement la fin de l'histoire. Et bon, je le connais un peu, Barbey. Je ne lis pas pour avoir des fins heureuses. Je le lis pour avoir des personnages torturés et une ambiance sombre qui pourrait presque flirter avec le surnaturel (ici: Vellini est-elle un peu sorcière, en fin de compte? Et cette Normandie désolée battue par les vents, quel bonheur!) Donc, je savais à quoi m'attendre dans la deuxième partie. Et la fin est à la hauteur des enjeux.
Contrairement à Folio, je préfère annoncer que je divulgâche, donc, attention: [divulgâcheur] après plusieurs mois d'extrême félicité conjugale, la pauvre Hermangarde assiste aux ébats de son mari adoré avec son affreuse maîtresse. Évidemment, comme on est au XIXe siècle, elle délire pendant des jours, fait une fausse couche et reste allitée pendant des semaines. Puis elle se relève, malgré son immense tristesse, et reprend tant bien que mal sa vie, mais sans reprendre sa vie sexuelle avec son mari infidèle et sans le pardonner formellement. D'un côté, Marigny a tout gagné, car il a fait le beau mariage qui l'a rendu riche et qu'il continue de fréquenter Vellini; mais le fait que, bizarrement, il aime sincèrement Hermangarde (aime-t-il les deux, au fond?) le prive du bonheur qu'il a goûté avant que Vellini n'aille le chercher au fin fond du Contentin [divulgâcheur].
Ce qu'on retient de ce roman, c'est ce triangle amoureux entre la jeune fille pure et héroïquement gentille, Hermangarde, que j'ai sincèrement aimée, Marigny, qu'on peut voir comme un mec bêtement dominé par sa bite, et bien sûr Vellini, la femme plate et laide aux pieds de laquelle les hommes se prosternent dès qu'elle bouge. C'est assez dingue, mais c'est vraiment ça l'idée: Vellini séduit par sa démarche et son regard oblique. C'est une femme qui respire la sensualité. (D'ailleurs, le roman ne parle pratiquement que de sexe, soit dans les souvenirs des personnages âgés qui ont eu leur vie sexuelle en leurs temps, soit dans les aventures des personnages jeunes.) Et elle a une volonté de fer, une conviction en son propre destin qui la rend pratiquement imbattable.
J'ai trouvé que le livre avait quelques longueurs (une lettre de Marigny, notamment, décrit ce à quoi le lecteur a déjà assisté), mais globalement j'ai adoré.
Pour le fun, je suis allée relire l'article de Mes Haines qu'Émile Zola a consacré à Barbey et qu'il a sobrement intitulé, dans sa deuxième moulure, "Le catholique hystérique". (Quelle rime, mon petit Émile!) Il faut que vous sachiez que Barbey s'est reconverti au catholicisme à un moment donné et que la société française de l'époque n'était pas du tout apaisée en matière de religion, et, comme le titre le laisse penser, Zola ne partageait pas ses idées. Toutefois, cet article date de plus tard, 1865, et fait la critique d'un autre roman de Barbey, Un prêtre marié, que je n'ai pas encore lu. J'y ai trouvé des critiques qui ne sont pas délirantes au regard de ce que j'ai déjà lu de lui, mais j'aimerais souligner que Zola lui-même, dans sa chronique au vitriol, reconnaît qu'il y a du bon dans ce roman. Je me réjouis de le lire un jour!! 🤩
Autres livres de l'auteur déjà chroniqués sur ce blog
L'Ensorcelée (1852)
Les Diaboliques (1874)
Une histoire sans nom (1882)