Cinq ou six ans ans après l'avoir acheté, j'ai enfin lu El Club Dumas d'Arturo Perez-Reverte, un écrivain espagnol que j'idôlatre en raison du Capitaine Alatriste, une série de cape et d'épée merveilleuse dont je vous ai déjà parlé ici.
L'histoire est celle de Lucas Corso, un "mercenaire de la bibliophilie" (dixit Punto de lectura, éditeur espagnol), dont la vie est perturbée par deux manuscrits.
Le premier est un chapitre original des Trois mousquetaires d'Alexandre Dumas, "Le vin d'Anjou", écrit par deux mains différentes (Dumas et Maquet, bien sûr). Il lui a été remis par un ami libraire qui souhaite le faire identifier. Ce dernier l'a acheté auprès d'un autre libraire qu'on a retrouvé pendu à peine une semaine auparavant.
Le deuxième est De Umbrarum Regni Novem Portis, Les Neuf portes du royaume des Ombres, un livre occulte dont l'auteur a été brûlé sur le bûcher. Utilisé de manière adéquate, il permettrait d'invoquer le diable... Ce livre-ci est remis à Corso par un collectionneur millionnaire, qui souhaite le faire comparer aux deux autres exemplaires connus.
Lucas Corso part donc en mission avec les deux manuscrits sous le bras. La première étape est Sintra, au Portugal, afin de consulter le deuxième exemplaire des Neuf portes; la deuxième sera Paris, où il souhaite consulter le troisième exemplaire et faire authentifier le manuscrit de Dumas. Mais avant même de quitter Madrid, il rencontre la veuve du libraire pendu, une femme aussi belle que redoutable rappelant dangereusement Milady de Winter, et est suivi par un homme portant une cicatrice identifique à celle de Rochefort, l'âme damnée du cardinal dans Les trois mousquetaires... La réalité se mélange de plus en plus à la fiction et Lucas Corso semble propulsé dans un livre de Dumas...
J'ai bien retrouvé ici l'auteur d'Alatriste. Arturo Perez-Reverte a une manière très particulière de caractériser ses personnages par des descriptions assez longues, parfois en plein milieu des dialogues. Ainsi, deux répliques d'un même échange peuvent être séparées par une page entière, durant laquelle il décrit très précisément le ton et l'attitude des personnages, ainsi que les sous-entendus et l'implicite énormes de leurs mots. C'est absolument formidable, ça vous pose un personnage avec une efficacité redoutable et ça donne envie d'avancer dans sa lecture pour en savoir plus.
Ici, en outre, l'intrigue tourne autour d'Alexandre Dumas, écrivain que j'adore, de la passion des livres anciens (avec, notamment, le collectionneur pauvre de Sintra qui vend ses livres un par un pour subvenir à ses besoins et choisit toujours de céder celui qu'il aime le plus, dans un sacrifice qui le détruit à petit feu mais qui a quelque chose de sublime) et de l'occultisme/du satanisme, thème riche de potentiel. Interviennent également des personnages secondaires croustillants: Flavio La Ponte, l'ami libraire bon enfant, et Irene Adler (oui!), une mystérieuse jeune femme que Lucas Corso semble retrouver partout où il va.
Le résultat? Un thriller extrêmement réussi, truffé de références, qui assume parfaitement son amour du livre en général et du feuilleton en particulier, un hybride littéraire tenant autant d'Umberto Eco et d'Alexandre Dumas que de Dan Brown. J'ai adoré et j'ai découvert ce qu'est l'Enfer: lire ce livre mais super lentement parce que je le lis en espagnol, une torture insoutenable. 😜😜 Un peu déçue par la fin, toutefois, mais rien de gravissime – disons que l'auteur n'a pas fait le choix que j'aurais fait si j'avais écrit le bouquin à sa place. Je me dois aussi d'ajouter un mot sur la forte sexualisation des rares personnages féminins, dont la sensualité et les attributs physiques sont décrits à maintes reprises.
Et maintenant, reste à revoir La neuvième porte, l'adaptation réalisée par Roman Polanski... Même si, d'après mes vagues souvenirs, le film est très, très différent du roman!